Interview de M. François Bayrou, Président de l'UDF, à RMC le 2 juin 2004, sur le mode de scrutin adopté pour les élections européennes, l'absence de débat pendant la campagne électorale, son hostilité à l'adhésion de la Turquie et son souhait de voir se développer une défense européenne.

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Texte intégral

Q- O. Truchot-. Nous sommes à onze jours des élections européennes, les Français ne semblent pas vraiment passionnés par ce scrutin ; pourquoi à votre avis ?
R- "D'abord, parce que c'est un mode de scrutin absurde, qui a été voulu pour que le débat n'ait pas lieu. Eclater le territoire français en huit circonscriptions qui n'ont pas de cohérence - qu'y a-t-il de commun entre le Mont-blanc et le Cap corse ? -, avec autant de listes que de circonscriptions, cela veut dire que le débat a évidemment du mal à s'organiser. Je note quand même que beaucoup d'observateurs disent : ils ne parlent pas d'Europe, sauf les anti-Europe, les souverainistes, et nous, l'UDF qui sommes les pro-Europe, ceux qui veulent que la construction européenne nous offre des chances que seuls nous ne pourrions pas avoir. Donc, au fond, il est probable que le vote des Français, dont je crois qu'ils s'intéressent profondément à l'Europe, va s'orienter autour de l'idée européenne. C'est ce que nous souhaitons, malgré l'extrême difficulté d'un mode de scrutin absurde."
Q- Vous avez dit : "le Gouvernement et le PS n'ont pas très envie que l'on parle d'Europe, et finalement, ils se sont mis d'accord pour ne pas en parler, il y a un complot de ceux qui ne veulent pas que l'on traite du sujet européen". Etes-vous parano ?
R- "En rien. Mais vous voyez bien que le Gouvernement n'a pas envie que l'on en parle. J'ai participé hier à un débat dans lequel le représentant de l'UMP expliquait que pour eux, le problème était de défendre la politique gouvernementale, et le PS dit "vote sanction". Dans les deux cas, il ne s'agit pas du sujet européen. Il s'agit d'utiliser la circonstance d'un scrutin européen pour des fins de politique intérieure. Or, s'il y a un sujet qui mérite ou qui exige qu'on le traite à fond, c'est le sujet européen. C'est tout notre destin qui va être mis en jeu. Cette manière de procéder, pour éviter le sujet européen, répond en réalité à la composition interne de ces mouvements, dans lesquels il y a des pro et des anti. Donc, comme il y a des pro et des anti, pour les mettre d'accord, on ne parle pas du sujet."
Q- Donc, on ne doit pas se servir des européennes ni pour sanctionner le Gouvernement ni pour le soutenir ?
R- "La question principale, c'est : qu'est-ce que nous voulons faire de l'Europe ? Vous voyez bien que le jugement sur le Gouvernement est second par rapport à cela, pour ne pas dire secondaire. On est devant des choix qui sont des choix extraordinaires. Quand on pense que cinq jours après le scrutin européen, il va y avoir, nous dit-on, l'adoption d'une constitution pour l'Europe, que j'ai été le premier à demander, et à l'époque, tout le monde disait que c'était une idée qui ne se réaliserait pas ; elle s'est réalisée en cinq ans. Eh bien, on va adopter cette Constitution le 18 juin. On vote le 13 et on ne nous dit pas un mot de ce qu'il y aura dans la Constitution que l'on va adopter le 18 juin ! Vous voyez bien que tout cela répond à une idée profonde et pour moi inacceptable : c'est tous ceux, les gouvernements, qui considèrent que l'Europe appartient aux initiés. Quand on doit décider de l'adhésion de la Turquie, J. Chirac et L. Jospin décident seuls, sans en dire un mot au Parlement, ni aux Français ; quand on va adopter une constitution, c'est affaire de diplomates. Or l'Europe est une construction trop importante pour être arrachée aux citoyens et réservée aux diplomates et aux gouvernements. On a besoin d'une Europe que tout le monde comprenne. Regardez l'absence d'éducation civique..."
Q- Avant de parler d'éducation civique, pour reprendre les deux exemples que vous donnez, la Turquie et la Constitution, ces deux sujets ne se posent pas immédiatement. La Turquie, si elle adhère un jour à l'UE, c'est dans des années ; et pour la Constitution, le Président Chirac a dit qu'aujourd'hui, la question ne se posait pas sur le fait de savoir s'il fallait, oui ou non, un référendum...
R- "Vous voyez que vous aussi vous êtes intoxiqué, ou vous faites semblant pour me faire rebondir sur les réponses ! L'adhésion de la Turquie a été décidée en 1999 et sans que l'on en dise un mot aux Français. On peut être pour ou contre..."
Q- Et vous, vous êtes pour ou contre ?
R- "Je suis hostile à l'adhésion de la Turquie, parce que je pense qu'il faut que l'Europe soit composée de pays européens. Si on veut que l'Europe défende un système, une société des valeurs, il faut que ce soit des pays qui partagent la même civilisation, la même culture, la même vision de l'homme qui défendent ce système. Donc, je suis hostile depuis le premier jour, je n'ai pas attendu ces temps-ci. Mais plus encore - pourtant, c'est un sujet essentiel : quelle Europe voulons-nous, la Turquie ou pas, c'est la définition que nous voulons de l'Europe, il y a des gens qui sont pour -, ce qui est extraordinaire, c'est que l'on décide sans nous en dire un mot. Or l'idée selon laquelle l'Europe ne se fera que si les citoyens comprennent comment les décisions sont prises, sont informés du calendrier de ces décisions, cette idée d'une Europe devenant une démocratie et ne se contentant pas d'affaires de diplomatie, c'est pour nous l'idée fondamentale du scrutin qui vient. Si l'on veut que l'Europe soit forte, il faut qu'elle appartienne aux citoyens."
Q- Donc, plus de démocratie européenne, mais quelle est la différence en matière de politique européenne entre l'UDF et l'UMP ? L'UMP s'est également prononcée contre l'entrée de la Turquie dans l'UE.
R- "Oui, l'UMP s'est tardivement prononcée contre, puisque décision prise en 1999, nous, nous avons dit notre hostilité en 1999 et l'UMP a attendu 2004, au vu des sondages, pour changer sa position, tout en soutenant un Gouvernement, qui lui, est officiellement pour. Vous voyez qu'il y a beaucoup de confusion dans tout cela et que l'électeur ne s'y retrouve pas. Mais je vous donne deux différences. La première : nous, nous disons qu'il faut que la construction de l'Europe soit faite au grand jour ; l'UMP qui est au Gouvernement est en train de faire la Constitution de l'Europe sans en dire un mot à personne. Différence majeure. Deuxième différence : je parlerais aujourd'hui : à quand une défense européenne ? Parce que le seul moyen de bâtir une défense pour l'Europe, c'est de la faire ensemble. Aucun d'entre nous n'a les moyens, on le voit bien avec les débats budgétaires autour du budget de la Défense nationale, ce n'est plus à notre échelle. Deuxièmement, il faut parler de recherche. Les Américains sont en train de prendre une avance extraordinaire sur tous les procédés nouveaux, sur tout l'aspect scientifique de notre avenir, simplement parce qu'ils ont les moyens de la recherche ; il faut que l'on bâtisse une recherche européenne. Il faut que l'on aide les régions françaises à se développer, comme les régions des autres pays européens. Il y en a qui sont en retard, il faut les aider - je pense à l'Outre-Mer français par exemple, et aux pays de l'Est qui arrivent. Et tout cela, on voudrait le faire avec un budget qui ne dépasse pas 1 % de la production intérieure de l'Europe. Le budget français, par comparaison, c'est autour de 50 % - budgets sociaux et budgets publics. Pour l'Europe, 1 %. Nous disons que ce n'est pas raisonnable et que la lettre que le Gouvernement français vient d'envoyer, ainsi que monsieur Chirac, à l'Union européenne, en disant qu'ils n'accepteront jamais que le budget dépasse 1 %, est contradictoire. Si l'on veut que l'Europe agisse, il faut qu'elle ait un minimum de moyens pour agir. Sans cela, on dira toujours qu'elle est insuffisante."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 juin 2004)