Interview de M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable, à France 2 le 20 octobre 2004, sur la nécessité de faire des économies d'énergie du fait de la hausse du prix du pétrole et sur les raisons de sa prise de sang pour y détecter des produits dangereux notamment la sensibilisation des Français aux risques de cancers liés aux produits dangereux.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

QUESTION : Le prix du pétrole atteint des sommets, l'essence ne cesse d'augmenter, et vous, vous vous faites remarquer en disant que, finalement, c'est peut-être pas un scénario-catastrophe parce que cela pourrait permettre de changer les comportements et donc de moins polluer. A long terme, on peut comprendre, mais dans l'immédiat, cela ne va pas être très populaire.
Serge LEPELTIER (Réponse) : L'un de nos objectifs majeurs, c'est évidemment de sortir de la société du "tout pétrole". Il faut bien voir que le pétrole est au cur de difficultés, à la fois pour la France et pour le monde ; il pollue, il pose des problèmes économiques - on voit les problèmes avec l'évolution des prix du pétrole -, et puis il pose des problèmes géostratégiques majeurs puisque les réserves de pétrole sont concentrées dans une seule partie du monde. Donc, il faut en sortir. Et pour en sortir, il faut d'abord faire des économies d'énergies, et c'est vrai que le prix du pétrole peut être utile, mais il faut dans tous les cas...
QUESTION : Vous êtes quand même le seul à dire : la hausse du prix du pétrole, c'est bon ?
Serge LEPELTIER (Réponse) : Cela peut être une bonne chose à moyen et long terme. Il est évident qu'à court terme, cela nous pose des problèmes, il faut en tenir compte. Et N. Sarkozy a annoncé une décision, hier, qui permet d'assurer cette transition. Il est bien évident que sur le moyen terme, le prix du pétrole...
QUESTION : N. Sarkozy a dit que les taxes sur le pétrole allaient baisser.
Serge LEPELTIER (Réponse) : Il faut que le prix du pétrole, le coût du pétrole soit progressivement pris en compte dans notre économie. Mais il est bien évident qu'il ne faut pas que l'Etat en profite par une majoration du volume des taxes. Donc, N. Sarkozy a annoncé hier une bonne chose, c'est-à-dire, qu'il faut que le volume des taxes qui est perçu soit le même et que l'Etat n'en profite pas. Parce que ce serait quand même tout à fait paradoxal que les Français à la fois supportent cette augmentation du coût du pétrole et que ce soit difficile, et qu'en plus, l'Etat en rajoute.
QUESTION : Il y a des pistes pour moins polluer, par exemple, la voiture propre...
Serge LEPELTIER (Réponse) : Oui.
QUESTION : On a l'impression qu'en France cela n'intéresse pas vraiment beaucoup de monde.
Serge LEPELTIER (Réponse) : Non, vraiment, je pense qu'on est en train de changer de cap à ce niveau-là. Quand je suis arrivé dans mes fonctions, j'ai immédiatement rencontré les constructeurs automobiles français pour leur dire : il y a là un objectif majeur, il faut que nous produisions des voitures qui consomment moins...
QUESTION : Mais les Français, eux, cela ne les intéresse pas vraiment. Ils n'en achètent pas.
Serge LEPELTIER (Réponse) : Si, les Français commencent à être sensibilisés à cette question. Mais vous savez, pour qu'ils achètent des voitures propres, il faut d'abord qu'il y en ait sur le marché, à un coût raisonnable, et il faut donc que nous fassions en sorte que les voitures propres ne coûtent pas plus cher que les voitures qui polluent. Donc, il y a là toute une stratégie, et je viens de décider de doubler le budget de recherche pour justement ce moteur propre. Il faut que nous investissions pour trouver la solution pour moins polluer pour l'avenir au niveau des voitures.
QUESTION : Mais dans l'immédiat, ne faudrait-il pas donner plus d'incitations fiscales aux Français qui voudraient acheter des voitures propres ?
Serge LEPELTIER (Réponse) : Je pense que nous devons absolument avoir une réflexion très approfondie sur la fiscalité écologie. Aujourd'hui, je suis très frappé par le fait que, lorsque l'on achète des produits en quelque sorte écologiques - il n'y a pas que dans la voiture ; si vous achetez "bio" aujourd'hui, ça coûte plus cher que d'acheter des produits traditionnels -, donc, là, il faut que nous trouvions, que nous ouvrions vraiment un débat pour trouver la solution par le biais en particulier de notre système de taxes et de notre système de fiscalité. Taxons moins les produits écologiques, et taxons plus les produits polluants.
QUESTION : Justement, vous, vous aviez proposé le fameux bonus-malus, qui devait permettre de plus taxer les véhicules polluants ; vous vous êtes fait gentiment "envoyer dans les cordes"...
Serge LEPELTIER (Réponse) : Ce qui a inquiété, et je le mets à la réflexion, c'est que l'on pensait que nous allions taxer plus les Français. Il ne s'agit pas du tout de cela. Il s'agit d'abord d'inciter à l'achat de véhicules moins polluants, c'est d'abord cela dont il s'agit. Nous sommes donc en train d'en discuter et nous allons trouver la solution.
QUESTION : Ce sont vos collègues du Gouvernement qui ne vous ont pas compris ?
Serge LEPELTIER (Réponse) : C'est surtout le fait que beaucoup se sont inquiétés que ceci aboutisse à plus de taxes. Alors qu'en réalité, il s'agit de taxer - ou il s'agirait de taxer - les véhicules les plus polluants, c'est-à-dire, environ 300 000 véhicules par an, pour inciter à l'achat de véhicules moins polluants, c'est-à-dire 600 000 véhicules. Mais il faut trouver la solution dans un cadre européen, et qui fasse en sorte que les constructeurs aillent vers ce type de véhicule. C'est cela qui est important ; c'est un objectif majeur aujourd'hui, de faire en sorte que nous puissions, parce que la voiture fait partie de la liberté individuelle des Français, que nous puissions rouler dans des véhicules moins polluants. Et je constate, au dernier Salon de l'automobile, que les choses avancent. Il y a des véhicules électriques qui vont se développer, qui ont une autonomie beaucoup plus longue, pratiquement 200 km possibles sans recharger la voiture. Il y a des véhicules hybrides. Donc, tout cela est en marche aujourd'hui.
QUESTION : Hybride, cela veut dire qu'ils marchent à la fois à l'électricité et à l'essence.
Serge LEPELTIER (Réponse) : Absolument. Puis, n'oublions pas que nous venons de lancer un programme de biocarburant. Le biocarburant est très important, c'est moins de pollution, c'est plus d'emplois pour les Français, et c'est surtout moins de dépendance énergétique. Donc, nous venons de lancer ce plan en triplant dans les trois prochaines années la production de biocarburants. Donc, là, il y a tout un ensemble de mesures qui vont dans le sens d'utiliser moins de pétrole.
QUESTION : Vous faites partie des ministres "cobayes" qui ont accepté une prise de sang pour voir un peu ce qui coulait dans vos veines. Résultat : 37 produits chimiques dans votre sang...
Serge LEPELTIER (Réponse) : 37 sur 99
QUESTION : - ...37 produits chimiques dangereux. Vous êtes le seul concerné ou tous les Français sont-ils concernés ?
Serge LEPELTIER (Réponse) : Tous les Français sont concernés, et j'ai souhaité le faire parce que j'ai souhaité être utile. Je me suis dit que cela pouvait faire uvre pédagogique et sensibiliser les Français à ces questions. Et je ne suis pas particulièrement dans ma vie exposé à ce type de produits. Or, dans mon sang...
QUESTION : Justement, comment les attrape-t-on ces produits, comment viennent-ils dans le sang ?
Serge LEPELTIER (Réponse) : On m'a expliqué cela : au cours de la vie, vous utilisez des produits, dans l'aliment par exemple, vous accumulez... J'ai, moi, des résidus du DTT dans mon sang. Or, le DTT, depuis plus de 20 ans, est interdit en France. Cela veut donc dire que des produits d'alimentation que nous mangeons, ont encore ce type de produit en nous. Je dirais que ce qui doit être utile c'est pour l'action. Il faut que nous agissions, nous étudions actuellement au niveau européen un programme qui aboutira à l'analyse de 30 000 substances chimiques pour connaître. Aujourd'hui, nous n'en connaissons pas forcément les conséquences. Il faut que nous mettions de la recherche, de l'expertise.
QUESTION : Vous dites que l'on ne connaît pas les conséquences. N'y a-t-il pas un principe de précaution qui doit s'imposer là-dessus ?
Serge LEPELTIER (Réponse) : C'est exactement de cela dont il s'agit. Il y a au total environ 100 000 substances chimiques. Nous en étudions aujourd'hui seulement 5 000. Il faut que nous sachions, et c'est pour cela que si j'ai accepté, si j'ai même sollicité ce type d'analyse, c'est pour savoir et pour aboutir à plus de recherche et d'expertise. Aujourd'hui, nous le savons, malheureusement, les cancers augmentent dans notre pays, il faut bien en trouver la cause.
QUESTION : Ne risquez-vous pas de vous heurter au lobby industriel ?
Serge LEPELTIER (Réponse) : Il y a des difficultés puisqu'il y a une transition à assurer. Mais les produits dangereux, il faut incontestablement les interdire puisque nous voyons bien autour de nous, il suffit de regarder, combien certains types de maladies augmentent. En écologie, chaque pas est un pas de géant. Et moi ce que je souhaite faire, c'est faire faire un grand pas à l'écologie. Comme ça n'est pas possible, mais nous allons y arriver.
QUESTION : Un grand pas avec un grand poste mais simplement avec un petit budget, puisque le budget de l'écologie est en baisse de 3,6 % cette année.
Serge LEPELTIER (Réponse) : Oui, mais vous savez ce qui compte, c'est la façon dont on consomme son budget. Je constate que, lorsque D. Voynet était ministre de l'Environnement, elle consommait 50 % de son budget. J'en consomme 99 %. Donc, ce qui compte c'est d'abord ce que nous consommons. J'ai tout mis en uvre pour utiliser les moyens que l'on me donne, et ces moyens qui sont naturellement toujours insuffisants, je les utilise et je souhaite bien les utiliser pour aller plus d'écologie.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 octobre 2004)