Texte intégral
Le Journal du Dimanche - Pensez-vous que le débat sur les 35 heures conduira à une remise en cause de la loi ou que c'est, au fond, beaucoup de bruit pour rien ?
François Chérèque - Je pense que c'est beaucoup de bruit pour peu de remises en cause affectives dans les entreprises. Aujourd'hui, on parle de moins d'une dizaine de cas. On se situe dans un débat dogmatique, qui parfois me surprend venant d'hommes politiques, y compris de ministres. Quand on entend certains dire " laissons les gens choisir de travailler plus pour gagner plus ", c'est à croire, d'une part, qu'ils n'ont jamais mis les pieds dans une entreprise - chacun sait que ce sont les employeurs et non les employés qui décident des heures supplémentaires -, d'autre part qu'ils ne connaissent rien à la loi qu'ils ont fait voter il y a dix-huit mois puisque celle-ci prévoit déjà des assouplissements. Nous refusons de remettre en cause la loi, ce qui ne nous empêche pas d'accepter des adaptations sur le terrain par la négociation, en fonction de la réalité économique des entreprises. C'est ce que la CFDT de Bosch a fait, approuvée par 72 % du personnel, en acceptant d'adapter le temps de travail, tout en conservant quatorze jours de RTT. Il est écrit dans la loi que le Conseil économique et social doit faire un bilan des 35 heures à la fin 2005, laissons-lui un peu de temps. On ne peut pas plonger les salariés et les entreprises dans l'incertitude en permanence. Le problème de cette rentrée, c'est qu'on ne connaît pas la politique du gouvernement en matière d'emploi, de temps de travail et de salaires.
Le Journal du Dimanche - Mais comment répondre aux tentatives de chantages à la délocalisation ?
François Chérèque - Il y a plusieurs cas de figure. Vous avez des patrons qui délocalisent pour faire plus de bénéfices. Je pense à SFR, qui a sous-traité ses centres d'appel et tellement serré les coûts que cela a conduit son sous-traitant, Timing à délocaliser au Maghreb. Ces entreprises n'ont pourtant pas besoin de délocaliser pour rester compétitives. Car, pendant ce temps, c'est en France que SFR vend ses abonnements. Cela n'est pas la même chose que les industries, comme le textile, confrontées à une concurrence internationale féroce avec des pays où le coût du travail est souvent plus de dix fois moins cher qu'en France. Or, là, ce n'est pas l'augmentation du temps de travail qui permettra de combler le différentiel. Ce n'est pas la remise en cause d'avantages acquis que l'on luttera contre les délocalisations. Pour répondre à ce phénomène, il faut une politique industrielle ambitieuse. En investissant dans la recherche, la formation t en allant vers une harmonisation fiscale européenne. Or, nous n'avons aucune réponse globale de ce type. C'est le grand manque du plan Borloo qui s'attaque au traitement social du chômage mais pas à l'emploi.
Le Journal du Dimanche - Quelle est votre appréciation générale de ce plan ?
François Chérèque - Nous sommes dans la ligne de l'avis donné cette semaine par le Conseil économique et social. Il est positif de proposer un traitement social du chômage qui englobe les aides aux familles et le logement. Ce plan est d'ailleurs une reconnaissance de l'échec du gouvernement depuis deux ans. Mais nous sommes critiques sur deux points. Un, le financement est incertain. Deux, il manque une vraie politique française et européenne créatrice d'emplois.
Le Journal du Dimanche - L'allègement de l'impôt sur les sociétés évoqué dans le budget 2005 va-t-il dans le bon sens pour inciter les entreprises à produire en France ?
François Chérèque - Nous sommes prêts à discuter des baisses de charges ou de l'impôt sur les sociétés à condition que l'on exige des contreparties en termes d'emploi. Baisser l'impôt sur les bénéfices ne diminue pas le coût du travail, c'est juste un moyen pour les actionnaires de faire plus de profit.
Le Journal du Dimanche - Vivendi, elle, s'est engagée à créer des emplois en contrepartie d'un régime fiscal plus favorable négocié avec Bercy. Vous approuvez ?
François Chérèque - Au contraire, c'est une décision choquante. Quand on compare l'énormité des 3,8 milliards d'euros de baisse d'impôt pour Vivendi aux investissements de l'État sur la cohésion sociale par exemple, on est hors de proportion. La seule contrepartie, c'est la création de 600 emplois. Alors que monsieur Sarkozy dénonce le coût trop important des 35 heures en allègements de charges, il subventionne ici les emplois aidés les plus chers du monde ! De plus, il est choquant qu'il n'y ait aucune corrélation entre cet engagement et les emplois détruits aujourd'hui chez Timing, sous-traitant de SFR, filiale de Vivendi.
Le Journal du Dimanche - La baisse du chômage annoncée cette semaine par l'Insee est une bonne nouvelle...
François Chérèque - Oui, c'est la première inflexion depuis trois ans. Mais un mois ne fait pas un retournement de conjoncture. On a beaucoup évoqué le retour d'une croissance sans emploi. De façon préoccupante, cette baisse cache une hausse de 2,5 % des chômeurs de longue durée. Nous sommes face au risque d'une diminution du chômage global, avec un renforcement de l'exclusion. Dans les mois et les années qui viennent, nous aurons la chance de bénéficier d'un retournement démographique qui produira un appel d'air pour les salariés qualifiés. Or, les allègements de charges sur les bas salaires, non seulement cantonnent les rémunérations vers le bas mais n'incitent pas les entreprises à investir sur la formation.
(Source http://www.cfdt.fr, le 7 septembre 2004)
François Chérèque - Je pense que c'est beaucoup de bruit pour peu de remises en cause affectives dans les entreprises. Aujourd'hui, on parle de moins d'une dizaine de cas. On se situe dans un débat dogmatique, qui parfois me surprend venant d'hommes politiques, y compris de ministres. Quand on entend certains dire " laissons les gens choisir de travailler plus pour gagner plus ", c'est à croire, d'une part, qu'ils n'ont jamais mis les pieds dans une entreprise - chacun sait que ce sont les employeurs et non les employés qui décident des heures supplémentaires -, d'autre part qu'ils ne connaissent rien à la loi qu'ils ont fait voter il y a dix-huit mois puisque celle-ci prévoit déjà des assouplissements. Nous refusons de remettre en cause la loi, ce qui ne nous empêche pas d'accepter des adaptations sur le terrain par la négociation, en fonction de la réalité économique des entreprises. C'est ce que la CFDT de Bosch a fait, approuvée par 72 % du personnel, en acceptant d'adapter le temps de travail, tout en conservant quatorze jours de RTT. Il est écrit dans la loi que le Conseil économique et social doit faire un bilan des 35 heures à la fin 2005, laissons-lui un peu de temps. On ne peut pas plonger les salariés et les entreprises dans l'incertitude en permanence. Le problème de cette rentrée, c'est qu'on ne connaît pas la politique du gouvernement en matière d'emploi, de temps de travail et de salaires.
Le Journal du Dimanche - Mais comment répondre aux tentatives de chantages à la délocalisation ?
François Chérèque - Il y a plusieurs cas de figure. Vous avez des patrons qui délocalisent pour faire plus de bénéfices. Je pense à SFR, qui a sous-traité ses centres d'appel et tellement serré les coûts que cela a conduit son sous-traitant, Timing à délocaliser au Maghreb. Ces entreprises n'ont pourtant pas besoin de délocaliser pour rester compétitives. Car, pendant ce temps, c'est en France que SFR vend ses abonnements. Cela n'est pas la même chose que les industries, comme le textile, confrontées à une concurrence internationale féroce avec des pays où le coût du travail est souvent plus de dix fois moins cher qu'en France. Or, là, ce n'est pas l'augmentation du temps de travail qui permettra de combler le différentiel. Ce n'est pas la remise en cause d'avantages acquis que l'on luttera contre les délocalisations. Pour répondre à ce phénomène, il faut une politique industrielle ambitieuse. En investissant dans la recherche, la formation t en allant vers une harmonisation fiscale européenne. Or, nous n'avons aucune réponse globale de ce type. C'est le grand manque du plan Borloo qui s'attaque au traitement social du chômage mais pas à l'emploi.
Le Journal du Dimanche - Quelle est votre appréciation générale de ce plan ?
François Chérèque - Nous sommes dans la ligne de l'avis donné cette semaine par le Conseil économique et social. Il est positif de proposer un traitement social du chômage qui englobe les aides aux familles et le logement. Ce plan est d'ailleurs une reconnaissance de l'échec du gouvernement depuis deux ans. Mais nous sommes critiques sur deux points. Un, le financement est incertain. Deux, il manque une vraie politique française et européenne créatrice d'emplois.
Le Journal du Dimanche - L'allègement de l'impôt sur les sociétés évoqué dans le budget 2005 va-t-il dans le bon sens pour inciter les entreprises à produire en France ?
François Chérèque - Nous sommes prêts à discuter des baisses de charges ou de l'impôt sur les sociétés à condition que l'on exige des contreparties en termes d'emploi. Baisser l'impôt sur les bénéfices ne diminue pas le coût du travail, c'est juste un moyen pour les actionnaires de faire plus de profit.
Le Journal du Dimanche - Vivendi, elle, s'est engagée à créer des emplois en contrepartie d'un régime fiscal plus favorable négocié avec Bercy. Vous approuvez ?
François Chérèque - Au contraire, c'est une décision choquante. Quand on compare l'énormité des 3,8 milliards d'euros de baisse d'impôt pour Vivendi aux investissements de l'État sur la cohésion sociale par exemple, on est hors de proportion. La seule contrepartie, c'est la création de 600 emplois. Alors que monsieur Sarkozy dénonce le coût trop important des 35 heures en allègements de charges, il subventionne ici les emplois aidés les plus chers du monde ! De plus, il est choquant qu'il n'y ait aucune corrélation entre cet engagement et les emplois détruits aujourd'hui chez Timing, sous-traitant de SFR, filiale de Vivendi.
Le Journal du Dimanche - La baisse du chômage annoncée cette semaine par l'Insee est une bonne nouvelle...
François Chérèque - Oui, c'est la première inflexion depuis trois ans. Mais un mois ne fait pas un retournement de conjoncture. On a beaucoup évoqué le retour d'une croissance sans emploi. De façon préoccupante, cette baisse cache une hausse de 2,5 % des chômeurs de longue durée. Nous sommes face au risque d'une diminution du chômage global, avec un renforcement de l'exclusion. Dans les mois et les années qui viennent, nous aurons la chance de bénéficier d'un retournement démographique qui produira un appel d'air pour les salariés qualifiés. Or, les allègements de charges sur les bas salaires, non seulement cantonnent les rémunérations vers le bas mais n'incitent pas les entreprises à investir sur la formation.
(Source http://www.cfdt.fr, le 7 septembre 2004)