Déclaration de M. Jean-Michel Baylet, président du Parti Radical de Gauche, sur la situation politique consécutive aux élections, la conduite de la politique gouvernementale, et son espoir de rassemblement à gauche, Paris le 29 août 2004.

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Circonstance : Clôture de l'université d'été du PRG à Paris, le 29 août 2004

Texte intégral

Mes chers amis radicaux,
Laissez-moi, une fois de plus, vous remercier d'être venus aussi nombreux à notre rendez-vous de rentrée politique malgré les vacances qui se prolongent pour certains, malgré la reprise d'activité déjà effective pour les autres. Merci d'honorer ainsi par votre présence les efforts de notre fédération de l'Hérault et merci à Gérard Delfau et à toute l'équipe des dirigeants de cette fédération, merci à Frédéric Lopez. Cette fédération qui nous accueille avec amitié, qui, avec la complicité et l'aide effective de nos permanents que je tiens à remercier également, a bien su faire les choses. Merci aussi à toutes celles et tous ceux qui se sont directement et plus particulièrement impliqués dans cette Université. Je pense aussi à Paul Dhaille et André Sainjon qui se sont chargés d'animer, hier, nos ateliers.
Depuis notre rencontre de Ramatuelle, voici onze mois, la politique française s'est installée dans une situation paradoxale, caractérisée à la fois par la fébrilité des ambitions et l'inefficacité dans l'action.
Nous avons dépassé, désormais, trois échéances électorales que tous ou presque s'accordaient à juger mineures et qui se sont pourtant soldées par des évidences finalement capitales aux yeux des Français : le désaveu total, j'ai même envie de dire le désaveu radical, du gouvernement et le désarroi d'une gauche qui semble paralysée par les appétits justement nés de sa victoire.
Pour nous, les élections régionales auront apporté de très belles satisfactions avec un nombre record d'élus et je tiens à les féliciter ici, une fois de plus. Leur présence dans les Conseils Régionaux contribue et contribuera à enraciner l'influence radicale, en particulier dans les zones urbaines où nous sommes encore trop peu reconnus, malgré les efforts de ces fédérations qui commencent fortement à porter leurs fruits. Ce résultat est clairement celui d'une stratégie d'union qui s'impose aux formations de gauche dès lors que le mode de scrutin ne leur laisse pas d'autre choix.
Naturellement, en même temps que les régionales, il y a eu les élections cantonales. Là, le scrutin est différent, l'organisation différente et la finalité tout autant. Plus encore du fait du très fort clivage entre la ville où les conseillers généraux sont peu connus et reconnus et la zone rurale où ils jouent un rôle de toute première importance. Nos amis, eux aussi, ont magnifiquement défendu nos couleurs aux cantonales, même si nous n'avons pas remporté les mêmes succès qu'aux régionales et, hélas, reculé en terme de présidence de conseil général.
Tout aussi clairement, et pour les mêmes raisons, la préférence des radicaux allait vers une large union de la gauche pour les élections européennes mais c'était oublier les vieux démons de nos amis socialistes. Ebahis eux-mêmes par la victoire des régionales, ils oubliaient aussitôt les protestations d'humilité que leur avaient dictées les résultats d'avril 2002 et aussi la forte demande d'union émanant de tout l'électorat de gauche.
Instantanément revenus à un hégémonisme qui est en quelque sorte, tout bien pensé, leur fond culturel, oublieux des nécessités de rassemblement qui caractériseront toutes les prochaines élections au scrutin majoritaire, nos partenaires décidaient de privilégier la distribution des postes à leurs innombrables courants et, j'ai envie de dire, à leurs innombrables factions et de ne rien sacrifier à l'union. Ne regrettons pas de n'avoir pas accepté ce que nous proposait le Parti Socialiste : il ne nous proposait rien, même si l'on peut constater que l'immense courant à gauche fait, qu'à des places qui étaient incroyablement mal situées en terme de capacité électorale, on a trouvé de ci, de là des élus. Mais ce n'est pas ainsi que l'on mène une stratégie : en se couchant et en rêvant que finalement les choses pourraient bien se passer. Chez les radicaux : nous ne croyons pas aux miracles !
Dans ces conditions, les initiatives courageuses de nos fédérations, décidées à relever le défi de l'autonomie ne pouvaient, hélas, déboucher compte tenu des contraintes du calendrier et des effets de la régionalisation du scrutin. N'oublions pas ce charcutage incroyable que les socialistes avaient, déjà en son temps, prévu - et là nous les avions fait reculer - et qui a été repris par la droite avec l'assentiment, pour ne pas dire plus, du Parti Socialiste. Cette régionalisation, incroyable manuvre au moment où nous élargissons l'Europe à 25, a naturellement encore compliqué notre tâche et aussi la focalisation du coup médiatique sur les grandes formations. Donc, nous ne pouvions déboucher, il est vrai, que sur des résultats modestes et nous le savions. Mais Christiane, mais Jo, mais Julien, vous avez bien fait et je tiens, ici, à vous en remercier. Quand tu t'interrogeais Christiane, tout à l'heure, pour savoir si vous aviez, tous les trois, bien fait de dire oui et s'il fallait dire oui. Mais bien naturellement que l'on a toujours raison quand on se bat sous son propre drapeau, quand on se bat sous ses couleurs et je vous remercie d'avoir participé à cette aventure. Mais je vous demande aussi, mes amis, d'en retenir la leçon et d'en tirer les conséquences.
Contrairement au passé, le scrutin européen est devenu, désormais, lui aussi, l'un des rouleaux compresseurs de la bipolarisation forcée.
Et par-dessus tout, les élections régionales et européennes ont ouvert une crise politique - crise " molle " pourrait-on dire, multiforme : crise de légitimité, crise institutionnelle, crise de projet.
Pour le gouvernement et son chef nominal, véritable syndic de faillite dans ses nouvelles attributions, il n'y a plus de base politique. Cinglé par un désaveu populaire d'une ampleur exceptionnelle, M. Raffarin continue, sans y croire, à faire mine de conduire l'action gouvernementale. Tandis que les candidats- repreneurs se pressent autour de l'UMP - son entreprise en difficulté - le Premier ministre en sursis néglige ses véritables créanciers - les salariés, les retraités, les licenciés, les chômeurs, les enseignants et tous les Français en difficulté - pour organiser ce que l'on appelle dans ces cas-là des paiements privilégiés illégaux au profit de ceux qui, sans plus lui faire la moindre confiance, escomptent quand même de son agonie politique quelques derniers cadeaux : cadeaux fiscaux aux fraudeurs de capitaux, cadeaux sociaux aux combattants contre les 35 heures, cadeaux idéologiques aux adversaires du service public, cadeaux catégoriels à tous les tenants de la politique la plus conservatrice. Même en touchant le fond, Monsieur Raffarin ne parvient plus à voir " la France d'en bas ", tellement il est au fond de l'abîme, comme s'il préparait sa reconversion au Medef plutôt qu'au Sénat. D'ailleurs, nous le préférons là bas qu'au Sénat. En tous cas, pour nous, sénateurs !
Cependant, la faiblesse politique insigne du Premier ministre théoriquement en exercice révèle, de façon aggravée, une crise institutionnelle ouverte depuis longtemps, et depuis longtemps dénoncée par les radicaux. Le Premier ministre et son gouvernement ne conduisent pas la politique de la nation comme l'exige la Constitution. Le quinquennat joint au calendrier électoral de 2002 ont privilégié l'élection présidentielle ; là encore les Radicaux s'étaient opposés ; là encore nous avions prévenu Lionel Jospin et les socialistes du danger ; et là encore, nous avons - soit dit en passant, Gérard, parce que nous sommes bons partenaires et bons républicains - cédé et accepté cette modification institutionnelle. Et nous en payons le prix fort aujourd'hui et encore pendant plusieurs années jusqu'au jour où un Président de la République décidera, de nouveau, de dissoudre l'Assemblée Nationale entraînant, de ce fait, le décalage entre l'élection présidentielle et les élections législatives. Ce n'est pas un conseil que je donne, par les temps qui courent, à M. Chirac ! En tout cas, nous avions clairement dit combien il y avait là un danger et dévoilé la réalité de ce régime. Le Président de la République gouverne jusque dans les moindres détails et le gouvernement ne lui sert plus que de cabinet quand tout va bien et de fusible quand tout va mal. A l'évidence, le fusible Raffarin est déjà plus que largement fondu...
Dès 1985, j'avais pour ma part préconisé de tirer la leçon de cette dérive de nos institutions puisque je m'étais essayé dans l'édition - avec la complicité active de Jean-François Hory, Bernard Castagnède et Thierry Jeantet - en écrivant un livre qui s'intitulait " La Nouvelle Alliance ". J'en suis d'ailleurs resté là car je n'ai pas les talents d'écriture de Roger-Gérard Schwartzenberg et de quelques autres dans ce parti. Sur ce sujet donc, je m'étais exprimé et je n'ai pas changé d'avis. C'est pourquoi, encore une fois aujourd'hui, je voudrais, devant ces dérives institutionnelles, plus que jamais, en appeler avec vous à une VIème République qui se donnerait enfin pour ce qu'elle est. Ne voyez aucun hasard si je rappelle que, depuis vingt ans, nous réclamons la VIème République, car je vois bien qu'il y a quelques prédateurs sur ce sujet. Nous sommes très heureux qu'ils partagent notre manière de voir et nos opinions, mais, tout de même !
Les Radicaux réfléchissent depuis longtemps à ces problèmes institutionnels et, oui, en appellent à la VIème République qui se donnerait enfin pour ce qu'elle est : un régime présidentiel où la suppression simultanée du droit de dissolution et de la censure viendrait enfin couper le cordon ombilical qui soumet le Parlement à un exécutif que je qualifierai - sans jeu de mots - de césarien. Quotidiennement - et les parlementaires le savent encore mieux que quiconque - la loi suprême de la République est violée par la pratique. Il est temps de dissiper le nuage de fumée que génère encore l'existence précaire du Premier ministre et d'aller demander compte directement de son action au Président de la République. M. Chirac, en vous comportant comme un chef de clan, un leader de faction, vous avez oublié, et il est temps de vous le rappeler, les conditions de votre réélection. Ce n'est pas M. Raffarin mais vous, personnellement, qui êtes passé, en moins de deux ans, de 82 % des suffrages à moins de 15 % aux dernières élections.
Pourtant l'échec total de la politique menée pendant ces deux dernières années aurait dû normalement ouvrir la voie à d'autres projets. Je n'en vois pas.
Je ne tiens évidemment pas pour un projet politique l'appétit sans limite affiché par M. Sarkozy. Ce Garcimore de la politique - dont chacun semble avoir oublié qu'il rate tous ses tours, de la présidence inéluctable de M. Balladur à la liste européenne RPR de 1999 avec ses 12 % - ce prestidigitateur sans principes n'oublie jamais qu'il est avant tout le maire de Neuilly : déguisé en flic caricatural à l'Intérieur, il est devenu notaire à Bercy. Inlassablement, il communique, il vibrionne, il s'agite, il va jusqu'à Pékin et jusqu'en Amérique pour afficher son ambition insolente et jouer au libéral pur et dur. Il va jusqu'à gâcher les vacances des Français en occupant les écrans au plus dérisoire de ses déplacements. Bref, Sarkozy est la guêpe de cette fin d'été, qui pique et repique un Jacques Chirac agacé et qui, pour le reste, fait autant de chemin que les abeilles sans jamais faire de miel.
Mes amis,
Ces querelles d'une fin de règne annoncée auraient pu avoir donné, pour contrepartie, aux Français comme un gage de sérieux et une promesse d'espérance, un travail sérieux de la gauche rassemblée sur le projet que nous devrons bien présenter au pays dans deux ans et demi. Or, où est le rassemblement ? Où est le projet ?
Dopées comme toujours par une espérance de pouvoir, les ambitions des chefs d'écuries présidentielles se donnent encore aujourd'hui à voir comme aux plus mauvais jours. Il ne s'agit pas d'offrir une alternative crédible et durable aux Français, il s'agit avant tout de discréditer les autres présidentiables et de flatter les sections du parti par la fuite en avant et la démagogie. Retraites, durée du travail, réforme de l'enseignement, construction européenne, tous les sujets les plus importants ne sont plus que le prétexte de ces affrontements. Bien décidés, s'ils accédaient au pouvoir, à gouverner au centre et même au centre-droit, nos amis socialistes sont engagés dans les surenchères à gauche qui sont la figure obligée de toute investiture. Quant à organiser le rassemblement de leurs partenaires, il n'en est pas question, ils ont déjà trop à faire avec leurs propres divisions. Elles sont bien oubliées les leçons du 21 avril.
Et pourtant, un sujet capital s'impose à la réflexion des partis de gauche. Plus qu'important, urgent, brûlant. Je veux parler de l'Europe, bien entendu.
Voici près d'un an, nous avions été les premiers à réclamer un referendum sur le nouveau projet de traité de l'Union, peut-être hâtivement qualifié de projet de Constitution. Sans rien dissimuler de nos réticences à l'égard de la procédure référendaire, nous avions estimé que le recours au suffrage populaire était seul capable de réduire le fossé d'incompréhension, de distance, de complexité, de technocratie et, à certains égards de mépris, qui s'est creusé progressivement entre les institutions et les citoyens de l'Union.
En vous proposant ce choix, finalement retenu par le Président de la République, je ne vous avais pas plus dissimulé mes propres hésitations sur le fond. Fallait-il, au nom de notre engagement historique en faveur de la construction européenne et de notre souhait constant de voir l'Europe s'ouvrir à une perspective fédérale, consentir à un projet de traité décevant dans beaucoup d'aspects importants ? Fallait-il comme militants d'une Europe politique forte, accepter que l'Union élargie et, par là inévitablement diluée, se résume aux principe vertébral de libre concurrence, sans véritable politique étrangère, sans dimension sociale, sans cette garantie d'égalité et de solidarité qu'apportent les grands services publics ? Fallait-il, en un mot, accepter un nouveau petit pas en avant plutôt que marquer le pas pour rêver à une authentique avancée ?
J'ai beaucoup réfléchi à ces questions et je sais que vous y réfléchissez aussi. Ce débat sera, n'en doutez pas, au coeur de notre prochain congrès. Sans trop anticiper sur nos discussions dont je devine qu'elles seront riches et fécondes, je veux vous dire aujourd'hui que, tout pesé, tout considéré, je vous inviterai le moment venu à répondre " oui ". Oui, malgré la timidité du projet ; nous avons approuvé des progrès plus modestes car l'Europe est une construction pragmatique jamais achevée. Oui, malgré l'empreinte libérale du nouveau traité, nous avons accepté à Maastricht, à Amsterdam et à Nice, de bien plus mauvais traités. Oui, malgré les arguments très forts de ceux qui veulent, comme nous, toujours plus d'Europe ; le rythme de la politique est celui de la raison et le mieux est souvent l'ennemi du bien. Oui, malgré les incitations à constituer un front de refus ; il ne saurait y avoir de front quand les partisans du " non " se recrutent aussi bien chez les fédéralistes les plus échevelés que chez les souverainistes les plus attardés. Oui, malgré la tentation d'infliger en politique intérieure un désaveu supplémentaire à Jacques Chirac ; nous prendrons toutes nos précautions pour éviter l'amalgame et la récupération.
Je crois, en définitive, qu'il ne faut pas préférer de petites histoires à l'Histoire. Si nous approuvons le traité, nous aurons dit oui à la place de la France dans l'Europe, oui à l'Union, oui au progrès, oui à la démocratie, oui à la paix. Oui à l'avenir.
Je veux remercier Lionel Stoléru pour sa proposition d'animer dans le parti des débats sur les enjeux du référendum sur la Constitution. Un prochain bureau national sera consulté sur sa proposition.
Lorsque nous aurons fixé, en congrès, notre position sur cette question cruciale, nous n'aurons pas épuisé nos sujets de réflexion pour une période politique particulièrement dense.
Sitôt passé le prochain renouvellement sénatorial - et je veux vous demander d'encourager ceux qui porteront nos couleurs à cette occasion - nous entrerons dans la longue course qui doit nous amener à une année 2007 riche de cinq élections : la présidentielle, en avril/mai nous dit-on, les législatives en juin et, dès l'automne, selon un calendrier à fixer, les municipales, cantonales et sénatoriales.
Parlons d'abord du calendrier, si vous le voulez bien, car j'ai besoin de votre avis. Un besoin urgent en l'occurrence puisque je suis invité demain matin par le Ministre de l'Intérieur qui souhaite recueillir l'avis des principaux partis. Il hésite, semble-t-il, entre deux solutions : maintenir les sénatoriales 2007 à leur date normale en septembre avec report des municipales alors couplées aux cantonales au printemps 2008 ; deuxième solution : report des municipales et cantonales en septembre 2007 et organisation des sénatoriales à l'extrême fin de la même année.
Je ne vous cacherai pas que ma préférence va vers cette dernière solution. Pour des raisons de principes démocratiques tout d'abord : il me paraît juste que le premier renouvellement par moitié du Sénat soit conduit sur la base d'un corps électoral municipal et cantonal renouvelé. Pour des raisons de stratégie électorale aussi : si la gauche rassemblée parvient à créer à la présidentielle et aux législatives une dynamique de succès, il est certain que ce mouvement ne sera pas essoufflé en septembre alors qu'il risque de l'être - il y a des précédents - lors d'élections locales tenues au printemps.
Il reste que ce choix d'apparence anodine repose sur un pari. Sans artifice pour cette fois, le scrutin présidentiel sera le premier d'une longue série et le point culminant de cette année décisive. Notre pari, qui est aujourd'hui un voeu plus qu'un pronostic, est que la gauche doit l'emporter, qu'elle ne peut assister pendant cinq années supplémentaires au démantèlement des acquis sociaux, à une politique économique au service des puissants et sans pitié pour les faibles, à la résurgence d'une idéologie libérale abandonnant aux marchés financiers le soin d'organiser la société, au triomphe en somme d'un axe Seillères-Sarkozy où le premier dessinerait par la main du second, le visage de notre pays.
La gauche doit gagner. Impérativement. Elle le doit à nos concitoyens. Pas à tel ou tel de ses dirigeants mais à tous les Français que le conservatisme politique et la réaction sociale font désespérer.
Mais, faut-il le rappeler, la gauche ne gagnera que si elle est rassemblée. Certes, la période s'annonce difficile avec les divisions déjà esquissées sur la question européenne. Pour autant, nous ne devons pas, nous radicaux, renoncer à l'objectif de rassemblement.
Lors de notre congrès de Toulouse, j'avais énoncé cet objectif et présenté des propositions quant à la méthode. Certains d'entre nous les avaient jugées prématurées. Par leur indifférence à nos propositions, les socialistes leur ont en quelque sorte donné raison. Nul à gauche n'était prêt et disponible pour entrer dans une démarche de rapprochement confédéral dont les vertus ont pourtant été démontrées par le passé. Surtout nombre d'observateurs déduisaient du scrutin présidentiel de 2002 que les élections ultérieures seraient marquées par un fort progrès de l'abstention, par la montée en puissance des extrêmes et par l'émergence aux côtés de l'extrême gauche d'un " mouvement social " irréductible aux figures politiques traditionnelles.
Ces prévisions ont été déjouées par la réalité. L'abstention a reculé ; les extrêmes ont reculé ; l'extrême gauche, en particulier, a montré qu'elle ne sait prospérer que lorsque la gauche est au pouvoir ; quant au mouvement social, il butte sur l'évidence d'une mondialisation économique qui reste à réguler.
C'est pourquoi je ne désespère pas du rassemblement des formations politiques de la gauche responsable. Et je me propose, je vous propose de reprendre dès cette rentrée, inlassablement, les contacts qui permettront d'en dessiner les contours. Et je proposerai à notre congrès d'adopter une grande initiative - à la fois programmatique, stratégique et organique - visant à offrir enfin aux Français ce qu'ils attendent depuis François Mitterrand : une gauche rassemblée, responsable et modernisée mais qui respecterait ses valeurs fondamentales d'humanisme, de justice et de solidarité.
Bien sûr, encore faudra-t-il, c'est l'évidence, que, pour être crédibles dans leurs propositions de rassemblement, les radicaux eux-mêmes soient parfaitement unis.
Ce sera le premier enjeu, avant toute démarche vers l'extérieur, de notre prochain congrès.
Je demanderai à notre Comité Directeur d'en fixer la date, le lieu et les modalités de façon à ce que nos débats internes se déploient dans toute la richesse de nos sensibilités, de manière aussi à ce que le congrès radical soit un véritable événement politique.
J'entends bien les impatiences des uns, les critiques des autres, les exigences de ceux-ci, les appétits de ceux-là. Je note, en m'en amusant quelquefois, que les réquisitoires les plus intransigeants sont établis, au nom d'une sorte d'intégrisme radical par ceux-là mêmes qui ont quitté le parti ou qui ne l'ont pas suivi dans les choix démocratiques qu'il avait faits. Je tiens cette contestation pour marginale.
En revanche, je suis beaucoup plus sensible à la frustration des vrais militants radicaux qui se désolent de voir notre influence réduite à l'exacte mesure de la bipolarisation institutionnelle et de l'indifférence des médias à ce qui n'est pas sensationnel. Je pense cependant - et je veux le dire avec force à tous ceux qui sont attachés au radicalisme comme à la philosophie politique la plus étroitement liée à la République - que la pensée radicale a encore de très grands services à rendre au pays.
Qu'il s'agisse du puissant retour des impératifs laïcs dans une société menacée par l'éclatement communautaire, qu'il s'agisse des règles du solidarisme pour refonder une sécurité sociale recrue d'épreuves financières, qu'il s'agisse encore de justice fiscale à opposer aux dérives inégalitaires, qu'il s'agisse aussi d'un nouveau civisme qui protégerait des corporatismes, qu'il s'agisse enfin d'une Europe politique à substituer au marché commun où triomphent les marchands, le radicalisme est disponible comme une clé d'interprétation et comme une perspective de solution l'une et l'autre pertinentes.
Je vous demande en somme, à vous mes amis radicaux, d'avoir confiance en vous-mêmes et de ne pas désespérer du meilleur de votre pensée car c'est aussi le meilleur de la République.
A chacune de nos universités d'été, j'éprouve le même bonheur que j'emporte avec moi comme une puissante motivation dans l'action quotidienne même lorsqu'elle est difficile et ingrate. Ce bonheur, simple et intense, tient en un constat : à chacun de nos rendez-vous d'été, je vois réunies par la complicité morale, intellectuelle et affective, qui réunit des citoyens exigeants, les différentes générations de radicaux :
- les plus anciens qui nous rappellent avec constance à l'essentiel républicain,
- les responsables politiques nationaux et locaux qui garantissent notre présence dans les débats du quotidien,
- les jeunes surtout qui nous arrivent avec leur curiosité, leur impatience et leurs grandes espérances.
A tous les autres, anciens radicaux, responsables élus, je veux dire que ces jeunes sont la raison même de notre engagement.
Parce qu'ils portent en eux, intacte, la capacité de rêver un monde meilleur,
Parce qu'il sont assez forts pour transformer les utopies d'aujourd'hui en réalité politique pour l'avenir,
Parce qu'ils ont l'enthousiasme et l'ardeur de ceux à qui rien n'est impossible,
Parce qu'ils ont dans les yeux et dans le coeur une générosité qui est garante de leurs futures responsabilités,
Parce qu'ils nous disent toujours, en ces temps olympiques, plus vite, plus loin, plus fort,
Parce qu'ils sont l'espoir du radicalisme de demain,
Je veux leur dire que l'avenir ne les décevra pas et que nous leur donnons à tous le rendez-vous de l'espérance républicaine.
Radicaux, à demain.
A cet instant où nous allons nous quitter, l'actualité impose ses urgences.
Je pense aux deux journalistes français et à leur chauffeur pris en otage par l'Armée islamique en Irak qui exige, pour les libérer, l'abrogation de la loi sur la laïcité. Je veux leur adresser nos pensées les plus fraternelles et notre solidarité.
Quel est cet odieux chantage fait sur les vies de Christian Chesnot et Georges Malbrunot ? Au nom d'un Islam fanatique qui veut, en ne reculant devant aucun moyen, imposer au monde sa folie au mépris des individus et des lois !
Ces assassins en puissance - car leur acte n'a rien de politique - doivent être traités comme des criminels ; aucune loi islamique ne pouvant cautionner un tel chantage.
Ces terroristes, qui s'en prennent à des Français qui exercent leur mission sur le terrain, n'ont pas choisi par hasard la laïcité pour cible. Ils reconnaissent indirectement que cette valeur républicaine résiste et constitue aujourd'hui un rempart, le dernier mur contre lequel se déchaînent - pour échouer - leur fanatisme religieux et les intégrismes de tout poil.
De ces épreuves, la République, n'en doutons pas, en sortira renforcée.
C'est sur cette note grave que nous allons nous quitter, apportant tout notre soutien à ceux qui se démènent pour obtenir la libération des journalistes et renouvelant notre solidarité à ceux qui sont victimes des violences aveugles, partout dans le monde, à ceux qui se battent, inlassablement et avec courage, pour la liberté et les droits de l'homme.
(Source http://www.planetradical.org, le 6 septembre 2004)