Déclaration de Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, sur la mixité à l'école et dans les soins hospitaliers, Sénat le 15 juin 2004.

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Circonstance : Colloque "La mixité menacée" au Sénat le 15 juin 2004

Texte intégral

Je souligne en préambule que l'humour n'enlève rien au sérieux ni à la philosophie de l'action. Habitant à Honfleur, patrie d'Alphonse Allais, je ne saurais d'ailleurs formuler de reproches à ce sujet.
Madame la Présidente de la Délégation aux droits des femmes,
Monsieur le Président de l'Ordre des médecins,
Mesdames et Messieurs,
Si vous me le permettez, je souhaite, en premier lieu, saluer le travail accompli au Palais du Luxembourg par la Délégation aux droits des femmes. L'oeuvre de cette délégation, sa réflexion comme ses propositions, sont tout à fait remarquables. Je suis très sensible - et c'est ce qui motive ma présence - à l'ouverture de son champ de réflexion au thème fondamental de la mixité.
Ce colloque a été organisé avec le concours de nombreux hommes et femmes de terrain. Il permettra certainement d'approfondir la réflexion et surtout d'analyser les menaces qui ont pu peser à un certain moment sur la mixité. La définition du contenu de la mixité, et plus particulièrement des valeurs que ce concept véhicule, reste difficile.
Je constate avec plaisir que les initiatives sénatoriales tendant à mettre en valeur la place des femmes dans la société se multiplient. La journée consacrée au Livre d'Histoire, organisée le samedi 12 juin, en témoigne parfaitement. L'intitulé de cette manifestation, évocateur, était en effet : " Histoire des femmes, une conquête inachevée ". N'y a-t-il pas là une sorte d'écho - peut-être involontaire mais à tout le moins porteur de sens - entre la manifestation de samedi dernier et celle d'aujourd'hui ? Cela voudrait-il dire non seulement que le chemin à parcourir entre l'égalité formelle et l'égalité réelle est encore long mais que, plus encore, une vigilance sans faille s'impose pour que les femmes de notre pays ne connaissent pas une régression de leurs droits ?
Il peut cependant sembler paradoxal de se demander si la mixité est menacée alors qu'une rétrospective rapide sur l'évolution des cinquante dernières années donnerait plutôt le sentiment qu'elle a définitivement gagné la partie. Les écoles non mixtes, qui sont restées la norme jusqu'au début des années 1960, font aujourd'hui presque figure de curiosités, non seulement dans l'enseignement public mais aussi privé. D'importants corps de la fonction publique - notamment dans le secteur hospitalier - se sont féminisés à plus de 50 %.
Malgré cette évolution - je pense que tous et toutes en seront convaincus -, nous sommes encore dominés, souvent à notre insu, par une représentation sexuée des rôles sociaux. C'est cette représentation qui freine les progrès de la mixité dans tous les domaines. Qu'y a-t-il cependant de plus important à cette période de la vie où tout se construit et où la personnalité se forge, que d'apprendre ce qu'est réellement la mixité, l'affirmation de soi et l'approche de la différence ? La différence doit d'ailleurs être vécue comme facteur d'enrichissement et non comme facteur d'exclusion.
On a parfois le sentiment que les résistances à la mixité ont augmenté à mesure qu'elle progressait et ce, surtout dans les milieux issus d'une immigration récente. Il y a davantage de jeunes filles voilées à l'école qu'il n'y en avait quinze ans auparavant. Dans les hôpitaux, les patientes refusant de se laisser soigner par un homme sont plus nombreuses. C'est dire tout le sens qui a été donné à la loi sur la laïcité qui a été conçue, pensée et élaborée en fonction aussi du thème central pour notre société qu'est l'égalité entre les hommes et les femmes.
La première partie du présent colloque est consacrée aux soins hospitaliers. Dans ce secteur, les menaces contre la mixité peuvent provenir soit d'un membre du personnel qui refuse de prendre en charge un patient de sexe opposé, soit d'un usager qui refuse de se laisser prendre en charge par un membre du personnel de sexe opposé.
Dans un cas comme dans l'autre, ces comportements sont totalement contraires aux valeurs de la République ainsi qu'aux exigences de la modernité. Mais la stratégie à adopter face à ces menaces n'est pas nécessairement la même dans les deux cas. De même que les autres agents des services publics, les membres du personnel hospitalier doivent témoigner du strict respect du principe de la laïcité, qui leur interdit notamment de refuser d'accomplir un acte professionnel en prenant prétexte de leurs convictions religieuses. Tout manquement à cet égard doit être sanctionné. Pour ce qui est des usagers, la fermeté dans l'application de la règle est également nécessaire. Et je dois insister sur le fait que le cadre juridique actuel ne permet pas à un patient de refuser d'être soigné par tel ou tel médecin même si, nous le savons tous, des difficultés existent dans l'application de ce principe. Cette règle, personne n'en doute ici, doit être conciliée avec le souci de l'intérêt du malade lorsque celui-ci affirme sa volonté de se laisser mourir plutôt que d'être soigné par un membre du personnel de sexe opposé. Fort heureusement, bien sûr, dans une importante proportion des cas, les résistances à la mixité des soins peuvent être surmontées par la persuasion, le dialogue sur le terrain et au cours de colloques singuliers. Ces efforts montrent que la grande majorité du personnel hospitalier reste fidèle aux valeurs de la République et cherche même à les faire partager. Il faut donc leur rendre hommage.
Conformément aux propos du président de la République ainsi qu'au vu exprimé par le président du Sénat, nous recherchons le meilleur instrument juridique pour affirmer avec force le principe de la laïcité à l'hôpital. Il va de ce thème central comme de l'autre volet majeur du présent colloque : la mixité à travers l'éducation et le sport.
On peut dire que la réussite de la mixité à l'école est une condition nécessaire de sa réussite dans tous les autres secteurs de la vie sociale. Je ne reviendrai pas sur ce que je dis souvent sur le choix de vie que réalisent les jeunes filles françaises de 15, 16 ou 17 ans, tandis que les garçons effectuent alors un choix professionnel. Ce choix initial détermine ensuite la vie des intéressés.
Toute l'action que je mène à la tête de mon ministère vise à donner aux jeunes filles une capacité à être de plus en plus autonomes dans les choix qu'elles devront faire tout au long de leur vie. Nous ne sommes plus au XXe siècle. Nous sommes dans un siècle où chacun et chacune doit être de plus en plus acteur et actrice de sa vie. Nous devons faire en sorte que toutes les politiques sociales que nous menons soient des aides utiles à la liberté et à la responsabilité.
La fréquence des violences scolaires dont les filles sont souvent les victimes montrent que cet objectif est encore loin d'être atteint. Certains sociologues ont même émis l'hypothèse que la mixité pourrait aggraver la situation en incitant aux comparaisons en termes de performances scolaires. La mixité créerait une situation d'affrontement. Comme Madame Gisèle Gautier l'a rappelé, je pense que la mixité peut favoriser la tolérance et la compréhension mutuelle à condition qu'elle s'appuie sur une véritable culture de l'égalité. Ce n'est pas encore le cas actuellement dans les programmes ni dans les manuels, ni non plus dans les méthodes pédagogiques qui sont encore trop souvent imprégnées de stéréotypes sexistes hérités d'un autre âge. La place faite aux auteurs féminins dans les programmes de littérature française ou étrangère n'est pas proportionnelle à leur importance. S'agissant des manuels d'histoire, les femmes y représentent moins de dix principaux personnages. Leur rôle est de surcroît presque toujours présenté comme marginal. Enfin, peut-être même à leur insu - j'insiste à cet égard -, les enseignants n'ont généralement pas les mêmes attentes vis-à-vis des garçons que des filles, les premiers étant considérés comme a priori plus doués pour les études scientifiques et techniques.
Cette situation devrait évoluer. Nous allons la modifier en encourageant une prise de conscience des divers milieux, à la fois professionnels et éducatifs. Je souhaite insister particulièrement sur l'enjeu qui s'attache à notre réussite en matière de mixité dans le domaine scolaire. Je reviendrai sur quelques mesures que je souhaite voir appliquées très prochainement à cet égard. Il me semble qu'il y a là un enjeu de société car former de jeunes citoyens responsables constitue le rempart le plus important pour défendre la démocratie.
Dans un tout autre domaine qui est celui de la publicité commerciale - car tout est lié et je n'imagine pas une politique de l'égalité qui ne soit pas une politique touchant à tous les aspects de la société et notamment à son environnement -, j'ai conclu, le 27 novembre 2003, un accord avec les organisations professionnelles afin qu'elles fassent preuve de vigilance pour éviter les images ou les slogans à caractère sexiste. De même, un système d'évaluation et d'autodiscipline pourrait être instauré pour élaborer les manuels scolaires sans porter atteinte à la liberté d'opinion et d'expression des auteurs et des éditeurs. Ces derniers s'engageraient seulement à veiller à ce que le rôle des femmes dans les grands événements du passé soit présenté de façon plus objective et plus complète.
S'agissant de l'école, j'ai souhaité que nous puissions mener une action volontariste pour qu'au cours de leur formation dans les IUFM, les enseignants soient sensibilisés à la question de l'égalité. Je compte également promouvoir l'accès des filles aux filières scientifiques et techniques si essentielles pour notre avenir et dans lesquelles les filles sont si peu nombreuses, notamment par l'instauration d'objectifs chiffrés de progression qui serviraient de référence à l'ensemble des acteurs de l'orientation scolaire.
Réfléchissons également à l'éducation à l'égalité. Je me rends ainsi en Espagne, dans quelques jours, pour étudier avec ce pays les moyens de créer une dynamique européenne sur des valeurs fondamentales comme la promotion de l'égalité à tous les échelons et la lutte contre les violences. Je suis convaincue qu'il faut promouvoir une éducation à l'égalité auprès des nos jeunes et futurs citoyens. Il est tout à fait essentiel de passer d'une politique à une culture de l'égalité qui, seule, permettra de faire entrer notre société dans une démocratie de progrès fondée naturellement sur une dynamique conjointe des hommes et des femmes.
Quant au sport, son importance est évidemment centrale car il s'agit non seulement d'une activité ludique mais aussi d'une discipline qui développe l'affirmation de soi et le sens de la compétitivité. Il est donc essentiel que, là comme ailleurs, les filles puissent être en mesure de développer leur potentiel. Le sport fournit des modèles qui sont largement diffusés par les médias et auxquels beaucoup de jeunes ont tendance à s'identifier. La prépondérance masculine, là comme ailleurs, tend à renforcer les stéréotypes. Pour combattre ces préjugés, il faut valoriser le sport féminin et faire en sorte que l'identification soit égale entre les champions et les championnes. Il faut en outre remédier à la sous-représentation des femmes dans les instances de décisions sportives. À ce titre, je ne peux que saluer l'activité du ministre Jean-François Lamour. Il a en effet su créer une dynamique nouvelle. Il semble par ailleurs important de mieux accompagner les jeunes filles de certains quartiers qui sont, au moment de l'adolescence, évincées ou découragées de la pratique de certains sports.
Vous le constatez, la volonté existe. Cette volonté doit être partagée. Elle ne peut relever de la responsabilité exclusive du gouvernement. Depuis mon arrivée au ministère, je me suis tenue à un principe et à une méthode : faire progresser activement et rapidement notre société vers plus de démocratie, plus de performance mais aussi plus de cohésion sociale avec et à partir du rôle et de la place de la femme dans la société. Il s'agit donc d'une politique globale et cohérente qui ne peut se conduire qu'avec les élus, les associations et les professionnels de tous les secteurs.
Ce débat sur la mixité repose, chacune le voit, sur cette conception moderne de la société française qui est fondée sur la diversité, l'enrichissement par la différence et qui est surtout fondatrice de ce que nous souhaitons de mieux pour la France : faire en sorte que la diversité sociale et culturelle puisse se retrouver dans l'unité de la République. Il s'agit d'un humanisme moderne qui permet d'instaurer au quotidien une sorte de dialectique entre altérité et universalité. La mixité constitue peut-être un chemin malaisé. Il n'en demeure pas moins qu'elle est la seule voie possible pour favoriser la réussite des deux sexes. C'est ma conception de ce ministère. Elle est aussi, je crois, celle de ce colloque pour lequel je vous souhaite une pleine réussite. Ses résultats m'intéresseront à de nombreux titres. Je me réjouis que ce colloque ait lieu aujourd'hui au Sénat. C'est déjà en faire un point essentiel de réflexion et d'action.
(Source http://www.senat.fr, le 8 octobre 2004)