Interview de Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle à Radio Classique le 7 octobre 2004, sur le Tour de France de l'égalité professionnelle, la lutte contre les violences faites aux femmes et le label "égalité" décerné par la haute autorité de lutte contre les discriminations.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

Q- "Le degré de civilisation d'une société se résume d'abord à la place qu'y occupent les femmes", dixit J. Chirac ; c'était au mois de décembre 2003. A Rennes, passera demain, vendredi, le Tour de France de l'égalité professionnelle. Egalité, j'écris ton nom avec un grand "E". Tout cela méritait bien un label ; ce label existe désormais à travers l'initiative de N. Ameline, ministre de la Parité et de l'Egalité professionnelle. [...) Hier soir, les députés ont adopté en première lecture le projet de loi donnant naissance à la Haute autorité de lutte contre les discrimination, une instance indépendante que les citoyens pourront saisir directement dès l'année prochaine. C'est une étape importante ?
R- Il faut naturellement se réjouir de cette initiative qui s'inscrit dans la lutte résolue du Gouvernement contre toutes les formes de violence. Les discriminations ne sont pas une forme atténuée de violence, elles sont contraires à l'idée que l'on se fait d'une démocratie et cette haute autorité répondra sans nul doute à la volonté que nous avons de fonder notre société sur le respect et la dignité de la personne.
Q- Cette autorité disposera d'un budget de près de 11 millions d'euros en 2005 et d'une équipe de 80 personnes. La gauche se montre sceptique et juge les moyens insuffisants.
R- Non, je crois, au contraire, qu'il y a véritablement un effort qui est tout a fait réalisé pour permettre à cette haute autorité d'être directement opérationnelle. Et je ne doute pas d'ailleurs, connaissant l'intérêt et surtout la qualité des personnes qui probablement y seront nommées, que nous aurons là un outil absolument formidable et très adapté à la situation.
Q- Qui composera exactement cette haute autorité ?
R- Des nominations seront faites et d'ailleurs, les critères de nomination ont été déterminés hier.
Q- Concernant le label égalité sur les documents destinés à vanter les mérites de votre belle entreprise, on lit "Égalitée" avec un E à la fin, pour mieux faire passer le message. Tout d'abord, une question de sémantique : quelle différence faites-vous entre égalité et parité ? Y a-t-il au moins une nuance entre les deux termes ?
R- Elle s'attenue, parce qu'en réalité, ce qui compte aujourd'hui, ce ne sont pas les approches comptables ou arithmétiques. Ce qui compte, c'est l'équilibre. Et je dirais même plus : ce qui compte, c'est la dynamique homme-femme dans la gestion de tous les secteurs de la société. Donc, c'est vrai que nous parlons beaucoup de parité, notamment en politique, mais au fond, ce que je retiens de cela, c'est qu'il faut faire progresser partout où on le peut cette dynamique de l'égalité dans le respect aussi de la diversité, ce qui complique un tout petit peu les choses et qui constitue un troisième paramètre.
Q- La Femme - et j'insiste puisque l'on est à la radio - avec un F majuscule est quand même beaucoup plus présente aujourd'hui dans les esprits et la société qu'elle ne le fut. Quel est votre objectif à travers ce label "Egalitée", et d'abord, c'est quoi
ce label ?
R- C'est la France qui s'engage sur l'égalité et qui le fait d'abord avec les partenaires sociaux, c'est important de le rappeler, et qui le fait avec les entreprises. Ce label est à la fois un atout de la croissance et de la performance dans la mesure où il marque, d'une manière distinctive les entreprises qui sont résolument engagées sur cette politique, sur cette stratégie de l'égalité, et qui le font, bien sûr, dans un esprit interne de productivité, de performance de l'entreprise, mais qui servent ainsi aussi la justice et la cohésion sociale.
Q- Qui sont concernés précisément ? Toutes les entreprises, grandes, PME, et puis les administrations ?
R- Les plus grandes d'entre elles se sont déjà manifestées parce qu'elles ont tout à fait compris qu'il s'agissait là d'une image extraordinaire pour elles, et encore une fois, d'un atout de performance, mais en même temps, d'un outil d'accompagnement aussi, puisque ce label pourra être utilisé sur les produits, sur les services. Mais en même temps, nous souhaitons véritablement - et c'est l'objet de ce tour de France - que ce soit les petites et les moyennes entreprises qui font le maillage du territoire, qui s'engagent tout autant.
Q- Un label, c'est une sanction positive. Il repose sur des critères d'attribution bien précis ; quels sont-ils ? Il y a 18 critères répartis en trois sections ?
R- Oui, ce label est accessible et contraignant à la fois ; il sera effectivement le résultat d'une évaluation et il sera décerné par l' AFAC, qui est l'agence de certification de toutes les normes. Ce qui veut dire que c'est un critère très officiel. Il reposera sur des actions très concrètes de management, de sensibilisation à l'intérieur de l'entreprise, de lutte contre tous les stéréotypes, car il faut savoir que nous sommes encore malheureusement sur des facteurs très culturels. Il concernera la réalité de la promotion des femmes dans l'entreprise à tous les postes, les progrès réalisés en termes d'égalité salariale ,et là, il y a beaucoup à faire, et puis la prise en compte de la parentalité dans l'entreprise. Ce qui est un phénomène nouveau et qui se traduit par des services ou une organisation du travail mieux adaptée aux pères et aux mères de famille.
Q- Autrement dit, la maternité ne doit pas être un frein à l'embauche ?
R- C'est tout à fait cela. Du reste, avec les partenaires sociaux, nous allons, dans les semaines qui viennent, approfondir cette question de la maternité et de l'emploi, de même que l'égalité salariale.
Q- Vous venez de le dire : les partenaires sociaux ; il y a une grande négociation - si de négociation on peut parler ; comment cela s'est déroulé exactement ?
R- Depuis deux ans, nous menons, avec les partenaires sociaux un travail exemplaire et je voudrais ici dire combien je suis sensible à l'implication qu'ils ont eue. Toutes les grandes centrales syndicales, le Medef, ont participé à cette réflexion et aujourd'hui, nous en mesurons les effets. Bien sûr, l'égalité est aujourd'hui dans les têtes, elle n'est pas encore tout à fait dans les faits. Mais nous allons progresser avec ce tour de France, mais aussi parce que nous allons terminer cette année, sur les deux sujets centraux qui intéressent toutes les femmes de France : faire en sorte qu'il n'y ait pas d'écarts salariaux tels qu'ils existent aujourd'hui et faire en sorte que lorsque l'on a un enfant, on ne revienne pas dans l'entreprise, d'une manière un peu... presque culpabilisante, alors que la maternité doit être plutôt un crédit d'expérience.
Q- Ce label, votre initiative, c'est aussi le fruit d'une réflexion, avec le choc démographique qui est attendu en 2006 : le population en âge de travailler va baisser en moyenne de 100 000 personnes par an. La femme est l'avenir de l'homme, en quelque sorte, elle le sera encore plus au terme de ces échéances.
R- Tout à fait. Les entreprises ont compris que la diversité est créatrice à l'intérieur de l'entreprise, mais en plus, le contexte nous y oblige, puisque le revirement démographique va effectivement exiger un remplacement, un renouvellement de l'ensemble, d'une centaine de milliers de ressources humaines. Il faut donc que nous organisions à nouveau l'entreprise autour de ce paramètre et surtout, nous entrons dans une économie de croissance fondée sur le capital humain. Donc, aujourd'hui, des hommes et des femmes au sein de l'entreprise vont être la richesse et la condition de la productivité. Cela veut dire qu'un environnement social nouveau, une organisation du travail nouvelle, doit permettre plus de productivité, mais en même temps, peut-être, une autre gestion de la ressource humaine. Et au fond, nous sommes là dans une nouvelle culture d'entreprise. J'oserais dire que l'égalité va devenir une valeur de l'entreprise, comme elle doit l'être pour la société tout entière.
Q- Non seulement la femme est l'avenir de l'homme, mais en plus, c'est un relais de croissance... Comment va se dérouler le suivi de ce label ? Il va y avoir des contrôles dans les entreprises ?
R- Oui, absolument. C'est un label contraignant et nous avons la volonté d'avoir une évaluation sur trois ans. Nous allons sanctionner positivement une démarche engagée et résolue. Et dans trois ans, ce label sera réévalué pour voir si l'entreprise mérite effectivement de le conserver.
Q- Dans quelle structure est-il le plus facile de faire bouger les mentalités finalement, l'entreprise ou l'administration ?
R- Les deux doivent évoluer. Je dois dire que les entreprises progressent très vite. Je m'en félicite, c'est le cur de ma mission. L'administration doit être plus exemplaire qu'elle le l'est. Mais d'autres secteurs aussi : les partis politiques aussi et l'ensemble de la société. Quand je dis que la France s'engage sur l'égalité, cela n'exclut personne et c'est une responsabilité partagée.
Q- Information pratique : que doit faire une entreprise, concrètement, pour déposer sa candidature ?
R- Elle doit consulter le site du ministère de l'Egalité professionnelle. Elle y trouvera les renseignements concernant l'AFAC. Elle peut d'ailleurs se brancher directement sur le site de l'AFAC ; il y a des entreprises qui le font et qui, aujourd'hui, pourront peut-être labellisées, les premiers labels étant remis à la fin du mois de novembre.
Q- C'est une initiative purement française, cette certification "égalité" ?
R- Oui. Elle commence à intéresser d'autres pays. Il existe au Canada quelque chose d'approchant. Mais je pense que nous pourrons et nous allons présenter ce label à la Commission dans quels jours, parce que je pense qu'il s'agit de ces exemples de bonnes pratiques européennes qui peuvent servir un objectif commun. Et la France a l'intention de rester à l'avant-garde sur ces propositions.
Q- La promotion de l'égalité professionnelle s'inscrit en effet parmi les grands chantiers mis en uvre par l'Union. C'est aussi un message que vous lancez à certains pays engagés dans un processus d'intégration à l'Europe, je pense notamment à la Turquie et à la place qu'y occupe la femme...
R- En tout cas, c'est un label qui a une vocation universelle, je le souhaite et j'en serais très heureuse. Je pense que l'Europe moderne, en effet et il faut le souligner - est une Europe qui s'intéresse beaucoup aux femmes, à leur place, à leur rôle dans la société. On doit saisir cette opportunité. Je pense en particulier au référendum l'année prochaine. Je souhaite que les femmes mesurent toute l'utilité, l'impact, la portée qu'a l'Europe pour elles. Et de la même façon, j'ai la conviction que l'Europe a besoin des femmes.
Q- Finalement, cette initiative, c'est un bon moyen de faire passer votre politique, enfin, d'appliquer votre politique et de convaincre plutôt que de contraindre ?
R- C'est cela. Nous étions sur cette nouvelle gouvernance. Je n'exclus pas, naturellement le recours à la loi lorsqu'il est indispensable, mais il me semble que nous gagnions tous à progresser dans cette responsabilité, dans cette conscience partagée. Surtout qu'aujourd'hui, l'égalité est centrale dans la vie politique, qu'elle permet de répondre aux enjeux de croissance, aux enjeux de cohésion sociale et à l'esprit de justice qui est pour nous tout à fait fondamental.
Q- Donc, je le disais, ce tour de France de l'Egalité professionnelle : demain, vous serez à Rennes, ensuite le 15 octobre à Orléans. Ce tour de France se poursuivra ensuite par Caen, Lille et Strasbourg et Marseille courant décembre. Merci madame Ameline d'avoir
répondu à nos questions.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 octobre 2004)