Texte intégral
Chers Camarades,
Je tenais à venir ici, à Marseille, pour lancer la campagne des élections européennes du Parti socialiste. C'est toujours à Marseille qu'il faut commencer les campagnes qui réussissent.
C'est une élection décisive qui se joue le 13 juin, mais, hélas, dans trop d'indifférence, dans trop de scepticisme et dans trop de doutes. C'est une élection décisive quand nous savons que la moitié de notre législation aujourd'hui est de source européenne. C'est une élection décisive quand nous savons que l'espace économique de l'Europe est aujourd'hui celui de nos grandes entreprises. C'est une élection décisive quand nous savons que l'Union européenne peut être non seulement un acteur pour le continent, mais aussi un acteur pour le monde.
Je pense que nous sommes à un moment décisif aussi de notre propre histoire. Nous vivons un contexte grave avec cette guerre en Irak, avec cette escalade de violence au Proche-Orient, avec ces images barbares d'enfants martyrisés ou de prisonniers torturés. Certes, nous pouvons identifier la culpabilité d'abord des terroristes, ensuite de la politique de Georges W. Bush. Mais nous devons aussi pointer notre propre responsabilité. Où est l'Europe quand on la demande pour faire la paix ? Où est l'Europe quand l'ONU voudrait entendre d'autres voix que la seule puissance des États-Unis d'Amérique ? Où est l'Europe quand il s'agit d'affirmer des valeurs, des droits ? Où est l'Europe quand il faut à un moment -et notamment au Proche-Orient- soutenir une initiative de paix qui attend des acteurs pour la porter ?
Je pense que ce contexte est grave. Mais, il est grave aussi en Europe. Nous sommes en train de faire ce qui est le plus beau des rêves de l'après-guerre : l'unification de notre continent, d'accueillir des pays qui étaient encore, hier, sous le joug d'un autre système et d'une dictature et qui se tournent vers nous en espérant une solidarité qu'ils ne reçoivent qu'en pointillé. Le moment est important parce que, si cette conscience européenne s'abîme, si le doute s'installe sur cette grande entreprise, sur cette grande aventure, alors quel sera l'idéal pour ces peuples qui veulent nous rejoindre ? Quel message porterons-nous à celles et ceux qui ont été durant trop d'années asservis et qui demandent aujourd'hui d'être des citoyens et qui ne comprennent pas qu'ici ou là nous leur accordons chichement notre soutien.
Le moment est important dans un contexte économique qui, d'un côté montre des capacités de développement énormes de grandes nations comme la Chine ou l'Inde, et de l'autre côté des risques de distorsion de concurrence, de compétitivité biaisée, de délocalisations risquées, dramatiques parfois pour nos grandes entreprises. Nous devons, dans ce moment-là, montrer que l'union fait la force, montrer qu'il peut y avoir un espace économique fait de stabilité et en même temps de compréhension de notre responsabilité dans le monde. C'est parce que nous avons conscience de cette nécessité d'Europe, c'est parce que nous sommes, nous-mêmes, mobilisés par le rôle que peut jouer l'Europe dans le destin du monde que nous menons campagne.
Oui, l'enjeu est européen. Il est européen parce que nous savons, comme socialistes, qu'il n'y a pas d'accomplissement possible pour nos idées s'il n'y a pas, précisément, le dépassement du cadre national. Très tôt, au début du XXe Siècle, Jean Jaurès avait eu cette lucidité. Les premiers congrès socialistes se tenaient en Europe. Un grand congrès, notamment, s'était tenu à Amsterdam pour appeler les socialistes français à l'unité. C'est vous dire combien nous étions déjà, à ce moment-là, il y a près de cent ans, conscients que c'était en Europe que nous pourrions faire avancer au mieux nos idées. Et puis, il y a eu le choc des guerres, le drame des nations et des victimes, et cet après-guerre qui a permis, avec les socialistes, d'abord de créer un espace d'échanges puis maintenant une conscience politique qui doit devenir une maturité souveraine. C'est parce que nous sommes, nous les socialistes, depuis toujours -à travers les grandes figures de notre Parti : de Jean Jaurès à François Mitterrand, sans oublier le rôle de Jacques Delors- attachés à la construction européenne que nous menons campagne.
L'Europe a néanmoins besoin de nous, des socialistes, de la gauche, parce qu'il faut en changer l'orientation, parce que ce bel ensemble que nous avions créé n'est pour la droite qu'un marché, qu'une zone de libre-échange où tout serait permis, où tout serait possible pour les plus puissants, pour les plus riches ou simplement pour les entreprises. Il nous faut fixer les règles de la construction européenne et d'abord les priorités.
Nous voulons une Europe du plein emploi. Et la première proposition que nous faisons dans cette campagne est que l'Europe doit être au service de la croissance, au service de l'emploi et que nous ne pouvons pas accepter le chômage structurel -2,5 millions dans notre pays- et tant d'autres dans le reste de l'Europe. Nous ne pouvons pas accepter cette croissance faible, molle, qui d'ailleurs est un signe de ce vieillissement européen que nous ne pouvons pas tolérer parce que nous sommes un grand pays -sans doute- mais un grand ensemble, et que nous sommes maintenant la première puissance économique du monde. À nous d'être à la hauteur de cette richesse, c'est-à-dire au moins de donner du travail à tous. Voilà pourquoi, le plein emploi doit se faire d'abord à l'échelle de l'Europe. Il faut changer ce pacte de stabilité pour en faire un pacte de croissance et d'emploi.
Il faut coordonner nos politiques économiques et il ne faut pas simplement ânonner les règles libérales comme le fait la plupart des Ministres de l'économie et des finances de beaucoup de pays européens en parlant de libéraliser les marchés, de réduire les dépenses publiques, et notamment les dépenses sociales.
La plupart des gouvernements européens est aujourd'hui à droite et c'est pourquoi il faut une majorité de gauche au Parlement européen pour créer, là aussi, le contre-pouvoir nécessaire.
Il nous faut une Europe sociale, à commencer par une Europe qui puisse converger, à travers les mêmes normes sociales, vers le haut. Il faut une Europe qui puisse harmoniser sa fiscalité, et nous avons lancé cette idée d'un impôt européen : le même impôt pour les sociétés dans toute l'Europe, avec le même niveau, pour éviter ces délocalisations ou ces transferts d'entreprises. Cela a été possible dans notre pays ; ce doit être possible à l'échelle de l'Europe. Il nous faut un droit du travail commun, que les salariés aient les mêmes droits, les mêmes protections partout en Europe et qu'il puisse y avoir aussi des salaires minima en Europe. On nous dit : " Vous rêvez ! Rendez-vous compte, des salaires minima en Europe ! "... Et pourquoi pas ! Puisque cela existe en France, pourquoi cela n'existerait-il pas dans toute l'Europe ! Pourquoi cela ne convergerait pas, année après année, pour créer le même ensemble !
C'est en Europe qu'il faut faire le socialisme. C'est en Europe aussi qu'il faut défendre le service public. Car, nous savons bien qu'il est attaqué de partout par le libéralisme, par les règles de la concurrence européenne, par les libéraux, par ce souci de la privatisation parfois pour donner l'argent qui manque aux États impécunieux -et notamment au nôtre. Si l'on veut défendre efficacement le service public, c'est à l'échelle de l'Europe qu'il faut mener ce combat.
Et si l'on veut, et les socialistes le veulent, une Europe de l'environnement, une Europe soucieuse du développement durable, une Europe qui protège ses sources d'énergie, une Europe qui soit la plus ardente à lutter pour que la pollution -notamment de l'air- soit réduite, pour qu'il n'y ait pas ce réchauffement climatique dont on a pu observer un certain nombre de conséquences néfastes, c'est en Europe qu'il faut le faire. Voilà pourquoi les Européens doivent se tourner vers les socialistes s'ils veulent que leur continent s'organise.
Les socialistes ont besoin de l'Europe, et notamment les socialistes français. Oui, nous pensons que c'est en Europe que nous pouvons constituer la puissance politique dont le monde a grandement besoin, dont l'équilibre du monde est aujourd'hui en demande. Si l'on veut intervenir pour lutter contre les conflits régionaux, si l'on veut s'interposer dans des régions du monde qui aujourd'hui menacent la paix de la planète, c'est par l'Europe que nous pourrons y parvenir. Au Proche-Orient, Israéliens et Palestiniens attendent beaucoup de nous. Alors, il faut que cette Europe s'organise sur le plan politique ; elle n'est pas simplement qu'un espace économique, elle n'est pas simplement qu'une monnaie, elle n'est pas simplement que des règles sociales ou autres. Elle doit être d'abord une volonté politique.
Il faut aussi que l'Europe soit solidaire. Solidaire d'abord des Européens, des plus pauvres qui sont dans les pays souvent les plus riches, à commencer par le nôtre. Une Europe qui soit solidaire des territoires qui appellent des soutiens et des interventions. Une Europe qui soit aussi solidaire des Européens qui nous rejoignent. Mais, il faut aussi une Europe qui soit solidaire du reste du monde.
L'Afrique regarde vers l'Europe. Non pas en tendant la main, mais en demandant des projets de développement, en demandant des protections contre la maladie, en demandant des interventions publiques, en demandant des soutiens de marchés, en demandant l'accès aux produits. Alors, pour nous, pour vous, l'Europe c'est -bien sûr- une solidarité à l'égard de la Méditerranée, ce sont vos plus proches voisins. Mais c'est aussi une chance inouïe de développement économique pour tous. Voilà pourquoi nous sommes européens, parce que nous sommes conscients que c'est à cette échelle que nous pouvons être les plus utiles, les plus efficaces et les plus responsables.
Nous sommes européens et nous avons besoin de l'Europe, parce que nous pensons que l'Europe est un modèle de civilisation qui ne vaut pas simplement pour notre continent, mais pour toute la planète. Parce que nous portons l'idée que nous sommes capables de décider de notre propre avenir. Les libéraux ne sont que dans le présent, les plus pauvres parfois que dans le passé. Nous, nous avons la responsabilité de l'avenir. C'est à l'échelle de l'Europe qu'il faut mener des politiques pour la Recherche, l'Éducation, la Culture, les grandes infrastructures. C'est à l'échelle de l'Europe qu'il faut porter ces grands projets qui ne se financeront plus aujourd'hui par les seules nations. Voilà pourquoi, nous devons être dans cette campagne les plus offensifs. Offensifs pour l'Europe, offensifs contre le libéralisme.
Et c'est pourquoi nous ne sommes pas seuls. Ici, dans cette campagne, nous avons cette chance dans cette belle aventure européenne d'avoir un grand Parti Socialiste Européen. Il n'est pas parfait. Il y a encore beaucoup à faire pour que les militants de ce Parti puissent décider de leurs responsables comme des orientations. Mais, nous avons été au moins capables de fixer un programme commun de tous les socialistes européens, aussi divers soient-ils, pour porter ce message de l'Europe sociale, cette exigence de règles, cette volonté politique. Et nous sommes les seuls, dans cette campagne, à pouvoir peser sur le futur Parlement européen. Toute la question est de savoir qui, des socialistes européens ou des conservateurs européens, arrivera en tête le soir du 13 juin. Je veux que par le vote ici, dans cette région sud-est, que par notre propre capacité de Parti socialiste français, nous donnions cette chance au PSE d'être majoritaire au Parlement européen. Et nous pourrons peser non seulement sur le choix du futur Président du Parlement européen, mais peut-être -si nous avons la capacité d'imposer nos vues- sur le futur Président de la Commission européenne, puisque c'est la logique même du Parlement européen que de décider qui doit être le prochain responsable de la Commission européenne.
Voilà pourquoi nous sommes, dans cette campagne, en cohérence avec ce que nous portons au niveau national.
Je veux revenir sur l'enjeu politique français dans cette campagne. Nous mettons en cause l'absence de vision du Président de la République comme du Premier ministre. Pas simplement par rapport à l'Europe où ils n'ont rien exigé : rien exigé quant aux politiques qui doivent être menées, rien exigé quant à la relance de la croissance et de l'emploi, rien exigé non plus quant au contenu de la future Constitution. En ce moment se passent des négociations ; à aucun moment, l'opposition n'a été associée à des propositions qui pouvaient être faites par la France. À aucun moment, l'opinion publique n'a été prise à témoin de la volonté française dans cette négociation. À aucun moment, il n'y a eu d'information sur la future Constitution européenne. À aucun moment, il n'y a eu l'annonce, par le Président de la République, du mode de ratification.
Comment voulez-vous ensuite que les citoyens se mobilisent pour les élections européennes ! Tout est fait pour que les grandes décisions en Europe soient prises dans le secret, dans l'obscurité, dans l'opacité et qu'il n'y ait pas cette volonté des peuples, précisément, de décider de leur avenir.
C'est vrai : ce qui est pour nous l'essentiel, c'est l'Europe sociale, comme ce qui est pour nous essentiel au niveau national, c'est d'avoir une France solidaire. Elle ne l'est pas. Et ce n'est pas de son propre fait. Elle ne l'est pas, parce que les choix qui sont faits sont aujourd'hui les plus injustes.
Il y a eu pendant deux ans une politique qui a consisté à baisser les impôts des plus favorisés : impôt sur le revenu, impôt sur la fortune, baisse des charges des entreprises sans aucune contrepartie; il y a eu pendant deux ans des choix budgétaires qui ont été faits à rebours de l'ambition de solidarité : réduction des budgets du logement, des budgets de l'emploi, affaiblissement du budget de l'Éducation. Et il y a maintenant ces décisions qui s'annoncent sur la Sécurité Sociale. Ce énième plan de replâtrage qui consiste -comme toujours- à augmenter les prélèvements de tous et à baisser les remboursements de tous les assurés sociaux.
Mais là, l'injustice atteint finalement son paroxysme. On nous demande une contribution d'un euro sur chaque acte médical, une augmentation de la CSG pour tous -et notamment pour les retraités- et, après une grande émission, on nous susurre qu'il y aura aussi une augmentation du forfait hospitalier et d'autres choix se préparent. On nous parle d'un Dossier Médical en affirmant que cela suffira à faire les économies. Déjà Alain Juppé avait inventé le carnet de santé. Aujourd'hui, c'est le carnet de santé, mais informatisé. Cela ne changera hélas rien si on ne change pas dans le même temps l'organisation même du système de santé.
C'est pourquoi, face à cette injustice nous devons dénoncer l'incohérence du pouvoir. Incohérence d'ailleurs au sommet où le Président de la République, au lendemain d'un scrutin difficile, cruel mais juste, nous annonce que la politique qui a été menée par le Premier ministre n'est pas la bonne mais que, pour mieux le faire comprendre, il confirme le même Premier ministre. Incohérence qui consiste à avoir deux Premiers ministres : un réel -c'est encore à démontrer- et un virtuel qui voudrait d'ailleurs prendre une place, mais pas forcément celle du Premier ministre. Incohérence dans les choix où tantôt c'est le budget de la Défense, de l'Intérieur qui sont jugés prioritaires et, tantôt, parce que l'un a changé de rôle et changé d'emploi, ce serait d'autres priorités qui devraient être affichées ; où l'on nomme un Ministre de la cohésion sociale et on lui retire le budget correspondant. Incohérence, parce qu'il n'y a plus de direction, plus de sens, plus de vision... Il n'y a plus finalement de volonté collective.
Et, au-delà de l'injustice, de l'incohérence, il y aussi cette part d'immoralité qui consiste à brouiller et à embrouiller, à promettre en sachant que rien ne sera possible, à annoncer des mesures qui ne viendront jamais, à faire de l'esbroufe et de l'escamotage comme, par exemple, sur la Sécurité Sociale qui sera sans doute, pour tous les déficits cumulés de 2002 à 2007, financée par emprunt en laissant penser qu'on a réglé pour autant le problème quand ce seront les générations futures, c'est-à-dire nos enfants et nos petits-enfants, qui paieront pour nos déficits d'aujourd'hui parce qu'on a oublié, délibérément, de demander aux entreprises et aux professions de santé de prendre leur part de l'effort collectif.
Politique clientéliste où ce sont les mêmes catégories qui doivent avoir tous les avantages quand c'est le plus grand nombre qui doit supporter tous les sacrifices. Politique clanique, parce que ce que ce pouvoir essaye de faire, c'est de se protéger lui-même. C'est son souci d'être finalement à l'abri de tout : à l'abri du peuple qui pourtant les condamne, les sanctionne, à l'abri du jugement des uns et des autres -et parfois même de la Justice.
Oui, c'est parce que nous sommes, nous-mêmes, face à un pouvoir qui ne veut pas reconnaître qu'il a échoué qu'il nous faut une nouvelle fois dans ces élections apporter le verdict des urnes. Je crois à l'utilité du vote. S'il n'y avait pas eu les 21 et 28 mars, s'il n'y avait pas eu cette mobilisation civique, cette victoire de la gauche au-delà même des régions et des départements que nous avons conquis, y aurait-il eu le recul du pouvoir sur l'Allocation Spécifique de Solidarité ? Les recalculés aujourd'hui seraient-il réadmis dans leur droit s'il n'y avait pas eu le vote des Français les 21 et 28 mars ? Les chercheurs auraient-ils fini par trouver un interlocuteur et peut-être un budget s'il n'y avait pas eu le vote des Français ? Les intermittents du spectacle, qui ont pourtant tant de mal encore aujourd'hui à se faire respecter, pourraient-ils peut-être encore espérer s'il n'y avait pas eu le vote des 21 et 28 mars. Encore aujourd'hui, le 13 juin, il faut qu'il y ait le vote si l'on veut faire reculer le pouvoir sur la Sécurité Sociale, sur les mesures injustes qui se préparent, sur la privatisation d'un certain nombre de protections essentielles pour nos concitoyens, c'est-à-dire pour nous tous.
Le 13 juin, il faut de nouveau défendre nos acquis sociaux, défendre les services publics -et je pense notamment à ceux qui sont le plus menacés par la privatisation : EDF-GDF et bientôt La Poste. C'est aussi le 13 juin que cela se décide à l'échelle de notre pays.
Je le dis avec d'autant plus de gravité que, si nos victoires sont réelles après ces élections régionales et cantonales, tout se jouera au moment des élections européennes parce que plus rien ne se passera avant 2007. Et s'il n'y a pas la confirmation de la sanction, de l'échec, du refus de cette politique libérale, alors le pouvoir pensera qu'il peut avoir les mains libres pour continuer sa politique.
Voilà pourquoi il faut se mobiliser. Se mobiliser pour l'Europe. Se mobiliser pour la justice sociale. Se mobiliser contre le libéralisme. Se mobiliser contre ce gouvernement, qu'il soit conduit par Jean-Pierre Raffarin ou par un autre, parce que tel n'est pas le problème ; le problème c'est le contenu de la politique qui ne changera pas si nous n'intervenons pas.
J'ai espoir parce que je le sens, la gauche est de retour. En France, et nous l'avons montré, en Europe parce que les Espagnols ont été au rendez-vous, parce que les Autrichiens l'ont montré aussi à travers une élection présidentielle qu'ils ont remportée, parce qu'il y a en Italie des sources d'espoir, parce que je reviens de Belgique où les amis socialistes vont également l'emporter pour les élections régionales et européennes du 13 juin. Oui, la gauche est de retour, mais elle a aussi une lourde responsabilité pour l'avenir. Aussitôt les élections européennes passées -et j'espère victorieuses- il nous faudra préparer le projet d'alternance. Je suis fier d'avoir avec vous, depuis deux ans, redressé la gauche après la défaite du 21 avril 2002. Je suis fier aussi d'avoir rassemblé les socialistes, parce que c'était nécessaire si l'on voulait rassembler toute la gauche. Nous avons fait l'effort indispensable de compréhension de notre échec mais aussi de réhabilitation de notre action. Oui, nous avons fait pendant deux ans le travail indispensable pour aller de nouveau vers les Français et les convaincre de nous faire confiance. Ils l'ont fait pour les élections régionales ; ils doivent le faire -si nous en sommes dignes- pour les élections européennes.
Mais nous avons ensuite trois ans pour imaginer de nouvelles politiques, pour nous inspirer de ce qui se fait déjà dans nos collectivités locales, ce qui se fera maintenant à l'échelle de toutes les régions françaises, sauf deux. D'ailleurs, je ne perds pas espoir de conquérir ces deux régions-là lors de prochains scrutins. Je ne voudrais surtout pas que les Alsaciens et les Corses se considèrent bannis de nos espoirs ; ils ont fait des résultats merveilleux ; les Alsaciens, d'abord, qui ont fait le meilleur résultat dans l'Histoire du Parti socialiste. Quant aux Corses, s'ils s'étaient mieux organisés, je pense que nous aurions une région de plus ; et je suis heureux de voir qu'ils se rassemblent tous autour de Michel Rocard.
Nous avons maintenant à imaginer nos politiques. Nous avons à montrer les chemins différents de ceux que la droite emprunte. Nous avons à redonner espoir en la politique, espoir dans le socialisme, espoir dans la gauche. C'est aujourd'hui notre responsabilité au Parti socialiste. Nous n'y parviendrons que par un formidable effort militant d'abord, parce que c'est vous qui ferez le projet des socialistes. Nous le ferons aussi à travers une méthode nouvelle de démocratie participative pour élaborer, comme nous l'avons fait pour les projets régionaux, notre projet national.
Nous le ferons en associant les intellectuels, tous ceux qui voudront être impliqués dans nos propositions et les forces syndicales sans lesquelles rien n'est possible, ni pour préparer l'alternance ni surtout pour gérer les grandes réformes à venir. Et les socialistes y parviendront s'ils savent être respectueux de deux principes :
- L'unité, d'abord. C'est elle qui fait notre force et ceux qui y manquent commettent toujours la première erreur individuelle et collective ;
- La volonté. C'est dur de vouloir changer, c'est dur de transformer un pays, c'est dur de convaincre ; c'est pourquoi nous avons raison d'appeler au courage. Rien n'est facile en politique et l'on ne peut pas simplement compter sur les erreurs des autres -et là nous ne sommes pas déçus- pour revenir aux responsabilités. Ce n'est pas simplement sur les fautes de la droite que la gauche retrouvera force et conviction et surtout la confiance du peuple. C'est d'abord en étant nous-mêmes, en étant capables d'entraîner notre pays, en étant capables de le transformer et de le porter vers son avenir et son destin.
Il nous reste donc beaucoup à faire. D'abord gagner les élections le 13 juin. Ici, avec les candidats autour de Michel Rocard. Ensuite, quand nous aurons démontré que nous sommes majoritaires dans les régions de France, que nous sommes majoritaires au Parlement européen, je pense qu'il sera assez simple de laisser croire, de laisser rêver, de laisser penser que nous pouvons aussi être majoritaires en France, le moment venu.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 4 juin 2004)
Je tenais à venir ici, à Marseille, pour lancer la campagne des élections européennes du Parti socialiste. C'est toujours à Marseille qu'il faut commencer les campagnes qui réussissent.
C'est une élection décisive qui se joue le 13 juin, mais, hélas, dans trop d'indifférence, dans trop de scepticisme et dans trop de doutes. C'est une élection décisive quand nous savons que la moitié de notre législation aujourd'hui est de source européenne. C'est une élection décisive quand nous savons que l'espace économique de l'Europe est aujourd'hui celui de nos grandes entreprises. C'est une élection décisive quand nous savons que l'Union européenne peut être non seulement un acteur pour le continent, mais aussi un acteur pour le monde.
Je pense que nous sommes à un moment décisif aussi de notre propre histoire. Nous vivons un contexte grave avec cette guerre en Irak, avec cette escalade de violence au Proche-Orient, avec ces images barbares d'enfants martyrisés ou de prisonniers torturés. Certes, nous pouvons identifier la culpabilité d'abord des terroristes, ensuite de la politique de Georges W. Bush. Mais nous devons aussi pointer notre propre responsabilité. Où est l'Europe quand on la demande pour faire la paix ? Où est l'Europe quand l'ONU voudrait entendre d'autres voix que la seule puissance des États-Unis d'Amérique ? Où est l'Europe quand il s'agit d'affirmer des valeurs, des droits ? Où est l'Europe quand il faut à un moment -et notamment au Proche-Orient- soutenir une initiative de paix qui attend des acteurs pour la porter ?
Je pense que ce contexte est grave. Mais, il est grave aussi en Europe. Nous sommes en train de faire ce qui est le plus beau des rêves de l'après-guerre : l'unification de notre continent, d'accueillir des pays qui étaient encore, hier, sous le joug d'un autre système et d'une dictature et qui se tournent vers nous en espérant une solidarité qu'ils ne reçoivent qu'en pointillé. Le moment est important parce que, si cette conscience européenne s'abîme, si le doute s'installe sur cette grande entreprise, sur cette grande aventure, alors quel sera l'idéal pour ces peuples qui veulent nous rejoindre ? Quel message porterons-nous à celles et ceux qui ont été durant trop d'années asservis et qui demandent aujourd'hui d'être des citoyens et qui ne comprennent pas qu'ici ou là nous leur accordons chichement notre soutien.
Le moment est important dans un contexte économique qui, d'un côté montre des capacités de développement énormes de grandes nations comme la Chine ou l'Inde, et de l'autre côté des risques de distorsion de concurrence, de compétitivité biaisée, de délocalisations risquées, dramatiques parfois pour nos grandes entreprises. Nous devons, dans ce moment-là, montrer que l'union fait la force, montrer qu'il peut y avoir un espace économique fait de stabilité et en même temps de compréhension de notre responsabilité dans le monde. C'est parce que nous avons conscience de cette nécessité d'Europe, c'est parce que nous sommes, nous-mêmes, mobilisés par le rôle que peut jouer l'Europe dans le destin du monde que nous menons campagne.
Oui, l'enjeu est européen. Il est européen parce que nous savons, comme socialistes, qu'il n'y a pas d'accomplissement possible pour nos idées s'il n'y a pas, précisément, le dépassement du cadre national. Très tôt, au début du XXe Siècle, Jean Jaurès avait eu cette lucidité. Les premiers congrès socialistes se tenaient en Europe. Un grand congrès, notamment, s'était tenu à Amsterdam pour appeler les socialistes français à l'unité. C'est vous dire combien nous étions déjà, à ce moment-là, il y a près de cent ans, conscients que c'était en Europe que nous pourrions faire avancer au mieux nos idées. Et puis, il y a eu le choc des guerres, le drame des nations et des victimes, et cet après-guerre qui a permis, avec les socialistes, d'abord de créer un espace d'échanges puis maintenant une conscience politique qui doit devenir une maturité souveraine. C'est parce que nous sommes, nous les socialistes, depuis toujours -à travers les grandes figures de notre Parti : de Jean Jaurès à François Mitterrand, sans oublier le rôle de Jacques Delors- attachés à la construction européenne que nous menons campagne.
L'Europe a néanmoins besoin de nous, des socialistes, de la gauche, parce qu'il faut en changer l'orientation, parce que ce bel ensemble que nous avions créé n'est pour la droite qu'un marché, qu'une zone de libre-échange où tout serait permis, où tout serait possible pour les plus puissants, pour les plus riches ou simplement pour les entreprises. Il nous faut fixer les règles de la construction européenne et d'abord les priorités.
Nous voulons une Europe du plein emploi. Et la première proposition que nous faisons dans cette campagne est que l'Europe doit être au service de la croissance, au service de l'emploi et que nous ne pouvons pas accepter le chômage structurel -2,5 millions dans notre pays- et tant d'autres dans le reste de l'Europe. Nous ne pouvons pas accepter cette croissance faible, molle, qui d'ailleurs est un signe de ce vieillissement européen que nous ne pouvons pas tolérer parce que nous sommes un grand pays -sans doute- mais un grand ensemble, et que nous sommes maintenant la première puissance économique du monde. À nous d'être à la hauteur de cette richesse, c'est-à-dire au moins de donner du travail à tous. Voilà pourquoi, le plein emploi doit se faire d'abord à l'échelle de l'Europe. Il faut changer ce pacte de stabilité pour en faire un pacte de croissance et d'emploi.
Il faut coordonner nos politiques économiques et il ne faut pas simplement ânonner les règles libérales comme le fait la plupart des Ministres de l'économie et des finances de beaucoup de pays européens en parlant de libéraliser les marchés, de réduire les dépenses publiques, et notamment les dépenses sociales.
La plupart des gouvernements européens est aujourd'hui à droite et c'est pourquoi il faut une majorité de gauche au Parlement européen pour créer, là aussi, le contre-pouvoir nécessaire.
Il nous faut une Europe sociale, à commencer par une Europe qui puisse converger, à travers les mêmes normes sociales, vers le haut. Il faut une Europe qui puisse harmoniser sa fiscalité, et nous avons lancé cette idée d'un impôt européen : le même impôt pour les sociétés dans toute l'Europe, avec le même niveau, pour éviter ces délocalisations ou ces transferts d'entreprises. Cela a été possible dans notre pays ; ce doit être possible à l'échelle de l'Europe. Il nous faut un droit du travail commun, que les salariés aient les mêmes droits, les mêmes protections partout en Europe et qu'il puisse y avoir aussi des salaires minima en Europe. On nous dit : " Vous rêvez ! Rendez-vous compte, des salaires minima en Europe ! "... Et pourquoi pas ! Puisque cela existe en France, pourquoi cela n'existerait-il pas dans toute l'Europe ! Pourquoi cela ne convergerait pas, année après année, pour créer le même ensemble !
C'est en Europe qu'il faut faire le socialisme. C'est en Europe aussi qu'il faut défendre le service public. Car, nous savons bien qu'il est attaqué de partout par le libéralisme, par les règles de la concurrence européenne, par les libéraux, par ce souci de la privatisation parfois pour donner l'argent qui manque aux États impécunieux -et notamment au nôtre. Si l'on veut défendre efficacement le service public, c'est à l'échelle de l'Europe qu'il faut mener ce combat.
Et si l'on veut, et les socialistes le veulent, une Europe de l'environnement, une Europe soucieuse du développement durable, une Europe qui protège ses sources d'énergie, une Europe qui soit la plus ardente à lutter pour que la pollution -notamment de l'air- soit réduite, pour qu'il n'y ait pas ce réchauffement climatique dont on a pu observer un certain nombre de conséquences néfastes, c'est en Europe qu'il faut le faire. Voilà pourquoi les Européens doivent se tourner vers les socialistes s'ils veulent que leur continent s'organise.
Les socialistes ont besoin de l'Europe, et notamment les socialistes français. Oui, nous pensons que c'est en Europe que nous pouvons constituer la puissance politique dont le monde a grandement besoin, dont l'équilibre du monde est aujourd'hui en demande. Si l'on veut intervenir pour lutter contre les conflits régionaux, si l'on veut s'interposer dans des régions du monde qui aujourd'hui menacent la paix de la planète, c'est par l'Europe que nous pourrons y parvenir. Au Proche-Orient, Israéliens et Palestiniens attendent beaucoup de nous. Alors, il faut que cette Europe s'organise sur le plan politique ; elle n'est pas simplement qu'un espace économique, elle n'est pas simplement qu'une monnaie, elle n'est pas simplement que des règles sociales ou autres. Elle doit être d'abord une volonté politique.
Il faut aussi que l'Europe soit solidaire. Solidaire d'abord des Européens, des plus pauvres qui sont dans les pays souvent les plus riches, à commencer par le nôtre. Une Europe qui soit solidaire des territoires qui appellent des soutiens et des interventions. Une Europe qui soit aussi solidaire des Européens qui nous rejoignent. Mais, il faut aussi une Europe qui soit solidaire du reste du monde.
L'Afrique regarde vers l'Europe. Non pas en tendant la main, mais en demandant des projets de développement, en demandant des protections contre la maladie, en demandant des interventions publiques, en demandant des soutiens de marchés, en demandant l'accès aux produits. Alors, pour nous, pour vous, l'Europe c'est -bien sûr- une solidarité à l'égard de la Méditerranée, ce sont vos plus proches voisins. Mais c'est aussi une chance inouïe de développement économique pour tous. Voilà pourquoi nous sommes européens, parce que nous sommes conscients que c'est à cette échelle que nous pouvons être les plus utiles, les plus efficaces et les plus responsables.
Nous sommes européens et nous avons besoin de l'Europe, parce que nous pensons que l'Europe est un modèle de civilisation qui ne vaut pas simplement pour notre continent, mais pour toute la planète. Parce que nous portons l'idée que nous sommes capables de décider de notre propre avenir. Les libéraux ne sont que dans le présent, les plus pauvres parfois que dans le passé. Nous, nous avons la responsabilité de l'avenir. C'est à l'échelle de l'Europe qu'il faut mener des politiques pour la Recherche, l'Éducation, la Culture, les grandes infrastructures. C'est à l'échelle de l'Europe qu'il faut porter ces grands projets qui ne se financeront plus aujourd'hui par les seules nations. Voilà pourquoi, nous devons être dans cette campagne les plus offensifs. Offensifs pour l'Europe, offensifs contre le libéralisme.
Et c'est pourquoi nous ne sommes pas seuls. Ici, dans cette campagne, nous avons cette chance dans cette belle aventure européenne d'avoir un grand Parti Socialiste Européen. Il n'est pas parfait. Il y a encore beaucoup à faire pour que les militants de ce Parti puissent décider de leurs responsables comme des orientations. Mais, nous avons été au moins capables de fixer un programme commun de tous les socialistes européens, aussi divers soient-ils, pour porter ce message de l'Europe sociale, cette exigence de règles, cette volonté politique. Et nous sommes les seuls, dans cette campagne, à pouvoir peser sur le futur Parlement européen. Toute la question est de savoir qui, des socialistes européens ou des conservateurs européens, arrivera en tête le soir du 13 juin. Je veux que par le vote ici, dans cette région sud-est, que par notre propre capacité de Parti socialiste français, nous donnions cette chance au PSE d'être majoritaire au Parlement européen. Et nous pourrons peser non seulement sur le choix du futur Président du Parlement européen, mais peut-être -si nous avons la capacité d'imposer nos vues- sur le futur Président de la Commission européenne, puisque c'est la logique même du Parlement européen que de décider qui doit être le prochain responsable de la Commission européenne.
Voilà pourquoi nous sommes, dans cette campagne, en cohérence avec ce que nous portons au niveau national.
Je veux revenir sur l'enjeu politique français dans cette campagne. Nous mettons en cause l'absence de vision du Président de la République comme du Premier ministre. Pas simplement par rapport à l'Europe où ils n'ont rien exigé : rien exigé quant aux politiques qui doivent être menées, rien exigé quant à la relance de la croissance et de l'emploi, rien exigé non plus quant au contenu de la future Constitution. En ce moment se passent des négociations ; à aucun moment, l'opposition n'a été associée à des propositions qui pouvaient être faites par la France. À aucun moment, l'opinion publique n'a été prise à témoin de la volonté française dans cette négociation. À aucun moment, il n'y a eu d'information sur la future Constitution européenne. À aucun moment, il n'y a eu l'annonce, par le Président de la République, du mode de ratification.
Comment voulez-vous ensuite que les citoyens se mobilisent pour les élections européennes ! Tout est fait pour que les grandes décisions en Europe soient prises dans le secret, dans l'obscurité, dans l'opacité et qu'il n'y ait pas cette volonté des peuples, précisément, de décider de leur avenir.
C'est vrai : ce qui est pour nous l'essentiel, c'est l'Europe sociale, comme ce qui est pour nous essentiel au niveau national, c'est d'avoir une France solidaire. Elle ne l'est pas. Et ce n'est pas de son propre fait. Elle ne l'est pas, parce que les choix qui sont faits sont aujourd'hui les plus injustes.
Il y a eu pendant deux ans une politique qui a consisté à baisser les impôts des plus favorisés : impôt sur le revenu, impôt sur la fortune, baisse des charges des entreprises sans aucune contrepartie; il y a eu pendant deux ans des choix budgétaires qui ont été faits à rebours de l'ambition de solidarité : réduction des budgets du logement, des budgets de l'emploi, affaiblissement du budget de l'Éducation. Et il y a maintenant ces décisions qui s'annoncent sur la Sécurité Sociale. Ce énième plan de replâtrage qui consiste -comme toujours- à augmenter les prélèvements de tous et à baisser les remboursements de tous les assurés sociaux.
Mais là, l'injustice atteint finalement son paroxysme. On nous demande une contribution d'un euro sur chaque acte médical, une augmentation de la CSG pour tous -et notamment pour les retraités- et, après une grande émission, on nous susurre qu'il y aura aussi une augmentation du forfait hospitalier et d'autres choix se préparent. On nous parle d'un Dossier Médical en affirmant que cela suffira à faire les économies. Déjà Alain Juppé avait inventé le carnet de santé. Aujourd'hui, c'est le carnet de santé, mais informatisé. Cela ne changera hélas rien si on ne change pas dans le même temps l'organisation même du système de santé.
C'est pourquoi, face à cette injustice nous devons dénoncer l'incohérence du pouvoir. Incohérence d'ailleurs au sommet où le Président de la République, au lendemain d'un scrutin difficile, cruel mais juste, nous annonce que la politique qui a été menée par le Premier ministre n'est pas la bonne mais que, pour mieux le faire comprendre, il confirme le même Premier ministre. Incohérence qui consiste à avoir deux Premiers ministres : un réel -c'est encore à démontrer- et un virtuel qui voudrait d'ailleurs prendre une place, mais pas forcément celle du Premier ministre. Incohérence dans les choix où tantôt c'est le budget de la Défense, de l'Intérieur qui sont jugés prioritaires et, tantôt, parce que l'un a changé de rôle et changé d'emploi, ce serait d'autres priorités qui devraient être affichées ; où l'on nomme un Ministre de la cohésion sociale et on lui retire le budget correspondant. Incohérence, parce qu'il n'y a plus de direction, plus de sens, plus de vision... Il n'y a plus finalement de volonté collective.
Et, au-delà de l'injustice, de l'incohérence, il y aussi cette part d'immoralité qui consiste à brouiller et à embrouiller, à promettre en sachant que rien ne sera possible, à annoncer des mesures qui ne viendront jamais, à faire de l'esbroufe et de l'escamotage comme, par exemple, sur la Sécurité Sociale qui sera sans doute, pour tous les déficits cumulés de 2002 à 2007, financée par emprunt en laissant penser qu'on a réglé pour autant le problème quand ce seront les générations futures, c'est-à-dire nos enfants et nos petits-enfants, qui paieront pour nos déficits d'aujourd'hui parce qu'on a oublié, délibérément, de demander aux entreprises et aux professions de santé de prendre leur part de l'effort collectif.
Politique clientéliste où ce sont les mêmes catégories qui doivent avoir tous les avantages quand c'est le plus grand nombre qui doit supporter tous les sacrifices. Politique clanique, parce que ce que ce pouvoir essaye de faire, c'est de se protéger lui-même. C'est son souci d'être finalement à l'abri de tout : à l'abri du peuple qui pourtant les condamne, les sanctionne, à l'abri du jugement des uns et des autres -et parfois même de la Justice.
Oui, c'est parce que nous sommes, nous-mêmes, face à un pouvoir qui ne veut pas reconnaître qu'il a échoué qu'il nous faut une nouvelle fois dans ces élections apporter le verdict des urnes. Je crois à l'utilité du vote. S'il n'y avait pas eu les 21 et 28 mars, s'il n'y avait pas eu cette mobilisation civique, cette victoire de la gauche au-delà même des régions et des départements que nous avons conquis, y aurait-il eu le recul du pouvoir sur l'Allocation Spécifique de Solidarité ? Les recalculés aujourd'hui seraient-il réadmis dans leur droit s'il n'y avait pas eu le vote des Français les 21 et 28 mars ? Les chercheurs auraient-ils fini par trouver un interlocuteur et peut-être un budget s'il n'y avait pas eu le vote des Français ? Les intermittents du spectacle, qui ont pourtant tant de mal encore aujourd'hui à se faire respecter, pourraient-ils peut-être encore espérer s'il n'y avait pas eu le vote des 21 et 28 mars. Encore aujourd'hui, le 13 juin, il faut qu'il y ait le vote si l'on veut faire reculer le pouvoir sur la Sécurité Sociale, sur les mesures injustes qui se préparent, sur la privatisation d'un certain nombre de protections essentielles pour nos concitoyens, c'est-à-dire pour nous tous.
Le 13 juin, il faut de nouveau défendre nos acquis sociaux, défendre les services publics -et je pense notamment à ceux qui sont le plus menacés par la privatisation : EDF-GDF et bientôt La Poste. C'est aussi le 13 juin que cela se décide à l'échelle de notre pays.
Je le dis avec d'autant plus de gravité que, si nos victoires sont réelles après ces élections régionales et cantonales, tout se jouera au moment des élections européennes parce que plus rien ne se passera avant 2007. Et s'il n'y a pas la confirmation de la sanction, de l'échec, du refus de cette politique libérale, alors le pouvoir pensera qu'il peut avoir les mains libres pour continuer sa politique.
Voilà pourquoi il faut se mobiliser. Se mobiliser pour l'Europe. Se mobiliser pour la justice sociale. Se mobiliser contre le libéralisme. Se mobiliser contre ce gouvernement, qu'il soit conduit par Jean-Pierre Raffarin ou par un autre, parce que tel n'est pas le problème ; le problème c'est le contenu de la politique qui ne changera pas si nous n'intervenons pas.
J'ai espoir parce que je le sens, la gauche est de retour. En France, et nous l'avons montré, en Europe parce que les Espagnols ont été au rendez-vous, parce que les Autrichiens l'ont montré aussi à travers une élection présidentielle qu'ils ont remportée, parce qu'il y a en Italie des sources d'espoir, parce que je reviens de Belgique où les amis socialistes vont également l'emporter pour les élections régionales et européennes du 13 juin. Oui, la gauche est de retour, mais elle a aussi une lourde responsabilité pour l'avenir. Aussitôt les élections européennes passées -et j'espère victorieuses- il nous faudra préparer le projet d'alternance. Je suis fier d'avoir avec vous, depuis deux ans, redressé la gauche après la défaite du 21 avril 2002. Je suis fier aussi d'avoir rassemblé les socialistes, parce que c'était nécessaire si l'on voulait rassembler toute la gauche. Nous avons fait l'effort indispensable de compréhension de notre échec mais aussi de réhabilitation de notre action. Oui, nous avons fait pendant deux ans le travail indispensable pour aller de nouveau vers les Français et les convaincre de nous faire confiance. Ils l'ont fait pour les élections régionales ; ils doivent le faire -si nous en sommes dignes- pour les élections européennes.
Mais nous avons ensuite trois ans pour imaginer de nouvelles politiques, pour nous inspirer de ce qui se fait déjà dans nos collectivités locales, ce qui se fera maintenant à l'échelle de toutes les régions françaises, sauf deux. D'ailleurs, je ne perds pas espoir de conquérir ces deux régions-là lors de prochains scrutins. Je ne voudrais surtout pas que les Alsaciens et les Corses se considèrent bannis de nos espoirs ; ils ont fait des résultats merveilleux ; les Alsaciens, d'abord, qui ont fait le meilleur résultat dans l'Histoire du Parti socialiste. Quant aux Corses, s'ils s'étaient mieux organisés, je pense que nous aurions une région de plus ; et je suis heureux de voir qu'ils se rassemblent tous autour de Michel Rocard.
Nous avons maintenant à imaginer nos politiques. Nous avons à montrer les chemins différents de ceux que la droite emprunte. Nous avons à redonner espoir en la politique, espoir dans le socialisme, espoir dans la gauche. C'est aujourd'hui notre responsabilité au Parti socialiste. Nous n'y parviendrons que par un formidable effort militant d'abord, parce que c'est vous qui ferez le projet des socialistes. Nous le ferons aussi à travers une méthode nouvelle de démocratie participative pour élaborer, comme nous l'avons fait pour les projets régionaux, notre projet national.
Nous le ferons en associant les intellectuels, tous ceux qui voudront être impliqués dans nos propositions et les forces syndicales sans lesquelles rien n'est possible, ni pour préparer l'alternance ni surtout pour gérer les grandes réformes à venir. Et les socialistes y parviendront s'ils savent être respectueux de deux principes :
- L'unité, d'abord. C'est elle qui fait notre force et ceux qui y manquent commettent toujours la première erreur individuelle et collective ;
- La volonté. C'est dur de vouloir changer, c'est dur de transformer un pays, c'est dur de convaincre ; c'est pourquoi nous avons raison d'appeler au courage. Rien n'est facile en politique et l'on ne peut pas simplement compter sur les erreurs des autres -et là nous ne sommes pas déçus- pour revenir aux responsabilités. Ce n'est pas simplement sur les fautes de la droite que la gauche retrouvera force et conviction et surtout la confiance du peuple. C'est d'abord en étant nous-mêmes, en étant capables d'entraîner notre pays, en étant capables de le transformer et de le porter vers son avenir et son destin.
Il nous reste donc beaucoup à faire. D'abord gagner les élections le 13 juin. Ici, avec les candidats autour de Michel Rocard. Ensuite, quand nous aurons démontré que nous sommes majoritaires dans les régions de France, que nous sommes majoritaires au Parlement européen, je pense qu'il sera assez simple de laisser croire, de laisser rêver, de laisser penser que nous pouvons aussi être majoritaires en France, le moment venu.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 4 juin 2004)