Déclaration de M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et aux affaires rurales, sur la politique agricole du XXIème siècle axée sur la production agricole, le développement du monde rural, et le soutien à l'industrie agroalimentaire, Paris le 19 octobre 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Rencontres Internationales de prospective " l'agriculture, une chance pour la France " au Sénat le 19 octobre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie de m'avoir convié à ouvrir ce matin la rencontre internationale de prospective du Sénat consacrée à " l'Agriculture, une chance pour la France " : tout d'abord parce que cela me permet de participer un moment à vos travaux, qui sont importants pour un sujet passionnant et qui me paraît essentiel, celui de " la France agricole du XXIe siècle " telle que nous pouvons l'envisager. Mais aussi parce que le thème choisi pour votre rencontre correspond à la conviction profonde qui m'anime : l'avenir de notre agriculture, celui du monde rural, celui de l'industrie agroalimentaire, sont étroitement liés et sont au cur de la réflexion prospective que nous devons conduire pour la société française elle-même.
Quelle France voulons-nous en effet aujourd'hui et demain ? Et, au-delà de toute dimension partisane, quelle place entendons-nous donner à une activité essentielle, qui est la production agricole ?
Le développement de nos sociétés modernes peut nous faire, effectivement, oublier le rôle de l'agriculture dans notre vie quotidienne, son impact dans l'évolution de notre environnement, économique, social, territorial. Et pourtant, il est une évidence, que nous devrions tous garder à l'esprit lorsque nous cherchons à dessiner des perspectives pour les 20, 30 ou 50 ans à venir : l'agriculture sert à nourrir les hommes.
Elle est la sève de nos terroirs, le premier fondement de leur activité économique, de leurs emplois, de leur vie sociale. Nos territoires et nos paysages sont le résultat du patient travail de nos agriculteurs. Enfin, notre agriculture a une fonction environnementale, et s'inscrit de plus en plus dans une démarche de développement durable.
Il s'agit donc d'une véritable question de société. Et il ne faut pas tant se demander ce que nous attendons de l'agriculture, que ce que nous voulons qu'elle soit pour notre pays demain. Et ce travail doit s'effectuer avec les acteurs même du monde agricole et du monde rural.
C'est aussi une réponse collective qu'il nous faut apporter. Finalement, chacun d'entre nous est un peu un paysan même s'il vit en ville, par son activité, ses racines, sa famille, ses envies de nature et d'oxygène Eh bien, ce doit être une source de fierté et non un sujet d'inquiétude ou d'incompréhension. Et ce doit être une fierté partagée.
Nous devons anticiper, nous devons agir avec détermination, nous devons ouvrir de nouvelles perspectives, pour donner à l'agriculture sa juste place dans le développement économique et social de la France ; pour lui conserver son rôle dans la compétition internationale ; pour continuer aussi à peser dans une construction équilibrée du monde. Pour y parvenir, nous devons avoir confiance en nous-mêmes et en notre agriculture. C'est un postulat de départ nécessaire mais réaliste, car les capacités d'adaptation du monde agricole sont réelles, car les capacités de mouvement de notre pays sont tout aussi réelles.
C'est finalement une nouvelle frontière que nous devons construire pour notre monde agricole et rural, sans méconnaître les difficultés mais avec la détermination d'aller de l'avant. Face aux incertitudes, nous devons réfléchir et agir avec confiance. C'est en ce sens que vous avez raison, dans cette journée de réflexion, de poser le débat en termes de chance pour la France.
Je suis convaincu que l'on doit regarder les choses de façon optimiste, mais aussi active et concrète. Je ne pourrai évidemment pas aborder tous les éléments de votre réflexion aujourd'hui.
- Je laisserai ainsi de côté, délibérément, toute la problématique de l'alimentation, dans laquelle des efforts considérables ont été faits, en termes de sécurité sanitaire, en termes de traçabilité, en termes d'agriculture raisonnée et de protection de l'environnement. La France est en pointe dans ce domaine, les Français le savent plus qu'on ne le croit. Notre alimentation n'a, sans doute, jamais été aussi sûre.
- Je n'évoquerai pas non plus l'enjeu, essentiel, du développement durable. Contrairement à une idée fausse, et bien trop répandue dans l'opinion, notre agriculture est très en avance en la matière. La France est d'ailleurs pionnière, sous l'impulsion du Président de la République, dans cette recherche d'un développement économiquement viable, socialement responsable et respectueux des grands équilibres environnementaux.
- Enfin, je n'aborderai pas une dimension importante, parce qu'elle nécessiterait à elle seule une longue intervention : celle du rôle des politiques agricoles des pays les plus industrialisés, notamment en termes de lutte contre la pauvreté et la malnutrition. L'enjeu est essentiel pour l'équilibre et la paix de notre monde moderne. Et les réponses à apporter se situent au plan alimentaire. Ce rôle doit s'articuler avec celui des organisations internationales, OMC ou FAO, et doit viser à encourager la production agricole et la gestion raisonnée des ressources naturelles des pays en voie de développement. Il n'y a sans doute jamais eu autant de paysans dans le monde qu'aujourd'hui, étant donné l'accroissement de la population mondiale.
Je souhaite en revanche développer trois points, que je considère indissociables, face aux interrogations actuelles des acteurs du monde agricole mais aussi, plus largement, de l'opinion, comme le démontre d'ailleurs le choix du thème de votre journée. Ces trois points, ce sont en réalité trois actions, résolues, qui sont engagées et témoignent d'une volonté forte : en faveur de la production agricole ; en faveur du développement du monde rural ; en faveur du soutien à l'industrie agroalimentaire.
Pourquoi ? Parce que je crois qu'elles traduisent une mise en perspective, qu'elles forment un projet politique, et commencent ainsi à fournir une réponse globale à ce qui n'est plus, alors, une question mais une affirmation : oui, la France d'aujourd'hui et de demain est toujours une France agricole. Mais c'est une nouvelle France agricole qui émerge.
·L'émergence d'une nouvelle agriculture, pour la France du XXIe siècle
Il est devenu une banalité de dire que le monde a changé, qu'il connaît désormais des évolutions toujours plus rapides, que les frontières s'estompent, que les nouvelles technologies influent sur toutes les activités, même l'activité agricole, que la compétition - qui a toujours existé - est maintenant mondiale.
Ces bouleversements ont profondément modifié l'environnement agricole et sont, parfois, perçus comme des menaces ; en tout cas, ils suscitent des interrogations, des incertitudes, voire des inquiétudes. Face à cette situation, le rôle des gouvernants est d'informer, d'expliquer, mais aussi d'entraîner, d'accompagner. En réalité, le problème est de savoir si nous nous plaçons en position défensive - et nous sommes sans doute alors condamnés à subir les mutations -, ou si nous nous situons en position offensive, ou du moins active. C'est évidemment cette dernière voie que nous devons emprunter, ensemble, politiques, acteurs du monde agricole et société, si nous voulons construire la France qui nous convient et qui nous rassemble.
Le monde agricole a connu une profonde évolution au cours des cinquante dernières années, depuis les lois d'orientation des années 60. J'évoquerai simplement les trente dernières années, marquées par l'avènement de la PAC, qui a changé le visage de l'agriculture. Je crois que l'on peut dire que celle-ci vit aujourd'hui sa troisième mutation, après la naissance de la PAC, la réforme de 1992 et aujourd'hui la nouvelle réforme de la PAC, que nous mettons en uvre. C'est beaucoup pour un seul secteur économique, et les angoisses que peuvent ressentir les agriculteurs sur l'avenir de leur métier, sont compréhensibles. Et ceci dans un contexte de concurrence toujours plus vive, de discussions internationales au sein de l'OMC, ou encore sur le Mercosur.
Depuis plus de deux ans, sous l'impulsion du Président de la République, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a agi, acceptant d'anticiper l'application de la réforme de la PAC en échange d'une contrepartie essentielle : la stabilité à l'échelon européen, du budget agricole, pour les dix ans à venir. Nous savons donc que l'effort public en faveur de l'agriculture est considérable et s'élève à 16 milliards d'euros, c'est à dire 10 milliards venant de l'Europe, 5 milliards du budget national et 1 milliard des Régions (tout ceci hors protection sociale). C'est un effort significatif et surtout, constant. Cette visibilité à dix ans, obtenue à Bruxelles, représente un atout qu'il nous faut exploiter de façon dynamique. C'est un socle qui doit nous permettre de travailler à l'adaptation de notre agriculture. Il nous faut mettre à profit cette période pour aller de l'avant, pour conduire les évolutions et donner de vraies perspectives au monde agricole, qui les attend.
Relever ces défis ne veut pas nécessairement dire qu'il faut remettre en cause le modèle agricole français auquel nous sommes attachés. Néanmoins, force est de reconnaître qu'il n'y a plus aujourd'hui un modèle d'exploitation mais plusieurs, une multiplicité de formes d'agricultures et d'exploitations. Nous devons donc intégrer cette évolution, comme nous devons accepter une forme de " banalisation " de l'activité agricole et de ses règles de fonctionnement : elle a perdu de sa spécificité historique pour se rapprocher, finalement, d'une entreprise. Là encore, il nous faut prendre en compte cette nouvelle dimension.
C'est l'objet de la future grande loi de modernisation, ou d'orientation agricole, qui sera présentée au deuxième trimestre 2005. Hervé Gaymard et moi-même, nous avons souhaité qu'elle soit précédée d'un débat en régions, dont l'intitulé " agriculture, territoires et société " reflète bien la détermination qui nous anime et la réflexion prospective qui est engagée.
Au travers des rencontres qui auront lieu tout au long de l'automne, nous tenterons d'apporter des réponses à une série de questions qui conditionnent le nouveau périmètre de notre agriculture : quelle organisation économique, quelle gestion des marchés agricoles ? Quelles conditions de vie et de travail pour les agriculteurs, dans la société des 35 heures ? Quel cadre institutionnel, réglementaire, administratif, pour exercer pleinement leur activité ? Et surtout, ces débats devraient nous permettre de formaliser une question centrale, déterminante pour l'avenir de l'agriculture française : quelle relation voulons-nous entre l'agriculture et la société ? Car actuellement, c'est trop souvent l'incompréhension, ou la méconnaissance, qui constituent le sentiment dominant.
Pour construire la France agricole de demain, nous devons donc resserrer les liens entre les Français et les agriculteurs. A cet égard, le rôle des formations offertes par l'enseignement agricole, très ancré dans nos territoires et particulièrement bien adapté aux besoins de la société, est également essentiel. C'est une filière d'excellence, aux taux d'insertion professionnelle élevés, qui contribue à préparer l'avenir de notre agriculture et que nous devons, aussi, mieux faire connaître.
Je tiens enfin à dire que l'effort doit aussi venir des acteurs du monde agricole eux-mêmes. La reconnaissance de cette France agricole implique une attitude positive des agriculteurs, leur implication dans la société et dans les débats qui l'animent. Ils leur faut donc, de leur côté, communiquer mieux et davantage, expliquer leurs métiers, peut-être provoquer une prise de conscience auprès des Français. Bref, ne plus être sur la défensive.
En s'investissant ainsi, toujours plus, les agriculteurs seront plus que jamais partie prenante aux débats de société et tiendront toute leur place au coeur de la Nation.
· La production agricole et l'avenir du monde rural sont intimement liés
Les quelque 600 000 exploitations agricoles, réparties sur nos territoires, soulignent aussi la nécessité de veiller au dynamisme du monde rural qu'elles animent.
Si le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a engagé depuis plus de deux ans une réflexion de fond sur l'avenir des territoires ruraux, c'est également parce qu'il conditionne le maintien d'une production agricole sur notre sol, un certain équilibre entre les acteurs de la société et un développement économique et social de nos territoires plus harmonieux. C'est une politique, volontariste et cohérente, qui se met en place : jamais sans doute, depuis bien longtemps, le monde rural n'avait eu à sa disposition autant d'outils pour construire des projets, libérer ses énergies, bâtir son avenir.
Je ne vais pas détailler toutes les actions engagées. Je souhaite simplement rappeler qu'elles sont autant de moyens de dresser ces nouvelles perspectives dont nous avons besoin, de " faire bouger les lignes " en faveur du monde rural, de contribuer à tracer cette " nouvelle frontière " pour notre pays. Qui sait que depuis dix ans, le monde rural a regagné 500 000 habitants ? Nous pouvons continuer dans cette voie, et nous le faisons.
Alors, parmi ces outils, ces actions dont je parlais à l'instant, qui forment une démarche d'ensemble au service d'un pays où toutes les activités de production et de service ont leur place - et parmi elles l'activité agricole -, je voudrais citer simplement :
- les grandes lois de décentralisation, qui sont un signe fort de confiance dans le dynamisme des acteurs de nos territoires,
- le CIADT rural de septembre 2003, celui de décembre 2003 sur les grands projets d'infrastructures, celui de septembre 2004 sur les pôles de compétitivité,
- la politique menée en faveur de la couverture totale du territoire en téléphonie mobile, et en faveur de l'accès à Internet haut débit pour tous,
- le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, qui va venir prochainement en 2ème lecture au Sénat,
- la future loi d'orientation agricole, l'an prochain
- et le Partenariat national pour le développement de l'industrie agroalimentaire, sur lequel je vais revenir dans un instant.
Ce sont autant d'outils mis en place, autant de réponses pour croire à la vitalité de nos territoires ruraux et permettre, concrètement, leur développement.
· La production agricole et les industries agroalimentaires : une relation indissociable entre l'amont et l'aval
Le dernier élément que je souhaite livrer à votre réflexion concerne l'industrie agroalimentaire. Pourquoi parler de l'agroalimentaire dans une analyse prospective sur la place de l'agriculture en France ? Parce que les deux sont étroitement liés et ne se conçoivent pas l'un sans l'autre. Le travail que nous menons sur le développement de cette industrie constitue, en réalité, un élément central de la réponse qu'il faut apporter pour dessiner ensemble la " nouvelle frontière ".
L'industrie agroalimentaire assure en effet 70 % des débouchés de l'agriculture française. Elle maille et anime nos territoires : 8 entreprises sur 10, sur les quelque 10 000 du secteur, sont des PME et des TPE, ancrées dans nos terroirs, et souvent en partenariat direct avec les exploitants agricoles présents dans le même territoire, notamment dans le cadre du mouvement coopératif. Ce secteur industriel crée des emplois : 420 000 pour le deuxième employeur de France, et permet à notre pays d'être le premier exportateur mondial de produits transformés. Nos industries agroalimentaires font la course en tête. Et pourtant, là encore, nous devons agir pour le futur, car c'est précisément lorsque l'on réussit qu'il faut anticiper, qu'il faut examiner les fragilités avant qu'elles ne deviennent de vraies difficultés.
En favorisant le développement économique des entreprises agroalimentaires, en les accompagnant dans leur conquête des marchés, notamment extérieurs, en soutenant leurs efforts d'innovation et de recherche, en valorisant leurs métiers auprès des jeunes, en les aidant à mieux répondre aux attentes de la société et des consommateurs, nous consolidons nos capacités de croissance, nous développons l'emploi, nous contribuons à assurer l'avenir de notre agriculture.
C'est tout l'objet du Partenariat national pour l'industrie agroalimentaire, auquel je travaille depuis juin dernier, à la demande du Premier Ministre et d'Hervé Gaymard. Avec un objectif volontairement ambitieux mais pas irréaliste : permettre aux IAA d'atteindre, dans les 10 ans qui viennent, 500 000 emplois, contre 420 000 aujourd'hui. Avec une méthode fondée sur la consultation la plus large des professionnels et la concertation permanente. Ce plan d'action s'inscrit dans un calendrier que j'ai souhaité très resserré, avec un prochain point d'étape que j'ai fixé au premier trimestre 2005, pour un Partenariat véritablement opérationnel en juin 2005.
Je n'entrerai pas dans le détail des travaux : j'ai présenté dimanche les premières mesures concrètes, lors de l'inauguration du SIAL : il s'agit d'un outil financier pour favoriser l'innovation des PME et TPE ; d'un outil pratique pour faciliter leurs démarches à l'export et d'un outil pour l'emploi, au travers d'une grande campagne de communication sur les métiers de l'agroalimentaire.
Je voudrais simplement souligner qu'il s'agit là d'une réponse supplémentaire, fondée sur des actions concrètes, pour conforter notre agriculture. En garantissant, voire en élargissant ses débouchés, en l'incitant à être toujours plus innovante, en lui permettant de mieux anticiper les évolutions des consommateurs.
En conclusion,
Vous l'aurez compris : nous devons avoir confiance en l'avenir de notre agriculture. Ce n'est pas une confiance aveugle, ce n'est pas non plus la méthode Coué. Cette confiance s'appuie sur des faits : la vitalité du monde rural, la volonté d'aller de l'avant des agriculteurs, et -vous me pardonnerez de reparler politique !- la détermination du gouvernement.
Je tiens à vous dire qu'Hervé Gaymard et moi-même, nous croyons à l'agriculture, au maintien de la production agricole sur notre territoire, à sa capacité d'adaptation aux évolutions du monde qui nous entoure, à l'avenir du monde rural. Mais nous croyons aussi, et surtout, à l'action, pour faire en sorte que les perspectives ainsi tracées se concrétisent.
Alors, la France de demain sera t-elle agricole ? L'agriculture est-elle une chance pour la France ? A ces deux interrogations, je réponds deux fois oui. Avec confiance et détermination.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 26 octobre 2004)