Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, sur France 2 le 10 février 2004, sur les propositions du MEDEF concernant les modalités de réforme de l'assurance maladie.

Prononcé le

Circonstance : Réunion des acteurs de la santé dans le cadre d'un "Ségur de la santé" pour lancer la concertation sur la réforme de l'assurance maladie, à Paris le 9 février 2004

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Françoise Laborde .- Nous allons revenir sur cette grande réunion hier que l'on appelle déjà le "Ségur de l'assurance maladie", une grande réunion qui s'est tenue autour du ministre de la Santé, qui habite précisément rue de Ségur... Pour remettre un peu les choses dans l'ordre, il faut rappeler que le déficit de l'assurance maladie, c'est plus de 10,6 milliards en 2003, sans doute 10,4 milliards en 2004 et, si on ne fait rien, 66 milliards en 2020. C'est dire qu'il y a quand même urgence à faire quelque chose. Pas moins de 100 personnes hier, réunies autour de J.-F. Mattei, 57 organisations, dont la vôtre. Que pensez-vous de la méthode Mattei qui, après le Haut Conseil, les propositions, les pistes de réflexion, vous réunit comme ça ?
Ernest-Antoine Seillière .- "C'est assez bien, parce qu'il y a eu une analyse consensuelle du Haut Conseil d'assurance maladie, qui réunissait vraiment tout ce que j'appellerais la "société civile", qui a dit qu'il y a un problème, qu'il faut le régler, voilà quel est le problème et tout le monde a été d'accord sur cette définition. Ensuite, le chef de l'Etat a fixé un calendrier, a dit que c'est donc à la fin du printemps qu'il faut avoir fait la réforme. Nous sommes donc enfermés dans un délai, il faut faire - on n'est plus en train d'essayer de repousser les choses. Et enfin, la manière de travailler, c'est-à-dire avec des groupes de travail..."
Il y a huit groupes de travail qui ont été décidés hier.
"Ce qui montre qu'en réalité, on ne se bat pas au départ sur des postures. On est en train d'essayer de régler un problème énorme, qui demandera beaucoup de difficultés et de sacrifices, c'est très complexe. Et je pense que tout ceci se lance, si j'ose dire, assez bien. On a réglé en partie le problème des retraites, on devrait pouvoir maintenant être capable de régler, j'espère complètement, le très gros problème de la manière dont on fait un régime et un système de santé dans notre pays, puisque c'est de ça qu'il s'agit."
Le Medef s'est retiré de la gestion des organismes à l'automne 2001. A l'époque, vous trouviez que ce n'était pas la bonne façon de procéder. On a le sentiment que le Gouvernement fait un peu un appel du pied pour que vous reveniez dans la gestion ?
"Si vous voulez, se poser le problème de la gestion, c'est un peu éviter ce problème de ce que l'on va faire. La manière dont on le gérera est finalement un problème un peu second. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Le Medef est parti - je dirais "bousculé" à l'époque, mais ce n'est pas la question -, surtout parce qu'il se pose la question de savoir quelle est la légitimité du patronat et des syndicats pour gérer un système de santé dans notre pays. Est-ce vraiment à nous de décider du déremboursement de tel ou tel médicament, de la manière dont on traite une pathologie, de la manière dont on organise un hôpital public ? Notre réponse à nous, c'est plutôt non, parce que le paritarisme créé en 1945 a vécu. D'ailleurs, dans l'ensemble, les Français sont assez ignorants de la manière dont tout ceci fonctionne. Et je pense qu'il faut maintenant plus de clarté. Je ne crois pas que le patronat eut été particulièrement efficace pour régler les problèmes nés de la canicule - personne n'a pensé à lui, on a été directement à l'Etat. Il y a une responsabilité d'Etat. La manière dont ensuite on gérera ce qui sera fait est une autre question. Nous verrons bien, nous n'avons pas de position a priori, mais nous ne pensons pas être légitimes, et je pense que les Français le comprennent, pour gérer un système de santé."
Tout de même, vous avez dit que pour aborder cette réforme de l'assurance maladie, il y avait au moins trois conditions, trois paramètres en tout cas à réunir.
"Ce sont plutôt des objectifs. Pour nous, il est essentiel que l'on traite à la fois le problème de l'hôpital public et de ce qu'on appelle la médecine de ville. On ne peut pas mettre les uns sous une autorité publique et les autres sous je-ne-sais quelle autorité collective. Il faut traiter ça ensemble, ça va de soi..."
Parce que c'est le même malade et que c'est le même dossier théoriquement.
"Le Sida est traité en hôpital quand on n'a pas trouvé la tri thérapie. A la minute où on trouve la tri thérapie, ça devient de la médecine de ville, ce sont des charges énormes et ne peut pas dire ce sont deux systèmes différents. Donc il faut traiter les deux ensemble et ce n'est pas facile à faire parce que l'hôpital public, c'est la fonction publique, et donc évidemment, il faut manier ce très grand ensemble, d'ailleurs comme on le sait en grandes difficultés. Pour nous, c'est absolument essentiel : nous ne gérerons pas de près ou de loin un système dans lequel on aurait mis sous l'autorité de l'Etat quelque chose, sous l'autorité de je-ne-sais quelle autorité autre chose ; il faut agir ensemble pour le système de santé français. Et je crois que, là aussi, tous les Français de bon sens le comprennent. Deuxièmement, nous disons que si on fait une réforme, je suis désolé mais il faut que cela conduise à un équilibre financier. On ne peut pas, chacun le sait, continuer à gérer avec 10, 15, 30 milliards d'euros. Ce sont des chiffres colossaux que nous ne pouvons plus assumer, nous les Français. Et donc il faut bien viser cet objectif. Et enfin, il faut mettre en place une gamme de mesures - et là, bien entendu, nous ferons des suggestions, et c'est la responsabilité de l'Etat de les prendre - qui "responsabilisent" comme on le dit, à la fois le patient qui ne peut plus aller chez n'importe quel médecin, autant de fois qu'il le veut, tous les jours, et puis les médicaments - n'importe quoi est achetable gratuitement etc. Ce sont donc des problèmes que tout le monde a à traiter."
Et les médecins peuvent s'installer où ils veulent, là encore en toute liberté ?
"On sait qu'il y a beaucoup de médecins dans le Midi, peu dans le Nord. La liberté en quelque sorte n'est plus compatible totalement avec le gouffre financier qui s'est créé."
Revenons si vous le voulez bien sur l'aspect justement maîtrise des dépenses, votre deuxième point. Est-ce qu'il faut trouver tout de suite des économies, avant même de maîtriser les dépenses ? Et est-ce que, par exemple, on est dans une zone où il faudrait être autour de 10 à 15 milliards d'économies assez vite ?
"Le problème est très simple : si nous voulons arriver à l'équilibre fin 2007, ce qui est notre objectif à nous, il faut faire 15 milliards d'économies par an sur cette période. C'est énorme. Mais cela demande qu'on prenne des décisions et des décisions fortes. Pour nous, bien entendu, le fait que l'on demande à tout malade, tout patient, quelles que soient les circonstances, sauf impossibilité, de contribuer au soin qui va être donné nous paraît essentiel, parce que ça se fait partout et c'est nécessaire."
Des exemples concrets. Est-ce que, par exemple, il faut revoir le système de carte Vitale, qui fait que les malades n'ont pas toujours le sentiment exact de ce que coûtent leurs traitements ? Est-ce qu'il faut décider qu'on ne rembourse pas systématiquement au premier euro les médicaments ? Est-ce qu'il y a des pistes auxquelles vous avez réfléchi ou vous ne voulez pas faire de propositions pour l'instant ?
"Nous avons des propositions à faire sur tout, mais ce que nous disons, c'est que nous sommes des entrepreneurs. Nous faisons tourner les entreprises, nous avons l'esprit d'entreprise, ce n'est pas tout à fait la même chose de savoir comment on organise un système de santé. Donc nous reconnaissons notre modestie. Nous avons, bien entendu, des recommandations à faire. A l'évidence une carte de santé qui fait qu'un médecin qui reçoit un malade sait s'il a vu un cardiologue la veille, s'il ira voir ou non Tout ceci doit être dominé, il y a quand même en effet à organiser le "nomadisme médical" comme on dit. Il y a un ensemble de mesures sur lesquelles je ne veux pas revenir, et puis, encore une fois, nous les entrepreneurs - je le dis, parce que les gens le savent -, il ne faut pas qu'on nous reproche des choses sur lesquelles nous n'avons pas une compétence donnée. Donc aux autres de définir, et notamment à l'administration de la santé, au monde médical bien entendu, qui est le premier concerné dans tout cela, de dire comment faire."
Mais il y a des entrepreneurs qui peuvent être "intéressés", en tout bien tout honneur : ce sont les assurances privées par exemple, qui peuvent effectivement avoir envie de jouer un rôle plus important dans la gestion de la Sécu. Cela peut être d'autres entreprises encore. J.-F. Mattei a dit "ni ni" : ni étatisation ni privatisation concernant la Sécu. Partagez-vous cette analyse?
"C'est une formule. En fait, maintenant, l'hôpital public est étatisé et la médecine de ville est privatisée. Donc ce sont des formules qui ne me semblent pas traiter le problème. Nous aurions souhaité - et nous l'avons proposé - que l'on mette en effet en concurrence les systèmes de soins, un système public, un système mutuel et un système privé et que les Français puissent s'affecter à l'un et à l'autre, selon la gamme de soins qu'on leur propose, sachant qu'il y a ce qu'on appelle un "panier de soins national", décidé par l'Etat et qui, de toute manière, est entièrement couvert par le système. Nous pensons - et cela ne vous étonnera pas -, que la concurrence est une manière de gérer efficacement, d'obliger à se comporter... Il vient de sortir un rapport sur l'hôpital public, qui montre à quel point des divergences considérables d'efficacité existent entre l'un et l'autre, parce qu'il n'y a pas en effet de pressions à la concurrence, à l'organisation. C'est l'hôpital public, on attend des décisions administratives de droite et de gauche... Tout ceci, de notre point de vue, mériterait non pas la concurrence, mais un peu de concurrence, de façon à ce que les gens soient confrontés avec des exigences de gestion. Cela va de soi et nous le disons sans aucune espèce de réticence."
Sur un tout autre sujet, on a annoncé que la taxe professionnelle serait supprimée pendant 18 mois pour 2004. Et pour 2005, pfff ! Cela vous préoccupe ?
"C'est une très bonne nouvelle qu'on ait supprimé un impôt qui était contre l'emploi et contre l'investissement, on l'a toujours dit - c'est ce qu'on appelle la "taxe imbécile". Donc elle est supprimée. Le problème est de savoir par quoi on va la remplacer et nous disons, avec beaucoup de force : ne créez pas un nouvel impôt. Il y en a déjà assez comme ça, c'est assez compliqué, donc utilisez des impôts existants et, bien entendu, affectez aux besoins des collectivités locales une part des impôts existants. Nous pensons cela dit que l'initiative qui a été prise de supprimer la taxe professionnelle est un geste de réforme fort. Nous comptons sur ce Gouvernement pour pousser la réforme. Si la réforme ne se met pas en place, notre société s'étouffera et, avec elle, bien entendu, la croissance, les emplois, la solidarité. Il faut réagir contre cela et le Medef, vous le savez, porte la réforme."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 février 2004)