Texte intégral
La gauche face à la mondialisation
La gauche française et européenne, pour redonner sens à son action, doit d'abord faire une analyse rigoureuse de la mondialisation qu'elle critique en paroles mais dont elle s'accommode dans les faits.
La mondialisation, ce n'est pas seulement la loi des avantages comparatifs chère à Ricardo. Ce sont des règles du jeu éminemment politiques qui ont été mises en place, au fil des décennies, sous l'impulsion des Etats-Unis. Ceux-ci maîtrisent en effet l'ensemble des paramètres économiques, monétaires, médiatiques, diplomatiques et militaires qui sous-tendent la " globalisation financière " et qui leur permettent de la réguler.
La mondialisation du capitalisme a aussi permis l'accès de centaines de millions d'hommes et de femmes dans les pays du Sud, en particulier en Asie orientale, à une certaine prospérité, ou du moins à ce que les Chinois appellent " une moyenne suffisance ".
La gauche européenne focalise son attention sur les inégalités de développement que la mondialisation a suscitées et notamment sur les pays qu'elle a laissés en marge, pour des raisons qui ne sont pas qu'économiques (absence de structures étatiques solides et par conséquent de sécurité, retard culturel, analphabétisme, enclavement géographique, déficit d'infrastructures). Cette vision s'explique en partie par l'influence idéologique prépondérante des courants chrétiens de gauche sur les problèmes du Tiers Monde. En effet, la gauche européenne, depuis qu'elle a abandonné les analyses inspirées de Marx ou même de Keynes, a aussi cessé de mettre en cause une mondialisation dont, en tant que consommateurs, profitent aussi ses électeurs.
Cette situation a changé. La gauche européenne est en effet confrontée aujourd'hui à un triple défi :
D'une part le capitalisme financier impose ses règles de gestion myopes : Les travailleurs sont les grands oubliés de la " gouvernance d'entreprise ".
D'autre part la concurrence croissante des pays à très bas salaires, dépourvus de protection sociale et à monnaies sous-évaluées accélère le rythme des délocalisations industrielles.
Enfin, les Etats-Unis, insoucieux de leur déficit qu'ils financent grâce au privilège du dollar, imposent au monde entier une politique qui favorise d'abord la relance et la croissance à domicile (déficit budgétaire massif, taux d'intérêt réel égal à zéro, mesures protectionnistes unilatérales, dévaluation de 30 % du dollar) aux dépens de l'Europe et du Japon asphyxiés par un euro ou un yen trop forts.
Par ailleurs, la mondialisation actuelle, à la différence de la première (1860-1914) décrite par Suzanne Berger , juxtapose des économies très différentes par le niveau des salaires et de la protection sociale mais, à certains égards, également performantes : un ingénieur chinois vaut bien un ingénieur américain. Par la masse de leur paysannerie, la Chine et l'Inde disposent d'une " armée industrielle de réserve ", et par conséquent d'un avantage comparatif de longue durée -un bas niveau de salaire combiné avec un haut niveau de productivité-, contre lequel les pays anciennement industrialisés se trouvent démunis. Le code implicite qui sous-tendait la division internationale du travail depuis trente ans (aux pays " en voie de développement les emplois peu qualifiés, à l'Europe et aux Etats-Unis la recherche, les hautes qualifications et les services haut de gamme) ne marche plus.
A l'inverse, les coûts de la mondialisation pèsent essentiellement en Europe sur les travailleurs de l'industrie, affrontés aux licenciements et à des reclassements de plus en plus difficiles. On comprend que la classe ouvrière se détourne de ceux qui ne la défendent pas (ou plus) pour se jeter dans les bras des démagogues d'extrême-droite.
Une autre mondialisation est possible. Une alliance de progrès encore à forger entre les forces démocratiques au Nord et les grands pays du Sud doit imposer un compromis historique en faveur d'une nouvelle donne planétaire.
La première et la principale réforme concerne le financement de l'économie mondiale. Tout se passe aujourd'hui comme si l'Asie orientale finançait le colossal déficit américain pour thésauriser des dollars. Les Etats-Unis sont devenus " l'acheteur en dernier ressort " des nouveaux " ateliers du monde ". Cette situation, éminemment instable, expose le monde, à commencer par l'Europe, à de graves secousses économiques et politiques. Les Etats-Unis répondent par une dévaluation du dollar de 30 % qui plonge notre continent dans la récession et par une fuite en avant impériale extrêmement dangereuse au Moyen-Orient.
La globalisation financière sous l'égide des Etats-Unis montre ses limites : creusement d'inégalités abyssales, marginalisation de régions voire de continents entiers représentant près de la moitié de l'humanité, crise de l'économie européenne et japonaise, ébranlements économiques et géopolitiques de plus en plus menaçants, etc.
Comme la " première mondialisation " avait conduit en 1914 à l'exacerbation des nationalismes européens en quête d'hégémonie, de même la " deuxième mondialisation " impulsée par les Etats-Unis conduit à des " guerres de civilisations ", aujourd'hui avec l'Islam, demain peut-être avec la Chine. Il est temps d'y parer, en changeant la donne par de nouvelles règles du jeu.
L'objectif principal devrait être la réforme des institutions financières, internationales (Banque Mondiale et FMI) de façon à orienter vers les pays du Sud une épargne mondiale aujourd'hui captée à 80 % par les Etats-Unis. La priorité est évidemment de doter ces pays d'infrastructures et d'équipements permettant de répondre aux besoins essentiels (eau potable, agriculture, logements, écoles, hôpitaux, routes, chemins de fer, ports et aéroports, etc.). Cette relance massive, financée par des droits de tirage spéciaux créerait un cercle vertueux dont profiteraient tous les pays du monde, non seulement au Sud mais aussi au Nord.
Il faut ensuite que les grands pays du Sud (Chine aujourd'hui, Inde et Brésil demain) conçoivent un modèle de développement équilibré qui privilégie davantage leur marché intérieur et les besoins prioritaires de leurs peuples.
Dans cet esprit, il serait naturel d'introduire à l'OMC des clauses sociales et environnementales progressives et d'affirmer, en tout cas, la condition d'un syndicalisme libre pour pouvoir participer de plein droit aux échanges internationaux. Il y aurait là une base de rassemblement et de mobilisation pour les syndicats et les forces politiques de gauche en Europe (comme aux Etats-Unis).
La Chine, l'Inde, le Brésil devraient rejoindre le G8. Des parités monétaires plus réalistes seraient fixées entre le dollar, l'euro, le yen et le yuan, dans des bandes de fluctuation resserrées.
L'Europe enfin doit impérativement élaborer des politiques industrielles et technologiques destinées à maintenir un tissu productif solide.
La politique de la concurrence telle qu'elle est mise en uvre par la Commission de Bruxelles tue la politique industrielle. Il n'y a pas de protection contre les OPA étrangères. Pas de politique sérieuse de recherche et de développement technologique associant les grands pays européens dans les secteurs de pointe (électronique, biotechnologies, matériaux, etc.).
Et pourtant le capital reste encore attaché aux territoires nationaux pour des raisons linguistiques, culturelles, humaines, ou tout simplement techniques. Une politique industrielle volontariste pourrait permettre de sauver des régions aujourd'hui gravement menacées mais qui bénéficient pourtant d'atouts compétitifs dans des productions répondant à des besoins d'équipement essentiels : ainsi la survie du groupe Alstom est nécessaire si l'on veut pouvoir continuer à fabriquer, en France et en Europe, locomotives, TGV, centrales énergétiques, méthaniers, paquebots, etc.
A titre transitoire, l'Europe enfin ne devrait pas reculer devant une dose raisonnable de protectionnisme pour contrecarrer l'avantage compétitif de monnaies sous-évaluées tant du moins que la BCE n'aura pas adapté sa politique de change aux besoins des entreprises européennes.
L'émergence d'une " Europe européenne " agissant de concert avec la Russie et l'amorce, à l'OMC, d'un regroupement des grands pays du Sud (Inde, Chine, Brésil...), rendent manifeste la possibilité d'un rééquilibrage du monde et d'une " nouvelle donne " à l'échelle planétaire.
C'est la tâche prioritaire que devraient se fixer en Europe les forces de gauche et de progrès. Il n'y a pas d'autre alternative à la récession et à la " guerre des civilisations " où nous précipite la politique aveugle de M. Bush.
(Source /www.mrc-france.org, le 16 octobre 2003)
À LA MUTUALITÉ LE 5 NOVEMBRE 2003
LA GAUCHE ET LA MONDIALISATION
La grande nouvelle jeudi dernier a été la reprise de l'économie américaine avec un rythme de croissance de 7,2 % au troisième trimestre. Cette annonce du " salut par l'Amérique " a été reçue avec enthousiasme et sans aucun esprit critique :
Personne n'a relevé l'asymétrie caractéristique de l'actuelle mondialisation entre les deux rives de l'Atlantique : les Etats-Unis et l'Europe vivent dans des mondes différents, où les lois de l'économie ne s'appliquent pas de la même manière du fait de l'étalon-dollar qui, dans un système de changes flottants, délivre les Etats-Unis des contraintes de la solvabilité qui pèsent d'autant plus lourdement sur l'Union Européenne que celle-ci s'est attachée deux boulets à ses pieds : l'indépendance de sa Banque centrale et le pacte de stabilité budgétaire.
1. La FED maintient des taux d'intérêts réels égaux à zéro alors que la Banque centrale européenne maintient les siens à 2 %. La consommation des Etats-Unis a repris, celle des achats de logement en particulier avec des prêts hypothécaires renégociés à la baisse.
2. L'Administration Bush a opéré une stimulation budgétaire équivalent à six points de PIB :
Le budget fédéral des Etats-Unis est passé d'un excédent de 1,5 % à un déficit de 4,5 % (soit 450 Milliards de dollars) alors que le pacte de stabilité budgétaire limite à 3 % du PIB les déficits dans la zone euro.
Les 280 millions de consommateurs américains jouent ainsi le rôle " d'acheteurs en dernier ressort ". L'économie mondiale fonctionne comme une pyramide inversée reposant sur la pointe : 1,2 milliards d'hommes vivent sous le seuil de la pauvreté. 54 pays sont plus pauvres aujourd'hui qu'en 1990 selon Kofi Annan. 800 millions d'hommes n'ont pas accès à l'eau potable. 125 millions d'enfants ne vont pas à l'école. L'Afrique attire à peine 1 % des investissements directs mondiaux. Les équilibres naturels sont rompus (eau, air, sols, matières premières). Le climat se dégrade du fait de l'émission de gaz à effet de serre. Le long terme est négligé. La logique financière domine la production. Les services publics sont sacrifiés. Et on demande aux consommateurs américains déjà surendettés, et le plus souvent gavés, de s'endetter encore, tels des marathoniens dopés à l'EPO, pour faire repartir la croissance, à travers une orgie de consommation qui évoque plus le Bas Empire romain que les festins de Pantagruel qu'arrosait, outre le vin d'Anjou, une riante philosophie !
3. Cette orgie de consommation encore gonflée par les dépenses militaires, n'est rendue possible que par un déficit commercial de 500 Milliards de dollars financé par l'émission de bons du Trésor américains : privilège du dollar, privilège du seigneur !
Les Etats-Unis captent plus de 75 % de l 'épargne mondiale ;
Les flux de capitaux vont du Sud vers le Nord : 200 Milliards de dollars en 2002 ;
La dette extérieure américaine (>= 6.000 Milliards de dollars) est le double de celle, pourtant astronomique des Pays en voie de développement !
La dépréciation du dollar atteint 30 % en un an et demi par rapport à l'euro (stimulation des exportations américaines et chinoises ; accélération des délocalisations en Europe).
La mondialisation qui s'est mise en place sous l'impulsion des Etats-Unis depuis les années 60-70 obéit ainsi à des règles du jeu biaisées. Elle est - et c'est le point essentiel - un phénomène politique plus qu'économique.
a) la suspension de la convertibilité or du dollar et les changes flottants ont consacré depuis 1973 le privilège du dollar ;
b) le libre-échangisme généralisé mis en place sous l'égide du GATT et de l'OMC aboutit à une " recolonisation " du monde par les multinationales ;
c) la " deuxième mondialisation " ne ressemble donc pas à la première : les écarts de salaires peuvent aller de un à vingt entre des industries concurrentes (ainsi la Chine et les Etats-Unis), et surtout l'étalon-dollar a remplacé l'étalon-or. Tout se passe comme si chaque année les Etats-Unis percevaient un droit de seigneuriage égal à 600 Milliards de dollars.
d) la deuxième mondialisation ne peut se comprendre en dehors du rôle de l'Hyperpuissance en son cur . Derrière
Le FMI et la Banque Mondiale ;
Le pétrole et le rôle des " majors " ;
Le contrôle de l'information à travers les médias ;
Le monopole de la coercition militaire ;
... il y a toujours la puissance américaine, l'Etat américain,
Il y a ainsi un lien, un fil rouge, qui va du krach financier de Wall Street à la guerre en Irak qui n'était nullement rendue nécessaire par la lutte contre le terrorisme, bien au contraire. Ce lien c'est la surenchère opérée par l'Hyperpuissance confrontée à l'évaporation de 13000 Milliards de dollars, à la crise de confiance, aux déficits abyssaux et à la pyramide de l'endettement. La guerre en Irak voulait dire : nous sommes les maîtres du monde jusqu'à la fin du XXIe siècle ! Vous êtes obligés de nous faire confiance !
Le but, partiellement atteint, était de faire repartir les indices boursiers à la hausse ! Or c'est cette confiance-là qui est aujourd'hui ébranlée par l'enlisement des Etats-Unis au Moyen-Orient et par la fragilité intrinsèque de l'économie américaine et mondiale : abîme des déficits, pyramides de l'endettement des Etats, des entreprises et des ménages.
Il y a un moyen de sortir de cette crise : par l'organisation d'une nouvelle donne à l'échelle mondiale. Mais il y a un préalable en ce qui concerne la riposte d'une gauche digne de ce nom, non pas tant quant à la forme (mobilisation citoyenne ou plate-forme politique : les deux sont nécessaires) mais quant au fond.
Notre riposte doit être d'abord politique parce que la mondialisation est de nature politique. Nous devons éviter un antiaméricanisme de principe, car la crise systémique touche aussi les Etats-Unis et nous devons trouver un soutien dans la tradition démocratique américaine en nous appuyant sur des valeurs universelles qui puissent être comprises dans le monde entier et en particulier sur les deux rives de l'Atlantique.
Aucune réforme d'envergure ne sera possible :
Ni dans l'ordre économique, monétaire, financier
Ni dans l'ordre commercial
Ni en matière d'environnement et de lutte contre le réchauffement de climat
Ni en matière d'organisation internationale multilatérale, si l'Hyperpuissance n'est pas amenée à composer car :
C'est l'Administration américaine, appuyée sur les couches inféodées d'Europe et du Japon, qui refuse la réforme du FMI qui permettrait de remettre les pendules à l'heure et la croissance au service du développement ;
C'est l'Administration américaine appuyée sur les Firmes multinationales qui veut promouvoir à l'OMC un libre-échangisme sans règle ni limite ;
C'est l'Administration américaine qui refuse la signature du protocole de Kyoto sur la limitation de l'émission de gaz à effet de serre ;
C'est l'Administration américaine qui, en refusant la signature du traité d'interdiction des essais nucléaires et en déclenchant une guerre préventive en Irak, encourage la prolifération nucléaire ;
C'est l'Administration américaine qui refuse à l'ONU de se plier à la légalité internationale, sauf si l'ONU accepte de se laisser instrumenter par elle.
L'arrogance de l'Administration américaine s'exprime en tous domaines : En matière monétaire : " le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème " ; en matière diplomatique : " c'est la mission qui définit la coalition " : adieu au multilatéralisme ! En matière militaire : " l'armée américaine est là pour faire la cuisine, les armées alliées pour faire la vaisselle ".
La gauche doit être capable de faire mûrir une alliance de progrès entre les forces démocratiques au Nord et les grands pays du Sud dont l'émergence, à travers le G22 a été le fait marquant du sommet de Cancun. Pour amener l'Hyperpuissance à composition, il faut maintenir et renforcer ce qu'on a appelé le camp de la paix (l'axe Paris-Berlin-Moscou-Pékin appuyé sur l'immense majorité des pays du Sud) et définir en tous domaines une plate-forme de mesures pratiques dont puissent s'inspirer des gouvernements progressistes pour promouvoir une nouvelle donne à l'échelle mondiale.
1. La première mesure concerne la réforme voire le remplacement du FMI par la BRI et la Banque Mondiale pour créer un Fonds de financement du développement permettant de satisfaire les besoins prioritaires des pays du Sud : eau potable - agriculture - éducation - santé - infrastructures de transport. Ces investissements ne sont rentables qu'à très long terme. Il faut les financer par des dons. Pour alimenter ce fonds, on peut penser à la taxe Tobin mais la mesure la plus pratique et la plus immédiatement opérationnelle serait la création de droits de tirage spéciaux par une réforme des statuts du FMI déjà proposée mais à laquelle s'opposent les Etats-Unis. Seule une crise grave permettra de les faire revenir sur cette opposition. Ces fonds pourraient être mis en uvre à travers une Banque Mondiale régionalisée.
2. Cette première mesure serait complétée par un accord monétaire visant à définir des parités réalistes et des bandes de fluctuations resserrées autour des principales monnaies : dollar - euro - yen - yuan. C'est le seul moyen d'éviter la guerre des monnaies.
3. Des règles du jeu loyales impliqueraient aussi l'introduction de clauses sociales et environnementales à l'OMC. Les grands pays émergents seraient ainsi encouragés à développer leur marché intérieur et un système de protection sociale moderne.
4. Enfin l'Europe devrait cesser de relayer la mondialisation libérale à travers une Banque Centrale indépendante qui laisse l'euro s'envoler et asphyxier notre économie, un pacte de stabilité budgétaire étouffant et d'ailleurs qualifié d' " absurde " par M. Prodi, une politique de la concurrence qui tue la politique industrielle, comme on le voit dans l'affaire Alstom, et enfin une défense subordonnée à l'OTAN.
Il est temps de lever le drapeau d'une Europe européenne au service de ses peuples et non plus une Europe inféodée, au service du capital financier. Il est temps de réformer les statuts de la Banque Centrale Eeuropéenne, d'assouplir le pacte de stabilité budgétaire, ce qui implique le rejet d'une soi-disant Constitution européenne qui prédétermine dans un sens ultralibéral le contenu des politiques européennes : monnaie forte qui étouffe la croissance, politique libre-échangiste qui nous laisse démunis et voue notre continent à un chômage de masse structurel et à un déclin inévitable. Il est temps de restaurer une préférence communautaire pour enrayer la désindustrialisation galopante.
Il est temps de faire surgir, autour du couple franco-allemand, une Europe à géométrie variable qui soit un acteur stratégique dans les domaines industriel, technologique, militaire et politique. Ainsi seulement pourra s'élever une voix européenne indépendante, porteuse des valeurs universelles de liberté, de laïcité, d'égalité et de fraternité internationale, dans un monde que nous voulons résolument multipolaire et ouvert au dialogue.
C'est la seule manière d'offrir une perspective autre que la crise et la guerre de civilisations où nous précipite la politique aveugle de M. Bush. N'oublions pas que la première mondialisation a conduit à 1914 ! La montée des intégrismes aujourd'hui (intégrisme islamiste ou intégrisme libéral des " néo-cons' " américains) est aussi redoutable que celle des nationalismes en quête d'hégémonie avant 1914. Le combat pour les valeurs universelles et pour le dialogue des civilisations est plus actuel que jamais. C'est celui des nouvelles générations. Mais ce combat doit être instruit par la réflexion et par l'expérience. Faisons résonner à nouveau la voix de Jaurès : " Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage. " Mais faisons que l 'appel qu'il lança dans la cathédrale de Bâle en 1912 à " faire reculer les foudres de la guerre " n'intervienne pas trop tard. La gauche se régénérera non pas sur une ligne gestionnaire mais seulement si elle sait donner un sens et des repères à un monde qui en manque si cruellement, pour organiser une " nouvelle donne " et remettre le développement sur la tête, au service de l'Homme.
(source http://mrc-france.org, le 6 novembre 2003)
La gauche française et européenne, pour redonner sens à son action, doit d'abord faire une analyse rigoureuse de la mondialisation qu'elle critique en paroles mais dont elle s'accommode dans les faits.
La mondialisation, ce n'est pas seulement la loi des avantages comparatifs chère à Ricardo. Ce sont des règles du jeu éminemment politiques qui ont été mises en place, au fil des décennies, sous l'impulsion des Etats-Unis. Ceux-ci maîtrisent en effet l'ensemble des paramètres économiques, monétaires, médiatiques, diplomatiques et militaires qui sous-tendent la " globalisation financière " et qui leur permettent de la réguler.
La mondialisation du capitalisme a aussi permis l'accès de centaines de millions d'hommes et de femmes dans les pays du Sud, en particulier en Asie orientale, à une certaine prospérité, ou du moins à ce que les Chinois appellent " une moyenne suffisance ".
La gauche européenne focalise son attention sur les inégalités de développement que la mondialisation a suscitées et notamment sur les pays qu'elle a laissés en marge, pour des raisons qui ne sont pas qu'économiques (absence de structures étatiques solides et par conséquent de sécurité, retard culturel, analphabétisme, enclavement géographique, déficit d'infrastructures). Cette vision s'explique en partie par l'influence idéologique prépondérante des courants chrétiens de gauche sur les problèmes du Tiers Monde. En effet, la gauche européenne, depuis qu'elle a abandonné les analyses inspirées de Marx ou même de Keynes, a aussi cessé de mettre en cause une mondialisation dont, en tant que consommateurs, profitent aussi ses électeurs.
Cette situation a changé. La gauche européenne est en effet confrontée aujourd'hui à un triple défi :
D'une part le capitalisme financier impose ses règles de gestion myopes : Les travailleurs sont les grands oubliés de la " gouvernance d'entreprise ".
D'autre part la concurrence croissante des pays à très bas salaires, dépourvus de protection sociale et à monnaies sous-évaluées accélère le rythme des délocalisations industrielles.
Enfin, les Etats-Unis, insoucieux de leur déficit qu'ils financent grâce au privilège du dollar, imposent au monde entier une politique qui favorise d'abord la relance et la croissance à domicile (déficit budgétaire massif, taux d'intérêt réel égal à zéro, mesures protectionnistes unilatérales, dévaluation de 30 % du dollar) aux dépens de l'Europe et du Japon asphyxiés par un euro ou un yen trop forts.
Par ailleurs, la mondialisation actuelle, à la différence de la première (1860-1914) décrite par Suzanne Berger , juxtapose des économies très différentes par le niveau des salaires et de la protection sociale mais, à certains égards, également performantes : un ingénieur chinois vaut bien un ingénieur américain. Par la masse de leur paysannerie, la Chine et l'Inde disposent d'une " armée industrielle de réserve ", et par conséquent d'un avantage comparatif de longue durée -un bas niveau de salaire combiné avec un haut niveau de productivité-, contre lequel les pays anciennement industrialisés se trouvent démunis. Le code implicite qui sous-tendait la division internationale du travail depuis trente ans (aux pays " en voie de développement les emplois peu qualifiés, à l'Europe et aux Etats-Unis la recherche, les hautes qualifications et les services haut de gamme) ne marche plus.
A l'inverse, les coûts de la mondialisation pèsent essentiellement en Europe sur les travailleurs de l'industrie, affrontés aux licenciements et à des reclassements de plus en plus difficiles. On comprend que la classe ouvrière se détourne de ceux qui ne la défendent pas (ou plus) pour se jeter dans les bras des démagogues d'extrême-droite.
Une autre mondialisation est possible. Une alliance de progrès encore à forger entre les forces démocratiques au Nord et les grands pays du Sud doit imposer un compromis historique en faveur d'une nouvelle donne planétaire.
La première et la principale réforme concerne le financement de l'économie mondiale. Tout se passe aujourd'hui comme si l'Asie orientale finançait le colossal déficit américain pour thésauriser des dollars. Les Etats-Unis sont devenus " l'acheteur en dernier ressort " des nouveaux " ateliers du monde ". Cette situation, éminemment instable, expose le monde, à commencer par l'Europe, à de graves secousses économiques et politiques. Les Etats-Unis répondent par une dévaluation du dollar de 30 % qui plonge notre continent dans la récession et par une fuite en avant impériale extrêmement dangereuse au Moyen-Orient.
La globalisation financière sous l'égide des Etats-Unis montre ses limites : creusement d'inégalités abyssales, marginalisation de régions voire de continents entiers représentant près de la moitié de l'humanité, crise de l'économie européenne et japonaise, ébranlements économiques et géopolitiques de plus en plus menaçants, etc.
Comme la " première mondialisation " avait conduit en 1914 à l'exacerbation des nationalismes européens en quête d'hégémonie, de même la " deuxième mondialisation " impulsée par les Etats-Unis conduit à des " guerres de civilisations ", aujourd'hui avec l'Islam, demain peut-être avec la Chine. Il est temps d'y parer, en changeant la donne par de nouvelles règles du jeu.
L'objectif principal devrait être la réforme des institutions financières, internationales (Banque Mondiale et FMI) de façon à orienter vers les pays du Sud une épargne mondiale aujourd'hui captée à 80 % par les Etats-Unis. La priorité est évidemment de doter ces pays d'infrastructures et d'équipements permettant de répondre aux besoins essentiels (eau potable, agriculture, logements, écoles, hôpitaux, routes, chemins de fer, ports et aéroports, etc.). Cette relance massive, financée par des droits de tirage spéciaux créerait un cercle vertueux dont profiteraient tous les pays du monde, non seulement au Sud mais aussi au Nord.
Il faut ensuite que les grands pays du Sud (Chine aujourd'hui, Inde et Brésil demain) conçoivent un modèle de développement équilibré qui privilégie davantage leur marché intérieur et les besoins prioritaires de leurs peuples.
Dans cet esprit, il serait naturel d'introduire à l'OMC des clauses sociales et environnementales progressives et d'affirmer, en tout cas, la condition d'un syndicalisme libre pour pouvoir participer de plein droit aux échanges internationaux. Il y aurait là une base de rassemblement et de mobilisation pour les syndicats et les forces politiques de gauche en Europe (comme aux Etats-Unis).
La Chine, l'Inde, le Brésil devraient rejoindre le G8. Des parités monétaires plus réalistes seraient fixées entre le dollar, l'euro, le yen et le yuan, dans des bandes de fluctuation resserrées.
L'Europe enfin doit impérativement élaborer des politiques industrielles et technologiques destinées à maintenir un tissu productif solide.
La politique de la concurrence telle qu'elle est mise en uvre par la Commission de Bruxelles tue la politique industrielle. Il n'y a pas de protection contre les OPA étrangères. Pas de politique sérieuse de recherche et de développement technologique associant les grands pays européens dans les secteurs de pointe (électronique, biotechnologies, matériaux, etc.).
Et pourtant le capital reste encore attaché aux territoires nationaux pour des raisons linguistiques, culturelles, humaines, ou tout simplement techniques. Une politique industrielle volontariste pourrait permettre de sauver des régions aujourd'hui gravement menacées mais qui bénéficient pourtant d'atouts compétitifs dans des productions répondant à des besoins d'équipement essentiels : ainsi la survie du groupe Alstom est nécessaire si l'on veut pouvoir continuer à fabriquer, en France et en Europe, locomotives, TGV, centrales énergétiques, méthaniers, paquebots, etc.
A titre transitoire, l'Europe enfin ne devrait pas reculer devant une dose raisonnable de protectionnisme pour contrecarrer l'avantage compétitif de monnaies sous-évaluées tant du moins que la BCE n'aura pas adapté sa politique de change aux besoins des entreprises européennes.
L'émergence d'une " Europe européenne " agissant de concert avec la Russie et l'amorce, à l'OMC, d'un regroupement des grands pays du Sud (Inde, Chine, Brésil...), rendent manifeste la possibilité d'un rééquilibrage du monde et d'une " nouvelle donne " à l'échelle planétaire.
C'est la tâche prioritaire que devraient se fixer en Europe les forces de gauche et de progrès. Il n'y a pas d'autre alternative à la récession et à la " guerre des civilisations " où nous précipite la politique aveugle de M. Bush.
(Source /www.mrc-france.org, le 16 octobre 2003)
À LA MUTUALITÉ LE 5 NOVEMBRE 2003
LA GAUCHE ET LA MONDIALISATION
La grande nouvelle jeudi dernier a été la reprise de l'économie américaine avec un rythme de croissance de 7,2 % au troisième trimestre. Cette annonce du " salut par l'Amérique " a été reçue avec enthousiasme et sans aucun esprit critique :
Personne n'a relevé l'asymétrie caractéristique de l'actuelle mondialisation entre les deux rives de l'Atlantique : les Etats-Unis et l'Europe vivent dans des mondes différents, où les lois de l'économie ne s'appliquent pas de la même manière du fait de l'étalon-dollar qui, dans un système de changes flottants, délivre les Etats-Unis des contraintes de la solvabilité qui pèsent d'autant plus lourdement sur l'Union Européenne que celle-ci s'est attachée deux boulets à ses pieds : l'indépendance de sa Banque centrale et le pacte de stabilité budgétaire.
1. La FED maintient des taux d'intérêts réels égaux à zéro alors que la Banque centrale européenne maintient les siens à 2 %. La consommation des Etats-Unis a repris, celle des achats de logement en particulier avec des prêts hypothécaires renégociés à la baisse.
2. L'Administration Bush a opéré une stimulation budgétaire équivalent à six points de PIB :
Le budget fédéral des Etats-Unis est passé d'un excédent de 1,5 % à un déficit de 4,5 % (soit 450 Milliards de dollars) alors que le pacte de stabilité budgétaire limite à 3 % du PIB les déficits dans la zone euro.
Les 280 millions de consommateurs américains jouent ainsi le rôle " d'acheteurs en dernier ressort ". L'économie mondiale fonctionne comme une pyramide inversée reposant sur la pointe : 1,2 milliards d'hommes vivent sous le seuil de la pauvreté. 54 pays sont plus pauvres aujourd'hui qu'en 1990 selon Kofi Annan. 800 millions d'hommes n'ont pas accès à l'eau potable. 125 millions d'enfants ne vont pas à l'école. L'Afrique attire à peine 1 % des investissements directs mondiaux. Les équilibres naturels sont rompus (eau, air, sols, matières premières). Le climat se dégrade du fait de l'émission de gaz à effet de serre. Le long terme est négligé. La logique financière domine la production. Les services publics sont sacrifiés. Et on demande aux consommateurs américains déjà surendettés, et le plus souvent gavés, de s'endetter encore, tels des marathoniens dopés à l'EPO, pour faire repartir la croissance, à travers une orgie de consommation qui évoque plus le Bas Empire romain que les festins de Pantagruel qu'arrosait, outre le vin d'Anjou, une riante philosophie !
3. Cette orgie de consommation encore gonflée par les dépenses militaires, n'est rendue possible que par un déficit commercial de 500 Milliards de dollars financé par l'émission de bons du Trésor américains : privilège du dollar, privilège du seigneur !
Les Etats-Unis captent plus de 75 % de l 'épargne mondiale ;
Les flux de capitaux vont du Sud vers le Nord : 200 Milliards de dollars en 2002 ;
La dette extérieure américaine (>= 6.000 Milliards de dollars) est le double de celle, pourtant astronomique des Pays en voie de développement !
La dépréciation du dollar atteint 30 % en un an et demi par rapport à l'euro (stimulation des exportations américaines et chinoises ; accélération des délocalisations en Europe).
La mondialisation qui s'est mise en place sous l'impulsion des Etats-Unis depuis les années 60-70 obéit ainsi à des règles du jeu biaisées. Elle est - et c'est le point essentiel - un phénomène politique plus qu'économique.
a) la suspension de la convertibilité or du dollar et les changes flottants ont consacré depuis 1973 le privilège du dollar ;
b) le libre-échangisme généralisé mis en place sous l'égide du GATT et de l'OMC aboutit à une " recolonisation " du monde par les multinationales ;
c) la " deuxième mondialisation " ne ressemble donc pas à la première : les écarts de salaires peuvent aller de un à vingt entre des industries concurrentes (ainsi la Chine et les Etats-Unis), et surtout l'étalon-dollar a remplacé l'étalon-or. Tout se passe comme si chaque année les Etats-Unis percevaient un droit de seigneuriage égal à 600 Milliards de dollars.
d) la deuxième mondialisation ne peut se comprendre en dehors du rôle de l'Hyperpuissance en son cur . Derrière
Le FMI et la Banque Mondiale ;
Le pétrole et le rôle des " majors " ;
Le contrôle de l'information à travers les médias ;
Le monopole de la coercition militaire ;
... il y a toujours la puissance américaine, l'Etat américain,
Il y a ainsi un lien, un fil rouge, qui va du krach financier de Wall Street à la guerre en Irak qui n'était nullement rendue nécessaire par la lutte contre le terrorisme, bien au contraire. Ce lien c'est la surenchère opérée par l'Hyperpuissance confrontée à l'évaporation de 13000 Milliards de dollars, à la crise de confiance, aux déficits abyssaux et à la pyramide de l'endettement. La guerre en Irak voulait dire : nous sommes les maîtres du monde jusqu'à la fin du XXIe siècle ! Vous êtes obligés de nous faire confiance !
Le but, partiellement atteint, était de faire repartir les indices boursiers à la hausse ! Or c'est cette confiance-là qui est aujourd'hui ébranlée par l'enlisement des Etats-Unis au Moyen-Orient et par la fragilité intrinsèque de l'économie américaine et mondiale : abîme des déficits, pyramides de l'endettement des Etats, des entreprises et des ménages.
Il y a un moyen de sortir de cette crise : par l'organisation d'une nouvelle donne à l'échelle mondiale. Mais il y a un préalable en ce qui concerne la riposte d'une gauche digne de ce nom, non pas tant quant à la forme (mobilisation citoyenne ou plate-forme politique : les deux sont nécessaires) mais quant au fond.
Notre riposte doit être d'abord politique parce que la mondialisation est de nature politique. Nous devons éviter un antiaméricanisme de principe, car la crise systémique touche aussi les Etats-Unis et nous devons trouver un soutien dans la tradition démocratique américaine en nous appuyant sur des valeurs universelles qui puissent être comprises dans le monde entier et en particulier sur les deux rives de l'Atlantique.
Aucune réforme d'envergure ne sera possible :
Ni dans l'ordre économique, monétaire, financier
Ni dans l'ordre commercial
Ni en matière d'environnement et de lutte contre le réchauffement de climat
Ni en matière d'organisation internationale multilatérale, si l'Hyperpuissance n'est pas amenée à composer car :
C'est l'Administration américaine, appuyée sur les couches inféodées d'Europe et du Japon, qui refuse la réforme du FMI qui permettrait de remettre les pendules à l'heure et la croissance au service du développement ;
C'est l'Administration américaine appuyée sur les Firmes multinationales qui veut promouvoir à l'OMC un libre-échangisme sans règle ni limite ;
C'est l'Administration américaine qui refuse la signature du protocole de Kyoto sur la limitation de l'émission de gaz à effet de serre ;
C'est l'Administration américaine qui, en refusant la signature du traité d'interdiction des essais nucléaires et en déclenchant une guerre préventive en Irak, encourage la prolifération nucléaire ;
C'est l'Administration américaine qui refuse à l'ONU de se plier à la légalité internationale, sauf si l'ONU accepte de se laisser instrumenter par elle.
L'arrogance de l'Administration américaine s'exprime en tous domaines : En matière monétaire : " le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème " ; en matière diplomatique : " c'est la mission qui définit la coalition " : adieu au multilatéralisme ! En matière militaire : " l'armée américaine est là pour faire la cuisine, les armées alliées pour faire la vaisselle ".
La gauche doit être capable de faire mûrir une alliance de progrès entre les forces démocratiques au Nord et les grands pays du Sud dont l'émergence, à travers le G22 a été le fait marquant du sommet de Cancun. Pour amener l'Hyperpuissance à composition, il faut maintenir et renforcer ce qu'on a appelé le camp de la paix (l'axe Paris-Berlin-Moscou-Pékin appuyé sur l'immense majorité des pays du Sud) et définir en tous domaines une plate-forme de mesures pratiques dont puissent s'inspirer des gouvernements progressistes pour promouvoir une nouvelle donne à l'échelle mondiale.
1. La première mesure concerne la réforme voire le remplacement du FMI par la BRI et la Banque Mondiale pour créer un Fonds de financement du développement permettant de satisfaire les besoins prioritaires des pays du Sud : eau potable - agriculture - éducation - santé - infrastructures de transport. Ces investissements ne sont rentables qu'à très long terme. Il faut les financer par des dons. Pour alimenter ce fonds, on peut penser à la taxe Tobin mais la mesure la plus pratique et la plus immédiatement opérationnelle serait la création de droits de tirage spéciaux par une réforme des statuts du FMI déjà proposée mais à laquelle s'opposent les Etats-Unis. Seule une crise grave permettra de les faire revenir sur cette opposition. Ces fonds pourraient être mis en uvre à travers une Banque Mondiale régionalisée.
2. Cette première mesure serait complétée par un accord monétaire visant à définir des parités réalistes et des bandes de fluctuations resserrées autour des principales monnaies : dollar - euro - yen - yuan. C'est le seul moyen d'éviter la guerre des monnaies.
3. Des règles du jeu loyales impliqueraient aussi l'introduction de clauses sociales et environnementales à l'OMC. Les grands pays émergents seraient ainsi encouragés à développer leur marché intérieur et un système de protection sociale moderne.
4. Enfin l'Europe devrait cesser de relayer la mondialisation libérale à travers une Banque Centrale indépendante qui laisse l'euro s'envoler et asphyxier notre économie, un pacte de stabilité budgétaire étouffant et d'ailleurs qualifié d' " absurde " par M. Prodi, une politique de la concurrence qui tue la politique industrielle, comme on le voit dans l'affaire Alstom, et enfin une défense subordonnée à l'OTAN.
Il est temps de lever le drapeau d'une Europe européenne au service de ses peuples et non plus une Europe inféodée, au service du capital financier. Il est temps de réformer les statuts de la Banque Centrale Eeuropéenne, d'assouplir le pacte de stabilité budgétaire, ce qui implique le rejet d'une soi-disant Constitution européenne qui prédétermine dans un sens ultralibéral le contenu des politiques européennes : monnaie forte qui étouffe la croissance, politique libre-échangiste qui nous laisse démunis et voue notre continent à un chômage de masse structurel et à un déclin inévitable. Il est temps de restaurer une préférence communautaire pour enrayer la désindustrialisation galopante.
Il est temps de faire surgir, autour du couple franco-allemand, une Europe à géométrie variable qui soit un acteur stratégique dans les domaines industriel, technologique, militaire et politique. Ainsi seulement pourra s'élever une voix européenne indépendante, porteuse des valeurs universelles de liberté, de laïcité, d'égalité et de fraternité internationale, dans un monde que nous voulons résolument multipolaire et ouvert au dialogue.
C'est la seule manière d'offrir une perspective autre que la crise et la guerre de civilisations où nous précipite la politique aveugle de M. Bush. N'oublions pas que la première mondialisation a conduit à 1914 ! La montée des intégrismes aujourd'hui (intégrisme islamiste ou intégrisme libéral des " néo-cons' " américains) est aussi redoutable que celle des nationalismes en quête d'hégémonie avant 1914. Le combat pour les valeurs universelles et pour le dialogue des civilisations est plus actuel que jamais. C'est celui des nouvelles générations. Mais ce combat doit être instruit par la réflexion et par l'expérience. Faisons résonner à nouveau la voix de Jaurès : " Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage. " Mais faisons que l 'appel qu'il lança dans la cathédrale de Bâle en 1912 à " faire reculer les foudres de la guerre " n'intervienne pas trop tard. La gauche se régénérera non pas sur une ligne gestionnaire mais seulement si elle sait donner un sens et des repères à un monde qui en manque si cruellement, pour organiser une " nouvelle donne " et remettre le développement sur la tête, au service de l'Homme.
(source http://mrc-france.org, le 6 novembre 2003)