Texte intégral
Q- S. Paoli-. Elections européennes : serait-ce à nouveau un test politique national ? Pour l'UMP, A . Juppé veut donner à cette campagne une double dimension, européenne et nationale. Deux combats qui, à ses yeux, n'en font qu'un, cependant que J.-L. Borloo, ministre de la Cohésion sociale, ironise sur ce qu'il juge être, là, je cite, " phraséologie arrogante des dirigeants socialistes ".
Double enjeu dit A . Juppé, est-ce qu'il ne répond pas au fond à votre propre phrase ? Vous aviez dit, pour l'Europe et contre le Gouvernement. Là aussi test national et enjeu européen, ou l'inverse ?
R- "Moi je pense que l'élection du 13 juin doit être utile, utile à l'Europe, parce qu'il faut qu'elle se construise politiquement. Et on en a besoin de l'Europe, quand on voit ce qui se passe notamment en Irak et au Proche-Orient. Il faut que l'Europe se construise socialement, parce qu'on ne peut pas accepter simplement que l'Europe ne soit qu'un marché. Il faut qu'elle se construise aussi militairement, parce qu'on a besoin d'une Europe qui puisse peser, avec un outil de défense. Alors voilà pourquoi l'élection, elle est d'abord utile à l'Europe, et je veux que les socialistes dans une campagne où ils ne sont pas seuls - puisque nous serons avec l'ensemble des socialistes en Europe - portent ces objectifs-là. Moi je veux qu'après le 13 juin, nous puissions faire avancer l'Europe vers ces objectifs-là. Et puis il faut que l'élection soit utile aux Français. Ils vont avoir à se prononcer une nouvelle fois, et, de la même manière que leur vote a été utile, au moment des élections régionales et cantonales - non pas simplement parce qu'il y a eu 20 régions sur 22 qui sont maintenant dirigées par la gauche, ce qui va entraîner la gratuité des livres, des emplois qui peuvent être créés dans les associations, et également une protection de l'environnement, non -, il faut que nous puissions faire reculer le Gouvernement sur deux ou trois sujets essentiels : je pense notamment à celui de la Sécurité sociale parce que, hier, le Premier ministre a développé son plan. Il n'est pas juste, et c'est apparu, je crois, en ce matin d'hier, tout à fait l'évidence, au grand jour, parce que lorsqu'on demande une contribution d'un euro à tous les Français, quand on augmente le forfait hospitalier de 3 euros, quand on augmente la CSG sur les retraités, mais aussi sur tous les salariés, et qu'on ne demande rien aux revenus du capital, et peu à l'entreprise, c'est vrai que ça suscite de la réprobation. Et puis il y a un deuxième sujet, ce sont les services publics. Aujourd'hui il va se passer une grande manifestation pour la défense du service public, pas d'intérêts catégoriels, non, du service public. Oui, je pense qu'à ce moment elle doit être utile, parce qu'on a fait reculer le Gouvernement après les élections régionales, sur les recalculés de l'UNEDIC, je l'espère sur les intermittents du spectacle, sur les chercheurs. Il faut faire reculer le Gouvernement sur ces sujets-là si bien sûr la gauche et le Parti socialiste l'emportent."
Q- Mais vous avez bien sûr entendu les arguments du Premier ministre, c'est d'ailleurs assez classique, c'est toujours arguments contre arguments. Il vous dit, en fait, que quand la gauche était au pouvoir elle n'a pas profité suffisamment des fruits de la croissance pour investir là où il fallait investir, pour etc, etc... Donc on n'en sort jamais au fond de cette vision-là !
R- "Oui, et puis je ne veux pas rentrer dans ce petit jeu, mais quand même."
Q- Est-ce que c'est un jeu d'abord ? C'est sérieux, c'est de la politique.
R- "Bien sûr, mais quand on est simplement dans la responsabilité du prédécesseur et dans la peur du successeur, car c'est bien de cela qu'il s'agit, moi je préfère rester sur la vérité des chiffres. Lorsque la gauche était aux responsabilités, il y a encore quelques mois, années, les comptes de la Sécurité sociale étaient à l'équilibre. Et il y avait, c'est vrai, de la croissance. La croissance, ça permettait justement d'équilibrer les comptes de la Sécurité sociale, de créer de l'emploi et d'éviter de demander aux Français des sacrifices inutiles. Donc, quand le Premier ministre nous dit : "ah oui mais vous, vous aviez de la croissance", je réponds : "oui, il y avait de la croissance, et vous, vous en manquez". Quand il nous répond : "mais vous, les comptes de la Sécurité sociale étaient équilibrés, parce que vous aviez la croissance", je dis : "oui, et donc nous n'avions pas besoin de faire une potion, une de plus, à l'endroit des Français". Alors maintenant je préfère regarder vers l'avenir, moi ce qui me paraît insupportable dans les déclarations du Premier ministre, c'est cette espèce d'autosatisfaction décalée, déplacée. Parce que quand même, dire aujourd'hui que la croissance repart, quand nous avons le sentiment qu'elle est extrêmement fragile cette reprise, et notamment à cause de cette augmentation du prix du pétrole, qui devrait aujourd'hui être la préoccupation majeure du Gouvernement, non pas parce qu'il pourrait en maîtriser le cours au niveau mondial, mais au moins éviter que le pouvoir d'achat des Français soit entamé par cette augmentation du prix de l'énergie. Et nous avons fait la proposition qu'on réintroduise la TIPP flottante, c'est-à-dire l'impôt sur l'essence, de manière à ce qu'il puisse, lui-même, fluctuer en fonction du cours du pétrole, on nous répond "non" et on voit bien les conséquences que ça peut avoir sur la consommation. Ma préoccupation essentielle aujourd'hui, c'est le pouvoir d'achat des ménages. Précisément, J.-P. Raffarin n'en a pas parlé. Optimisme aussi complètement décalé par rapport à la réforme de la Sécurité sociale. Quand il n'est rien proposé comme un changement de l'organisation du système de soins, comme une amélioration de la prévention, comme changement du financement de la Sécurité sociale, comment prétendre qu'il va être réglé, le problème du financement de la Sécurité sociale ? Pire encore, j'ai entendu M. Douste-Blazy dire qu'on va emprunter sur l'ensemble de la législature, pour financer les déficits qui vont être laissés par le gouvernement Raffarin, ou son successeur. Ça veut dire que ce sont les générations futures, nos enfants, nous-mêmes, qui allons payer pour nos dépenses d'aujourd'hui. C'est insupportable. C'est pour ça que je pense que le Gouvernement est non seulement injuste, ce qui est déjà grave, mais incohérent dans ses choix."
Q-Alors on entend bien, double enjeu, nationale et européen, mais on a envie de vous renvoyer chacun dans son camp, à droite comme à gauche. Hier, sur cette antenne, il est vrai que le Premier ministre a rouvert le débat dans la majorité s'agissant de la présidence de l'UMP, et on voit bien que la question Sarkozy se pose très bien. Et puis à gauche, on en parlait dans le journal de 8H00 aussi, la guerre des chefs est engagée. Est-ce qu'il ne faut pas, à droite comme à gauche, puisque vous ambitionnez les uns et les autres de répondre aux vraies questions européennes, d'abord régler des problèmes élémentaires au niveau national ?
R - "Mais je pense que les questions de désignation viendront le moment venu, elles ne sont pas la campagne des élections européennes."
Q- On entend que ça.
R - "Non, mais, écoutez, vous entendez que ça parce que vous voulez parfois, pardonnez-moi, n'entendre que cela. Moi je considère qu'il faut faire de la politique avec méthode et respect. La méthode, c'est celle que j'ai appliquée depuis deux ans, après la sanction que l'on sait, et que je n'oublie pas, et dont il faut continuer à tirer les leçons. Moi, j'ai redressé le Parti socialiste, c'était nécessaire, je l'ai rassemblé, ça a été indispensable, je l'ai conduit avec tous mes amis socialistes qui ont travaillé à cette fin, à la victoire, modeste, - je veux ici rassurer tous nos auditeurs -, aux élections régionales, je suis tourné vers les élections européennes parce que je considère que c'est un moment décisif, pas simplement pour l'avenir de la gauche ou du Parti socialiste, non, pour l'avenir de l'Europe, parce que c'est maintenant que vont se faire les choix. Quelle Constitution, quelle organisation sociale, quelle politique étrangère, quelle volonté, au-delà de l'élargissement, de peser sur le destin du monde, voilà quel est l'enjeu. Après, quel sera, si victoire est au rendez-vous pour le Parti socialiste, le défi qui sera le nôtre collectivement ? C'est de préparer un projet qui soit capable d'être respectueux de la vérité. Nous n'avons pas le droit de mentir, à la différence de ceux qui nous gouvernent aujourd'hui. Est-ce que nous sommes capables de le faire avec l'imagination qui convient, parce qu'il faut donner envie de faire de la politique, en tout cas envie d'écouter ce que disent les acteurs politiques. Et enfin être capables de porter une volonté de transformation. C'est ça la prochaine étape. Et puis, en 2006, avant les élections présidentielles, nous choisirons - et j'en serai le garant - celui, celle, qui sera notre candidat à l'élection présidentielle. Et c'est ainsi que nous arriverons précisément à le faire gagner ou pas, à le faire gagner, lui ou elle, à faire gagner les Français."
Q- Alors c'est intéressant, parce qu'il y a des parallèles qui s'imposent. Ce langage d'autorité, que vous tenez à cet instant - "j'en serai le garant, dites-vous" - J.-P. Raffarin disait à peu près la même chose hier, s'agissant du débat à l'intérieur de la majorité, et de l'UMP.
R - "Je ne veux pas faire de comparaison parce que la situation de la droite ne m'intéresse qu'indirectement, même si j'en suis également un observateur.."
Q- Non, mais la question reste posée. Etes-vous en situation, aujourd'hui, de tenir le débat à gauche ? Etes-vous en situation de contenir les Fabius, Strauss-Kahn, Aubry et autres qui ont fait preuve de leurs ambitions et de leur volonté politique ?
R - "Alors d'abord, j'ai cru comprendre que M. Raffarin hier était candidat à la présidence de l'UMP. Ce n'était pas simplement une volonté de peser sur le Gouvernement, de montrer une autorité sur ses ministres. C'était aussi, si j'ai bien compris - mais ai-je bien compris, je n'en sais rien - une volonté d'être lui-même candidat à la présidence de l'UMP pour en empêcher d'autres de l'être. Moi je n'ai pas besoin d'être candidat, je suis premier secrétaire du Parti socialiste. J'ai le rôle de rassembler tous les socialistes. Et je veux vous dire ici que même s'il est normal que chacune des personnalités qui composent la direction du Parti socialiste, ceux qui ont vocation à s'exprimer au nom du Parti socialiste, c'est normal que ces personnalités essaient d'apparaître sous leur meilleur jour, apportent des idées, veulent être des instruments de rénovation et de renouvellement, ça c'est normal. Et je demande d'ailleurs que cet appel à l'imagination, au renouvellement, se poursuive. Mais en même temps, et je crois qu'ils en sont tous conscients, je veux vous le dire parce que nous, nous avons une responsabilité, nous savons d'où nous venons, et nous savons tout ce qu'il reste à faire pour convaincre les Français : nous avons à respecter les temps, les échéances, les moments - et j'en suis le garant, parce que je suis premier secrétaire - et, en même temps, je suis convaincu que je n'ai pas besoin, moi, de faire des prétentions d'autorité parce que chacun a à l'esprit ce qu'est son devoir."
Q- Et L. Jospin, est-ce que c'est l'éternel retour qui n'en est jamais tout à fait un ?
R - "Ecoutez, L. Jospin est dans la campagne européenne et j'en suis très heureux, parce que dans cette campagne européenne, il faut s'adresser aux Français. Et donc le fait que L. Jospin, avec son expérience, avec ce qu'il a fait pour l'Europe, qu'il soit dans la campagne européenne, comme nos candidats, comme tous ceux qui ont vocation à s'exprimer au nom du Parti socialiste, c'est bien. Il faut parler de l'Europe dans cette campagne des européennes, pardonnez-moi de le dire, ce n'est pas le sujet de la présidentielle, ce n'est pas simplement le sujet de savoir qui va être le président de l'UMP - franchement, personne, sauf quelques-uns à droite, en sont aujourd'hui friands. Donc je pense que pour moi, pour le Parti socialiste, pendant les 15 jours qui nous restent, je veux insister sur le vote utile. Il faut que chaque fois qu'on vote, et on l'a montré au mois de mars, d'autres l'ont montré en Espagne il y a peu de temps, ce soit utile, parce qu'il n'y a que le suffrage universel, au-delà de ce que peuvent faire un certain nombre de mouvements sociaux, on le sait, ou de revendications associatives nécessaires, ou de ce que peut vouloir à travers les sondages l'opinion, non, il n'y a que le vote qui donne la clarté, et la force nécessaire."
Q- Un dernier mot sur une question de société qui n'est pas une question simple, le mariage des homosexuels. Vous avez vu les dernières décisions qui viennent d'être prises, le mariage en fait est interdit maintenant. A gauche, vous êtes un certain nombre à avoir pris position. Votre point de vue sur ce qui peut ou ne plus se passer maintenant, dans les jours qui viennent.
R- "Vous l'avez dit, ce n'est pas une question simple. Là aussi il faut la prendre avec intelligence, souci de comprendre et volonté d'évolution, si c'est nécessaire. Et je ne pense pas que la méthode qui consiste à enfreindre la loi d'aujourd'hui soit la bonne. Ce qu'il faut faire quand on est législateur, c'est de préparer les évolutions futures, la loi future. Mais en attendant que l'on ait fait la loi future, qui doit faire un certain nombre d'évolutions, il faut respecter la loi actuelle. C'est ça la République."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 mai 2004)
Double enjeu dit A . Juppé, est-ce qu'il ne répond pas au fond à votre propre phrase ? Vous aviez dit, pour l'Europe et contre le Gouvernement. Là aussi test national et enjeu européen, ou l'inverse ?
R- "Moi je pense que l'élection du 13 juin doit être utile, utile à l'Europe, parce qu'il faut qu'elle se construise politiquement. Et on en a besoin de l'Europe, quand on voit ce qui se passe notamment en Irak et au Proche-Orient. Il faut que l'Europe se construise socialement, parce qu'on ne peut pas accepter simplement que l'Europe ne soit qu'un marché. Il faut qu'elle se construise aussi militairement, parce qu'on a besoin d'une Europe qui puisse peser, avec un outil de défense. Alors voilà pourquoi l'élection, elle est d'abord utile à l'Europe, et je veux que les socialistes dans une campagne où ils ne sont pas seuls - puisque nous serons avec l'ensemble des socialistes en Europe - portent ces objectifs-là. Moi je veux qu'après le 13 juin, nous puissions faire avancer l'Europe vers ces objectifs-là. Et puis il faut que l'élection soit utile aux Français. Ils vont avoir à se prononcer une nouvelle fois, et, de la même manière que leur vote a été utile, au moment des élections régionales et cantonales - non pas simplement parce qu'il y a eu 20 régions sur 22 qui sont maintenant dirigées par la gauche, ce qui va entraîner la gratuité des livres, des emplois qui peuvent être créés dans les associations, et également une protection de l'environnement, non -, il faut que nous puissions faire reculer le Gouvernement sur deux ou trois sujets essentiels : je pense notamment à celui de la Sécurité sociale parce que, hier, le Premier ministre a développé son plan. Il n'est pas juste, et c'est apparu, je crois, en ce matin d'hier, tout à fait l'évidence, au grand jour, parce que lorsqu'on demande une contribution d'un euro à tous les Français, quand on augmente le forfait hospitalier de 3 euros, quand on augmente la CSG sur les retraités, mais aussi sur tous les salariés, et qu'on ne demande rien aux revenus du capital, et peu à l'entreprise, c'est vrai que ça suscite de la réprobation. Et puis il y a un deuxième sujet, ce sont les services publics. Aujourd'hui il va se passer une grande manifestation pour la défense du service public, pas d'intérêts catégoriels, non, du service public. Oui, je pense qu'à ce moment elle doit être utile, parce qu'on a fait reculer le Gouvernement après les élections régionales, sur les recalculés de l'UNEDIC, je l'espère sur les intermittents du spectacle, sur les chercheurs. Il faut faire reculer le Gouvernement sur ces sujets-là si bien sûr la gauche et le Parti socialiste l'emportent."
Q- Mais vous avez bien sûr entendu les arguments du Premier ministre, c'est d'ailleurs assez classique, c'est toujours arguments contre arguments. Il vous dit, en fait, que quand la gauche était au pouvoir elle n'a pas profité suffisamment des fruits de la croissance pour investir là où il fallait investir, pour etc, etc... Donc on n'en sort jamais au fond de cette vision-là !
R- "Oui, et puis je ne veux pas rentrer dans ce petit jeu, mais quand même."
Q- Est-ce que c'est un jeu d'abord ? C'est sérieux, c'est de la politique.
R- "Bien sûr, mais quand on est simplement dans la responsabilité du prédécesseur et dans la peur du successeur, car c'est bien de cela qu'il s'agit, moi je préfère rester sur la vérité des chiffres. Lorsque la gauche était aux responsabilités, il y a encore quelques mois, années, les comptes de la Sécurité sociale étaient à l'équilibre. Et il y avait, c'est vrai, de la croissance. La croissance, ça permettait justement d'équilibrer les comptes de la Sécurité sociale, de créer de l'emploi et d'éviter de demander aux Français des sacrifices inutiles. Donc, quand le Premier ministre nous dit : "ah oui mais vous, vous aviez de la croissance", je réponds : "oui, il y avait de la croissance, et vous, vous en manquez". Quand il nous répond : "mais vous, les comptes de la Sécurité sociale étaient équilibrés, parce que vous aviez la croissance", je dis : "oui, et donc nous n'avions pas besoin de faire une potion, une de plus, à l'endroit des Français". Alors maintenant je préfère regarder vers l'avenir, moi ce qui me paraît insupportable dans les déclarations du Premier ministre, c'est cette espèce d'autosatisfaction décalée, déplacée. Parce que quand même, dire aujourd'hui que la croissance repart, quand nous avons le sentiment qu'elle est extrêmement fragile cette reprise, et notamment à cause de cette augmentation du prix du pétrole, qui devrait aujourd'hui être la préoccupation majeure du Gouvernement, non pas parce qu'il pourrait en maîtriser le cours au niveau mondial, mais au moins éviter que le pouvoir d'achat des Français soit entamé par cette augmentation du prix de l'énergie. Et nous avons fait la proposition qu'on réintroduise la TIPP flottante, c'est-à-dire l'impôt sur l'essence, de manière à ce qu'il puisse, lui-même, fluctuer en fonction du cours du pétrole, on nous répond "non" et on voit bien les conséquences que ça peut avoir sur la consommation. Ma préoccupation essentielle aujourd'hui, c'est le pouvoir d'achat des ménages. Précisément, J.-P. Raffarin n'en a pas parlé. Optimisme aussi complètement décalé par rapport à la réforme de la Sécurité sociale. Quand il n'est rien proposé comme un changement de l'organisation du système de soins, comme une amélioration de la prévention, comme changement du financement de la Sécurité sociale, comment prétendre qu'il va être réglé, le problème du financement de la Sécurité sociale ? Pire encore, j'ai entendu M. Douste-Blazy dire qu'on va emprunter sur l'ensemble de la législature, pour financer les déficits qui vont être laissés par le gouvernement Raffarin, ou son successeur. Ça veut dire que ce sont les générations futures, nos enfants, nous-mêmes, qui allons payer pour nos dépenses d'aujourd'hui. C'est insupportable. C'est pour ça que je pense que le Gouvernement est non seulement injuste, ce qui est déjà grave, mais incohérent dans ses choix."
Q-Alors on entend bien, double enjeu, nationale et européen, mais on a envie de vous renvoyer chacun dans son camp, à droite comme à gauche. Hier, sur cette antenne, il est vrai que le Premier ministre a rouvert le débat dans la majorité s'agissant de la présidence de l'UMP, et on voit bien que la question Sarkozy se pose très bien. Et puis à gauche, on en parlait dans le journal de 8H00 aussi, la guerre des chefs est engagée. Est-ce qu'il ne faut pas, à droite comme à gauche, puisque vous ambitionnez les uns et les autres de répondre aux vraies questions européennes, d'abord régler des problèmes élémentaires au niveau national ?
R - "Mais je pense que les questions de désignation viendront le moment venu, elles ne sont pas la campagne des élections européennes."
Q- On entend que ça.
R - "Non, mais, écoutez, vous entendez que ça parce que vous voulez parfois, pardonnez-moi, n'entendre que cela. Moi je considère qu'il faut faire de la politique avec méthode et respect. La méthode, c'est celle que j'ai appliquée depuis deux ans, après la sanction que l'on sait, et que je n'oublie pas, et dont il faut continuer à tirer les leçons. Moi, j'ai redressé le Parti socialiste, c'était nécessaire, je l'ai rassemblé, ça a été indispensable, je l'ai conduit avec tous mes amis socialistes qui ont travaillé à cette fin, à la victoire, modeste, - je veux ici rassurer tous nos auditeurs -, aux élections régionales, je suis tourné vers les élections européennes parce que je considère que c'est un moment décisif, pas simplement pour l'avenir de la gauche ou du Parti socialiste, non, pour l'avenir de l'Europe, parce que c'est maintenant que vont se faire les choix. Quelle Constitution, quelle organisation sociale, quelle politique étrangère, quelle volonté, au-delà de l'élargissement, de peser sur le destin du monde, voilà quel est l'enjeu. Après, quel sera, si victoire est au rendez-vous pour le Parti socialiste, le défi qui sera le nôtre collectivement ? C'est de préparer un projet qui soit capable d'être respectueux de la vérité. Nous n'avons pas le droit de mentir, à la différence de ceux qui nous gouvernent aujourd'hui. Est-ce que nous sommes capables de le faire avec l'imagination qui convient, parce qu'il faut donner envie de faire de la politique, en tout cas envie d'écouter ce que disent les acteurs politiques. Et enfin être capables de porter une volonté de transformation. C'est ça la prochaine étape. Et puis, en 2006, avant les élections présidentielles, nous choisirons - et j'en serai le garant - celui, celle, qui sera notre candidat à l'élection présidentielle. Et c'est ainsi que nous arriverons précisément à le faire gagner ou pas, à le faire gagner, lui ou elle, à faire gagner les Français."
Q- Alors c'est intéressant, parce qu'il y a des parallèles qui s'imposent. Ce langage d'autorité, que vous tenez à cet instant - "j'en serai le garant, dites-vous" - J.-P. Raffarin disait à peu près la même chose hier, s'agissant du débat à l'intérieur de la majorité, et de l'UMP.
R - "Je ne veux pas faire de comparaison parce que la situation de la droite ne m'intéresse qu'indirectement, même si j'en suis également un observateur.."
Q- Non, mais la question reste posée. Etes-vous en situation, aujourd'hui, de tenir le débat à gauche ? Etes-vous en situation de contenir les Fabius, Strauss-Kahn, Aubry et autres qui ont fait preuve de leurs ambitions et de leur volonté politique ?
R - "Alors d'abord, j'ai cru comprendre que M. Raffarin hier était candidat à la présidence de l'UMP. Ce n'était pas simplement une volonté de peser sur le Gouvernement, de montrer une autorité sur ses ministres. C'était aussi, si j'ai bien compris - mais ai-je bien compris, je n'en sais rien - une volonté d'être lui-même candidat à la présidence de l'UMP pour en empêcher d'autres de l'être. Moi je n'ai pas besoin d'être candidat, je suis premier secrétaire du Parti socialiste. J'ai le rôle de rassembler tous les socialistes. Et je veux vous dire ici que même s'il est normal que chacune des personnalités qui composent la direction du Parti socialiste, ceux qui ont vocation à s'exprimer au nom du Parti socialiste, c'est normal que ces personnalités essaient d'apparaître sous leur meilleur jour, apportent des idées, veulent être des instruments de rénovation et de renouvellement, ça c'est normal. Et je demande d'ailleurs que cet appel à l'imagination, au renouvellement, se poursuive. Mais en même temps, et je crois qu'ils en sont tous conscients, je veux vous le dire parce que nous, nous avons une responsabilité, nous savons d'où nous venons, et nous savons tout ce qu'il reste à faire pour convaincre les Français : nous avons à respecter les temps, les échéances, les moments - et j'en suis le garant, parce que je suis premier secrétaire - et, en même temps, je suis convaincu que je n'ai pas besoin, moi, de faire des prétentions d'autorité parce que chacun a à l'esprit ce qu'est son devoir."
Q- Et L. Jospin, est-ce que c'est l'éternel retour qui n'en est jamais tout à fait un ?
R - "Ecoutez, L. Jospin est dans la campagne européenne et j'en suis très heureux, parce que dans cette campagne européenne, il faut s'adresser aux Français. Et donc le fait que L. Jospin, avec son expérience, avec ce qu'il a fait pour l'Europe, qu'il soit dans la campagne européenne, comme nos candidats, comme tous ceux qui ont vocation à s'exprimer au nom du Parti socialiste, c'est bien. Il faut parler de l'Europe dans cette campagne des européennes, pardonnez-moi de le dire, ce n'est pas le sujet de la présidentielle, ce n'est pas simplement le sujet de savoir qui va être le président de l'UMP - franchement, personne, sauf quelques-uns à droite, en sont aujourd'hui friands. Donc je pense que pour moi, pour le Parti socialiste, pendant les 15 jours qui nous restent, je veux insister sur le vote utile. Il faut que chaque fois qu'on vote, et on l'a montré au mois de mars, d'autres l'ont montré en Espagne il y a peu de temps, ce soit utile, parce qu'il n'y a que le suffrage universel, au-delà de ce que peuvent faire un certain nombre de mouvements sociaux, on le sait, ou de revendications associatives nécessaires, ou de ce que peut vouloir à travers les sondages l'opinion, non, il n'y a que le vote qui donne la clarté, et la force nécessaire."
Q- Un dernier mot sur une question de société qui n'est pas une question simple, le mariage des homosexuels. Vous avez vu les dernières décisions qui viennent d'être prises, le mariage en fait est interdit maintenant. A gauche, vous êtes un certain nombre à avoir pris position. Votre point de vue sur ce qui peut ou ne plus se passer maintenant, dans les jours qui viennent.
R- "Vous l'avez dit, ce n'est pas une question simple. Là aussi il faut la prendre avec intelligence, souci de comprendre et volonté d'évolution, si c'est nécessaire. Et je ne pense pas que la méthode qui consiste à enfreindre la loi d'aujourd'hui soit la bonne. Ce qu'il faut faire quand on est législateur, c'est de préparer les évolutions futures, la loi future. Mais en attendant que l'on ait fait la loi future, qui doit faire un certain nombre d'évolutions, il faut respecter la loi actuelle. C'est ça la République."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 mai 2004)