Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, dans "Les Echos" le 9 juin 2004, sur le malaise des agriculteurs avec l'élargissement de l'Union européenne, la position de la France sur la réforme du secteur sucre en Europe, et la question des subventions aux exportations.

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Texte intégral

Q - Craignez-vous que le malaise des agriculteurs pèse sur les élections européennes ?
R - Le malaise dont vous parlez est lié à la mondialisation qui engendre incertitude et anxiété. Face à cette inquiétude, il y a deux attitudes possibles : se recroqueviller ou au contraire valoriser nos atouts. L'Europe est trop souvent perçue comme tracassière, compliquée, bureaucratique. A nous de rappeler aux agriculteurs, mais plus généralement aux ruraux, puisque les agriculteurs sont désormais minoritaires dans le vote rural, que c'est l'Europe qui leur apporte débouchés et financements. N'oubliez pas que les deux tiers de mon budget viennent de Bruxelles.
Q - Certes, mais le monde agricole craint de faire les frais de la réforme de la PAC et de l'élargissement...
R - Il est normal qu'il y ait des incertitudes et des questions. Nous entrons maintenant dans une phase d'explication. Elle précédera, l'an prochain, une simulation qui permettra d'appliquer effectivement la réforme en 2006 dans les meilleures conditions possibles. Beaucoup d'agriculteurs croient encore, à tort, que le budget de la Politique agricole commune (PAC) va baisser. Bien au contraire, nous avons pérennisé ce budget et consolidé le retour annuel de 10 milliards d'euros pour la France. Pour la première fois depuis 1965, on travaille dans une sérénité budgétaire complète avec une visibilité jusqu'en 2013. Je remettrai aussi dans quelques semaines à la Commission un mémorandum proposant des outils nationaux de gestion de crise des filières comme les fruits et légumes, le porc ou la volaille.
(...)
Q- Pourquoi la France manifeste-t-elle une farouche opposition à la proposition de Pascal Lamy d'éliminer totalement les subventions aux exportations ?
R - Il n'y a aucune raison pour que ce soit toujours l'Europe qui, avec un angélisme dévastateur, doive mettre du charbon dans la négociation. Nous avons fait une première réforme de la PAC en 1999-2000, avec l'Agenda 2000, puis une autre, il y a un an, à Luxembourg. L'Europe a aussi fait preuve dans la gestion des subventions aux exportations d'un effort très significatif en divisant par cinq le budget consacré aux restitutions sur cette période. Au même moment, les Américains rajoutaient des dizaines de milliards de dollars pour soutenir leur agriculture. Or la proposition de la Commission revient à faire des concessions unilatérales, sans contreparties de garanties équivalentes. Par ailleurs, il faut que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) reconsidère profondément sa doctrine pour le développement. Le drame d'un pays comme l'Ethiopie, par exemple, n'est en rien lié à la PAC, mais à l'effondrement des cours du café et la dislocation de l'Organisation internationale du café. Nous devons, à l'échelle du monde, mettre en place des mécanismes opérationnels pour aider les pays pauvres face aux variations erratiques des cours des matières premières. Cette proposition a été lancée par le président Chirac au G8 d'Evian l'an dernier. Jusqu'ici, l'égoïsme sacré a prévalu. Par ailleurs, j'ajoute qu'il n'y a pas de tyrannie du calendrier dans la négociation de l'OMC. Le bon calendrier est celui qui permettra d'arriver à un accord équilibré.
Q - Pourtant, ces subventions aux exportations sont considérées comme très dommageables aux pays en développement...
R - Derrière ce discours convenu, il faut en revenir aux réalités. Depuis dix ans, l'Europe place deux millions de tonnes de lait, perdant ainsi dix points de part de marché au niveau mondial, et de cinq à six millions de tonnes de céréales en moins sur le marché international. Or qui a pris notre place ? Pour le lait, c'est la Nouvelle-Zélande. Pour le blé, le Canada et l'Australie, mais ni le Soudan ni le Burkina Faso Les pays du Mercosur avec lesquels nous négocions représentent cinq fois le Produit intérieur brut de trente-deux pays africains pauvres. Autre exemple, la Commission a offert d'accorder au Brésil un quota d'exportation d'éthanol représentant quatre fois la demande européenne. Cela ruinerait par avance l'industrie européenne des biocarburants, alors que nous venons d'adopter une directive extrêmement ambitieuse en la matière. Il ne faut pas répéter l'erreur commise sur le soja au début des années 1960 et qui nous rend encore aujourd'hui totalement dépendants de l'étranger en protéines végétales. Puisque nous sommes engagés dans un cycle dit du développement à l'OMC, la priorité doit être donnée à l'Afrique. A Doha, un agenda ambitieux pour le développement avait été arrêté. Mois après mois, cette problématique a été perdue de vue dans la négociation.
Q - Quelle est la position de la France sur la réforme du secteur sucre en Europe, attaqué par le Brésil à l'OMC ?
R - La Commission présentera son document de proposition à la mi-juillet. En tout état de cause, un certain nombre de principes devront, de mon point de vue, être respectés : le maintien d'une préférence communautaire, la préservation d'une industrie sucrière compétitive en Europe, le maintien d'un traitement spécifique pour nos départements d'outre-mer, et l'appui au développement des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Ce sera, de toute façon, une discussion extrêmement compliquée puisque ce sera la première négociation que l'Europe abordera à vingt-cinq et que, sur les vingt-cinq, vingt et un pays sont producteurs de sucre.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juin 2004)