Entretiens de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec Radio Shalom et avec des radios françaises à Jérusalem le 17 octobre 2004, sur les relations franco-israéliennes, la contribution de la France et l'Union européenne au processus de paix israélo-palestinien, la perspective du retrait israélien de Gaza et la lutte contre l'antisémitisme en France.

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Circonstance : Voyage en Israël de Michel Barnier du 17 au 19 octobre 2004 : entretiens avec des radios à Jérusalem le 17

Média : Presse étrangère - Radio Shalom - Radios françaises

Texte intégral

(Entretien avec Radio Shalom à Jérusalem le 17 octobre 2004) :
Q - Bonsoir et merci d'avoir accepté l'invitation de Radio Shalom. Vous êtes notre invité ce soir pour ce journal. Monsieur le Ministre, c'est votre première visite en Israël.
R - Non, ce n'est pas la première fois que je viens en Israël. J'étais déjà venu, il y a une dizaine d'années, à titre personnel. Mais c'est en effet, comme ministre français, la première fois que je me rends ici pour une vraie visite et d'ailleurs, en remontant dans le temps, il n'y a pas eu beaucoup de vraies visites bilatérales de ministres français venant pour Israël et pour les Israéliens. Donc je suis ravi d'accomplir cette visite pendant ces trois journées, de comprendre, d'écouter, de dire aussi ce que veut la France, ce qu'elle fait, avec les autres pays européens, pour contribuer au Processus de paix dont cette région a besoin.
Q - Monsieur le Ministre, une visite bilatérale, c'est très bien, évidemment, chacun s'en félicite. Les deux pays sont amis, malgré les disputes. N'est-ce pas un peu obligé d'avoir coupé en deux cette visite, d'une part avec Yasser Arafat en juin, d'autre part avec les Israéliens aujourd'hui ?
R - Non, ce n'est pas obligé. Je trouve qu'au fond, aller un jour, deux jours à Ramallah, dans les Territoires palestiniens, rencontrer bien sûr le président de l'Autorité palestinienne mais aussi d'autres responsables, des jeunes Palestiniens, ceux qui auront à diriger, à animer ce futur Etat palestinien, je crois que c'est bien. Cela permet de comprendre, de connaître. Et puis j'ai effectué cette visite ces jours-ci en Israël, pour comprendre également, rencontrer les dirigeants de ce pays. Peut-être ainsi que cette parole française, cette écoute française, seront utiles pour participer à la paix.
Q - Monsieur Barnier, vous avez rencontré les victimes françaises du terrorisme. Je voudrais savoir seulement ce que vous avez ressenti en parlant avec eux ?
R - Il y avait des femmes, il y avait aussi le papa dont le fils a été tué, jeune soldat de 19 ans. C'était un moment extrêmement émouvant, pour moi, pour mon épouse. Ecouter l'histoire de ces hommes et de ces femmes, qui ont perdu, qui une fille, qui une mère, qui un fils, qui ont été, eux-mêmes, marqués par ces attentats, puisqu'ils étaient là, dans une pizzeria, dans une université, dans ces lieux où des bombes ont explosé. Ils ont droit au respect de notre pays. Ils sont Français, ils ont droit à être aidés. Et j'ai voulu leur dire cela, en même temps que je leur ai dit que, pour nous, où qu'il frappe, le terrorisme n'a aucune justification, n'a aucune raison, ne peut être expliqué. Nous le combattons !
Q - On parle de rapprochement entre la France et Israël. Je ne sais pas d'ailleurs si les deux pays se sont si éloignés que cela. Une visite qui renforce les liens entre les deux rives de la Méditerranée. On a quand même le sentiment que vos deux gouvernements ne sont d'accord sur rien. Si l'on prend aujourd'hui l'essentiel de la politique d'Ariel Sharon, construire une barrière, se retirer unilatéralement de Gaza, et frapper d'ostracisme Yasser Arafat, sur ces trois points, au moins en ce qui concerne le tracé de la barrière, vous êtes en désaccord ?
R - Nous avons dit, en effet, les pays européens l'ont dit également, mais je me permettrai de rappeler que la Cour suprême d'Israël l'a dit également que, sur le tracé, vous ne pouvez pas être d'accord dès l'instant qu'il empiète sur des territoires palestiniens. Donc, je comprends, je peux comprendre, l'exigence d'Israël de se protéger par une barrière de séparation, mais pas à cet endroit. C'est en tout cas ce que les Européens ont dit. S'agissant du dialogue avec les Palestiniens, c'est vrai que nous avons un désaccord sur le rôle ou le respect dû à Yasser Arafat, et nous Français, nous pensons, comme les autres Européens, qu'il est le chef légitime des Palestiniens. Certains pensent, ici ou à Washington, qu'on ne fera rien avec Yasser Arafat. Nous pensons qu'on ne fera rien sans lui ou encore moins contre lui. Au-delà et à côté de Yasser Arafat, quand je suis allé à Ramallah, mon souci était - et je continuerai - de rencontrer des jeunes Palestiniens qui auront un jour un rôle à jouer dans leur pays.
Enfin, Ariel Sharon a fait la promesse et pris l'engagement de se retirer de Gaza. Je pense que c'est un point important, positif que d'engager le processus de la Feuille de route par cette première étape, si c'est bien une première étape comme nous le pensons, comme d'ailleurs il l'a dit lui-même. Nous voulons dire notre disponibilité pour accompagner le processus afin que le retrait de Gaza consiste à faire de ce territoire un territoire viable ; pour qu'on puisse sortir, qu'on puisse entrer ; qu'on puisse créer de l'activité et que ce soit vraiment un territoire, parmi les Territoires palestiniens, où les Palestiniens puissent avoir un avenir et un futur. Nous voulons aider Israël à réussir cette première étape.
Q - Monsieur le Ministre, une dernière question. Je vois cette volonté de faire des efforts pour marquer cette amitié. J'ai finalement l'impression que ce discours-là n'est pas entendu. La question que je me pose est de savoir s'il n'est pas difficile aujourd'hui, pour un ministre français des Affaires étrangères, de s'inscrire dans la continuité de ce qui a été fait auparavant, et de ce qui a été fait notamment avant la guerre en Irak, et par rapport à quelque chose qui était beaucoup plus lisible que les gestes qui sont faits aujourd'hui. J'entends évidemment le combat mené par M. de Villepin, votre prédécesseur, et par le chef de l'Etat, pour faire en sorte que l'intervention américaine en Irak n'ait pas lieu.
R - Je me permettrai de rappeler d'abord que le ministre des Affaires étrangères de la France travaille sous l'autorité du chef d'Etat. Même si les ministres changent, Jacques Chirac est là, comme président de la République, et c'est lui qui fixe cette orientation de la France qui a tant d'écho dans le monde, je l'ai encore constaté aux Nations unies, puisque la France porte un message de liberté, de souveraineté des peuples, dans cette région et partout dans le monde. Donc je m'inscris dans cette ligne. En même temps, vous le savez, je suis un ministre de la France, mais en même temps, un ministre très européen. Je pense que je peux dire avec passion, avec ténacité, que ma conviction est que, ce que nous avons fait en Europe depuis 50 ans, d'abord la réconciliation franco-allemande puis, à partir de cette réconciliation, un espace durablement en paix, en stabilité, en démocratie, ce que nous avons fait de ce côté-ci de la Méditerranée, pourquoi ne le ferait-on pas maintenant, dans les années qui viennent, de l'autre côté de la Méditerranée, dans cette région du Proche et du Moyen-Orient en commençant par la réconciliation entre Palestiniens et Israéliens dont nous avons besoin pour construire, de ce côté-ci, le même espace de paix et de stabilité.
Donc on ne doit plus parler de l'Irak, c'était un autre conflit. Je suis ici d'abord pour parler de ce conflit central et de la raison principale de ma visite qui est la paix entre Israël et les Palestiniens dont cette région a besoin.
Q - Monsieur le Ministre, Michel Barnier, merci d'avoir été l'invité de Radio Shalom. Ici à Jérusalem, vous vous sentez bien, Monsieur le Ministre ?
R - Je suis très bien dans cette ville, et j'ai eu l'occasion de vivre des moments importants et émouvants depuis que je suis là. J'en vivrai sans doute d'autres. C'était le cas quand j'ai rencontré par exemple des élus, des parlementaires, des responsables municipaux de toutes sensibilités politiques en France, qui sont ici, dans cette ville, pour donner à la diplomatie française, ce qui est mon ambition au-delà de la politique, une dimension plus humaine et plus citoyenne.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 octobre 2004)
(Entretien de Michel Barnier avec des radios françaises à Jérusalem le 17 octobre 2004) :
Q - Vous allez voir notamment Ariel Sharon lors de vos entretiens de demain matin. Qu'allez-vous lui dire ?
R - Je vais lui dire le sens de cette première visite que je fais en Israël, pour les Israéliens comme ministre français. Nos deux peuples sont amis, il y a sans doute, au-delà de certains désaccords, de certains débats, une amitié qui est ancrée dans la culture, dans les hommes et les femmes de nos deux peuples et dans l'histoire, et d'abord dans l'histoire la plus tragique du dernier siècle. C'est le sens de cette première étape que j'ai voulu faire à Roglit, pour m'incliner devant ce monument érigé par Serge Klarsfeld à la mémoire des 80.000 Juifs de France qui ont été déportés durant la Seconde Guerre mondiale.
Donc, je veux, avec le Premier ministre, que nous trouvions les moyens de renforcer cette dimension humaine, citoyenne, économique aussi entre nos deux pays.
Naturellement, il y a la dimension politique et la paix, dont Israël, dont les Palestiniens, dont cette région, ont besoin, dont nous avons besoin aussi, nous les Européens. Et donc, je vais lui rappeler comment du côté de l'Europe, du côté de la France, nous pensons indispensable qu'Israéliens et Palestiniens se remettent maintenant très vite autour d'une table, reprennent la route de cette fameuse Feuille de route qui a fixé l'objectif de deux Etats, un Etat d'Israël vivant dans la sécurité - nous ne transigerons jamais avec la sécurité d'Israël - et un Etat palestinien viable, pour offrir aux Palestiniens, notamment aux jeunes de Palestine, un avenir et un futur.
Et je vais dire la disponibilité de l'Union européenne, et en son sein, de la France, et je souhaite aussi des Américains, dont nous avons besoin, qu'ensemble, nous nous réengagions pour faire repartir le processus de paix.
Q - C'est difficile pour l'Union européenne avec Ariel Sharon qui s'intéresse plutôt aux Américains, avec qui il a une relation privilégiée.
R - Probablement, le problème est qu'on ne sait pas bien ici ce qu'est vraiment l'Union européenne. Je voudrais expliquer avec l'expérience et l'engagement qui sont les miens comme ministre français, mais aussi comme ministre européen grâce à mon expérience à la Commission européenne où j'ai travaillé pendant 5 ans, ce qu'est cette Union. Je dirais ici que ce n'est pas seulement un grand marché pour faire du commerce, que c'est aussi un acteur politique dont cette région a besoin pour participer à sa stabilité et à sa sécurité en même temps, et aux côtés des Etats-Unis d'Amérique.
Q - Cette visite, c'est un complément nécessaire à la visite que vous avez faite en juin dernier en Cisjordanie ?
R - C'est le même dialogue, c'est la même démarche. Comment fait-on la paix si on ne se parle pas ? Avec qui fait-on la paix sinon avec son adversaire ? Donc, il faut travailler à la réconciliation. Peut-être la France qui a ce lien et cette écoute dans les pays arabes, en particulier en Palestine, je l'ai constaté moi-même en allant à Ramallah, et qui est aussi amie du peuple israélien, peut-elle avec d'autres participer à cette démarche de réconciliation. En tout cas, ce sont les Palestiniens et les Israéliens qui doivent se reparler, qui doivent faire la paix ensemble.
Q - C'est difficile, il y a eu l'opération "Jours de Pénitence" qui vient de s'arrêter au bout de 17 jours avec de nombreux morts. On a l'impression qu'Ariel Sharon fait ce qu'il a envie de faire et n'écoute pas forcément les avis, notamment celui de la France.
R - Il faut cesser cette spirale de violence, de sang, de répression et d'attaques qui touche tout autant les enfants de Palestine que les enfants d'Israël. Il faut se remettre autour d'une table. Nous avons l'objectif, nous avons le chemin pour y parvenir avec cette Feuille de route sur laquelle les Américains, les Russes, les Européens, les Nations unies, se sont mis d'accord et qui a fait l'objet d'une approbation par les Israéliens et les Palestiniens. Donc il faut se remettre sur cette route.
Q - A propos de la Feuille de route vous avez dit que le plan de Gaza s'inscrivait dans le cadre de cette Feuille de route. Or l'un des principaux conseillers de Sharon, Dov Weisglass, dans une interview au Haaretz, a soutenu le contraire.
R - Naturellement, nous avons été troublés par ces propos, mais je préfère retenir la réaffirmation d'Ariel Sharon immédiatement après, qu'il tient à la Feuille de route et que Gaza est une étape. Le Premier ministre israélien a fait cette promesse du retrait de Gaza. Moi je pense qu'il faut qu'il tienne cette promesse, que nous l'aidions à la tenir, il faut qu'il réussisse cet engagement. Pour cela, on a besoin des Américains, on a besoin des Européens, on a besoin aussi d'autres pays de la région comme l'Egypte qui sont prêts à coopérer à la réussite de ce retrait de Gaza, mais naturellement à considérer ce retrait comme une étape de la Feuille de route. Il y a d'autres étapes qui intéressent la Cisjordanie et la création de l'Etat palestinien.
Q - (A propos des conditions de la réussite du retrait de Gaza)
R - Les conditions de la réussite du retrait de Gaza sont nombreuses pour que ce retrait fasse que le territoire de Gaza soit un territoire viable - c'est tout l'objectif - qu'on puisse y accéder, qu'on puisse y travailler, qu'on puisse y aller et venir, faire du commerce, construire un certain nombre d'équipements publics. Toutes ces conditions doivent être posées et c'est ce à quoi les Européens vont s'attacher. Javier Solana a clairement réaffirmé notre disponibilité à participer à la réussite économique et politique du retrait de Gaza comme une première étape pour la Feuille de route.
Q - Monsieur le Ministre, le point d'orgue de votre visite, c'est cette rencontre avec Ariel Sharon, du moins au plan politique. Que comptez-vous dire au Premier ministre ?
R - Il y a beaucoup de moments importants dans cette visite. Par exemple, la toute première étape à Roglit au mémorial des Juifs de France qui ont été déportés. C'était pour moi très important de commencer sur la terre d'Israël par ce moment de souvenir et de recueillement. Et puis il y a eu la rencontre très émouvante que j'ai eue avec les familles de victimes du terrorisme, et en effet, sur le plan politique, je suis heureux de rencontrer le Premier ministre d'Israël, de parler avec lui, de la paix, du chemin de la paix, comment faire pour qu'Israéliens et Palestiniens se remettent autour d'une table et dans le cadre de cette Feuille de route sur laquelle nous sommes tous d'accord pour prendre le chemin de la paix dont les jeunes de Palestine et les jeunes d'Israël ont tant envie et dont nous avons tant besoin dans cette région, nous-mêmes Européens. Donc, nous allons parler de cela et d'abord, de cette première promesse qu'a faite Ariel Sharon et qu'il faut tenir, qu'il faut réussir, qui est celle du retrait du territoire de Gaza, comme première étape sur ce chemin.
Q - Est-ce que vous comptez demander l'arrêt de l'opération "Jours de Pénitence" ou vous considérez qu'elle s'est terminée malgré les déclarations israéliennes qui disent que ce n'est que la première phase qui s'est achevée ?
R - Israël a le droit de se protéger. Toutes les victimes, notamment des jeunes, des enfants, des victimes civiles sont autant de victimes qui me touchent, et à travers des actes que personne ne peut comprendre ni accepter. Pourtant, cette violence déclenchée contre les territoires palestiniens était disproportionnée. Donc je comprends que cette opération se termine et il faut en effet sortir de cette spirale de violence qui touche indistinctement les enfants de Palestine et les enfants d'Israël et reprendre le chemin de la négociation entre Palestiniens et Israéliens, puisque c'est entre eux que doit se faire le dialogue de la paix.
Q - Enfin, est-ce que vous pensez que cette visite vous permettra, Monsieur le Ministre, de dissiper un peu ces accusations israéliennes sur un antisémitisme croissant en France ?
R - Il y a des actes antisémites dans notre pays. Il y a d'ailleurs d'autres actes d'intolérance, de racisme, de xénophobie et aucun de ces actes n'est acceptable. Et nous n'acceptons et ne tolérons aucun de ces actes. Le président de la République a fait de cette lutte contre l'antisémitisme, contre le racisme, contre toutes les formes de xénophobie, une priorité de l'action du gouvernement, à travers les lois, les règlements, la répression, les jugements. D'ailleurs, le président Katzav quand il est venu au mois de février a lui-même souligné que la France était exemplaire dans sa lutte contre l'antisémitisme et toutes les formes de racisme. Donc, je pense que cette action de la France, comme je l'ai constaté à New York en rencontrant la communauté juive américaine, est aujourd'hui bien comprise et restera une action déterminée.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 octobre 2004)