Texte intégral
Michel Allione : Comment réagissez-vous aujourd'hui à l'annonce du plan Borloo qui réintègre les "recalculés" ?
Jean-Luc Cazettes : Je pense qu'on "s'est fait rouler dans la farine". Nous avions compris que ce décret avait pour but d'imposer une cotisation-employeur de 0,2 % pour rétablir l'équilibre après la réintégration des "recalculés". En fait, il ne pratique qu'un recul de créance.
Michel Allione : Parlez-vous, comme la CGT, d'un bluff ?
Jean-Luc Cazettes : La réalité, c'est qu'on n'aurait pas payé cette créance de toute façon. Donc, ça ne ramène pas un centime. Au résultat, il va falloir emprunter auprès des banques. Vous l'avez compris, ce sont les consommateurs et les contribuables qui vont payer. J'avais tendance à considérer que Raffarin II et le Medef étaient identiques, c'est toujours vrai pour le gouvernement Raffarin III. Mais je voudrais ajouter que le Medef se met lui-même dans une situation inconfortable. Je ne vois pas comment demain il sera crédible quand il viendra nous vanter les mérites de la négociation contractuelle. En fait ce qui importe au Medef, c'est de réduire les droits des salariés. Si c'est par la négociation contractuelle, va pour la négociation contractuelle. Mais si c'est par l'intervention de l'Etat, ça ne le gêne pas plus que ça.
Michel Allione : Qu'est-ce qui vous avait conduit à signer ce texte en 2002 ?
Jean-Luc Cazettes : Nous l'avions signé parce que l'Unedic était dans une situation délicate et que nous pensions que le texte permettait de revenir à l'équilibre en 2005. L'idée, c'était de rétablir l'équilibre. Au passage, je n'en suis plus tout à fait aussi certain aujourd'hui qu'à l'époque. Notre idée que le Pare était un contrat collectif. A partir du moment où les tribunaux disent que c'est un contrat individuel, il fallait effectivement revenir dessus. Je constate donc qu'on se met en conformité avec la décision des tribunaux. En revanche je ne suis pas sûr qu'en considérant que le contrat est individuel et non pas collectif le salarié fasse une bonne affaire. Si le contrat est individuel, il ne pourra plus s'y soustraire.
Michel Allione : Ca peut quand même sembler bizarre quand on est une organisation syndicale de penser sauver le système en excluant les bénéficiaires ?
Jean-Luc Cazettes : Je reconnais que nous nous sommes certainement plantés sur les questions des droits acquis. Il fallait que ça ne vienne pas perturber les gens qui avaient signé le Pare sur trente mois. Il fallait faire les choses plus progressivement. Là, ça a entraîné des décisions rétroactives difficilement admissibles.
Michel Allione : Pensez-vous que le gouvernement ait agi dans l'urgence pour tenter de redorer son blason ?
Jean-Luc Cazettes : Je ne suis pas persuadé qu'il redore quoi que ce soit en prenant des solutions qui ne règlent rien. Il n'y avait qu'un moyen d'en sortir : la voie de la renégociation avec le Medef. Et en cas de refus de sa part, imposer une augmentation de la cotisation, par décret, comme l'avait promis Borloo. Franchement, je ne crois pas que l'opinion publique ait beaucoup apprécié. Parce que ça démontre surtout que le gouvernement est toujours aussi prisonnier du Medef.
Michel Allione : Comment réagissez-vous à la façon dont le gouvernement aborde la question des intermittents ?
Jean-Luc Cazetttes : Ce qui me fait rigoler, c'est les 20 millions d'euros. Franchement, ça me paraît être un peu du "pipeau". Sur cette question, nous étions d'accord de prendre en compte la solidarité avec les vrais intermittents, mais pas les trucages montés par les grandes sociétés nationales. Pour cette raison, nous avions proposé que la moitié du déficit soit prise en charge par l'Etat et les collectivités locales. Mais là, les 20 millions d'euros proposés par le gouvernement sont sans commune mesure avec le déficit annoncé, qui s'élève à 800 millions.
Michel Allione : On vous sent quelque peu désabusé dans vos propos. J'allais même dire trahi. Je me trompe ?
Jean-Luc Cazettes : On m'a raconté des bobards! Borloo m'avait affirmé qu'il avait l'accord de Matignon et de l'Elysée pour passer en force un décret faisant augmenter la cotisation des entreprises. Visiblement, le lobbying a fonctionné à plein. Alors, oui, pour répondre à votre question, je suis désabusé. Quand j'ai rencontré les ministres du gouvernement Raffarin III, ils m'avaient donné quelques assurances qui partent toutes au fil de l'eau. C'est clair, les arbitrages se font sous la pression du lobby des entreprises. Si vous additionnez à cela les annonces sur la canicule, l'avancée au pas de charge sur l'assurance-maladie, mais sans véritable élément, tout cela n'est pas clair. On ne sait pas du tout où l'on va. Je ne sais toujours pas ce que veut le gouvernement et surtout, je ne vois pas comment on va réussir à mener des négociations d'ici au 20 mai.
Michel Allione : Ce dossier Unedic est l'un de ceux qui aient déclenché une crise à la CFDT. Pas chez vous ?
Jean-Luc Cazettes : Il est vrai que la CFDT a connu des difficultés internes sur ce dossier, pas nous. On enregistre même une petite progression de 0,8 %. Mais sans doute que les difficultés de la CFDT viennent du fait qu'il y a eu de gros changements à sa direction. Nicole Notat tenait son appareil d'une main de fer et son départ a sans doute déstabilisé le syndicat. Nous, nous n'avons pas eu les mêmes réactions, aussi parce qu'au moment de la refondation sociale, nous avions développé des positions plus combatives, alors que, le syndicat de monsieur Chérèque a été jugé comme un peu trop proche du Medef. Et même si on est arrivé à des compromis qui nous ont amené à signer la convention Unedic, nous étions partis sur des positions assez éloignées de celles de la CFDT.
Michel Allione : Lors du dernier entretien que vous nous avez accordé, vous évoquiez des réunions intersyndicales pour travailler à une plate-forme revendicative commune. Il semblerait que depuis l'unité syndicale n'ait pas beaucoup avancé ?
Jean-Luc Cazettes : C'est vrai que la structure pour réfléchir à un front commun syndical a fait long feu. Tout cela n'a abouti qu'à des entretiens bilatéraux. Est-ce qu'on va pouvoir la relancer maintenant ? Quand une expérience échoue, il est toujours difficile de la remonter. Cela dit, on a touché le fond et l'unité syndicale ne demande qu'à remonter à la surface. C'est de plus en plus une exigence dans les entreprises. Mais je pense par exemple que le départ de Blondel de FO peut faciliter les choses.
Michel Allione : Que faut-il comprendre ?
Jean-Luc Cazettes : Marc Blondel, c'est connu, c'était fait un nombre copieux d'ennemis. Vous savez tant qu'il y aura la "guéguerre" entre ceux qui rêvent d'être calife, ça complique toujours un peu les choses.
Michel Allione : Est-ce que vos divergences sur le dossier de l'Unedic n'ont pas elle aussi compliqué les choses. Et peut-on être opposés sur un tel dossier et unis dans la défense de l'assurance maladie ?
Jean-Luc Cazettes : Je le crois ! L'Unedic, c'est un problème paritaire et il doit se régler entre les partenaires sociaux. L'assurance maladie, en revanche, c'est un problème d'Etat et il me paraît possible d'être ensemble pour lutter sur ce dossier.
Michel Allione : Bruno Paller, chercheur CNRS au Cevipof affirmait, il y a deux semaines dans ces colonnes, qu'à force de chercher la confrontation avec le gouvernement sur cette question, ils finiront peut-être par ne pas la trouver "et qu'il pourrait ne pas y avoir de mouvement fort sur l'assurance maladie". Qu'en pensez-vous ?
Jean-Luc Cazettes : Tout d'abord, les syndicats ne cherchent pas la confrontation, et aucun mouvement n'a été lancé pas un syndicat. Dans ce dossier de la sécu, je le disais, on a du mal à faire comprendre les enjeux, la gravité de la situation. Parce que s'il suffisait de mettre une photo d'identité sur la carte vitale pour régler le déficit de la sécu, ça se saurait. Mais pour autant, je pense, je crains que la rentrée soit chaude; C'est à ce moment-là que va arriver l'essentiel dans la discussion du projet de loi à l'Assemblée. Et c'est à ce moment-là que ça risque d'exploser.
(source http://www.cfecgc.org, le 25 mai 2004)
Jean-Luc Cazettes : Je pense qu'on "s'est fait rouler dans la farine". Nous avions compris que ce décret avait pour but d'imposer une cotisation-employeur de 0,2 % pour rétablir l'équilibre après la réintégration des "recalculés". En fait, il ne pratique qu'un recul de créance.
Michel Allione : Parlez-vous, comme la CGT, d'un bluff ?
Jean-Luc Cazettes : La réalité, c'est qu'on n'aurait pas payé cette créance de toute façon. Donc, ça ne ramène pas un centime. Au résultat, il va falloir emprunter auprès des banques. Vous l'avez compris, ce sont les consommateurs et les contribuables qui vont payer. J'avais tendance à considérer que Raffarin II et le Medef étaient identiques, c'est toujours vrai pour le gouvernement Raffarin III. Mais je voudrais ajouter que le Medef se met lui-même dans une situation inconfortable. Je ne vois pas comment demain il sera crédible quand il viendra nous vanter les mérites de la négociation contractuelle. En fait ce qui importe au Medef, c'est de réduire les droits des salariés. Si c'est par la négociation contractuelle, va pour la négociation contractuelle. Mais si c'est par l'intervention de l'Etat, ça ne le gêne pas plus que ça.
Michel Allione : Qu'est-ce qui vous avait conduit à signer ce texte en 2002 ?
Jean-Luc Cazettes : Nous l'avions signé parce que l'Unedic était dans une situation délicate et que nous pensions que le texte permettait de revenir à l'équilibre en 2005. L'idée, c'était de rétablir l'équilibre. Au passage, je n'en suis plus tout à fait aussi certain aujourd'hui qu'à l'époque. Notre idée que le Pare était un contrat collectif. A partir du moment où les tribunaux disent que c'est un contrat individuel, il fallait effectivement revenir dessus. Je constate donc qu'on se met en conformité avec la décision des tribunaux. En revanche je ne suis pas sûr qu'en considérant que le contrat est individuel et non pas collectif le salarié fasse une bonne affaire. Si le contrat est individuel, il ne pourra plus s'y soustraire.
Michel Allione : Ca peut quand même sembler bizarre quand on est une organisation syndicale de penser sauver le système en excluant les bénéficiaires ?
Jean-Luc Cazettes : Je reconnais que nous nous sommes certainement plantés sur les questions des droits acquis. Il fallait que ça ne vienne pas perturber les gens qui avaient signé le Pare sur trente mois. Il fallait faire les choses plus progressivement. Là, ça a entraîné des décisions rétroactives difficilement admissibles.
Michel Allione : Pensez-vous que le gouvernement ait agi dans l'urgence pour tenter de redorer son blason ?
Jean-Luc Cazettes : Je ne suis pas persuadé qu'il redore quoi que ce soit en prenant des solutions qui ne règlent rien. Il n'y avait qu'un moyen d'en sortir : la voie de la renégociation avec le Medef. Et en cas de refus de sa part, imposer une augmentation de la cotisation, par décret, comme l'avait promis Borloo. Franchement, je ne crois pas que l'opinion publique ait beaucoup apprécié. Parce que ça démontre surtout que le gouvernement est toujours aussi prisonnier du Medef.
Michel Allione : Comment réagissez-vous à la façon dont le gouvernement aborde la question des intermittents ?
Jean-Luc Cazetttes : Ce qui me fait rigoler, c'est les 20 millions d'euros. Franchement, ça me paraît être un peu du "pipeau". Sur cette question, nous étions d'accord de prendre en compte la solidarité avec les vrais intermittents, mais pas les trucages montés par les grandes sociétés nationales. Pour cette raison, nous avions proposé que la moitié du déficit soit prise en charge par l'Etat et les collectivités locales. Mais là, les 20 millions d'euros proposés par le gouvernement sont sans commune mesure avec le déficit annoncé, qui s'élève à 800 millions.
Michel Allione : On vous sent quelque peu désabusé dans vos propos. J'allais même dire trahi. Je me trompe ?
Jean-Luc Cazettes : On m'a raconté des bobards! Borloo m'avait affirmé qu'il avait l'accord de Matignon et de l'Elysée pour passer en force un décret faisant augmenter la cotisation des entreprises. Visiblement, le lobbying a fonctionné à plein. Alors, oui, pour répondre à votre question, je suis désabusé. Quand j'ai rencontré les ministres du gouvernement Raffarin III, ils m'avaient donné quelques assurances qui partent toutes au fil de l'eau. C'est clair, les arbitrages se font sous la pression du lobby des entreprises. Si vous additionnez à cela les annonces sur la canicule, l'avancée au pas de charge sur l'assurance-maladie, mais sans véritable élément, tout cela n'est pas clair. On ne sait pas du tout où l'on va. Je ne sais toujours pas ce que veut le gouvernement et surtout, je ne vois pas comment on va réussir à mener des négociations d'ici au 20 mai.
Michel Allione : Ce dossier Unedic est l'un de ceux qui aient déclenché une crise à la CFDT. Pas chez vous ?
Jean-Luc Cazettes : Il est vrai que la CFDT a connu des difficultés internes sur ce dossier, pas nous. On enregistre même une petite progression de 0,8 %. Mais sans doute que les difficultés de la CFDT viennent du fait qu'il y a eu de gros changements à sa direction. Nicole Notat tenait son appareil d'une main de fer et son départ a sans doute déstabilisé le syndicat. Nous, nous n'avons pas eu les mêmes réactions, aussi parce qu'au moment de la refondation sociale, nous avions développé des positions plus combatives, alors que, le syndicat de monsieur Chérèque a été jugé comme un peu trop proche du Medef. Et même si on est arrivé à des compromis qui nous ont amené à signer la convention Unedic, nous étions partis sur des positions assez éloignées de celles de la CFDT.
Michel Allione : Lors du dernier entretien que vous nous avez accordé, vous évoquiez des réunions intersyndicales pour travailler à une plate-forme revendicative commune. Il semblerait que depuis l'unité syndicale n'ait pas beaucoup avancé ?
Jean-Luc Cazettes : C'est vrai que la structure pour réfléchir à un front commun syndical a fait long feu. Tout cela n'a abouti qu'à des entretiens bilatéraux. Est-ce qu'on va pouvoir la relancer maintenant ? Quand une expérience échoue, il est toujours difficile de la remonter. Cela dit, on a touché le fond et l'unité syndicale ne demande qu'à remonter à la surface. C'est de plus en plus une exigence dans les entreprises. Mais je pense par exemple que le départ de Blondel de FO peut faciliter les choses.
Michel Allione : Que faut-il comprendre ?
Jean-Luc Cazettes : Marc Blondel, c'est connu, c'était fait un nombre copieux d'ennemis. Vous savez tant qu'il y aura la "guéguerre" entre ceux qui rêvent d'être calife, ça complique toujours un peu les choses.
Michel Allione : Est-ce que vos divergences sur le dossier de l'Unedic n'ont pas elle aussi compliqué les choses. Et peut-on être opposés sur un tel dossier et unis dans la défense de l'assurance maladie ?
Jean-Luc Cazettes : Je le crois ! L'Unedic, c'est un problème paritaire et il doit se régler entre les partenaires sociaux. L'assurance maladie, en revanche, c'est un problème d'Etat et il me paraît possible d'être ensemble pour lutter sur ce dossier.
Michel Allione : Bruno Paller, chercheur CNRS au Cevipof affirmait, il y a deux semaines dans ces colonnes, qu'à force de chercher la confrontation avec le gouvernement sur cette question, ils finiront peut-être par ne pas la trouver "et qu'il pourrait ne pas y avoir de mouvement fort sur l'assurance maladie". Qu'en pensez-vous ?
Jean-Luc Cazettes : Tout d'abord, les syndicats ne cherchent pas la confrontation, et aucun mouvement n'a été lancé pas un syndicat. Dans ce dossier de la sécu, je le disais, on a du mal à faire comprendre les enjeux, la gravité de la situation. Parce que s'il suffisait de mettre une photo d'identité sur la carte vitale pour régler le déficit de la sécu, ça se saurait. Mais pour autant, je pense, je crains que la rentrée soit chaude; C'est à ce moment-là que va arriver l'essentiel dans la discussion du projet de loi à l'Assemblée. Et c'est à ce moment-là que ça risque d'exploser.
(source http://www.cfecgc.org, le 25 mai 2004)