Texte intégral
14/06/2004
Q - La victoire du PS est nette, 29 %. Franchement, les électeurs qui ont voté PS ne l'ont-ils pas fait un peu par défaut ?
R - "C'est quand même extraordinaire ! Tous les sondeurs nous donnaient un score moyen dans ces élections européennes, on disait que nous serions autour de 25, nous sommes à presque 30 %, dans une élection qui est difficile, vous avez noté le contexte dans lequel on était. Donc, je crois que le vote pour le PS, y compris par rapport à ce qui peut être dit, c'est d'abord un vote d'adhésion. Parce que, si les Françaises et les Français avaient voulu sanctionner le Gouvernement, il y avait d'autres votes possibles. Je pense, par exemple au vote d'extrême gauche ou à toutes ces listes qui existaient et qui contestaient. Je crois qu'il y a quelque chose qui s'est passé dans cette élection européenne et qui, pour nous, est très important..."
Q - Il y a quand même une forme de constante en Europe. Les partis au pouvoir, d'ailleurs qu'ils soient de gauche ou de droite, ont pratiquement été partout sanctionnés ?
R - "Non, parce que je me refuse à faire ce genre de raccourci. Ce que je constate, c'est qu'il y a une voie nouvelle qui a été ouverte en Espagne, qui se prolonge au Portugal, qu'on retrouve en France, qui donne de nouvelles couleurs à la sociale démocratie. Et il y a une partie de la sociale démocratie, notamment cette sociale démocratie qui était à la mode autour de M. Blair et M. Schröder, qui est contestée aujourd'hui. Cela veut dire que le cours nouveau que nous avons pris depuis maintenant deux ans, qui a voulu réancrer le PS dans des préoccupations plus sociales, dans une volonté de marquer plus notre volonté de réforme, et donc en Europe de réaxer la construction européenne dans une préoccupation sociale, est aujourd'hui en phase avec beaucoup de nos concitoyennes et de nos concitoyens."
Q - Comment allez vous exploiter cette victoire, dans la mesure où il est pratiquement certain aujourd'hui, que J. P. Raffarin ne partira pas ? De quel pouvoir disposez-vous ?
R - "Vous allez vite en musique en disant qu'il est certain que J. P. Raffarin ne s'en va pas !"
Q - C'est ce que laisse entendre le Gouvernement...
R - "C'est ce que laisse entendre le Gouvernement ? Ce que je sais, ce matin, c'est que le président de la République doit réfléchir. Parce qu'il ne peut pas, y compris au regard de ce qu'on appelle la "crise civique"... Si je suis un Français et que je vais voter aux régionales contre le Gouvernement, et que je vois le président de la République me dire : "Bon, ben, vous avez voté contre le Gouvernement, ce n'est pas grave, je le maintiens encore". Que trois mois après, on organise une nouvelle élection, que je vais dire que ce Gouvernement je n'en veux pas, je ne veux pas de cette politique et qu'on le maintient en place, eh bien la crise civique est entretenue par ce comportement présidentiel !"
Q - Donc, vous dites que J. P. Raffarin doit partir ?
R - "Nous, nous avons dit déjà au mois de mars qu'il n'aurait pas dû rester et qu'il y aurait dû y avoir une réorientation de la politique gouvernementale. Cela n'a pas été le cas. On nous a fait d'abord pendant une semaine des sortes d'autocritiques et puis après, tout a continué comme avant on le voit sur la Sécurité sociale, sur les services publics, on le voit que la question de l'emploi. Donc on ne peut pas en rester là. Ce matin, le président de la République ne peut pas se dire que l'on est à 15 jours des vacances, que les Français vont oublier ce qui s'est passé, et puis que tout va continuer comme avant. Y compris parce que, je vous le rappelle, nous sommes dans la dernière échéance électorale avant 2007. Cela veut dire qu'après, il n'y a plus de possibilité pour nos concitoyens de s'exprimer. Le président de la République prendrait un grand risque à maintenir en place ce Gouvernement et sa politique."
(source http://www.parti-socialiste.fr, le 15 juin 2004)
17/06/2004
S. Paoli-. Le quinquennat de réformes ambitionné par J.-P. Raffarin est-il, comme l'estime le Parti socialiste, un "projet politique à contre-courant de l'opinion des Français", telle qu'elle vient de s'exprimer dans les scrutins régionaux et européens ? "A Matignon, on ne passe pas des moments de bonheur, on vit des moments de responsabilité", disait M. Raffarin hier soir...
- "On peut vivre la responsabilité dans le bonheur, ce n'est pas contradictoire. Je crois que nous sommes dans une situation très particulière et qui est très inquiétante. Le peuple français a été consulté, à deux reprises. La première fois, au moment des élections régionales, et le message était très clair. Il a été consulté à nouveau, au mois de juin, et il s'est exprimé aussi sans appel. Et là, nous avons une situation où ceux qui sont en responsabilité, font comme si ce message ne pouvait pas être entendu. C'est donc un véritable déni de démocratie. C'est une situation qui peut être très critique pour la France, dans les années ou dans les mois à venir. On ne peut pas admettre que le président de la République, qui conduit la destinée de la France, puisse faire comme si le peuple français, lorsqu'il parle, n'est pas écouté, n'est pas entendu. Il ne s'agit pas d'ouvrir la "chasse à l'homme", il ne s'agit pas de demander la tête d'untel ou d'untel. Il s'agit de considérer que la France, puisque l'on est en démocratie, s'est exprimée, que la France est en colère. C'est une colère froide qui s'est exprimée, ce n'est pas une colère éruptive dont on a l'habitude. C'est une colère de gens qui considèrent que depuis deux ans, pour la plupart d'entre eux, ils n'ont pas été pris en considération, ils n'ont pas été écoutés, qu'on leur a demandé beaucoup d'efforts sans justice sociale, sans redistribution. Et là, qu'est-ce que l'on nous dit ? On nous dit que tout continue comme avant ! C'est alimenter la crise démocratique. On parle aujourd'hui de "crise de civisme". Mais si je suis un citoyen, je suis consulté une première fois, je dis mon opinion ; je suis consulté une deuxième fois, je dis une opinion, y compris par rapport à ce qu'a fait le président de la République. Et j'ai en face de moi des responsables qui me disent que tout cela, ce n'est pas le problème. Alors à quoi cela sert d'aller voter ?!"
Je remarque au passage que vous n'évoquez même plus le nom de J.-P. Raffarin - c'est d'ailleurs ce que fait aussi F. Hollande - c'est directement J. Chirac que vous mettez en cause ?
- "Oui. Je le dis aujourd'hui, je suis venu plusieurs fois ici. Vous avez remarqué qu'en tant que porte-parole, j'ai toujours été soucieux du respect des institutions. Je n'ai jamais porté les attaques sur les fonctions ou sur les hommes. Mais là, je ne comprends pas ce qui est en train de se passer. Et je ne peux pas admettre qu'un président de la République puisse passer par-dessus le suffrage universel et par dessus l'expression de nos concitoyens. Il alimente la crise d'incivisme et de démocratie. Un jeune qui va voter, qui est venu voter pour la première fois, qui a dit "je ne suis pas d'accord avec la politique du gouvernement Raffarin", qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui dire, quand il va considérer que tout continue comme avant ? Il va me dire que cela ne sert à rien de voter."
Vous êtes évidemment dans votre rôle, qui est celui d'un opposant... Elections "régionales", élections "européennes", avec chacune des enjeux d'un type très particulier. Et vous en concluez semble-t-il, à travers les attaques et les critiques que vous portez, une lecture politique beaucoup plus large en fait que ce scrutin exprimé. Est-ce que l'on peut faire cela ? Quand on pose par exemple la question à un constitutionnaliste, il est très nuancé dans sa réponse...
- "On doit être nuancé. C'est d'ailleurs pour cela qu'après les régionales, nous avons été prudents sur J.-P. Raffarin, sur le Gouvernement... Nous n'avons pas tout de suite dit que le Gouvernement devait démissionner. Mais là, il a eu deux élections. Le président de la République a dit, après la première élection, qu'il avait pris en considération ce que nous avions dit, il a fait un numéro compassionnel, et hop, il a continué tout comme avant ! On a continué sur la Sécurité sociale, on a continué sur la privatisation des services publics, on a continué sur l'absence de politique d'emploi volontaire... On est donc dans une situation qui est très dangereuse du point de vue de la démocratie. Si c'est ce que nous voulons dire en ce moment. Nous ne faisons pas cela par plaisir. Nous disons simplement que si demain il y a un accident démocratique, si demain il y a un conflit éruptif, violent, dans ce pays, qui en portera la responsabilité ? Ceux qui n'ont pas écouté le pays, ceux qui n'ont pas amené les corrections. C'est ça que nous disons. Je ne suis pas là en train de faire mon travail d'opposant pour le plaisir. Je suis simplement là en train de dire que quand on est un responsable politique, on a aussi une responsabilité civique. Et on ne peut pas, aujourd'hui, dans le moment dans lequel nous sommes, faire comme si de rien n'était quand le pays est consulté. Alors, effectivement, il faut être prudent sur ces scrutins, il ne faut pas leur donner plus de lecture. Mais malgré tout, imaginons une situation inverse : si l'UMP avait gagné les élections régionales ou même les élections européennes, croyez-vous qu'elle nous aurait dit que ce ne sont que des élections régionales ou des élections européennes et qu'elle n'en tire pas de leçon nationale ? Croyez-vous que les ministres ne se seraient pas précipités devant les télévisions pour dire que leur politique était confirmée ? Et puis, quand la gauche était au pouvoir, elle a gagné des élections intermédiaires. Elle a perdu l'élection présidentielle. Mais en tous les cas, les deux premières élections intermédiaires, les élections régionales de 1998 comme celles des élections européennes de 1999 : il n'y a donc pas de fatalité à être au gouvernement et être battu."
Puisque c'est lui que vous interpellez, qu'attendez-vous de J. Chirac aujourd'hui ? Dans une telle situation, que fait-on ? Fait-on des élections législatives anticipées ?
- "J'attends déjà qu'il n'aille pas se réconforter dans les bras de G. Schröder à Aix-la-Chapelle, dès le lundi, dans une sorte de symbolique qui est forte..."
Doit-il dissoudre l'Assemblée ?
- "On ne dissout pas l'Assemblée, on reconstitue un gouvernement et on prend en considération des attentes fortes qui sont exprimées. Je prends un exemple : on peut très bien dire, sur EDF-GDF, que visiblement, cela ne passe pas et que donc on fait la pose, on rediscute. C'est d'ailleurs discrètement ce qu'est en train de faire N. Sarkozy, parce qu'il se rend compte de la difficulté dans laquelle on l'a mis. On peut très bien dire, sur l'assurance maladie, qu'il y a visiblement une contestation, parce que notre plan n'est pas au point, qu'il est essentiellement financier et ne réforme pas de manière structurelle notre système de protection sociale, et que donc, on va reprendre le temps de discuter et on va rouvrir les conditions d'un dialogue... Voilà, je crois que c'est comme cela qu'il faut faire. A ce moment-là, les citoyens se diront : "D'accord, on ne vous demande pas, à vous la droite, de ne plus être de droite, mais au moins, vous acceptez de discuter et de dialoguer". C'est quand même un paradoxe de voir, hier soir, le Premier ministre venir donner une leçon de démocratie aux salariés d'EDF-GDF, en leur disant qu'ils n'ont pas le droit de faire des coupures ciblées, et lui-même venir dire à la télévision : "J'ai la confiance de l'UMP, du président de la République, je continue". Mais il n'a plus la confiance du pays ! C'est quand même un problème, non ?!"
Comment le Parti socialiste envisage-t-il la suite ? Après tout, il faut maintenant des contre-propositions politiques sur tous les grands sujets. Vous êtes encore une fois dans un rôle de lecture critique, ce que l'on comprend facilement. Maintenant, votre projet, quel est-il ? Les grands enjeux européens sont passés, on va peut-être voter la Constitution dans les heures qui viennent à Bruxelles... Comment envisagez-vous l'avenir maintenant ?
- "Je voudrais faire une première remarque, par rapport à ce qu'a dit D. Bromberger : pour l'instant, il n'y a pas encore d'accord entre le Parti socialiste européen et le Parti de la droite européenne. Il y a effectivement une tendance, chez un certain nombre de nos camarades européens, à aller vers cet accord-là. Mais nous, les socialistes français, nous ne sommes pas d'accord avec cela. Nous pensons que c'est une mauvaise chose qu'il y ait cette sorte de consensus, où on se partage les postes. Il faut que le clivage qui existe entre la gauche et la droite vive aussi au sein du Parlement européen. Et donc, ce matin, il y a une réunion des dirigeants des différents partis socialistes. Et le dirigeant du PS français, F. Hollande, plaidera pour qu'il n'y ait pas l'accord. La gauche est minoritaire dans le Parlement européen. Elle doit assumer son statut de minorité, elle ne doit pas avoir qu'une idée en tête, "tout continue là aussi comme avant et on se partage les postes quoi qu'aient dit les électrices et les électeurs". Nous avons perdu en Europe parce que nos camarades anglais et allemands ont été battus. Et nous devons, là aussi, en tirer les conséquences."
Sur les alliances, j'ai encore en mémoire les propos de F. Hollande, lundi dernier, sur, sinon des accords avec la droite, pourquoi pas des accords avec le centre, ce parti que F. Bayrou veut faire exister au sein du Parlement européen...
- "Oui à des accords, mais des accords sur la base de texte, pas des accords pour se partager les présidences. Nous disons aujourd'hui que la gauche est minoritaire, elle doit accepter son statut minoritaire au Parlement européen. Après, texte par texte, nous devons chercher à construire des majorités d'idées. Et donc nous pouvons, à partir de là, faire vivre le débat politique. Et s'il y a des convergences avec d'autres forces à l'échelle de l'Europe, pour par exemple défendre les services publics ou pour aller plus loin dans la mise en place d'un modèle social européen, eh bien, nous voterons ensemble."
Il semble que cela crée un débat au sein du PS. Je lisais par exemple les propos d'A. Lepetit, sur cette discussion qu'il y a eu en direct sur l'antenne de France Inter ce matin-là, entre D. Cohn-Bendit et F. Bayrou. D. Cohn-Bendit disant à F. Bayrou qu'après tout, ils pourraient peut-être faire des choses ensemble. Cela ne passe pas bien chez vous ?
- "Ce n'est pas que cela ne passe pas bien. C'est qu'il faut le faire dans la clarté, c'est-à-dire qu'il faut le faire sur la base de choses qui ne sont pas dans la confusion de responsabilités. Imaginons qu'il y ait une directive très claire sur les services publics qui est proposée et que le Parlement européen fixe les conditions de ce que doivent être les conditions de la concurrence, mais aussi les conditions de l'intérêt général. Si on arrive à faire une majorité d'idées avec D. Cohn-Bendit, F. Bayrou et les socialistes, pourquoi pas ? Nous n'avons pas vocation à être sectaires et enfermés dans notre tour d'ivoire. Mais nous avons à discuter en permanence avec nos concitoyens. Nous défendons une certaine conception de l'organisation de la société, de l'intérêt général. Si on peut arriver à se retrouver là-dessus, tant mieux."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 juin 2004)
Q - La victoire du PS est nette, 29 %. Franchement, les électeurs qui ont voté PS ne l'ont-ils pas fait un peu par défaut ?
R - "C'est quand même extraordinaire ! Tous les sondeurs nous donnaient un score moyen dans ces élections européennes, on disait que nous serions autour de 25, nous sommes à presque 30 %, dans une élection qui est difficile, vous avez noté le contexte dans lequel on était. Donc, je crois que le vote pour le PS, y compris par rapport à ce qui peut être dit, c'est d'abord un vote d'adhésion. Parce que, si les Françaises et les Français avaient voulu sanctionner le Gouvernement, il y avait d'autres votes possibles. Je pense, par exemple au vote d'extrême gauche ou à toutes ces listes qui existaient et qui contestaient. Je crois qu'il y a quelque chose qui s'est passé dans cette élection européenne et qui, pour nous, est très important..."
Q - Il y a quand même une forme de constante en Europe. Les partis au pouvoir, d'ailleurs qu'ils soient de gauche ou de droite, ont pratiquement été partout sanctionnés ?
R - "Non, parce que je me refuse à faire ce genre de raccourci. Ce que je constate, c'est qu'il y a une voie nouvelle qui a été ouverte en Espagne, qui se prolonge au Portugal, qu'on retrouve en France, qui donne de nouvelles couleurs à la sociale démocratie. Et il y a une partie de la sociale démocratie, notamment cette sociale démocratie qui était à la mode autour de M. Blair et M. Schröder, qui est contestée aujourd'hui. Cela veut dire que le cours nouveau que nous avons pris depuis maintenant deux ans, qui a voulu réancrer le PS dans des préoccupations plus sociales, dans une volonté de marquer plus notre volonté de réforme, et donc en Europe de réaxer la construction européenne dans une préoccupation sociale, est aujourd'hui en phase avec beaucoup de nos concitoyennes et de nos concitoyens."
Q - Comment allez vous exploiter cette victoire, dans la mesure où il est pratiquement certain aujourd'hui, que J. P. Raffarin ne partira pas ? De quel pouvoir disposez-vous ?
R - "Vous allez vite en musique en disant qu'il est certain que J. P. Raffarin ne s'en va pas !"
Q - C'est ce que laisse entendre le Gouvernement...
R - "C'est ce que laisse entendre le Gouvernement ? Ce que je sais, ce matin, c'est que le président de la République doit réfléchir. Parce qu'il ne peut pas, y compris au regard de ce qu'on appelle la "crise civique"... Si je suis un Français et que je vais voter aux régionales contre le Gouvernement, et que je vois le président de la République me dire : "Bon, ben, vous avez voté contre le Gouvernement, ce n'est pas grave, je le maintiens encore". Que trois mois après, on organise une nouvelle élection, que je vais dire que ce Gouvernement je n'en veux pas, je ne veux pas de cette politique et qu'on le maintient en place, eh bien la crise civique est entretenue par ce comportement présidentiel !"
Q - Donc, vous dites que J. P. Raffarin doit partir ?
R - "Nous, nous avons dit déjà au mois de mars qu'il n'aurait pas dû rester et qu'il y aurait dû y avoir une réorientation de la politique gouvernementale. Cela n'a pas été le cas. On nous a fait d'abord pendant une semaine des sortes d'autocritiques et puis après, tout a continué comme avant on le voit sur la Sécurité sociale, sur les services publics, on le voit que la question de l'emploi. Donc on ne peut pas en rester là. Ce matin, le président de la République ne peut pas se dire que l'on est à 15 jours des vacances, que les Français vont oublier ce qui s'est passé, et puis que tout va continuer comme avant. Y compris parce que, je vous le rappelle, nous sommes dans la dernière échéance électorale avant 2007. Cela veut dire qu'après, il n'y a plus de possibilité pour nos concitoyens de s'exprimer. Le président de la République prendrait un grand risque à maintenir en place ce Gouvernement et sa politique."
(source http://www.parti-socialiste.fr, le 15 juin 2004)
17/06/2004
S. Paoli-. Le quinquennat de réformes ambitionné par J.-P. Raffarin est-il, comme l'estime le Parti socialiste, un "projet politique à contre-courant de l'opinion des Français", telle qu'elle vient de s'exprimer dans les scrutins régionaux et européens ? "A Matignon, on ne passe pas des moments de bonheur, on vit des moments de responsabilité", disait M. Raffarin hier soir...
- "On peut vivre la responsabilité dans le bonheur, ce n'est pas contradictoire. Je crois que nous sommes dans une situation très particulière et qui est très inquiétante. Le peuple français a été consulté, à deux reprises. La première fois, au moment des élections régionales, et le message était très clair. Il a été consulté à nouveau, au mois de juin, et il s'est exprimé aussi sans appel. Et là, nous avons une situation où ceux qui sont en responsabilité, font comme si ce message ne pouvait pas être entendu. C'est donc un véritable déni de démocratie. C'est une situation qui peut être très critique pour la France, dans les années ou dans les mois à venir. On ne peut pas admettre que le président de la République, qui conduit la destinée de la France, puisse faire comme si le peuple français, lorsqu'il parle, n'est pas écouté, n'est pas entendu. Il ne s'agit pas d'ouvrir la "chasse à l'homme", il ne s'agit pas de demander la tête d'untel ou d'untel. Il s'agit de considérer que la France, puisque l'on est en démocratie, s'est exprimée, que la France est en colère. C'est une colère froide qui s'est exprimée, ce n'est pas une colère éruptive dont on a l'habitude. C'est une colère de gens qui considèrent que depuis deux ans, pour la plupart d'entre eux, ils n'ont pas été pris en considération, ils n'ont pas été écoutés, qu'on leur a demandé beaucoup d'efforts sans justice sociale, sans redistribution. Et là, qu'est-ce que l'on nous dit ? On nous dit que tout continue comme avant ! C'est alimenter la crise démocratique. On parle aujourd'hui de "crise de civisme". Mais si je suis un citoyen, je suis consulté une première fois, je dis mon opinion ; je suis consulté une deuxième fois, je dis une opinion, y compris par rapport à ce qu'a fait le président de la République. Et j'ai en face de moi des responsables qui me disent que tout cela, ce n'est pas le problème. Alors à quoi cela sert d'aller voter ?!"
Je remarque au passage que vous n'évoquez même plus le nom de J.-P. Raffarin - c'est d'ailleurs ce que fait aussi F. Hollande - c'est directement J. Chirac que vous mettez en cause ?
- "Oui. Je le dis aujourd'hui, je suis venu plusieurs fois ici. Vous avez remarqué qu'en tant que porte-parole, j'ai toujours été soucieux du respect des institutions. Je n'ai jamais porté les attaques sur les fonctions ou sur les hommes. Mais là, je ne comprends pas ce qui est en train de se passer. Et je ne peux pas admettre qu'un président de la République puisse passer par-dessus le suffrage universel et par dessus l'expression de nos concitoyens. Il alimente la crise d'incivisme et de démocratie. Un jeune qui va voter, qui est venu voter pour la première fois, qui a dit "je ne suis pas d'accord avec la politique du gouvernement Raffarin", qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui dire, quand il va considérer que tout continue comme avant ? Il va me dire que cela ne sert à rien de voter."
Vous êtes évidemment dans votre rôle, qui est celui d'un opposant... Elections "régionales", élections "européennes", avec chacune des enjeux d'un type très particulier. Et vous en concluez semble-t-il, à travers les attaques et les critiques que vous portez, une lecture politique beaucoup plus large en fait que ce scrutin exprimé. Est-ce que l'on peut faire cela ? Quand on pose par exemple la question à un constitutionnaliste, il est très nuancé dans sa réponse...
- "On doit être nuancé. C'est d'ailleurs pour cela qu'après les régionales, nous avons été prudents sur J.-P. Raffarin, sur le Gouvernement... Nous n'avons pas tout de suite dit que le Gouvernement devait démissionner. Mais là, il a eu deux élections. Le président de la République a dit, après la première élection, qu'il avait pris en considération ce que nous avions dit, il a fait un numéro compassionnel, et hop, il a continué tout comme avant ! On a continué sur la Sécurité sociale, on a continué sur la privatisation des services publics, on a continué sur l'absence de politique d'emploi volontaire... On est donc dans une situation qui est très dangereuse du point de vue de la démocratie. Si c'est ce que nous voulons dire en ce moment. Nous ne faisons pas cela par plaisir. Nous disons simplement que si demain il y a un accident démocratique, si demain il y a un conflit éruptif, violent, dans ce pays, qui en portera la responsabilité ? Ceux qui n'ont pas écouté le pays, ceux qui n'ont pas amené les corrections. C'est ça que nous disons. Je ne suis pas là en train de faire mon travail d'opposant pour le plaisir. Je suis simplement là en train de dire que quand on est un responsable politique, on a aussi une responsabilité civique. Et on ne peut pas, aujourd'hui, dans le moment dans lequel nous sommes, faire comme si de rien n'était quand le pays est consulté. Alors, effectivement, il faut être prudent sur ces scrutins, il ne faut pas leur donner plus de lecture. Mais malgré tout, imaginons une situation inverse : si l'UMP avait gagné les élections régionales ou même les élections européennes, croyez-vous qu'elle nous aurait dit que ce ne sont que des élections régionales ou des élections européennes et qu'elle n'en tire pas de leçon nationale ? Croyez-vous que les ministres ne se seraient pas précipités devant les télévisions pour dire que leur politique était confirmée ? Et puis, quand la gauche était au pouvoir, elle a gagné des élections intermédiaires. Elle a perdu l'élection présidentielle. Mais en tous les cas, les deux premières élections intermédiaires, les élections régionales de 1998 comme celles des élections européennes de 1999 : il n'y a donc pas de fatalité à être au gouvernement et être battu."
Puisque c'est lui que vous interpellez, qu'attendez-vous de J. Chirac aujourd'hui ? Dans une telle situation, que fait-on ? Fait-on des élections législatives anticipées ?
- "J'attends déjà qu'il n'aille pas se réconforter dans les bras de G. Schröder à Aix-la-Chapelle, dès le lundi, dans une sorte de symbolique qui est forte..."
Doit-il dissoudre l'Assemblée ?
- "On ne dissout pas l'Assemblée, on reconstitue un gouvernement et on prend en considération des attentes fortes qui sont exprimées. Je prends un exemple : on peut très bien dire, sur EDF-GDF, que visiblement, cela ne passe pas et que donc on fait la pose, on rediscute. C'est d'ailleurs discrètement ce qu'est en train de faire N. Sarkozy, parce qu'il se rend compte de la difficulté dans laquelle on l'a mis. On peut très bien dire, sur l'assurance maladie, qu'il y a visiblement une contestation, parce que notre plan n'est pas au point, qu'il est essentiellement financier et ne réforme pas de manière structurelle notre système de protection sociale, et que donc, on va reprendre le temps de discuter et on va rouvrir les conditions d'un dialogue... Voilà, je crois que c'est comme cela qu'il faut faire. A ce moment-là, les citoyens se diront : "D'accord, on ne vous demande pas, à vous la droite, de ne plus être de droite, mais au moins, vous acceptez de discuter et de dialoguer". C'est quand même un paradoxe de voir, hier soir, le Premier ministre venir donner une leçon de démocratie aux salariés d'EDF-GDF, en leur disant qu'ils n'ont pas le droit de faire des coupures ciblées, et lui-même venir dire à la télévision : "J'ai la confiance de l'UMP, du président de la République, je continue". Mais il n'a plus la confiance du pays ! C'est quand même un problème, non ?!"
Comment le Parti socialiste envisage-t-il la suite ? Après tout, il faut maintenant des contre-propositions politiques sur tous les grands sujets. Vous êtes encore une fois dans un rôle de lecture critique, ce que l'on comprend facilement. Maintenant, votre projet, quel est-il ? Les grands enjeux européens sont passés, on va peut-être voter la Constitution dans les heures qui viennent à Bruxelles... Comment envisagez-vous l'avenir maintenant ?
- "Je voudrais faire une première remarque, par rapport à ce qu'a dit D. Bromberger : pour l'instant, il n'y a pas encore d'accord entre le Parti socialiste européen et le Parti de la droite européenne. Il y a effectivement une tendance, chez un certain nombre de nos camarades européens, à aller vers cet accord-là. Mais nous, les socialistes français, nous ne sommes pas d'accord avec cela. Nous pensons que c'est une mauvaise chose qu'il y ait cette sorte de consensus, où on se partage les postes. Il faut que le clivage qui existe entre la gauche et la droite vive aussi au sein du Parlement européen. Et donc, ce matin, il y a une réunion des dirigeants des différents partis socialistes. Et le dirigeant du PS français, F. Hollande, plaidera pour qu'il n'y ait pas l'accord. La gauche est minoritaire dans le Parlement européen. Elle doit assumer son statut de minorité, elle ne doit pas avoir qu'une idée en tête, "tout continue là aussi comme avant et on se partage les postes quoi qu'aient dit les électrices et les électeurs". Nous avons perdu en Europe parce que nos camarades anglais et allemands ont été battus. Et nous devons, là aussi, en tirer les conséquences."
Sur les alliances, j'ai encore en mémoire les propos de F. Hollande, lundi dernier, sur, sinon des accords avec la droite, pourquoi pas des accords avec le centre, ce parti que F. Bayrou veut faire exister au sein du Parlement européen...
- "Oui à des accords, mais des accords sur la base de texte, pas des accords pour se partager les présidences. Nous disons aujourd'hui que la gauche est minoritaire, elle doit accepter son statut minoritaire au Parlement européen. Après, texte par texte, nous devons chercher à construire des majorités d'idées. Et donc nous pouvons, à partir de là, faire vivre le débat politique. Et s'il y a des convergences avec d'autres forces à l'échelle de l'Europe, pour par exemple défendre les services publics ou pour aller plus loin dans la mise en place d'un modèle social européen, eh bien, nous voterons ensemble."
Il semble que cela crée un débat au sein du PS. Je lisais par exemple les propos d'A. Lepetit, sur cette discussion qu'il y a eu en direct sur l'antenne de France Inter ce matin-là, entre D. Cohn-Bendit et F. Bayrou. D. Cohn-Bendit disant à F. Bayrou qu'après tout, ils pourraient peut-être faire des choses ensemble. Cela ne passe pas bien chez vous ?
- "Ce n'est pas que cela ne passe pas bien. C'est qu'il faut le faire dans la clarté, c'est-à-dire qu'il faut le faire sur la base de choses qui ne sont pas dans la confusion de responsabilités. Imaginons qu'il y ait une directive très claire sur les services publics qui est proposée et que le Parlement européen fixe les conditions de ce que doivent être les conditions de la concurrence, mais aussi les conditions de l'intérêt général. Si on arrive à faire une majorité d'idées avec D. Cohn-Bendit, F. Bayrou et les socialistes, pourquoi pas ? Nous n'avons pas vocation à être sectaires et enfermés dans notre tour d'ivoire. Mais nous avons à discuter en permanence avec nos concitoyens. Nous défendons une certaine conception de l'organisation de la société, de l'intérêt général. Si on peut arriver à se retrouver là-dessus, tant mieux."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 juin 2004)