Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT à RMC le 10 décembre 2003, sur le service minimum garanti dans les services publics, et l'anticipation des conflits du travail dans les entreprises de transport.

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Texte intégral

J.-J. Bourdin-. Où en est-on dans le service minimum garanti ? G. de Robien a reçu hier à déjeuner les participants au débat à l'Assemblée nationale, sur la continuité du service public, les parlementaires de droite et de gauche, ainsi que les syndicalistes ; pourquoi la CGT n'y était pas ?
- "Je pense que c'était plutôt destiné au cercle de ceux qui avaient accepté son voyage en Europe, pour regarder les modèles de référence."
Vous refusez de dialoguer ?
- "Pas du tout, mais on peut dialoguer à de multiples reprises, et pas forcément à l'occasion d'un déjeuner."
Vous ne voulez absolument pas de ce service minimum garanti ?
- "Il faut essayer de resituer ce débat pour ce qu'il est. Nous sommes dans un contexte où la politique économique et sociale de ce Gouvernement est très largement contestée. Je remarque d'ailleurs que s'il y a une grande majorité de nos concitoyens qui seraient a priori favorables au principe du service minimum, la même proportion est très critique sur la politique sociale et économique du Gouvernement. Je ne le vois pas forcément en tirer toutes les conséquences pour réorienter les mesures et les décisions qu'il prend en matière sociale et économique. Il y a une majorité, aujourd'hui, qui peut être tentée, à côté de mesures antisociales - et elles se multiplient en cette fin d'année, et sans doute que l'année prochaine, nous en aurons encore davantage - d'accompagner ces dispositions de moyens de rétorsion. Je ne considère pas que la majorité actuelle soit parmi les meilleurs avocats du service public. Je ferai même remarquer que ceux-là mêmes qui proposent de réfléchir à une restriction du droit de grève, sont les mêmes qui prennent des dispositions très concrètes, affaiblissant le service public, privatisant un certain nombre d'entreprises publiques. Je crois donc que l'appel à la notion d'usagers, s'agissant des transports, est de circonstance, principalement pour diminuer, affecter un droit constitutionnel qui est le droit de grève. A partir de là, je voudrais aussi ajouter le fait qu'il n'y a, ni dans les transports ni dans d'autres domaines, de grévistes qui le soient par plaisir. Je ne connais pas de salariés qui aient recours à la grève par plaisir. Il faut donc, plutôt que de s'interroger sur les conséquences d'un conflit, s'interroger sur les origines d'un conflit."
Oui, mais je me mets à place de l'usager, et vous aussi, j'imagine...
- "Bien sûr."
800 préavis de grève déposés à la SNCF l'année dernière, c'est absolument énorme ! Je me mets à la place de celui qui paie son abonnement tous les mois, qui habite en banlieue et qui va travailler à Paris, par exemple, et qui est régulièrement confronté à la grève ! Franchement, est-ce qu'il ne serait pas responsable d'accepter un service garanti, un service minimum garanti ?
- "D'une part, il y a le constat des chiffres. Ce qui est anormal, c'est d'avoir autant besoin de recourir à la grève pour aborder les problèmes posés dans ce secteur. Le droit de grève dans les transports, et à la SNCF notamment, est déjà réglementé : il est soumis à un préavis de grève et le législateur, en son temps, avait déjà considéré qu'il fallait créer les conditions pour éviter au maximum une perturbation d'une activité jugée cruciale pour l'activité économique et sociale."
Mais en Allemagne, où les syndicats sont très puissants, il n'y a jamais ces problèmes-là !
- "J'essaie de poursuivre ma démonstration : le préavis de grève qui a été instauré et qui contraint donc les salariés, les organisations syndicales à "préaviser" qu'ils ont l'intention de faire grève, était destiné à ouvrir des négociations pour éviter, autant que faire se peut, d'aboutir à une grève. Or la conception de ce préavis a été, au fil du temps, détournée de sa vocation première, puisque nos interlocuteurs, la direction de l'entreprise en général, bien que l'annonce soit faite de l'intention des personnels d'avoir recours à la grève, ne négocie pas sur les sujets posés par les grévistes potentiels et attend la démonstration de force, le jour de la grève, avant de discuter sérieusement. Je voudrais rappeler ce qui s'est passé en 1995, non pas pour faire les anciens combattants, mais aussi pour dire en quoi et sur quoi portent les motifs de conflit dans le secteur public. Lorsque nous avons été contraints de faire une grève très difficile, longue - plus de quatre semaines - en 1995, cela a notamment eu pour conséquence de préserver une partie importante du réseau ferroviaire régional. Si on se félicite aujourd'hui d'un développement du trafic régional SNCF, il faut se rappeler qu'en 1995 - monsieur Juppé était Premier ministre à l'époque, c'était notre interlocuteur -, il était question de fermer un tiers des lignes ferroviaires régionales. Heureusement qu'à l'époque, même si les conséquences ont été très importantes au plan social, au plan économique, que nous avons fait ce que nous avons fait à ce moment-là, sinon on ne parlerait pas d'une partie importante du réseau ferroviaire."
Vous allez faire un geste quand même ? Le Gouvernement compte présenter un projet de loi de prévention et d'anticipation des conflits dans les entreprises de transports, avec pour objectif de redonner à la grève dans les transports un rôle ultime et exceptionnel. Quel geste êtes-vous prêt à faire pour régler le problème de l'usager ?
- "Du point de vue des salariés eux-mêmes, et je pense qu'une grande partie des auditeurs sont aussi des salariés, [ils] savent qu'on ne recourt pas à la grève par plaisir. Donc tout ce qui pourra permettre d'éviter d'avoir recours à la grève, nous en sommes partisans."
Quelles propositions faites-vous ? Vous n'allez pas toujours dire non...
- "D'avoir l'obligation de négocier sur les revendications qui sont présentées par les organisations syndicales, par exemple. Mais il ne faut pas ignorer le fait qu'il puisse y avoir des situations conflictuelles. Je prends le cas de ce qui est en train de se dessiner pour la SNCF de nouveau au travers de son budget. L'Etat dit ne pas avoir les moyens pour assurer un développement du transport ferroviaire. On va retomber sur une problématique qui fait que les effectifs, l'intensité du trafic, le développement nécessaire du trafic marchandises par exemple, risquent de passer à la trappe. On a donc une situation conflictuelle, comme on l'a dans d'autres secteurs : blocage des salaires, sous-effectifs, intensité des conditions de travail, qui peuvent se détériorer. Bref, si on est capable de négocier sérieusement sur ces aspects-là, on peut éviter des situations conflictuelles. Mais si on est sur une diminution des moyens et une non-prise en compte des revendications sociales, comme à l'hôpital, comme dans la fonction publique..."
Vous allez accepter une rencontre avec G. de Robien prochainement ?
- "Il y a eu plusieurs discussions."
Vous êtes prêt à écouter le Gouvernement ? Vous êtes prêt à dialoguer avec le Gouvernement ?
- "Le dialogue existe par le biais de nos fédérations professionnelles depuis plusieurs mois. Mais en même temps, toutes les organisations syndicales au plan des fédérations professionnelles comme des confédérations - la CGT n'est pas la seule dans cette position -, toutes les confédérations ont averti la majorité actuelle du risque et des dangers qu'il y avait à s'attaquer à un droit constitutionnel qui est le droit de grève."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 décembre 2003)