Interview de M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche à Europe 1 le 8 septembre 2004, sur la rentrée scolaire, notamment les effectifs d'enseignants, le voile islamique et la décision de faire du lundi de Pentecôte un jour travaillé dans les écoles en 2005.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- J.-P. Elkabbach : Pour votre première rentrée, il y a ici ou là des couacs, des protestations un peu classiques, une journée d'action aujourd'hui. Comment définissez-vous cette rentrée ?
R- F. Fillon : Je crois qu'elle a d'abord été placée sous le sceau de la fraternité. Nous avons fait la démonstration, dans un contexte international difficile et avec l'application de la loi sur la laïcité, que l'école de la République, c'était bien cette école qui accueille tous les enfants, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur religion, sur les mêmes bancs, et qui fait tout ce qui est possible pour leur donner les mêmes chances. Et deuxièmement, elle a été placée sous le signe de l'efficacité sur le plan technique, car c'est une rentrée incontestablement qui a été réussie techniquement. Et d'ailleurs, personne n'a émis la moindre critique sérieuse sur cette rentrée. Il y a moins de précarité dans l'Education nationale que par le passé, il y a eu beaucoup moins de postes vacants au moment de la rentrée, il y a moins d'élèves non affectés - il y en a toujours et il y a encore des progrès à faire - mais c'est certainement une rentrée qui restera dans les annales comme une des mieux préparées.
Q- Cela s'appelle de l'autosatisfaction, pardon !
R-C'est d'autant moins de l'autosatisfaction que cette rentrée a été préparée par mon prédécesseur !
Q- Vous êtes gentil pour L. Ferry, mais F. Hollande la trouve "tendue" et J. Lang - qui a, c'est vrai, toujours le sens de la mesure ! - dénonce la "pire des rentrées depuis la guerre". Il dit qu'en deux ans, 60.000 postes au moins ont disparu
R-Le mot de "tendue" n'a pas une grande signification, mais je pense que F. Hollande n'en a pas trouvé d'autre, parce qu'il n'y en avait pas d'autre à trouver. Quant à J. Lang, il nous a habitué à ses excès. Je ne sais pas pourquoi il s'arrête à 1945 : il aurait sans doute pu remonter plus loin dans l'histoire ! Les suppressions de postes qu'il évoque n'ont rien à voir avec les postes d'enseignants : ce sont les emplois-jeunes que le Gouvernement a décidé, d'une manière générale, de supprimer
Q- Vous recevez en ce moment les syndicats. Ils répètent leurs inquiétudes. Sur la suppression de 6.000 à 7.000 postes d'enseignants dans le secondaire : c'est vrai ou faux ?
R-Non, il n'y a pas eu 6.000 à 7.000 suppressions de poste dans le secondaire. Il y a eu, cette année, 1.500 postes supprimés dans le secondaire et 1.500 créés dans le primaire. Les syndicats n'ont d'ailleurs formulé que des remarques très modérées sur cette rentrée, parce qu'ils savent bien que les moyens de l'Education nationale n'ont cessé d'augmenter, tous les ans, depuis plus de vingt ans.
Q- Vous voulez dire qu'il faut que cela s'arrête ?
R-Non, je veux dire simplement que dans une situation financière tendue, l'Education nationale ne peut pas complètement échapper à un effort de gestion.
Q- De combien en moins sera le budget cette fois-ci ? Est-ce qu'il y a une diminution 2005-2006 ?
R-Il ne sera pas "en moins", il sera en plus. Cette année, le budget a augmenté de près de 3 %, c'est un budget de 55,5 milliards d'euros. Nous sommes l'un des pays européens qui consacrent le plus à l'éducation. Et cette année, il va de nouveau augmenter dans des proportions qui seront semblables.
Q- Est-ce que vous estimez qu'aujourd'hui, en termes de moyens et d'effectifs, l'Education nationale a ce qu'il lui faut ?
R-On n'a jamais ce qu'il faut en matière d'éducation. Je pense simplement que les moyens de l'éducation ne sont pas suffisamment bien gérés. Il y a un rapport entre le nombre d'élèves et le nombre de professeurs qui n'a cessé de baisser depuis vingt ans, parce que le nombre d'élèves a diminué et que l'on a continué d'augmenter les postes. Simplement, les postes ne sont pas toujours répartis là où il faut. Je veux donc, notamment dans le cadre de la loi d'orientation, mettre en place des dispositifs, pour que l'on mette vraiment les moyens sur les établissements en difficulté, là où il faut faire un énorme effort d'éducation, quitte à ce que d'autres établissements qui fonctionnent de manière plus confortable fassent quelques efforts.
Q- Il y a eu des discussions budgétaires jusqu'à la fin juillet. Avez-vous obtenu un peu plus que ce que l'on prévoyait de vous donner ?.
R-Oui, incontestablement. Les discussions ont été difficiles
Q- De combien ?
R-Je ne vous le dirais pas, parce que c'est le ministre des Finances qui l'annoncera à l'occasion de sa conférence de presse, le 22 septembre. C'est la tradition et je la respecte.
Q- L'élan national de solidarité, de fraternité avez-vous dit tout à l'heure, en faveur de C. Chesnot, de G. Malbrunot et de leur chauffeur, a changé le climat de la rentrée et on voit bien que le sort des otages relativise les querelles de saison - il y en a peut-être quelques-unes. Le CFCM, dont l'UOIF, promet un apaisement durable, s'il est réciproque. La loi sur la laïcité et ses décrets d'application ne font-ils pas preuve de plus de fermeté que de souplesse ? Par exemple, pourquoi les chefs d'établissement se comportent-ils aujourd'hui, à l'égard des jeunes voilées, à l'entrée des lycées et des collèges, comme des vigiles ?
R-D'abord, je voudrais rendre hommage aux musulmans de France, parce qu'ils ont joué un rôle très important dans l'apaisement que vous venez d'évoquer et ils ont largement participé à donner cette image d'unité nationale qui a été importante pour l'issue, que j'espère positive, de la prise d'otages que nous déplorons. Mais ils ont surtout montré, à cette occasion, que l'intégration - dont on dit souvent qu'elle est en panne et qui, c'est vrai, a des ratés - fonctionne quand même mieux qu'on le dit, puisque finalement, lorsque l'on est placé dans une situation difficile, lorsque la nation est attaquée d'une certaine manière, on voit que l'unité nationale
Q- Oui, ça, on l'a vu Mais pourquoi, à l'entrée des collèges et des lycées, y a-t-il ce comportement des proviseurs, des chefs d'établissement ? Est-ce que vous leur demandez d'éviter des provocations et des excès ?
R-Je leur demande évidemment d'éviter les provocations, je leur demande d'être très ouverts et de mettre tous les moyens nécessaires pour convaincre les jeunes filles de retirer leur voile ou leur croix - puisqu'il y en a eu une, sur l'ensemble des effectifs de la rentrée ! Je pense que dans la grande majorité des cas, c'est ce que les chefs d'établissement ont fait - d'ailleurs tout le monde le reconnaît et je vais continuer à donner des instructions pour que le dialogue soit le plus ouvert possible.
Q- Combien y a-t-il de dialogues ouverts avec des jeunes filles voilées ?
R-Il en reste aujourd'hui une centaine, entre 100 et 120
Q- Que vous arriverez à convaincre ?
R-Je pense que l'on va arriver à convaincre la quasi-totalité de ces jeunes filles. Je rappelle que l'année dernière, nous étions plutôt sur des chiffres de l'ordre de 1.200.
Q- Avez-vous déjà décidé de faire du lundi de Pentecôte un jour travaillé dans les écoles, à partir du 16 mai 2005 ? Est-ce que vous le confirmez ?
R-J'ai indiqué aux syndicats que c'était la proposition du ministre de l'Education nationale. En application de la loi votée par le Parlement et, sur instruction du Premier ministre, je propose que le jour férié supprimé, dans l'Education nationale, soit le lundi de Pentecôte. Il y a une consultation qui est ouverte, les partenaires sociaux m'ont donné leur avis. Naturellement, j'en tiendrai compte dans la décision qui sera prise.
Q- Mais si on vous dit "non" ? Vous voyez le PS, l'UDF, les syndicats qui protestent.
R-Pour l'instant, je ne vois personne me proposer une alternative. Ce que l'on me propose, c'est que l'Education nationale ne participe pas à l'élan de solidarité nationale. Ca, ce n'est pas acceptable et là-dessus, je considère que c'est encore un principe républicain : il y a un effort de solidarité qui est demandé à la nation, tout le monde doit y participer.
Q- Donc, s'il n'y a pas d'alternative, ce sera le lundi de Pentecôte qui sera travaillé ?
R-S'il n'y a pas d'alternative, ce sera le lundi de Pentecôte. Je veux simplement signaler à ceux qui sont inquiets parce qu'il y a de grandes traditions locales - je pense notamment au maire de Nîmes, qui était très inquiet -, qu'il existe une disposition réglementaire, qui est tout à fait applicable et qui permet, dans une région, aux recteurs, aux maires ou aux chefs d'établissement de décider d'un jour de congé spécifique, en raison d'une tradition culturelle, historique. Et cela pourrait très bien fonctionner pour la feria de Nîmes par exemple !
Q- L'accord du président de la République avec N. Sarkozy pour la présidence de l'UMP en a surpris plus d'un. Est-ce un accord pour l'avenir ou, entre nous, pour la galerie ?
R-Non, c'est un accord pour l'avenir. L'UMP aujourd'hui n'est pas en position suffisamment de force pour se permettre des divisions. Nous faisons, avec N. Sarkozy, le même diagnostic : nous pensons que l'UMP a besoin d'être relancée très vite, sous peine d'imploser. Et nous pensons ensuite que la politique, dans notre pays, a besoin d'être rénové. On va essayer de le faire ensemble.
Q- Justement, avec N. Sarkozy, on vous dit irrémédiablement rivaux. Vous serez dans l'équipe de N. Sarkozy à l'UMP : qu'est-ce qui explique cette conversion ?
R-C'est la nécessité de démontrer que nous sommes capables de rassembler et de rassembler tous les courants de pensée de la droite et du centre. C'est ce que j'avais voulu faire avec les fondateurs de l'UMP. N. Sarkozy, à l'époque, était plutôt opposé à cette idée de l'UMP. Aujourd'hui, l'UMP ne fonctionne pas bien, il faut le reconnaître. Chacun reconnaît à la fois ses torts et, en même temps, je pense que cette idée de rassembler tous les courants de la droite et du centre était une bonne idée, nécessaire à un autre équilibre politique. Je suis réaliste et je veux, avec N. Sarkozy, démontrer que l'on peut faire de la politique autrement.
Q- Avec N. Sarkozy, J.-C. Gaudin, P. Méhaignerie
R-Et d'autres
Q- Pour vous occupez de quoi ?
R-On verra par la suite. Chacun sait que ce qui m'intéresse, c'est le fond et ce sont les idées. Je pense que la droite a besoin de renouveler son idéologie, de renouveler ses propositions
Q- Dans la perspective de 2007 ?
R-Dans la perspective des prochaines élections [inaud.]et des prochains rendez-vous.
Q- Pour le meilleur d'entre vous ?
R-Bien sûr
Q- C'est-à-dire qui ?
R-Ce sont les Français qui le diront
Q- Ah non, vous avez à vous prononcer avant !
R-Ecoutez, pour le moment, ce n'est pas une compétition qui est ouverte !
Q- Ce qui est drôle, c'est que l'UMP échappe à ceux qui l'avaient inventée pour eux.
R-Oui, mais c'est la vie. Mais en même temps, l'UMP n'échappe pas aux courants de pensée qui l'ont constituée et donc, tout le monde se retrouvera dans cette maison.
Q- Vous êtes candidat au Sénat, mais allez-vous rester au Gouvernement ?
R-C'est au président de la République d'en décider, parce que c'est à lui de décider du sort de chacun des ministres
Q- D'accord, mais vous ne dites pas "je m'en vais" ?
R-Non, je ne dis pas "je m'en vais", j'ai une tâche importante à accomplir en matière d'éducation et je vais essayer de l'accomplir.
Q- Donc la loi d'orientation portera la marque de F. Fillon ? Vous resterez dans le gouvernement de J.-P. Raffarin ? Apparemment, depuis son dernier débat avec F. Hollande, il paraît vivre une sorte de résurrection au milieu des flèches ?
R-Je ne crois qu'il ait été dans une situation telle que l'on puisse parler de résurrection. J.-P. Raffarin fait son travail, avec beaucoup de courage, dans des conditions très difficiles. Et j'ai beaucoup de respect pour l'action qui est la sienne.
Q- C'est bien Est-ce qu'il faut croire vraiment que vous devenez, N. Sarkozy, vous et quelques autres, les meilleurs amis et, en même, les meilleurs soutiens du président de la République ?
R-Je pense avoir montré ma fidélité au président de la République et elle ne se démentira pas.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 septembre 2004)