Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur l'emploi et la lutte contre le chômage dans le cadre du modèle social européen, l'Europe comme espace politique et la position des gouvernements socialistes et socio-démocrates européens face à l'instabilité financière internationale, Paris le 3 octobre 1998.

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Circonstance : Table ronde du Parti des socialistes européens (PSE) sur le thème "L'Europe pour l'emploi" à Paris le 3 octobre 1998

Texte intégral

Cher(e)s camarades,
Je suis très heureux de participer à la table ronde consacrée à " L'Europe pour l'Emploi " et de répondre ainsi à l'aimable invitation du président du Parti des socialistes européens, Rudolf Scharping -président du PSE, occupé à d'autres choses ces hours-ci, après la victoire de Gerhard Schröder et du SPD...-. Il s'agit du premier temps d'une série de rencontres qui manifeste la vitalité du PSE et témoigne de notre volonté partagée de réfléchir ensemble et de préparer des actions communes.
Je veux remercier tous ceux qui sont venus de toute l'Union européenne jusqu'à cette salle de la Mutualité, haut lieu de l'histoire de la gauche française. Je salue bien entendu mes compatriotes François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, Henri Nallet et Pierre Guidoni, qui ont préparé et organisé cette réunion.
Si j'ai tenu à participer à cette table ronde, c'est parce que je suis, comme vous, convaincu que l'emploi et la lutte contre le chômage sont au coeur du modèle social européen. Cette conviction se voit renforcée par le contexte actuel, marqué par une répartition nouvelle des forces politiques en Europe -dont j'espère qu'elle sera durable- et par l'extension de la crise financière à travers le monde -dont j'espère qu'elle ne durera pas.
Je développerai devant vous trois réflexions :
(I) sur la nouvelle situation politique en Europe et les perspectives qu'elle pourrait ouvrir en matière d'emploi ;
(II) sur le modèle social européen et les moyens de le conforter ;
(III) sur l'instabilité financière internationale.
I L'Europe connaît une configuration politique sans précédent, qui doit nous conduire à lui faire franchir une nouvelle étape : celle de l'Europe de l'emploi.
1. L'Europe est entrée dans un " moment social-démocrate ".
Cette affirmation n'est pas fausse, mais elle doit être nuancée.
Elle n'est pas fausse : treize des quinze gouvernements de l'Union européenne comprennent des partis socialistes ou sociaux-démocrates.
Elle doit néanmoins être nuancée. Dans deux de ces treize pays, ces partis ne dirigent pas le gouvernement. En France, il y a un président de la République de droite et une majorité plurielle -avec des communistes, des verts, des radicaux et le MDC. En Allemagne, c'est une coalition SPD / Verts qui s'annonce. La coalition de l'Olivier, en Italie, est politiquement originale. Certains de nos partis se réfèrent parfois au " centre ", en même temps qu'à la sociale-démocratie.
Il n'existe donc pas à mes yeux, aujourd'hui, une homogénéité sociale-démocrate, mais une diversité de gauche. Plus qu'un " moment social-démocrate ", c'est on observe en Europe un mouvement de gauche.
Mais, en même temps, il y a entre nous beaucoup d'affinités politiques, de valeurs communes, une longue habitude de familiarité et de solidarité et, je le crois -ou du moins je l'espère- des objectifs communs.
Après la victoire de l'olivier en Italie, après l'arrivée de Tony Blair au 10 Downing Street, après les élections législatives de juin 1997 qui ont amené aux responsabilités en France une majorité " plurielle " conduite par le parti socialiste, la victoire éclatante de Gerhard Schröder et de nos amis du SPD vient de renforcer ce mouvement politique vers la gauche en Europe.
Nous ne sommes pas identiques, nous sommes divers, mais nous sommes proches.
En Europe, j'ai eu le plaisir, au cours des derniers mois, de m'entretenir avec plusieurs des dirigeants qui font vivre cette nouvelle Europe politique. Au-delà des différences de style, au-delà des cultures et des traditions historiques propres à chacun, j'ai pu constater, là encore, une forte communauté de vues, que ce soit avec Tony Blair à Londres, avec Romani Prodi à Rome, avec Kostas Simitis à Athènes ou avec Paavo Lipponen à Helsinki, ou tout récemment avec G. Schröder à Paris.
Frappante par son ampleur, cette configuration politique ne doit pas pour autant être une source d'étonnement.
2. Ce " mouvement de gauche " est en effet historiquement fondé et politiquement assez logique.
Il est historiquement fondé parce que le socialisme est un idéal né en Europe, façonné -dans la pensée et dans les luttes- par des Européens, pour des Européens -au moins dans un premier temps. Que l'Europe se tourne aujourd'hui vers l'idéal auquel elle a donné le jour hier n'est qu'un juste retour des choses historique.
Ce moment est politiquement logique. Une majorité des citoyens de l'Union pensent, en effet, que des principes aussi essentiels que la protection sociale, une conception de la politique internationale fondée sur le droit -et non la force-, la coopération -et non le seul marché-, le respect des générations futures à travers un modèle de développement durable, la préservation de notre diversité culturelle, de nos langues, de notre identité européenne comme de nos identités nationales, peuvent être remis en cause par des forces à l'oeuvre à l'échelle mondiale. De même, ils ne se résignent pas au chômage, ils rejettent la montée des inégalités, ils refusent l'extinction des solidarités.
Autant de valeurs, d'aspirations, de projets portés et défendus par les sociaux-démocrates.
Mais cette adhésion n'a pas été automatique, loin s'en faut. L'Allemagne et la Grande-Bretagne ont eu, pendant plus de quinze ans, des gouvernements conservateurs. Les alternances ont été nombreuses, par exemple en France. Il a fallu le reflux des illusions de la vague libérale, la mesure du poids du chômage et des inégalités croissantes, pour que le balancier bouge. Rien ne nous garantit la pérennité de la situation actuelle.
Mais le moment politique que nous vivons peut être un temps privilégié pour la construction européenne.
3. L'heure devrai nous sembler venue de faire de l'Europe l'Europe de l'emploi.
Les forces de gauche ont toujours été aux avant-postes de la construction européenne. Avec d'autres formations politiques, bien sûr, les partis socialistes et sociaux-démocrates ont toujours eu une responsabilité particulière dans l'avancée de ce projet. Même si son fondement a été la paix et sa visée, d'ailleurs ambiguë, politique, historiquement, cette avancée a d'abord pris un tour économique : la construction d'un espace économique intégré, que la réalisation d'une monnaie unique vient parachever.
Pendant les deux premières décennies, la croissance étant là, l'emploi nous fut donné de surcroît. Pendant les deux dernières, laissant s'échapper la croissance, l'Europe s'est résignée au chômage.
Avec nos responsabilités nouvelles, nous ne pouvons en rester là.
Les peuples européens ont perçu cette nécessité. Ils sont convaincus, avec raison, que la construction européenne doit aujourd'hui prendre un cours nouveau, peut-être plus politique, en tout cas plus social. Ils se sont donné les moyens de changer d'orientation, en confiant le pouvoir aux forces politiques qui placent précisément la question sociale au coeur de leur projet. Ils attendent de nous que nous maîtrisions le parachèvement de l'Europe monétaire et financière. Surtout, ils souhaitent que nous nous engagions résolument dans la construction d'une Europe sociale, d'une Europe de la croissance, d'une Europe de l'emploi.
Nous avons déjà amorcé ce virage voulu par nos peuples. Pour sa part, depuis la victoire de la gauche aux élections de juin 1997, le Gouvernement que je dirige s'y emploie.
Lors du sommet d'Amsterdam, nous avons obtenu que le traité soit assorti d'un chapitre " emploi " et qu'un Conseil de l'euro soit institué, afin de coordonner nos politiques macroéconomiques. De même, nous avons obtenu la réunion du sommet de Luxembourg, le 21 novembre 1997. Ce premier sommet consacré spécifiquement à l'emploi a lancé les Plans nationaux pour l'emploi, ouvrant de nouvelles perspectives à l'Europe de l'emploi.
Aujourd'hui, il nous faut aller au-delà.
Parce que les peuples européens le veulent.
Les peuples européens partagent des aspirations semblables. Faire reculer le chômage de masse vient au premier rang d'entre elles. Alors que nos nations ont réalisé une convergence impressionnante vers de très faibles taux d'inflation, l'Europe, qui était autrefois une zone de croissance forte et de plein emploi, est devenue une zone de chômage de masse. Non seulement le chômage s'est accru en moyenne dans l'ensemble de l'union européenne au cours des deux dernières décennies, mais la divergence des taux de chômage entre les nations européennes s'est accentuée. Certes, la reprise qui s'est affirmée récemment en Europe continentale a permis que s'amorce une diminution du chômage. C'est le cas aussi en France. Mais, avec encore aujourd'hui 16 millions d'hommes et de femmes privés d'emploi dans l'ensemble de l'Union, la réduction du chômage de masse reste le problème majeur auquel nous devons apporter une réponse. Nos peuples se soucient aussi de la précarité, des inégalités sociales, des menaces que font peser les excès de la dérégulation des marchés du travail sur les conditions d'emploi, la santé publique, l'environnement, le pluralisme des moyens d'information.
Parce que c'est là la vocation de l'Europe. L'Europe ne se résume pas à la libre circulation des biens et des capitaux, ni même à celle des hommes. Pour être fidèle à ce qui fait non seulement sa force, mais à ce qui est sa vocation, l'Europe doit être humaine et sociale.
Conçue pour assurer au continent européen la paix, la stabilité politique et la prospérité économique, la construction d'un espace uni a permis aux économies de nos pays de se moderniser et d'améliorer leur position dans la concurrence mondiale. Mais ce qui pousse les européens à s'unir, ce n'est pas la seule nécessité d'être plus forts au plan économique.
Ce qui guide aussi leur volonté, c'est le sentiment d'appartenir à une communauté de destin. Cette communauté puise sa force et son originalité d'une identité forgée par l'Histoire. L'Europe est cet espace où, siècle après siècle, se sont sédimentés les efforts des hommes dans leur recherche des richesses, du savoir, de la beauté, de la grandeur. Il y eut, dès le XVIème siècle, l'Europe des marchands et l'Europe de l'esprit ; il y eut encore l'Europe du travail et du progrès, nourrie de tant de luttes collectives, qui ont forgé notre tradition socialiste. D'autres points du globe ont connu ou connaissent aujourd'hui cette effervescence, mais l'Europe conserve son génie de la découverte, son goût de l'échange, sa passion de bâtir. L'Europe est une civilisation.
Cette civilisation repose sur des valeurs : la démocratie représentative, la solidarité sociale, l'esprit d'entreprise, l'égalité des chances ñ notamment entre hommes et femmes ñ, la diversité des identités culturelles. Elle n'oppose pas l'efficacité économique au progrès social. Elle fonde l'une sur l'autre. Deux siècles d'essor économique et d'avancées sociales sont là pour témoigner de son succès. L'Europe est un modèle social.
II La nouvelle donne politique doit va nous permettre de conforter ce modèle social européen.
A cet effet, nous devons explorer, dans le même temps, trois champs.
1. Nous devons d'abord mener des politiques nationales volontaristes.
Le social et l'emploi demeurent, dans une large mesure, de la responsabilité des nations. Dans un contexte marqué par un chômage de masse, cette responsabilité exige des politiques volontaristes. Renforcer la croissance, enrichir son contenu en emploi, cibler les publics fragiles afin qu'elle profite à tous : telles sont les trois orientations que nous avons, en France, retenues.
Première orientation : renforcer la croissance. Nous avons encouragé la reprise de la consommation pour qu'elle entraîne à son tour celle de l'investissement. Pour la première fois depuis la fin des années quatre-vingt, la croissance française devrait dépasser 3 % cette année.
Une croissance durable doit en outre s'appuyer sur une politique ambitieuse de stimulation de l'innovation et de la création d'activité nouvelles préparant notre économie à entrer dans la société de l'information.
Deuxième orientation : explorer des voies nouvelles pour rendre cette croissance plus riche en emplois. C'est ce que nous avons fait avec le plan d'emploi pour les jeunes et la réduction du temps de travail.
Le plan d'emploi pour les jeunes mis en place il y a bientôt un an, a d'ores et déjà permis la création de plus de 120.000 emplois nouveaux. Nous avons l'ambition d'atteindre 350.000 créations d'ici l'an 2000. Notre approche est économique : faire émerger des métiers nouveaux, répondant à des besoins sociaux dans les domaines de l'éducation, de la culture, des loisirs, de la sécurité, de l'écologie. Notre approche est aussi politique : parce que nous refusons de laisser une partie de la jeunesse sombrer dans le désoeuvrement, la déqualification professionnelle et l'absence de perspectives, nous ne pouvons pas attendre ñ les bras croisés, en quelque sorte ñ que le jeu naturel des forces du marché ait rendu aux jeunes les emplois qui leur font défaut. Voilà pourquoi le volontarisme inspire notre politique.
La réduction du temps de travail illustre cette même démarche. Le mouvement de réduction du temps de travail est certes une tendance de long terme. Mais la réduction de la durée collective du travail, qui a été continue en France depuis le milieu des années soixante, s'est interrompue depuis quinze ans, alors même que les progrès de la productivité se poursuivaient à un rythme élevé.
C'est dans ce contexte, et après avoir réuni les partenaires sociaux dans une conférence nationale en octobre dernier, que le gouvernement a fait le choix d'inciter puissamment à la négociation, de fixer le cap d'une nouvelle durée légale ramenée à 35 heures au 1er janvier 2000, ou 2002 pour les petites entreprises, et de mettre en place un dispositif d'incitation pour toutes celles qui anticiperaient cette date.
Troisième orientation, la prévention et la lutte contre l'exclusion. Le Parlement a voté au début de l'été une importante loi de lutte contre les exclusions, qui privilégie l'insertion et le retour à l'emploi, sans rien défaire des mécanismes d'assistance et de solidarité qui restent nécessaires, mais qui ne constituent pas des réponses suffisantes pour nous.
Sans opposer l'assistance à l'activité, la priorité devra toujours aller, dans notre philosophie politique, à l'autonomie et à la dignité que procure le travail.
Voilà la politique volontariste que nous conduisons en France et que je souhaitais vous présenter brièvement. Mais les politiques nationales ne peuvent plus tout faire.
2. C'est pourquoi nous devons manifester une même volonté politique au niveau européen.
Cela passe par le dialogue et par l'échange d'expériences. La concomitance de notre présence au pouvoir ne peut qu'amplifier la portée des efforts entrepris dans chaque pays. Nous croisons nos expériences. Nous échangeons nos idées. Ce colloque en est une nouvelle illustration. Nous réfléchissons ensemble, à l'échelle européenne, pour être plus efficaces chez nous, dans nos pays respectifs, mais aussi pour coordonner nos politiques et développer des actions communes.
J'en veux pour illustration la réduction du temps de travail, initiée hier aux Pays-Bas, aujourd'hui en France, sans doute demain en Italie. De même, l'établissement d'un salaire minimum ou le plan britannique pour l'emploi des jeunes ñ inspiré de notre politique ñ, grandes avancées depuis que Tony Blair est chef du gouvernement britannique. De même, je me réjouis de voir que Gerhard Schröder a fait d'un tel plan un des axes majeurs de sa campagne, projetant de créer 100.000 emplois pour les jeunes. Ces synergies doivent être encouragées et amplifiées.
Il faut organiser le prolongement de ces politiques au niveau européen. C'est ce que nous commençons à faire aujourd'hui. Le conseil européen extraordinaire de Luxembourg a marqué une rupture par rapport aux pratiques antérieures. Alors qu'un certain scepticisme avait entouré l'annonce de cette initiative, en juin 1997, l'intensité et la qualité des travaux préparatoires, puis du sommet lui-même, et enfin de la plupart des plans nationaux d'action, ont donné à cette démarche une crédibilité nouvelle.
Les lignes directrices adoptées à Luxembourg correspondent aux choix de mon Gouvernement. Les moyens que nous retiendrons pour atteindre ces objectifs varieront d'un Etat à l'autre, car les situations entre pays européens sont différentes : dans certains la population active a cessé de croître, dans d'autres -comme le mien- elle continue d'augmenter à un rythme soutenu ; ici la négociation décentralisée peut aboutir spontanément à des compromis favorables à l'emploi, là une impulsion doit venir de la loi. Au-delà de ces différences naturelles, et au-delà des choix politiques légitimement opérés par chaque gouvernement, il y a aussi dans cette méthode la volonté d'échanger les meilleures pratiques et ainsi de progresser ensemble.
3. Enfin, nous devons construire des institutions fortes et efficaces.
L'Europe est un espace politique. Nous la pensons et la considérons comme telle. Nous devons aller jusqu'au bout de cette vision.
Depuis 1957, nous avons construit une coordination de plus en plus forte. Elle résulte bien sûr de politiques et d'actions menées en commun. Mais elle dépend aussi de la qualité des institutions européennes : celles-ci doivent être plus fortes, plus efficaces et plus démocratiques.
A Amsterdam, le chantier est resté inachevé et nous sommes nombreux, en Europe, à vouloir le reprendre et le faire aboutir. C'est le souhait de mon gouvernement et il y travaille activement. Il y a plusieurs registres sur lesquels des actions sont possibles.
Il est d'abord possible d'améliorer le fonctionnement des institutions existantes et de le faire sans modifier de textes. Un travail est ainsi engagé au sein du Conseil avec pour objectif de passer moins de temps à débattre pour prendre plus de décisions. Il faut renouveler en profondeur le rôle des principaux décideurs politiques dans l'Union que sont les ministres. De même, l'organisation de la Commission doit être revue pour que cette institution retrouve sa collégialité et incarne davantage l'intérêt général européen face aux intérêts divergents des États et aux pressions de certaines puissances extérieures. Il en va de même pour les autres institutions comme le Parlement européen, bien représenté aujourd'hui à cette table ronde, ou la Cour de Justice des Communautés européennes.
Il faut, au-delà, réformer substantiellement les institutions en modifiant les traités. Nous souhaitons que la Commission trouve une capacité d'impulsion forte, prenne des décisions comme un organe unique et non comme la juxtaposition de représentants d'un domaine ou d'un pays. Il faut aussi que le processus de décision soit plus facile et que le principe de l'unanimité devienne l'exception.
Il faut définir un programme de travail agréé par toutes les institutions européennes, dans les domaines où un besoin d'intégration fait l'objet d'une demande des citoyens ou des acteurs économiques et pour lesquels le niveau européen est pertinent. Parmi ceux-ci figure l'Europe de l'emploi et de la protection sociale, pour laquelle des initiatives ambitieuses restent à prendre.
Ces institutions doivent non seulement défendre une régulation efficace au niveau européen, mais encore - par exemple à propos des parités monétaire ou, en matière industrielle, de délocalisations - encourager une régulation similaire au niveau international.
III L'Europe doit prendre une initiative commune pour faire face à l'instabilité financière internationale.
Nous voulons faire vivre nos nations, auxquelles nous sommes tous profondément attachés. Et nous voulons aussi maîtriser les mutations du capitalisme mondial. Ces deux ambitions sont inséparables : pour que nos Nations s'épanouissent et prospèrent, elles doivent être ouvertes sur le monde afin d'y diffuser les richesses qu'elles créent et d'y puiser les ressources dont elles ont besoin. Mais elles doivent aussi avoir les moyens de se protéger des crises qui naissent hors de nos frontières. L'Europe est la médiation naturelle entre nos nations et le monde.
1. L'Europe doit être une base de reconquête de la nécessaire régulation mondiale.
Les déréglements financiers, conséquences de la vague libérale, marquent les contradictions du capitalisme. Ces contradictions, nous les connaissons. Dans le même temps où il crée des richesses, le capitalisme les concentre à l'excès. S'il assure, par le progrès technique, un essor continu de la production, il tend à exclure du monde du travail un nombre de plus en plus grand d'hommes et de femmes. En l'absence de régulation, le capitalisme nourrit ses propres déséquilibres. Le capitalisme est une force qui va, mais qui ne sait pas où elle va.
Nous, socialistes et sociaux-démocrates, voulons assigner à cette force un sens, c'est-à-dire à la fois une signification et une direction. Etre socialiste, c'est ainsi poursuivre un idéal de souveraineté collective. C'est vouloir donner aux citoyens nous saurons conduire en Europe. Les échanges extérieurs de l'ensemble de l'Union européenne représentent à peine plus du dixième du PIB européen, tandis que la demande intérieure européenne atteint les neuf dixièmes. C'est dire que l'avenir de notre croissance économique est d'abord et avant tout entre nos mains. Si nous mettons en oeuvre, par une concertation intelligente de nos politiques monétaires et budgétaires, une politique économique globale -ce que les économistes appellent un " policy-mix "-, adaptée à la situation présente, nous pourrons compenser, comme cela a été le cas depuis un an, la contraction de nos échanges extérieurs par une demande intérieure plus forte. Nous pouvons d'autant mieux le faire que l'Europe connaît aujourd'hui un excédent significatif de ses échanges extérieurs qui autorise une croissance tirée par la demande intérieure.
Ce " policy-mix " doit reposer sur de très bas taux d'intérêts à court terme et sur une réduction des déficits publics cohérente avec la nécessité d'une politique économique globalement expansionniste.
Il reste que la crise financière internationale est une menace pour la croissance mondiale. Elle appelle donc une réponse politique à l'échelle internationale. L'expérience du krach boursier de 1987 montre qu'une réaction coordonnée des politiques monétaires peut transformer un processus dépressif en reprise économique. C'est encore le choix que nous devons faire aujourd'hui.
A l'échelle mondiale, il faut distinguer les réponses à court terme et à long terme. A court terme, il faut une réponse rapide et coordonnée des politiques économiques ñ et tout particulièrement des politiques monétaires ñ pour enrayer le processus. A plus long terme, et dans le prolongement du mémorandum proposé par la France à ses partenaires européens, il faut engager les réformes nécessaires pour renforcer et reconstruire le système monétaire et financier international.
C'est le rôle des politiques que d'indiquer la voie, de prendre les mesures nécessaires pour compenser l'affolement des marchés, et de ne pas céder aux cycles exagérés des marchés et de l'opinion. Les agents économiques doivent conserver à l'esprit une claire distinction entre l'économie réelle ñ fondée sur l'activité industrielle, la vitalité des services, le dynamisme technologique, les flux de consommation ñ, et les phénomènes financiers qui l'entourent. Au cours des années précédentes, cette sphère financière était nettement surévaluée. La baisse actuelle des marchés financiers ouvre désormais une période de sous-évaluation. Dans les deux cas, on s'écarte de la vérité économique.
Il ne s'agit pas pour moi de minimiser la crise actuelle, mais de répéter que si nous mettons en oeuvre la coordination des politiques économiques que j'ai toujours appelée de mes voeux, nous avons les moyens d'y faire face en Europe et de contribuer par la même à la stabilité de l'économie mondiale.
3. Reconstruire un SMI.
J'en viens maintenant aux réformes nécessaires du système international, et pour lesquelles l'Europe doit assumer les responsabilités que lui confère son poids au sein de l'économie mondiale. Cette responsabilité est d'autant plus importante qu'elle constitue, aujourd'hui, dans une économie mondiale en crise, l'un des principaux pôles de stabilité monétaire et de croissance économique.
Pour sa part, la France a fait récemment à l'Ecofin douze propositions pour une initiative européenne face à l'instabilité financière internationale. Nous devons bâtir les fondations d'un nouveau système monétaire et financier international, un " nouveau Bretton Woods ", plus légitime et plus efficace.
Une économie globalisée a besoin tout d'abord d'institutions fortes et légitimes, capables de faire respecter les règles du jeu international. Accroître rapidement les ressources du FMI, approfondir sa légitimité en transformant l'actuel Comité intérimaire en un véritable Conseil jouant le rôle d'un " gouvernement politique ", développer au sein de ce Conseil le dialogue entre les pays industrialisés et les pays émergents : telles sont les priorités qu'il convient de mettre en oeuvre rapidement.
Il faut ensuite accroître la transparence du système financier international pour dissuader les prises de risque excessives par les institutions financières : en améliorant la surveillance prudentielle et en l'étendant à l'ensemble des institutions financières, notamment aux assurances et aux fonds de pensions ; en élaborant, sous l'égide du FMI, une charte relative à la fourniture et la diffusion d'informations par les institutions privées ; en faisant respecter les règles internationales par les centres financiers offshore.
Il faut enfin rechercher les voies d'un meilleur équilibre monétaire international pour limiter les variations excessives de change en coordonnant plus étroitement les politiques de change entre les grandes zones monétaires.
D'autres mesures sont envisageables. Les pays européens, bientôt investis d'une responsabilité particulière en raison de l'euro, doivent s'organiser rapidement pour définir la méthode qui nous permettra d'arrêter nos positions et de les exprimer sur la scène internationale. L'Euro-11 est un premier pas en ce sens.
Cher(e)s camarades,
Dans un monde globalisé, en proie à des évolutions non maîtrisées comme le montrent aujourd'hui les crises financières, il importe de réaffirmer et de faire vivre les valeurs et les principes qui fondent le modèle social-démocrate européen, dans le dialogue avec les autres forces progressistes et écologistes prêtes à travailler avec nous.
L'intégration économique européenne comme la globalisation de l'activité économique nous invitent à retrouver l'esprit à la fois européen et internationaliste qui fut à l'origine de la création de nos partis.
C'est au nom de valeurs communes que des politiques différenciées mais proches sont menées dans nos différents pays, dans le respect de l'identité de chacun d'entre eux. C'est au nom de ces mêmes valeurs, et selon la volonté démocratiquement exprimée par nos compatriotes, que nous devons bâtir des institutions européennes fortes, animant des politiques communes et efficaces, offrant au reste du monde l'exemple réussi d'une coopération politique.
Au cours des derniers mois, beaucoup a déjà été fait en ce sens. Il nous faudra collectivement veiller à ce que l'exercice ne tourne pas à un rituel formel ou bureaucratique.
Si l'Europe est une chance pour les socialistes, le socialisme est une chance pour l'Europe et les Européens : voilà la conviction commune que nous voulons faire partager au plus grand nombre.
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 31 mai 2001)