Interviews de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, à BFM le 23 août 2004 et dans "Libération" le 30 août 2004, sur les projets de modification des 35 heures, le SMIC et la mobilisation syndicale.

Prononcé le

Média : BFM - Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral


BFM - le 23 août 2004
Q- Un retour sur cette information de la fin de la semaine, quand le Premier ministre a "renoncé" à étaler sur deux ans la hausse du Smic, prévue pour 2005. Le patronat y voit une mesure "aberrante", nuisible pour l'emploi. Les partenaires sociaux ont accueilli plutôt bien ces choix budgétaires
R- "Pour le Smic, le Premier ministre n'a fait que respecter un engagement qu'il avait pris, lors du premier Gouvernement Raffarin. Donc, à partir de là, c'est ce que nous avions demandé ; l'Etat doit respecter sa parole. Le Smic devait donc être harmoniser en 2005, les différents niveaux du Smic dus aux 35 heures. Et de ce point de vue c'est positif que le Gouvernement ait maintenu son engagement. Mais ce n'est pas une victoire : il a maintenu son engagement."
Q- Le patronat considère cette mesure "aberrante", parce qu'il y a un resserrement quand même des aides aux entreprises sur les salaires, jusqu'à 1,6 Smic au lieu de 1,7. Et N. Sarkozy pourrait affecter le petit surplus qui pourrait en être dégagé, à des mesures contre les délocalisations. Etes-vous favorable à de telles mesures, une telle inscription de cette mesure dans le budget 2005 ?
R - "Attendez. D'abord, passer de 1,7 à 1,6 Smic, il faut savoir quand même que cela fait plus de 17 milliards d'euros par an d'allégements de cotisations sociales patronales, ce qui est énorme et ce qui pose d'ailleurs des problèmes à la Sécurité sociale. Concernant les délocalisations : bien entendu qu'il faut prendre des mesures, d'ailleurs pas simplement au niveau national, il faut aussi les prendre au niveau européen parce que cela pose le problème de l'entrée des dix nouveaux pays dans l'Union européenne depuis le 1er mai 2004. Ceci étant, l'hypothèse qu'avait envisagée N. Sarkozy, qui est de dire nous allons faire en quelque sorte des zones franches et permettre à des entreprises qui s'étaient délocalisées de revenir, cela ne peut marcher qu'une fois. Sinon, après, on risque d'avoir les chasseurs de primes, à savoir, ceux qui vont délocaliser et qui diront, un an après qu'ils sont prêts à revenir, mais à condition qu'on leur fasse des allégements de charges et des allégements fiscaux."
Q- Cela s'est déjà vu ?
R - "Bien sûr, c'est assez classique quand il y a des aides aux entreprises. Ce que nous demandons, nous, c'est qu'il y ait effectivement un contrôle et puis éventuellement des sanctions : quand les entreprises ont perçu des aides publiques, quelle que soit la nature de ces aides, et que, par exemple, elles délocalisent ensuite."
Q- Une question d'actualité avec ces bons chiffres de la croissance, + 0,8 % au deuxième trimestre. Faut-il distribuer les fruits de la croissance ? Cette amélioration de l'économie peut-elle entraîner une amélioration de la situation sociale ?
R - "Quand la croissance s'améliore, et c'est le cas actuellement - on s'en félicite, même si ce n'est pas suffisant -, les salariés relèvent la tête, et ils ont raison d'ailleurs de relever la tête. A partir de là, ce qui est important, et c'est ce que l'on met en avant en cette rentrée sociale, c'est de pouvoir accroître le pouvoir d'achat. Parce que cela suscite de la consommation et donc l'activité et l'emploi. C'est un des moteurs essentiels de la croissance. Donc, à partir de là, à partir du moment où on regarde aussi les résultats des entreprises, au moins des grosses entreprises, et que l'on voit que les résultats - que ce soit des entreprises ou des banques d'ailleurs - sont très bons cette année, il faut redistribuer les profits réalisés. Et la meilleure façon de les redistribuer, c'est en augmentation de salaires. Il y a donc une exigence d'augmentation du pouvoir d'achat, dans le public comme dans le privé."
Q- d'horizons divers, venant de certaines entreprises, de N. Sarkozy également, le Medef J. Chirac s'est également emparé du dossier, le 14 Juillet, en demandant au Gouvernement d'engager des concertations dans le respect d'un certain nombre de principes. Résultat : cette semaine, G. Larcher, au milieu de tous les sujets qu'il devait aborder va aborder les 35 heures. Le premier reçu, sera la CFDT, vous un peu plus tard. En tout cas, sur les 35 heures, les esprits vont s'échauffer,
c'est indéniable ?
R - "Oui, dans la limite où les salariés ont payé deux fois la mise en place des 35 heures, d'abord par une période de modération voire de gel salarial ; et ensuite par la mise en oeuvre de procédures de flexibilité dans les entreprises, modification de l'organisation du travail. On ne peut donc pas accepter que les 35 heures soient maintenant remises en cause, parce qu'il ne suffit pas de dire que nous allons garder la durée légale du travail à 35 heures et que chaque salarié va pouvoir choisir sa durée du travail. C'est une illusion et un leurre : les salariés ne choisissent pas leur durée du travail, sinon tous les salariés qui sont aujourd'hui à temps partiel contraints, aimeraient bien passer à temps plein et ne le peuvent pas. Ensuite, de laisser entendre que, pour gagner plus demain il va falloir travailler plus, cela remet en cause toute la liberté de négociation des salaires. Concernant plus précisément les 35 heures, nous ne souhaitons pas que le dossier soit rouvert en quelque sorte, dans la limite où des accords de branches ont eu lieu ces dernières années. Cela n'a pas été facile dans beaucoup de branches de négocier les 35 heures et nous ne voyons pas la nécessité de rouvrir les discussions. Par ailleurs, il y a déjà de nombreux assouplissements qui ont été accordés, notamment par M. Fillon, quand il était ministre du Travail, qui ne sont pas tous utilisés d'ailleurs par les entreprises. Ce que nous ne voulons pas, c'est que, à travers certaines modifications ou de nouveaux assouplissements, on en vienne à remettre en cause la durée collective et légale du travail à 35 heures, et que cela favorise de plus les procédures de chantage à l'emploi, comme on en rencontre actuellement."
Q- Quand on écoute le PDG de cette entreprise de Châlons-en-Champagne, qui a demandé à ses employés d'abandonner les 35 heures payées 39, pour passer aux 39 payées 40, il explique : "L'application actuelle de la loi des lois Aubry coûte à l'entreprise 150.000 euros par mois, ce qui occasionne un surcoût de main-d'uvre qui se répercute dans les prix de revient et met en péril notre compétitivité". Que lui répondez-vous, que répondez-vous à cet argument ?
R - "Je n'ai pas les moyens de contrôler les chiffres indiqués par cet employeur, c'est évident."
Q- Mais pour le principe, la philosophie de ce qu'il explique ?
R - "Il y a eu, avec la mise en place des 35 heures, des allégements de charges ; il y a eu bien souvent des modifications de l'organisation du travail, y compris avec de nouvelles procédures et des gains de productivité qui ont été mis en place. C'est la responsabilité de l'employeur. Mais on ne peut pas, à partir du moment où une entreprise aurait - je ne sais pas si c'est le cas dans la réalité pour cette entreprise-là - quelques difficultés, dire que l'on va s'exonérer du code du travail, on va s'exonérer des conventions collectives parce qu'on n'a pas le choix et on va menacer sur le chantage à l'emploi. Ce n'est pas acceptable sur le principe."
Q- Donc, les organisations syndicales allez signifier à G. Larcher qu'il n'est pas question de toucher aux 35 heures. Sinon, que se passera-t-il ? Une rentrée un peu difficile ?
R - "On va voir comment va réagir le Gouvernement, puisque M. Larcher - nous, nous serons reçus le 30 août - va nous consulter sur ce dossier comme sur d'autres d'ailleurs. On va lui dire, sur les 35 heures, que l'on ne souhaite pas que l'on touche au dispositif qui a déjà de nombreux assouplissements de prévus - et qu'il faudrait même les réduire d'ailleurs -, que l'on ne souhaite pas de nouveaux assouplissements dans le domaine des 35 heures. Après on va voir comment le Gouvernement va réagir. Du côté patronal, que disent-ils ? Ils disent que c'est une loi qui a mis en place les 35 heures, il faut par une loi casser les 35 heures. Ce n'est pas plus acceptable non plus. Nous, ce que l'on souhaite, c'est que l'on n'y touche pas, et voir que, dans le temps, progressivement, il y a certains assouplissements qui soient revus."
Q- Au Gouvernement, il y a deux lignes différentes : il y a la ligne Borloo, la ligne plus sociale, et puis la ligne Sarkozy. Pensez-vous que cette fois-ci encore la ligne Borloo va l'emporter, peut-être à votre satisfaction ?
R - "Nous allons voir. Ce sont les problèmes internes au Gouvernement, cela ne nous regarde pas. Ce sont des problèmes internes."
Q- Cela regarde la France, quand même...
R - "Non mais il y a aussi des problèmes internes à la majorité, et je crois que l'on parle de présidence d'un parti actuellement etc. Ce n'est pas le problème d'une organisation syndicale, c'est leur problème. Ceci étant, quand on regarde le projet de loi de M. Borloo sur la cohésion sociale, même si les objectifs affichés, par exemple, permettent aux gens qui sont au RMI ou en allocation spécifique de solidarité, de retrouver un travail - je dis bien "un travail", et non pas une activité, pour nous, ce doit être un vrai travail avec un vrai salaire -, il va falloir regarder aussi la mise en oeuvre du processus, et que, par exemple, cela ne conduise pas à accentuer le contrôle sur les demandeurs d'emploi, voire les sanctions. Il y a des fruits de la croissance qui arrivent un peu, tout le monde parle un peu, non pas de "cagnotte" parce que le terme est inapproprié, mais de "surplus de recettes fiscales". Il y a aussi un débat sur l'affectation de ces recettes fiscales. C'est, à la fois, sur des dispositifs particuliers en matière d'industrialisation, mais cela doit aussi favoriser la relance économique plutôt que de désendetter le pays. Vous savez, un pays endetté ne fait pas faillite ; on ne peut pas comparer la situation économique d'un pays à la situation économique d'une famille. Il vaut mieux avoir de l'endettement si cela permet d'investir."
Q- Il y aura également un dossier qui va sûrement donner lieu à confrontation, en septembre, et d'ailleurs vous serez reçu, vous, le 9 septembre cette fois, par G. de Robien : c'est le service minimum dans les transports. Là aussi, vous ferez preuve de fermeté ?
R - "Bien sûr, parce que nous considérons que tout ce qui serait un dispositif législatif viserait à remettre en cause le droit de grève, qui est un droit constitutionnel. Ce n'est d'ailleurs pas simplement le droit de grève dans les entreprises de transport concernées, c'est aussi la possibilité pour les organisations syndicales et les salariés de faire des grèves de nature de solidarité, interprofessionnelles."
Q- Le droit de grève est-il vraiment remis en cause quand on parle du "service minimum" dans les transports, ou s'agit-il plutôt d'un aménagement de plages horaires ?
R - "Non, c'est vraiment une volonté de remettre en cause le droit de grève. Ce n'est pas un hasard s'il y a quelques pays en Europe où le droit de grève n'est pas reconnu. Quand vous regardez, y compris les textes européens actuels, le droit de grève, au niveau européen, n'est pas reconnu par exemple. Il y a donc bien une volonté derrière cela d'encadrer le droit de grève pour le remettre en cause. Il y a des secteurs où il y a eu des discussions, des négociations avec des procédures d'alerte ou d'alarme sociales, cela peut se discuter. Par contre, intervenir au plan législatif pour essayer d'encadrer, donc de limiter le recours à la grève, ce n'est pas acceptable, c'est ce que l'on a déjà dit et c'est ce que nous réaffirmerons à M. de Robien le 9 septembre."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 août 2004)
Libération, 30 août 2004
Q - Qu'allez-vous dire à Gérard Larcher sur les 35 heures ?
R - C'est simple : nous considérons à FO qu'il n'y a pas à ouvrir le dossier. Nous l'avions dit au moment du rapport Novelli-Ollier, et le gouvernement nous avait suivis. Il est vrai qu'on était en période électorale. Maintenant, il veut l'ouvrir...
Q - Il y est poussé par une partie de sa majorité et du patronat...
R - Peut-être. Quoi qu'il en soit, nous allons dire au ministre des Relations du travail que des assouplissements existent déjà, et qu'ils sont d'ailleurs très peu utilisés par les branches professionnelles. Toucher aux 35 heures serait extrêmement risqué. Si le gouvernement s'avisait de le faire, cela pourrait remettre en cause la politique contractuelle, notamment l'accord de 2003 sur la formation professionnelle, signé par l'ensemble des syndicats. Dans cet accord, nous avions accepté qu'une partie de la formation puisse être effectuée en dehors du temps de travail parce qu'il y avait les 35 heures. Si cela n'avait pas été le cas, nous n'aurions pas signé. Ce n'est pas parce que quelques entreprises font du chantage à l'emploi qu'il faut modifier la loi. Le principal problème de la rentrée n'est pas la durée du travail, mais le pouvoir d'achat, moteur de la croissance. Et nous, à Force ouvrière, n'acceptons pas que pour gagner plus, il faille travailler plus.
Q - De plus en plus d'entreprises menacent de délocaliser. Epouvantail ou vague de fond ?
R - C'est du chantage à l'emploi. Mais on ne peut pas nier que l'élargissement de l'Union européenne suscite un effet de dumping social et fiscal redoutable. Que ce chantage soit pratiqué en France, en Allemagne ou en Belgique montre bien que c'est le résultat de la nature libérale de la construction européenne. Il y a même un projet de directive sur les services, qui permettrait par exemple à une entreprise hongroise de venir travailler en France ou en Allemagne en appliquant son propre droit social. Si elle était adoptée, on verrait aussitôt les entreprises concurrentes tenter de baisser les salaires. C'est ça, le dumping social.
Q - Quelle position prendra FO sur la Constitution européenne ?
R - Nous en discuterons. Européens, à FO nous l'avons toujours été. Mais pas pour une Europe qui érige le pacte de stabilité en principe dogmatique, et le social en variable d'ajustement. La politique économique n'est pas du domaine constitutionnel.
Q - La mobilisation n'a pas été très forte contre la réforme Douste-Blazy sur l'assurance maladie. Est-ce un échec pour le mouvement syndical ?
R - Le gouvernement n'est vraisemblablement pas allé jusqu'où il aurait souhaité. C'est une réforme d'inspiration libérale, c'est clair. Mais c'est un libéralisme qui n'est pas totalement assumé. Il n'y a pas de déremboursement massif des soins. Il y a une augmentation de la contribution des assurés sociaux, notamment le fameux 1 euro sur les actes médicaux, stupide parce que culpabilisateur. Un euro, cela n'a pas trop choqué les gens, ils s'attendaient à pire. Cela peut expliquer que la mobilisation n'ait pas été très forte. Et il y a eu le contre-effet de la mobilisation de l'an dernier sur les retraites qui n'a pas réussi à faire plier le gouvernement. Nous allons maintenant expliquer que cette réforme est en deux temps. La loi telle qu'elle a été votée permet en effet d'ouvrir un processus de maîtrise comptable qui donne aux pouvoirs publics la possibilité de prendre rapidement des mesures de déremboursement. L'autre aspect inquiétant est la porte ouverte aux complémentaires - dont les compagnies d'assurances - moins ouverte qu'elles ne l'avaient espéré, mais disons entrouverte. Là encore nous serons très vigilants, comme nous le serons sur la défense des services publics.
Q - Pensez-vous qu'ils soient menacés ?
R - La protection sociale collective et les services publics sont les deux piliers du pacte républicain. Avec la décentralisation et les privatisations, c'est l'ensemble du service public qui est progressivement remis en cause, tant dans la fonction publique qu'à EDF-GDF ou La Poste. Il y a une incompatibilité entre libéralisme économique et République : le marché s'adresse au client, non au citoyen. De même, nous n'accepterons pas, avec la réflexion sur le service minimum, la remise en cause du droit de grève.
Q - En sept mois, vous avez imprimé à la direction de FO un style plus pédagogique, moins théâtral que celui de votre prédécesseur. Quelles sont vos relations avec lui ?
R - J'ai milité vingt ans avec Marc Blondel. Je le connais bien. On continue à se voir de temps en temps. C'est un militant. Du jour où il a cessé d'être secrétaire général, il n'est plus intervenu dans les débats.
Propos recueillis par François Wenz-Dumas

(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 30 août 2004)