Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur la reconstruction de l'Afghanistan, sa marche vers la paix et la stabilité et l'amitié franco-afghane, Kaboul le 23 mai 2004.

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Circonstance : Inauguration du cinéma Ariana à Kaboul le 23 mai 2004

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Monsieur le Maire,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je suis particulièrement heureux d'inaugurer avec vous cette magnifique salle de cinéma.
Votre pays fait partie de l'imaginaire de la France, qui a toujours rêvé de l'Afghanistan, grâce à ces passeurs de rêves que sont Joseph Kessel ou André Malraux.
L'Afghanistan a-t-il rêvé de la France ? Sans doute, " lorsqu'elle parlait pour tous les hommes ", selon le mot de mon illustre prédécesseur. Puissions-nous, grâce à l'Ariana, vous faire partager nos rêves ! Dans cette salle, enfin, le cinéma renaît.
Dans son " Appel aux intellectuels ", André Malraux lançait : " à cette heure, une femme hindoue qui regarde Anna Karénine pleure peut-être en voyant exprimer, par une actrice suédoise et un metteur en scène américain, l'idée que le Russe Tolstoï se faisait de l'amour ".
Et demain, quand le film Himalaya, l'enfance d'un chef sera projeté sur cet écran, sans doute une femme afghane pleurera en voyant exprimer, par des villageois népalais et un réalisateur français, l'idée qu'un enfant tibétain se fait de l'amour de sa mère !
Mais Kaboul n'est pas seulement présente au coeur de notre " musée imaginaire ". L'Afghanistan renaît aussi dans nos esprits grâce à la beauté de votre cinéma et de votre culture.
C'est pourquoi j'ai tenu à me rendre à Kaboul pour ce premier voyage qui est un moment de grande émotion pour moi, car c'est mon premier déplacement, en tant que ministre de la culture et de la communication de la République française, hors des frontières de mon pays.
Mais ce moment est d'abord un moment clé dans la reconstruction de votre pays, une étape dans sa marche vers la paix et la stabilité, un moment fort de l'amitié franco-afghane.
Le cinéma, la culture, la paix, l'amitié : tels sont les quatre mots-clés de notre rencontre d'aujourd'hui. Ces mots, ce sont des réalités qui nous rassemblent et des valeurs que nous partageons.
Le cinéma d'abord.
Oui l'Afghanistan, tout comme la France, est un pays de cinéma. Ce cinéma qui fait rêver, et qui jette un regard sur les fractures, les plaies béantes et les cicatrices de nos sociétés, ce cinéma qui est aussi une immense ouverture sur le monde qui nous entoure, sur le monde où nous vivons.
Sans doute est-ce pour cette raison qu'aux heures les plus sombres de votre histoire, les lumières des cinémas se sont éteintes les unes après les autres. A Kaboul comme ailleurs. D'autres pays ont connu, au cours de l'histoire, semblable nuit.
Et chez vous aussi, il a fallu le courage du " peuple des ombres ", de ceux qui combattaient les armes à la main, de ceux aussi qui ont su mettre à l'abri les oeuvres et les outils de l'esprit, en sauvant les archives, en murant les bobines de films, en enterrant les projecteurs. Ces actions héroïques témoignent de la volonté de protéger, donc de transmettre le patrimoine cinématographique afghan et le goût populaire pour cet art, qui vaut aujourd'hui à cette salle et au cinéma afghan de renaître en pleine lumière.
Je tiens à honorer aujourd'hui la mémoire de ces héros de l'ombre qui vous permettent aujourd'hui de retrouver ce goût des salles dites obscures.
Je veux aussi remercier tous les artisans de cette reconstruction, qui se sont unis pour faire revivre ce lieu : les pouvoirs publics, la société civile, les membres de l'association " un cinéma pour Kaboul ". La plupart d'entre eux sont dans cette salle.
Ce cinéma est avant tout, cher Claude Lelouch, un " cinéma des cinéastes ", dont je me réjouis qu'il ait aujourd'hui trouvé un public.
Je veux rendre ici un hommage spécial aux grandes voix qui ont, les premières, lancé cet appel.
Et d'abord une voix d'outre-tombe, qui est bien présente parmi nous aujourd'hui. Une voix qui est l'expression d'un visage familier au coeur des Français et de tous les combattants de la liberté à travers le monde, le visage ferme et souriant de l'homme au pakol, l'ancien élève du lycée Esteqlal, l'admirateur de Charles de Gaulle ; l'ami de la France, Ahmed Shah Massoud.
Je le dis avec d'autant plus d'émotion que je sais que sa voix n'a pas toujours été entendue à temps. Elle l'est aujourd'hui.
Je tiens à associer à cet hommage une pensée très chaleureuse et reconnaissante à l'un des plus ardents défenseurs de la mémoire du commandant Massoud, son ami, notre ami Bernard-Henri Lévy, qui fut, il y a plus de vingt ans déjà, parmi ceux qui ont ouvert nos yeux sur les souffrances et la destinée du peuple afghan, sur la vaillance de sa résistance, car il pressentait que se jouait sur cette terre l'un des enjeux majeurs de ce siècle. Bernard-Henri Lévy, qui fut, il y a plus de deux ans, l'éclaireur envoyé par la France pour dessiner les contours d'une politique de coopération nouvelle dont l'ouverture de ce cinéma est l'un des premiers accomplissements.
Comment imaginer faire surgir des décombres de la guerre un Etat de droit qui ne soit pas assis sur une culture vivante et riche ? Le point commun de toutes les barbaries qui ont sévi au cours de l'histoire - et le siècle dernier n'en fut pas avare - c'est de s'être attaquées à la mémoire, à la création, à l'esprit, bref à la culture.
Tous les totalitarismes, toutes les dictatures ont remplacé la culture par la propagande ou par l'expression factice d'un " homme nouveau ", prétendant faire table rase du passé, offert à l'admiration béate de peuples asservis. Rien de plus contraire à notre conception de la culture.
La solide amitié entre nos deux pays s'est elle-même construite sur cette force de la culture, héritage de l'histoire, lien entre les générations et ciment de la paix dans un monde où la paix est sans cesse à défendre contre les forces de la haine, de la violence et de la destruction. Un monde où toutes les civilisations savent qu'elles sont mortelles.
La construction d'un Etat de droit solide doit se faire sur les bases d'une culture refondée, d'une culture retrouvée, rétablie dans sa diversité et sa liberté.
Car le premier des droits, c'est le droit de parler, de penser, de créer. Les Nations Unies ne s'y sont pas trompé qui, suivant en cela l'inspiration des précurseurs de 1789, ont mis en tête de la Déclaration universelle des Droits de l'homme, au sortir de la plus terrible des guerres que le monde ait connu, la liberté d'opinion et d'expression.
Dans l'un de ses articles dans Les Nouvelles d'Afghanistan, le Professeur Zalmaï Haquani, écrivait ceci : " De l'origine à nos jours, la nation afghane est fondée sur la base de critères subjectifs que ni ethnie, ni langue, ni prises distinctement ne permettent d'expliciter ; mais simplement la volonté de vivre ensemble ".
Il y a, dans cette pensée de votre Ambassadeur à Paris, qui est aussi l'un de nos grands professeurs de droit, l'écho de la définition donnée par Ernest Renan de la nation française, forgée au cours de l'histoire, de ce " vouloir vivre ensemble " plus fort que les liens du sol, de la race et du sang.
La culture, parce qu'elle repose sur ce que la philosophe française Simone Weil appelait " l'enracinement ", est au coeur de cette identité collective, une identité venue du fond des âges, mais une identité qui est tout autant un projet qu'un héritage, un projet fondé sur des valeurs, des valeurs communes, qui transcendent les différences.
Tous ceux qui fréquentent le musée Guimet, à Paris, savent l'ancienneté et la solidité de la civilisation afghane, née au coeur de vos vallées et de vos montagnes, d'une rencontre entre l'orient et l'occident.
La France, vous le savez, répondra toujours présent à l'appel du Président Karzaï pour préserver, avec vous, cet héritage meurtri par les saccages et les pillages. Car cet héritage fait partie de votre patrimoine, mais aussi du patrimoine de l'humanité. La délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA) est l'une des plus anciennes institutions franco-afghanes et je me réjouis qu'elle ait repris ses activités de fouilles et de préservation.
Je souhaite que se développe également le goût de la culture afghane en France.
A l'heure où votre pays s'apprête à conforter les institutions dont il est doté par la volonté du Père de la Nation Zaher Shah et du Président Hamid Karzaï, institutions désormais inscrites dans votre constitution, je tiens à vous apporter, au-delà des perspectives de notre coopération culturelle, le témoignage du soutien et de l'engagement de la France.
La France, au sein de la communauté internationale tient en effet à accompagner votre marche vers la paix. Tel est le sens du message que le Président de la République, Jacques Chirac, m'a demandé de vous lire tout à l'heure.
C'est sur ce message d'amitié et de paix que je conclurai mon propos pour ce premier jour de ma visite à Kaboul, qui se prolonge demain.
On m'a dit que selon un proverbe afghan, le premier jour d'une rencontre, l'on devient amis. Le deuxième jour, l'on devient frères. En passant la nuit à Kaboul, j'ai voulu honorer cette très belle tradition de l'hospitalité qui est l'une des valeurs fortes de la civilisation afghane.
Je souhaite aussi que le message d'amitié de la France soit un message de fraternité du peuple français, un message fondé sur le respect, sans lequel il ne peut y avoir de vrai dialogue des cultures, ce dialogue qui est au coeur de notre engagement.
A l'horreur et à la terreur de la guerre succèdent les espoirs de la liberté portée par des esprits libres, par la curiosité, par l'intelligence, par le goût du savoir. Ce goût qui se renforce par l'échange et la connaissance de l'autre.
Je me réjouis que nous ayons ce soir, rallumé ensemble une flamme qui illumine cette parcelle du territoire de l'humanité.
Puissions-nous la maintenir, pour qu'elle éclaire pour toujours le ciel de Kaboul et le firmament des hommes !
Que vivent les lumières de Kaboul ! Que vive l'amitié franco-afghane !
Je vous remercie.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 25 mai 2004)