Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur la réforme de la gestion du budget de l'État, la LOLF, Paris le 3 novembre 2004.

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Circonstance : Séminaire rassemblant l'ensemble des responsables de programme LOLF le 3 novembre 2004

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
La LOLF est une très grande réforme. Mais les meilleures réformes ; les plus intelligentes, ne prennent corps que lorsqu'elles sont portées par des gens qui en sont responsables. Responsables, vous l'êtes par définition, puisque vous avez été désignés depuis le 28 juin comme " responsables de programme ", des 132 programmes qui composent désormais l'action de l'État. Dorénavant, vous ne vous identifiez plus seulement à des enveloppes de moyens, vous incarnez chacun, chacune, une politique, un pan de l'action de l'État.
Il n'est que temps d'opérer ce changement. Une culture nouvelle doit naître dans toute l'administration française.
Et cela pour deux raisons principales :
- la situation de nos finances publiques ne nous permet plus de dépenser davantage. Avec 1000 milliards d'euros de dette, il serait irresponsable de creuser encore nos déficits, 14 % de nos charges budgétaires sont déjà consacrées à payer les intérêts de la dette. Il nous faut donc rompre une bonne fois pour toutes avec la politique de Gribouille des déficits publics qui augmentent. Nous avons aussi des engagements européens de réduction des déficits et il nous faut naturellement les tenir. Mais le simple bon sens, le sens des responsabilités doit nous convaincre, tous, que notre endettement public doit arrêter de croître, et pour cela les dépenses publiques doivent arrêter de progresser. Elles doivent aussi gagner en souplesse. Leur rigidité excessive compromet les redéploiements nécessaires au financement des priorités, donc à la préparation de l'avenir. Dire cela, c'est déjà être très exigeant avec nos administrations.
- Mais il y a une deuxième réalité, qui aggrave la première : les Français sont devenus beaucoup plus exigeants en tant qu'usagers du service public, avec toutes sortes de bonnes raisons, d'ailleurs. Cela va des élèves des collèges en difficulté, aux entreprises ne comprenant pas leur situation fiscale, ou bien sûr aux victimes d'agressions se tournant vers les forces de sécurité. Je ne suis donc pas en train de vous dire que le service public va devoir se réduire, au contraire. La demande des Français est de plus en plus grande, et de plus en plus forte, car les situations de la vie sont de plus en plus compliquées à gérer. La seule solution est de s'adapter à cette demande, et de demander à l'administration, aussi, ce travail d'adaptation.
Faire mieux, avec moins de moyens, voilà donc le défi qui nous attend dans les années qui viennent.
Jusqu'à présent, nous avons raisonné en structures, en directions, en services, en bureaux, nous voyons bien que ce raisonnement est dépassé par la réalité. Cette pyramide administrative ne peut redevenir efficace que si un autre raisonnement lui est insufflé. Ce raisonnement consiste à partir des attentes des Français, et c'est ce que la LOLF nous permet d'amorcer à partir des " programmes ". Un programme, c'est un axe de l'action gouvernementale que l'on peut identifier. L'école, la justice, la recherche, le développement des entreprises, la protection judiciaire de la jeunesse, ce sont des politiques très bien identifiées par les Français.
Cela implique, pour vous, plusieurs conséquences directes :
- l'administration ne va plus pouvoir rester à l'écart de la réforme, c'est-à-dire se contenter d'exécuter les projets de réforme des ministres successifs, et considérer qu'elle-même n'a pas à être réformée. D'où un doublement de vos responsabilités : appliquer une politique, et en même temps mener des réorganisations. Cela implique aussi de développer de nouvelles compétences au sein des services, car ce ne sont pas les mêmes métiers que d'appliquer des réformes et de les concevoir pour soi même.
- votre responsabilité est très particulière car elle est de réformer la culture de l'administration. Les structures sans aucun doute devront être réorganisées. Mais on ne fait pas de cette réorganisation un préalable. L'objectif n'est pas celui là. Il est d'installer une nouvelle mentalité, quelles que soient les structures, actuelles ou à venir. C'est beaucoup plus ambitieux, plus profond et plus compliqué.
- troisième conséquence : cette responsabilité est identifiée. Vous étiez déjà des directeurs d'administration centrale ou des chefs de service, et vous le restez. Mais vous êtes désormais, aussi le - ou la - responsable identifié d'une politique ou d'un volet d'une politique. Cela bouleverse la tradition bureaucratique qui est la nôtre. Comment les choses fonctionnent-elles traditionnellement ? On peut toujours se retrancher derrière un chef, un collègue, un subordonné, voire même un ministre, pour démontrer qu'on n'est pas forcément pour grand-chose dans ce qui se passe. On est très fier de dire qu'on a " des responsabilités ", mais quant à dire que l'on est responsable, c'est autre chose. Cette dissociation va devenir beaucoup plus difficile ! Aux yeux de tous, vous avez maintenant " une " responsabilité. Et cette responsabilité sera diffusée à tous les échelons.
- Vous sortez aussi de l'anonymat vis-à-vis de la représentation nationale. Là aussi, une tradition séculaire veut que le Parlement ne connaisse que les ministres. Les " services " quant à eux apparaissent timidement, alignés derrière leur ministre lors des discussions parlementaires, ou à titre exceptionnel, en cas de commission d'enquête. Je caricature à peine. Dorénavant, lorsque les parlementaires voudront des explications sur un programme, qu'ils auront voté, ils sauront facilement où s'adresser. Si on veut savoir comment marche la sécurité routière, ou la protection de l'environnement, on saura rapidement qui interroger : ce sera vous, et ce sera sur des décisions que vous aurez prises.
Bien évidemment, le ministre garde la responsabilité politique de son action. Mais vous devenez des interlocuteurs habituels de la représentation nationale, et il y a là, encore, une tâche nouvelle, et me semble-t-il, extrêmement valorisante. On revient aux sources des institutions : c'est le Parlement qui vote le budget, les lois, et qui représente les Français. L'administration, quelle que soit sa qualité, s'inscrit dans ce cadre, et ne doit plus fonctionner en circuit fermé.
- cinquième conséquence : vous devrez présenter votre stratégie de programme. Ce travail a déjà commencé autour du PLF 2005. Il va se généraliser l'année prochaine. On voit toute la difficulté de l'exercice. Il faut à la fois réfléchir sur ses missions, se fixer des objectifs, définir des indicateurs de résultats. Redoutable exercice : à quoi sert l'école primaire, à quoi sert la justice ? Il va falloir y réfléchir, l'écrire, le justifier. Ce n'est pas la première réflexion menée par l'administration centrale évidemment. On a déjà connu, par exemple, l'expérience des projets de service. Mais c'est la première fois que cette réflexion est soumise à un jugement extérieur, qu'elle est menée dans un souci d'efficacité collective. Vous allez devoir confronter vos propositions au jugement du Parlement, à sa critique, à ses propres propositions. Et cela c'est totalement nouveau.
- Et ce n'est qu'un début. A partir de 2006, il faudra justifier des crédits au premier euro. Ça aussi, c'est une révolution. On ne considère plus comme acquis 95 % des crédits, ce que l'on appelait les services votés. On doit justifier devant la représentation nationale de l'utilisation des impôts des Français, intégralement. Chaque année, on est appelé à la fois à justifier l'inscription de crédits autour des objectifs, et à s'expliquer sur l'utilisation de l'exercice précédent. Et cet exercice va se faire de façon continue, pas seulement au moment de la préparation de la loi de finances. Car la responsabilité d'un programme, c'est évidemment tous les jours, ce n'est pas un travail annuel d'explication, c'est un travail quotidien de gestion. C'est cela qui va devenir le cur de votre mission : vous n'aurez pas seulement à représenter, à expliquer, le programme. Vous aurez à le concevoir et à le gérer. Chacun d'entre vous allez maintenant être le chef d'une équipe, chargée d'atteindre des objectifs.
Cela représente au moins deux changements majeurs : il va falloir choisir des priorités, et c'est difficile. Ce n'est pas notre tradition, nous avons l'habitude de superposer les priorités tout autant que les structures. D'autant il faut bien le dire, que l'importance de la dépense apparaît souvent comme un indicateur de succès. Un bon budget pour les ministres comme pour les directeurs, est encore la plupart du temps un budget en augmentation, alors que tout notre effort collectif devrait tendre vers la maîtrise de la dépense. Maintenant, on va vous demander de faire des choix. Assurer la sécurité des Français, c'était déjà très difficile ! Mais, " adapter la présence policière sur la voie publique aux réalités de la délinquance ", c'est redoutable !
Et il sera tout aussi redoutable d'avoir à remplir ces objectifs et d'en rendre compte. Parce qu'il ne va pas suffire d'annoncer des objectifs. Il va falloir les atteindre. On arrive là au cur de votre nouvelle mission : vous allez être à la tête d'enveloppes budgétaires largement " fongibles ", ce qui élargit considérablement le champ de la décision. Il ne sera plus possible de se retrancher derrière une nomenclature, des titres et des chapitres, pour dire qu'on ne peut pas faire. C'est évidemment moins confortable, mais cela veut dire que vous allez pouvoir décider de beaucoup de choses. La réforme du contrôle financier va vous y aider. En fait pour l'essentiel, vous allez pouvoir décider librement de l'affectation de vos ressources. Je ne suis pas en train de dire que vous allez réinventer vos services. Mais vous allez pouvoir les faire évoluer Nous avez des moyens, qui vous sont alloués au départ, avec une enveloppe de crédits consacrée au personnel et un nombre d'emplois, avec la liberté de choisir leur répartition. Tous les choix de gestion vous sont ouverts. On n'a pas supprimé les corps de fonctionnaires, mais c'est à vous de savoir et de décider si vous voulez plus, ou moins de personnel qualifié, en redéployant votre budget. Redoutable responsabilité, là encore.
- Vous allez fonctionner avec un budget global, et vous allez donc être confrontés au même problème que le ministre de l'économie et des finances : où trouver des marges de manuvre ? Et le fait de réaliser des économies va devenir très intéressant pour vous, car vous pourrez ainsi redéployer des crédits. Si on y réfléchit bien, du reste, il est tout à fait normal que l'État dans son ensemble soit solidaire vis-à-vis de la contrainte budgétaire. C'est même le seul moyen que cette contrainte soit durablement intégrée. Il est sain qu'on sorte de ce jeu de rôles convenu où celui qui décide des réductions de crédits n'est pas celui qui a la responsabilité quotidienne de les gérer. Ce n'est jamais moi, c'est toujours l'autre qui est fautif. L'autre qui ne connaît rien des réalités de la gestion et qui a raboté mes moyens. Ou l'autre qui ne sait vraiment pas gérer et qu'il faut protéger de lui-même en l'empêchant de dépenser. Ce jeu de rôles, où chacun joue sa pièce à la perfection, est bien sûr incompatible avec le développement du sens des responsabilités. Il est surtout désastreux, et donc au bout du compte très coûteux, pour le fonctionnement de l'appareil d'État. Direction du budget, responsables de programme, directions financières des ministères, chacun devra évoluer pour favoriser l'avènement de cette culture de la responsabilité, gage d'une dépense moins erratique et plus efficace.
- Enfin, il va falloir bien sûr déléguer à l'échelon local, qui devra lui-même élaborer son budget opérationnel de programme. Sans entrer dans le détail de cette chaîne de décision, on voit bien que le dialogue va devenir un élément essentiel dans la gestion, à tous les niveaux de l'État. Tous les échelons devront être responsabilisés, quels qu'ils soient. Responsabilisés, cela veut dire informés, associés, et motivés par des marges de manuvre accrues et par la récompense des performances collectives. C'est une condition essentielle de la réussite Pour que les gens changent, il faut avant tout qu'ils comprennent pourquoi, et il faut qu'ils y trouvent un bénéfice, professionnel et matériel.
C'est ainsi, à travers toutes ces nouvelles règles du jeu, que l'administration va pouvoir apprendre la " performance ".
Ce n'est pas un jugement de valeur qui va vous être appliqué, ce ne sont pas des jugements de valeur qui vous sont demandés. Mais un jugement sur des résultats, à partir d'objectifs que vous-mêmes aurez fixés. Ce n'est donc pas un concours d'excellence qui est ouvert, c'est un examen, avec des règles préétablies, et c'est déjà beaucoup. L'objectif n'est pas de sanctionner les " mauvais " responsables de programme, parce qu'ils n'auront pas pu atteindre des objectifs. L'essentiel est de pouvoir expliciter les écarts constatés pour en discuter le plus objectivement possible et engager les actions correctrices qui s'imposeraient. L'objectif est que tous les responsables de programme soient motivés et motivent leurs équipes. Cela ne se fera pas en un jour. Beaucoup de tâtonnements vont être nécessaires.
C'est d'ailleurs pour cela que ce séminaire n'est sûrement pas le dernier, et qu'il faut que se mette en place un véritable cycle de mutualisation entre responsables de programme sur la conduite du changement. Vous avez d'ailleurs exprimé le souhait, légitime, d'une telle initiative. Elle vous aidera à avancer. Vous serez jugés finalement sur les efforts accomplis malgré des difficultés, inéluctables, qui surgiront, et qu'il faudra régler les unes après les autres. Et vous aurez la satisfaction d'avoir participé à la première grande réforme de l'État, qui ne sera pas un grand soir, mais au contraire, une succession de batailles livrées contre les habitudes, avec des échecs bien sûr, mais je le crois aussi beaucoup de belles victoires Nous aurons gagné lorsque ce sont vos équipes elles-mêmes qui demanderont à aller plus loin dans la réforme.
C'est en tout cas essentiel pour notre pays. Notre pays doit opérer un véritable sursaut. Il doit se réformer en profondeur pour assurer une croissance régulière, durable, à un niveau élevé qui nous permettra de faire face aux lourds problèmes sociaux, et de société, que nous avons à affronter. Et le sursaut passe par la capacité de l'État à se réformer, c'est-à-dire par la capacité du gouvernement certes, mais aussi par la vôtre. Je vous remercie.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 8 novembre 2004)