Texte intégral
Q- Pourquoi la France, après avoir indiqué en septembre qu'elle souhaitait un accord à l'amiable avec la justice américaine, a-t-elle finalement opté pour une partie de bras de fer ?
R - En septembre, la France était prête à un accord amiable. Le Parquet américain a alors exclu de cet accord deux anciens dirigeants du Crédit Lyonnais dont Jean Peyrelevade. Nous ne pouvons pas accepter de conclure un accord, qui est coûteux, si la justice américaine se réserve le droit d'en exclure certaines personnes. Celles-ci peuvent alors avoir intérêt à conclure séparément sur des bases différentes qui fragiliseraient notre position juridique. Nous continuons à souhaiter un accord amiable, global. Nous regrettons qu'il n'ait pu être conclu à ce jour.
Q - N'était-ce simplement pas pour tirer d'affaire François Pinault, très proche du président Chirac ainsi que la dizaine d'autres personnalités françaises (dont Jean-Claude Trichet, l'ancien directeur du Trésor) menacées par la justice californienne ?
R - Tout d'abord rectifions une erreur : ni Jean-Claude Trichet, ni aucun fonctionnaire d'ailleurs, n'est mis en cause dans cette affaire par la justice américaine. Par ailleurs, je vous rappelle, s'agissant de François Pinault, que nous étions prêts à conclure en septembre un accord auquel il n'était pas partie. C'est le Parquet américain qui a défait cet accord. Ce qui nous a conduits à nous interroger sur la sécurité de l'accord.
Q - Une telle décision susceptible de se terminer par une très lourde condamnation de la France - on parle de milliards de dollars - n'est-elle pas une bombe à retardement pour les contribuables ?
R - En droit américain, l'accord amiable permet, moyennant des amendes, d'éviter un procès pénal. Il ne peut exonérer les parties impliquées d'un procès civil. Passer un accord qui ne serait pas juridiquement bordé et qui fragiliserait notre défense au civil, c'est prendre le risque de payer deux fois. Nous ne pouvons pas envisager des centaines de millions d'euros, sans garanties.
Q - Etait-ce vraiment le rôle de l'Etat de venir au secours d'une banque d'affaire désormais privée ? Contrairement au dossier Alstom, il n'y a pas directement d'emplois en jeu...
R - Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin ne vient pas dans cette affaire au secours d'une banque privée. Il se borne à honorer les engagements pris par ses prédécesseurs qui, par la loi, dans le cadre du sauvetage du Crédit Lyonnais ont donné à cette banque une garantie. Cela nous oblige donc à assumer les conséquences de la mauvaise gestion du Crédit Lyonnais avant 1993. Que cela nous serve de leçon !
Q - En choisissant de jouer la montre, la France ne parie-t-elle pas, in fine, sur un échec électoral de l'administration Bush à la présidentielle, ce qui pourrait quelque peu changer la donne outre-Atlantique ?
R - Il s'agit d'une affaire judiciaire. Le gouvernement français ne spécule pas sur le résultat des élections américaines.
Q - L'indépendance de la justice américaine n'aurait-elle pas fait échouer toutes les tentatives de négociations politiques ?
R - Il n'y a pas, il n'y a pas eu de négociations politiques. Dominique Perben a, en revanche, alerté son collègue américain sur les délais dont nous avions besoin pour les négociations. J'ai fait de même auprès de mon collègue John Snow
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 décembre 2003)