Conférence de presse conjointe de MM. Lionel Jospin, Premier ministre, et Paavo Lipponen, Premier ministre finlandais, sur les relations entre la France et la Finlande, notamment dans le cadre de l'Union européenne et les conséquences de la crise financière internationale sur l'Europe, Helsinki le 10 septembre 1998.

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Circonstance : Voyage de M. Jospin en Finlande le 10 septembre 1998

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre, Mesdames, Messieurs, je voudrais d'abord remercier les autorités finlandaises de l'accueil qu'elles ont réservé à notre délégation, en particulier aux ministres des Affaires européennes et de l'Industrie qui m'accompagnent. J'ai été heureux de revoir le président de la République et le Premier ministre avec qui j'ai eu des entretiens prolongés.

Cette rencontre revêtait une double caractéristique : la première est qu'elle permettait aux deux Premiers ministres de parler à la fois de nos rapports bilatéraux et des problèmes européens, en n'oubliant pas que la Finlande aura la présidence de l'Union européenne au deuxième semestre de 1999. Il s'agira sûrement d'un moment tout à fait important dans la solution des problèmes de l'Agenda 2000 entendu au sens large et des questions internationales qui se posent à nous.

Naturellement la Russie, en raison de l'actualité, a fait l'objet de nos conversations. Il était très intéressant, pour nous Français, d'écouter le président et le Premier ministre finlandais, qui portent un regard lucide sur cette région du monde et sur la Russie, nous dire leur sentiment.

Il y avait aussi une dimension thématique. L'idée est venue de Paavo Lipponen, qui avait souhaité que nous échangions nos expériences sur la société de l'information, où la Finlande est à l'avant-garde en Europe. Comme il se trouve que, depuis un an, mon gouvernement en a fait l'une de ses priorités immédiates, avec la volonté de rattraper le retard de la France avec une grande impétuosité, c'était une bonne chose que de faire aussi un séminaire ministériel sur ces questions. Cela a abouti à une déclaration commune qui vous sera diffusée et à des engagements de coopération que nous allons mettre en oeuvre.

Avant de répondre à vos questions, je voudrais simplement dire, pour finir ce bref propos introductif, que les entretiens que nous avons ici, après ceux que nous avions eus à Paris en novembre 1997, nous ont confirmés dans une idée simple, mais assez forte, à savoir que la Finlande - les dirigeants, ses élites - a su trouver naturellement, fortement, et avec bonheur, sa place dans l'Union européenne. La Finlande est certainement, parmi les nouveaux partenaires qui nous ont rejoints, au nombre des pays qui semblent s'y trouver le plus à l'aise. Nous la considérons donc comme un partenaire très important et c'est pourquoi je suis très heureux de cette visite qu'il m'a été permis de faire ici, même si je suis frustré de ne pas pouvoir découvrir davantage ce pays que je visite pour la deuxième fois.

Q - Quel est votre sentiment sur la candidature de M. Primakov en Russie ?
R - En tant que Premier ministre français, je n'ai naturellement pas à porter une appréciation sur les choix qui sont faits par les autorités russes. Il est de la responsabilité de celles-ci, du président et de la Douma, de choisir qui doit exercer une responsabilité. Je peux dire seulement qu'il paraît souhaitable que la Russie puisse disposer très vite d'un Premier ministre et d'un gouvernement. S'il s'agit d'un premier pas dans cette direction, ce que l'on peut croire, et si ce gouvernement peut reposer sur une assise intérieure pour pouvoir affronter les problèmes considérables devant lesquels se trouve la Russie - à court terme face aux crises financière et budgétaire, à moyen terme face à la nécessité de définir une transition, des chemins pour la Russie - nous ne pouvons que nous en réjouir. J'espère donc que ce processus va se développer rapidement.

Q - Peut-on attendre une véritable aide alimentaire de l'Europe à la Russie ?
R - L'Europe s'est tenue, je crois, solidement aux côtés de la Russie, depuis 1989. Nous aidons ce pays et d'autres pays de l'Est de différentes façons. S'il y a rapidement un nouveau gouvernement, il sera en mesure de faire lui-même le bilan de la situation à court terme. Naturellement, si des problèmes, notamment de caractère alimentaire, devaient se poser, il n'y a pas de doute que la France, avec les autres pays de l'Union européenne, serait prête à y répondre.

Q - Dans l'hypothèse d'une profonde crise mondiale, la mise en oeuvre de l'union monétaire est-elle prématurée ?

R - On peut au contraire dire qu'elle a bien commencé, puisque, alors même que nous n'avons pas une monnaie unique, la seule perspective, c'est-à-dire l'engagement résolu de pays de créer une union monétaire et d'avoir une monnaie unique, a été, au cours des dernières semaines, un facteur de stabilité pour l'Europe, et particulièrement pour les pays qui ont fait le choix de l'euro. Vous avec donc un début de réponse à votre question.

La zone euro est une zone potentielle de stabilité. D'ailleurs, si nous devons apporter la régulation nécessaire que justifie la globalisation de l'économie mondiale - car il est évident, on le voit avec ces crises financières, que la globalisation impose la régulation, la coordination des efforts -, si nous devons réformer le système monétaire international, faire en sorte que les institutions financières à travers le monde respectent les règles prudencielles, si nous voulons pouvoir aider des pays face à des difficultés financières, nous le ferons certainement en appuyant le nouveau système monétaire international sur des rapports souples entre des unions monétaires telles que celle qui se bâtit en Europe et des situations de change plus flexibles, notamment entre les zones. Je pense donc que l'euro est en train de montrer que l'union européenne autour de l'euro peut être une zone de stabilité.

Mais j'ajouterai une chose : il me semble, et nous en avons parlé avec le Premier ministre finlandais, que cette zone de stabilité doit chercher aussi à être une zone de croissance. Si la croissance est moins forte en Asie du Sud-Est, si des problèmes existent en Russie, si des difficultés peuvent se produire en Amérique latine, si le Japon n'a plus les mêmes rythmes économiques qu'auparavant, si les Etats-Unis qui viennent de connaître six années de croissance connaissent éventuellement une inflexion du cycle, comme cela arrivait jusqu'à maintenant dans la théorie économique, il paraît alors d'autant plus justifié que les pays d'Europe trouvent les ressorts de leur croissance un peu plus chez eux, puisque les circonstances internationales seront peut-être plus difficiles. Nous militons donc pour une union de la croissance, de la lutte pour l'emploi. Je pense que ce sont les leçons que nous devons tirer, à mon sens, de cette crise. Je crois plutôt que l'Europe l'aborde dans de bonnes conditions. C'est aussi le cas de la France et de la Finlande. En tout cas, du côté français, nous nous en réjouissons.

Q - Quel sens donnez-vous à la tournée des capitales européennes que vous commencez en Finlande ?

R - J'ai la chance depuis quinze mois de participer aux Sommets européens et de rencontrer, aux côtés du président de la République, mes collègues Premiers ministres. En même temps, je me suis rendu compte que dans ces sommets, nous sommes tous ensemble, mais l'occasion d'approfondir nos dialogues bilatéraux ou de parler particulièrement des questions européennes, ne nous est pas véritablement donnée. J'ai donc pensé, au-delà du fait qu'un certain nombre de Premiers ministres sont déjà venus en France pour rencontre le président de la République et moi-même, au-delà du fait que j'ai eu l'occasion de me déplacer moi-même - je me suis rendu en Grande-Bretagne pour voir Tony Blair et en Allemagne pour voir le chancelier Kohl -, qu'il était sans doute nécessaire pour mon pays, s'il voulait convaincre sur un certain nombre de sujets, s'il voulait participer de façon efficace à ce rendez-vous de l'an 2000, qui sera très important pour l'Europe (élargissement, réforme des institutions, choix sur des grandes politiques, politique des fronts structurels, politique agricole, ressources financières qu'on consacre à tout cela), que le gouvernement français, lequel a une responsabilité tout à fait importante dans ses choix aux côtés du président, puisse nouer des dialogues plus particuliers, en se rendant notamment chez les autres.

Naturellement, le ministre des Affaires étrangères, le ministre de l'Economie, de l'Industrie ici présent, le ministre des Affaires européennes nouent mois après mois ces dialogues au niveau de leurs collègues. Le ministre des Affaires étrangères et le ministre des Affaires européennes ont d'ailleurs déjà fait le tour de l'ensemble des quatorze autres pays membres et de tous les candidats à l'Union européenne. C'est une démarche de ce type que je ferai progressivement avec le temps, parce que j'ai évidemment des responsabilités intérieures qui sont nécessaires, mais l'Europe est tellement à la charnière de nos choix de politique économique, ou de transport ou de sécurité, sur le plan intérieur et sur le plan extérieur, que cette démarche doit être accomplie. C'est dans ce sens que ce se fera, mais très progressivement. Je pense que le fait que cette démarche commence en Finlande témoigne de l'importance que nous attachons à ce pays et à sa façon d'aborder les problèmes européens.

Q - Avez-vous abordé la coopération industrielle, en matière militaire ? Je songe à l'achat d'hélicoptères français pour équiper l'armée finlandaise ?

R - Nous avons parlé de tous les dossiers industriels évoqués à l'instant même par M. Lipponen. Les ministres ont parlé du problème des hélicoptères. Quant à la question de savoir si nous avons convaincu, l'espoir de tout Premier ministre, en France comme en Finlande, est de convaincre.

Q - Que vous inspire la crise politique qui affecte la direction de la première puissance mondiale ?

R - Je ne m'exprime pas sur ces sujets. Je ne les ai d'ailleurs pas abordés lorsque je me suis rendu aux Etats-Unis au mois de juin. Sans doute y a-t-il un problème lorsque la première puissance mondiale éprouve, pour prendre des décisions, des difficultés très grandes dans les rapports entre l'exécutif et le législatif. Je pense à une question qui nous intéresse directement, et qui est celle de l'accroissement des quotas au FMI, pour lequel les grands pays contributeurs ont tenu leurs engagements et pour lequel les Etats-Unis n'ont pas encore été en mesure de le faire, en raison du blocage du Congrès, qui paraît justifié par d'autres raisons qu'une appréciation de ce qui serait utile de faire en matière monétaire internationale. Ce sont là des problèmes que je peux me poser en tant que Premier ministre français, dont je peux dire un mot publiquement comme je le fais, avec naturellement beaucoup de respect pour les institutions américaines, et à propos desquels j'ai eu des échanges avec le président Clinton. Le reste, je crois que vous devinez ce que j'en pense, mais je ne me sens pas en droit de faire des commentaires sur ces questions publiquement. Et je ne les fais donc pas.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 juin 2001)