Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur la nécessité de mieux coordonner l'aide au développement, de lutter contre la délinquance financière et d'intégrer les pays pauvres dans les échanges économiques, Paris, le 28 juin 2000.

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Circonstance : Clôture de l'Annual Bank Conference on Development Economics (ABCDE-Europe), à Paris, le 28 juin 2000

Texte intégral

Monsieur le président de la Banque mondiale, Monsieur le directeur général du FMI, Mesdames et Messieurs les ministres et les ambassadeurs, beaucoup de choses ont été dites, l'heure devient tardive. Aussi limiterai-je mon intervention, en vous remerciant tous chaleureusement, à quelques mots.
Faire du développement l'objectif premier, en tout cas un objectif majeur, des pouvoirs publics et des décideurs économiques, réduire la pauvreté, est un projet sur lequel en apparence chacun s'accorde. La réalité est toute différente. Au fil du temps, certains se sont même convaincus que pour quelques peuples la détresse était un destin. La réalité c'est que la plupart des pays démunis ont connu, depuis 1960, une croissance faible ou négative, épuisée par la démographie, les épidémies, les conflits. L'écart entre les nations à revenu élevé et celles qui souffrent s'est creusé. Il y a urgence à agir. Oublié de l'après guerre froide, exclu de nouveau de l'Histoire, ramené comme il y a un demi-siècle à 1% du commerce mondial, la situation de l'Afrique notamment se dégrade. Chez nous en France, une petite fille sur deux née en l'an 2000 sera centenaire. Au Sierra Leone, l'espérance de vie est de 25 ans. Un Américain sur 4 utilise régulièrement Internet ; un Africain sur mille y est connecté. Manger à sa faim, dormir en sécurité, boire une eau propre, ce qui est une réalité pour nous est un rêve pour des milliards de gens. Combien de belles paroles restent sans effet. Tranquillement se pérennisent les inégalités d'une société à 2 vitesses, d'un monde avec 2 avenirs.
Dans ces conditions, l'aide au développement n'est pas de la charité, mais un partenariat indispensable. Ce n'est pas une libéralité, mais un devoir. Faire avancer la vie et reculer la mort, c'est de cela dont vous avez parlé. Il ne s'agit pas seulement, d'investissement, de capitaux, mais du devenir de la condition humaine à l'orée d'un millénaire.
Pour sortir des discours un peu lénifiants, - et vous y avez beaucoup aidé - il faut s'entendre sur ce qu'est le développement. Il ne se réduit pas à un modèle univoque, quantifié, calibré. Ce n'est pas une autoroute à sens unique que chaque pays emprunterait à une vitesse fixée par la police financière internationale pour accéder à une destination donnée. Nous savons qu'en matière d'aide publique, la réduction de la dette est essentielle mais nous savons pour autant qu'un jeu d'écritures ne remplace pas un programme de coopération. La force du marché est inopérante là où une majorité d'êtres humains n'y a pas du tout accès.
Nous devons donc apporter des solutions durables. Vous les avez abordées : intégrer les pays concernés dans les échanges mondiaux, leur donner une vraie représentation dans l'OMC, favoriser l'établissement d'accords bilatéraux et des mécanismes régionaux de libre échange, réserver les guichets concessionnels aux plus pauvres, rechercher la complémentarité de l'aide publique et des capitaux privés, sans évincer les organismes financiers locaux, sans capter les ressources, Gouvernance mondiale, nouveau Bretton Woods, Europe.
Pour conclure, ce colloque, ce matin, laissez-moi faire trois annonces : Le monde, le modem, le marché vont désormais de pair. Les principes de sûreté, de prudence et de précaution tendent à devenir universels. Santé et sécurité alimentaire, environnement et protection du vivant, vigilance sur l'atome, prévention des conflits, diffusion des nouvelles technologies, autant de questions auxquelles ne peut pas répondre un Etat isolé. Seule la solidarité conduit au progrès. La gouvernance mondiale en tant qu'instance régulatrice devrait mettre fin à la délinquance financière qui nuit au développement. En tant qu'instance politique, elle devrait fournir le cadre d'un dialogue amélioré avec les réseaux de la société civile et les ONG, entre donateurs et bénéficiaires. En tant qu'instance économique elle devrait favoriser la coordination des aides.
Nous savons que le monde ne changera pas d'un claquement de doigt, au moins devons-nous faire évoluer Bretton Woods - ou revenir à son esprit - vers un système monétaire international excluant la spéculation lorsqu'elle est fatale, pénalisant l'argent lorsqu'il est sale, instituant transparence et régulation. L'Euro a un rôle majeur à y jouer. La Banque mondiale et le FMI y travaillent, mais se heurtent souvent à la résistance ou à l'indifférence des Etats. J'ai beaucoup apprécié ce qu'a indiqué Lionel Jospin, la France n'acceptera pas la révision à la baisse de leur rôle, ni de leurs ambitions en matière de développement.
Quand on est né en Europe, - et c'est en Europe que nous vous accueillons - on a un devoir particulier de responsabilité. Avec au moins 3 grandes orientations.
1)Avant de demander aux pays bénéficiaires une bonne gestion des projets d'aides, je pense qu'il nous faut pratiquer la coordination avec les autres bailleurs, par une concentration au bénéfice des territoires qui en ont un réel besoin, par l'évaluation et la bonne affectation des fonds.
2)Unifions les points de vue européens et donc leur expression au sein des instances internationales. La voix des 15 est plus forte que 15 voix. Et cette voix doit couvrir tous les aspects et pas seulement les aspects économiques.
3)Enfin ayons le courage d'ouvrir nos marchés aux économies en développement. Notre intérêt bien compris à terme n'est pas le protectionnisme. Une autre attitude est nécessaire qui est plus facile à adopter quand la croissance et la confiance sont là, quand le chômage et la crise reculent. Adoptons la.
Mesdames et Messieurs, le développement, c'est notamment davantage de transparence et de régulation encadrant la mondialisation. Le développement ce n'est pas seulement le soutien des uns aux autres, mais l'entraide et la solidarité. Le développement c'est notre message, ce sont nos valeurs, c'est une cause pour laquelle vous réfléchissez, vous proposez et vous agissez. C'est une cause à laquelle la France croit énormément et pour laquelle elle ne cessera pas de se battre. Avec vous.
(source http://www.finances.gouv.fr, le 29 juin 2000)