Déclaration de M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, sur la vie scolaire, notamment la gratuité des manuels scolaires au lycée, la décentralisation et le foulard islamique, Paris le 17 mai 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conseil national de la vie lycéenne à Paris le 17 mai 2003

Texte intégral

M. Luc FERRY.- Bonjour à tous.
Je n'ai malheureusement pas beaucoup de temps aujourd'hui, parce que je vais au "Parlement des enfants" avec les petits et que j'ai plusieurs autres sujets de discussion dans la matinée, mais je tenais à être avec vous ce matin pour deux raisons, d'une part pour répondre aux questions que vous avez posées ou que vous souhaitez poser afin que nous puissions en débattre, et d'autre part, parce que j'ai personnellement une question à vous soumettre sur un sujet brûlant qui est le problème du foulard islamique sur lequel j'aimerais vous entendre en toute liberté.
Je propose de commencer par vos questions si vous en avez. Je sais qu'il y en a certaines qui sont déjà rédigées, mais vous en avez peut-être d'autres et je suis toute ouïe.
Nous pouvons commencer un dialogue entre nous, puis nous gardons dix minutes pour que je vous entende sur la question du foulard islamique.
Nous sommes dans une période agitée. Nous avons vécu des moments forts dans nos établissements. Afin de renforcer notre rôle de représentants nationaux, nous souhaiterions ramener un maximum d'informations pour nos prochains CAVL pour mieux comprendre votre politique.
Compte tenu de votre emploi du temps, nous allons vous poser trois questions :
. sur la gratuité des livres,
. sur le problème actuel des grèves,
. sur la décentralisation.
Je laisse la parole à Armel.
M. Armel MULLER (Strasbourg).- Bonjour, Monsieur le Ministre.
Le CNVL, hier, a réfléchi notamment sur le thème de la gratuité et notre question portera tout simplement sur la mise en place de la gratuité des manuels et des outils scolaires.
Nous avons en effet constaté qu'existe au sein de l'école la plus grande inégalité des chances qui est celle de devoir payer encore et toujours, malgré la loi sur la gratuité de l'école, nos manuels scolaires ainsi que nos outils scolaires. Pour bien suivre notre cursus scolaire, il nous faut effectivement tout cela pour profiter au mieux des cours.
Par rapport à cet état de fait, nous souhaitons déjà vous présenter une proposition d'action concrète, visant tout simplement à avoir au lycée le même système que celui qui est utilisé actuellement au collège, à savoir un système de prêts.
Nous avons donc deux demandes qui accompagnent notre proposition : d'une part, siéger dans la commission sur la gratuité, mise en place en novembre 2001 ; d'autre part, nous souhaiterions avoir le rapport de M. Bernard TOULEMONDE, inspecteur général, tout simplement pour pouvoir débattre, au sein du CNVL, de la mise en place de la gratuité, pour étudier au mieux, pour apporter notre pierre à l'édifice et pour faire redescendre ensuite l'information comme telle est notre responsabilité, dans les CAVL.
Nous souhaiterions donc connaître votre position sur ce sujet, savoir si ce que nous vous demandons est possible et comment vous envisageriez de mettre en place la gratuité.
M. Luc FERRY.- Voulez-vous que l'on groupe les questions ou que je réponde à chacun de vous, un par un ?
M. Alexandre SCAVO (Lyon).- Un par un, oui.
M. Luc FERRY.- Je crois que c'est plus simple.
Sur la question de la gratuité des manuels, j'ai réuni, il y a environ un mois, les présidents de région, puisque c'est une affaire qui, pour l'instant, concerne les régions.
Quelques mots d'explication : la gratuité des manuels a été instaurée au collège, car l'Etat avait considéré qu'il fallait mettre en place la gratuité pour la durée de l'école obligatoire. Le problème s'est reposé pour la gratuité au niveau du lycée, parce que six régions ont pris la responsabilité elles-mêmes d'aller dans le sens de la gratuité des manuels dans ces établissements.
Bien sûr, cela a créé un précédent pour les autres régions qui, aujourd'hui, se posent la question de savoir si elles vont aller dans le même sens ou pas. Elles subissent, en effet, une forte pression, car c'est très bien accueilli par les familles et les régions qui ne l'ont pas fait se demandent si elles doivent aller, elles aussi, vers la gratuité.
Plusieurs systèmes sont envisagés. Parmi ces systèmes, il y en a un que je trouve bon et que je voudrais encourager, système qui est d'ailleurs mis en place en Alsace, autour de Strasbourg, par Adrien Zeller, Président de la Région Alsace, et qui consiste à dire : l'égalité n'est pas l'équité, c'est-à-dire que si l'on donne les manuels scolaires aux riches comme aux pauvres, ce n'est pas une bonne chose, parce que de toute façon, cela coûte extrêmement cher et l'argent que l'on utilise là, on ne l'utilise pas ailleurs, il faut être réaliste, et donc ce que propose Adrien Zeller et que j'ai envie d'encourager, c'est d'avoir un système non pas d'égalité absolue, c'est-à-dire que l'on donne les manuels aux familles riches comme aux familles pauvres, mais comme le système des bourses sur critères sociaux, on donne une bourse pour les livres en fonction des revenus des parents et de leurs enfants. A mon avis, c'est un bon système.
Pour vous répondre concrètement, je vais vous dire ce que je voudrais faire mais on ne peut pas le faire immédiatement, parce que ce sera un effet de la loi de décentralisation sur laquelle vous souhaitez d'ailleurs que l'on revienne tout à l'heure et qui est actuellement en cours de discussion avec nos partenaires.
Dans le projet de loi de décentralisation, j'ai décidé de créer ce que l'on appelle un Conseil territorial de l'éducation. Je vous explique ce que c'est parce que les mots n'indiquent rien : c'est un Conseil national qui, au niveau national, réunira, sous la présidence du ministre de l'éducation nationale - que ce soit moi-même ou un autre, ce sera pérennisé, ce sera dans la loi -, les représentants des régions, des départements et des communes.
Ce Conseil territorial de l'éducation sera saisi de ces questions de péréquation, d'égalité entre les régions. Par exemple, le premier dossier qu'on lui donnera, c'est celui-là, pour dire : "Voilà, nous sommes entre nous, présidents de région, présidents de département, il y en a chez vous qui payent les livres, il y en a d'autres qui ne les payent pas, peut-on essayer de trouver un système commun ?" Personnellement, je défendrai ce système de l'équité, c'est-à-dire des bourses pour acheter les livres en fonction des revenus des familles. Je pense que c'est le bon système.
De la même façon, pour vous donner un autre exemple sur d'autres problèmes de décentralisation, lorsque l'on va transférer des personnels aux régions et aux départements, notamment les techniciens et ouvriers de service - c'est-à-dire, en gros, 56 000 femmes de ménage, 18 000 cuisiniers, par exemple -, il est évident qu'il y a des régions qui, dans l'état actuel des choses, sont plus dotées que d'autres, qui ont plus d'emplois que d'autres.
Voilà pour le Conseil territorial de l'éducation un sujet de réflexion : comment assurer la péréquation entre les régions ? Comment faire en sorte que l'on égalise les conditions entre les régions, comme nous, nous essayons de le faire à notre niveau, éducation nationale ? On l'a fait cette année dans ce que l'on appelle la carte scolaire. C'est un sujet un peu difficile, mais la carte scolaire, c'est l'ouverture et la fermeture des postes. En gros, le ministère chaque année, donne un certain nombre de postes de professeur aux académies. Il dit aux académies : "On vous donne 200 postes, 300 postes, etc.", mais il faut regarder ce que les académies ont déjà. Il y a, depuis des années et des années, des académies qui ont beaucoup plus que d'autres. Par exemple, l'académie de Lille a beaucoup plus que La Réunion ou les Antilles ou la Loire Atlantique. Dans ce cas-là, un conseil comme celui-là doit dire : "Il faut être honnête, on va retirer certains postes à tel endroit pour les mettre là où il n'y en a pas assez.
C'est ce type de sujets que l'on réglera dans ce Conseil territorial de l'éducation, et le premier d'entre eux sera le sujet "livres".
C'est un petit clin d'oeil ironique, car je ne veux pas polémiquer : je rappelle que la commission sur la gratuité s'est réunie le 9 avril 2002, une fois... Vous voyez ce que cela veut dire quand on prend une décision le 9 avril 2002... C'est tout de même un peu tard. C'est en plein dans les élections, quand on sait que l'on va partir ; on réunit quelque chose, on lance des opérations, mais il faut être sérieux, ce n'est pas entre les deux tours des élections que l'on règle des questions de cette ampleur.
Voilà la proposition que je ferai et au sein de ce Conseil territorial de l'éducation qui verra le jour très prochainement, puisque même si je dis que ce n'est pas tout de suite, c'est tout de même très vite, puisque la loi de décentralisation est pratiquement bouclée et va passer devant le Parlement avant l'été.
M. BISSON-VAIVRE.- Je précise que le rapport Toulemonde est sur le site education.gouv.fr et est à votre disposition (www.education.gouv.fr/rapport/toulemonde.pdf).
M. Luc FERRY.- Je ne l'ai pas lu mais je suis sûr qu'il est très bien parce que Bernard Toulemonde est un homme formidable. Donc je suis certain qu'il y a beaucoup de choses intéressantes dans son rapport
M. Pierre-Antoine FOURNY (Nantes).- Bonjour, Monsieur le Ministre.
Je vous entendais parler justement de décentralisation, de dossier bouclé. Or, actuellement, comme vous le savez, au sein des lycées, on parle des manifestations actuelles de la part des employés, des fonctionnaires de l'éducation nationale.
On constate que la mobilisation -dont le temps fort était mardi dernier- va grandissant depuis le début de l'année, mais avec 70 % de grévistes mardi, 30 à 50 % encore hier, avec une grève qui perdure depuis le début de la semaine et une forte mobilisation attendue lundi, qui concerne les enseignants, les MI-SE , les CPE et tout le personnel d'encadrement.
Vous comprendrez que les lycéens s'inquiètent et que, face à ces inquiétudes et à certaines menaces des professeurs notamment concernant l'éventuel blocage sur les bulletins du troisième trimestre qui ne seraient pas remplis ou éventuellement d'autres menaces concernant les copies du baccalauréat, nous aurions deux questions :
. est-ce que vous, Monsieur le Ministre, avez des propositions concrètes pour répondre au mouvement social et qu'avez-vous l'intention de faire concrètement ?
. surtout êtes-vous prêts à laisser perdurer le mouvement social en refusant le dialogue avec les professeurs au nom d'une politique stricte d'application de la loi de décentralisation et, bien sûr, aux dépens des lycéens qui, je le rappelle, sont à moins d'un mois des épreuves du baccalauréat ?
Merci.
M. Luc FERRY.- Vous faites bien de poser la question, mais d'abord, j'ai reçu, hier, comme quasi chaque semaine, les partenaires sociaux, parce qu'il n'est pas question de faire une réforme sans les personnels. J'ai donc vu le SGEN, avec M. VILLENEUVE, une partie de la FSU avec M. PAGET en particulier, et je continue de les recevoir la semaine prochaine. En fait, le dialogue, contrairement à ce que l'on a dit ici ou là, n'a jamais été interrompu.
Simplement il faut que vous sachiez une chose parce que cela fait partie de la vie politique, c'est que lorsque les syndicats organisent des grèves, ils ont parfaitement le droit de le faire. Le droit de grève est reconnu, c'est un droit démocratique et pour vous dire le fond de ma pensée, je considère que nos syndicats ne sont pas assez forts. Quand on est ministre, ce que l'on craint vraiment, ce sont les coordinations, les mouvements spontanés, parce que personne ne les encadre, personne ne les contrôle et, au contraire, nous, nous avons besoin de syndicats forts en face de nous pour dialoguer.
Le problème est que lorsqu'il y a des confrontations politiques, et c'est normal, on ne peut pas à la fois négocier avec les syndicats et le dire publiquement. Il est évident, en effet, que les syndicats ne peuvent pas organiser une grève contre vous et en même temps faire savoir qu'ils sont en train de discuter avec vous, c'est difficile... Evidemment, on fait toujours les deux, sachez-le.
Le deuxième point que je voudrais que vous compreniez bien, c'est que ce n'est pas sur la décentralisation que nous avons vraiment des problèmes.
Sur la décentralisation, la vérité, c'est qu'il n'y a pas de problème ou très peu. Il y a les conseillers d'orientation psychologues qui sont inquiets et, pour le reste, quand on regarde les dernières mobilisations, la mobilisation des TOSS, c'est-à-dire les 90 000, 95 000 ou 100 000 personnes auxquelles on propose le transfert dans la fonction publique territoriale, était de 14 %. C'est très peu, cela veut dire que plus de 8 sur 10 d'entre eux n'ont pas fait grève, parce qu'ils savent très bien que les conditions d'accueil qui leur seront faites dans la fonction publique territoriale ne seront pas différentes -c'est bien la fonction publique et non pas le démantèlement du service public. La fonction publique territoriale fait partie de la fonction publique. Ce ne sont pas des gens que l'on sort de la fonction publique ou du système éducatif.
Nous allons vous donner un petit argumentaire sur ce point pour que vous ayez les bonnes informations et les vrais projets du ministère. Certes, on peut être en désaccord, mais il faut au moins avoir les bases de la loi. Donc les TOSS, en grande partie, étaient d'accord pour rentrer dans cette fonction publique territoriale qui est plutôt plus avantageuse pour eux que la fonction publique d'Etat.
Ce n'est donc pas sur la décentralisation que l'on a de vrais problèmes, sauf pour le cas des conseillers d'orientation psychologues et je peux vous dire pourquoi et nous pouvons en parler aussi.
Le vrai problème, ce qui inquiète vraiment, ce qui met le feu aux poudres, ce sont les retraites. Sur ce point, la mobilisation est de 70 à 75 %. On passe d'une mobilisation, en moyenne, le 6 mai, de 26 % à une mobilisation qui est, en gros, de plus de 70 % , le 13 mai autour des retraites. C'est là que le bât blesse. Pourquoi ? Parce que cela fait des années et des années que nos enseignants sont malheureux. Disons les choses clairement, nombre d'entre eux, quand ils arrivent à 50 ans ou 55 ans, n'ont qu'une envie, c'est de partir le plus vite possible ou de faire autre chose. D'ailleurs, fait très important, nous assistons, depuis deux ou trois ans, à une très grave crise des vocations d'enseignant dans le second degré et en revanche, à une forte augmentation des vocations dans le premier degré, à l'école. Très grave crise des vocations au collège et au lycée, très forte augmentation des vocations à l'école primaire. Pourquoi ? Personnellement, si je devais redevenir "prof", je n'hésiterai pas une seconde, j'aimerais mille fois mieux être "prof" d'école que "prof" de collège. On n'a pas les problèmes de discipline, on n'a pas les problèmes de motivation des élèves, les problèmes d'échec scolaire que l'on connaît au collège. C'est souvent perçu comme plus intéressant et même comme plus facile.
C'est ainsi que le vrai problème que l'on a avec les retraites, c'est qu'il y a des quantités de professeurs qui se disent : "Mon Dieu, s'il faut que l'on reste dans cette maison jusqu'à 61 ou 62 ans, que l'on augmente notre temps de travail d'un an, deux ans, trois ans quatre ans, ce n'est pas acceptable". C'est le problème que nous avons à gérer pour l'instant, ce n'est pas le problème de la décentralisation.
Sur les conseillers d'orientation psychologues, sur les TOSS, pour que les choses soient bien claires, je précise qu'aucun poste ne sera supprimé, pas un seul. Il est hors de question de supprimer des conseillers d'orientation psychologues. Les CIO ne seront pas supprimés. Les consultations pour les élèves, bien évidemment, ne seront pas payantes, on est dans le cadre du service public. Il y a trois parties dans le service public : la fonction publique d'Etat, la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale. Les trois font partie du service public, il n'y a donc pas de démantèlement du service public.
Troisième point très important : dans la loi, il est précisé que ces personnels continueront de faire partie des équipes éducatives et seront dans les établissements.
Voilà pourquoi j'ai demandé, mardi dernier, au Premier ministre qui m'a répondu favorablement qu'il y ait pour les conseillers d'orientation psychologues, un statut qui leur corresponde dans la fonction publique territoriale ; ils seront conseillers d'orientation psychologues dans la fonction publique territoriale.
Quel est l'intérêt de l'opération ?
Tous les présidents de régions, à de très rares exceptions près, y compris M. LE VERNE qui est un fabiusien, au demeurant un homme remarquable et intelligent, et qui est le vice-Président de l'Association des régions de France, mais aussi bien, par exemple, M. BERSON, vice-Président de l'Association des départements de France et qui est, lui aussi, un homme de gauche me disent que les jeunes ne sont pas bien informés, ni bien orientés, que tous les jeunes qu'ils rencontrent, leur disent : "On ne sait pas ce qui nous attend, on ne sait pas ce que sont les vrais métiers ; même au sein du système éducatif, on ne sait pas quelles sont les bonnes filières, ce qu'il faut choisir, quelles sont les possibilités qui s'offrent à nous, mais encore plus quand on sort du collège, du lycée, on ne sait pas ce que sont les métiers dans les entreprises, on n'est pas informé là-dessus, on ne sait pas quelles sont les possibilités qui vont s'offrir à nous".
Ces présidents de région ou de département me disent tous : "Laissez-nous organiser -et je vais vous donner leur formule, car elle est importante- un service public régional de l'information et de l'orientation des élèves". C'est en effet, en région qu'il faut le faire. Il faut mettre ensemble les CRIJ, les PIJ, les DRONISEP, les missions locales, les CIO et que les jeunes et leurs familles aient un guichet unique et que dans ce guichet unique, vous puissiez rencontrer des gens qui ont des compétences différentes, non seulement des psychologues mais aussi des gens qui connaissent l'entreprise, qui connaissent les filières professionnelles. Il faut que vous puissiez être informés sur les vocations qui peuvent vous être proposées.
Je prends un exemple : l'autre jour, une dame est venue me voir en me disant : "Mon fils est en échec scolaire au collège depuis trois ou quatre ans. Il a maintenant 18 ans et il n'a toujours pas trouvé sa voie, etc. Il est passionné par la mer, les voyages, etc." Nous avons trouvé une solution, mais si vous ne savez pas qu'il existe par exemple un CAP navigation fluviale au lycée professionnel de Strasbourg, vous ne pouvez pas répondre à ce garçon, vous ne pouvez pas lui offrir quelque chose qui va lui plaire. Ce n'est pas simplement un métier de psychologue qui est nécessaire, même si la psychologie est importante, il faut aussi connaître la réalité des métiers pour pouvoir proposer à un enfant une voie dans laquelle il va pouvoir s'épanouir, trouver une vocation et être heureux. C'est cela le but de l'affaire.
Les présidents de régions me disent : "Ils nous faut créer des centres d'information et d'orientation des enfants, orientation non pas au sens scolaire mais au sens où l'on vous indique les possibilités offertes dans les régions, parce que nous, nous savons ce qu'il y a dans nos régions comme lycées professionnels, comme entreprises, comme filières, comme universités et quels sont nos points forts et nos points faibles".
Je termine cette intervention avec les examens. Je suis comme vous, très inquiet, sur les examens.
Deux choses positives néanmoins. Un ministre n'est jamais ravi qu'il y ait des grèves. Ce n'est pas moi qui fais les grèves, je ne peux pas les empêcher non plus. Je peux toujours dialoguer, je peux proposer des choses, mais je ne peux pas interdire que l'on fasse grève. En revanche, la grève des examens, c'est prendre les élèves en otage et ce n'est pas bien. Voilà pourquoi les organisations syndicales responsables, la FSU, le SGEN par exemple, ont fait des communiqués, hier, pour appeler les enseignants à ne pas prendre les élèves en otage.
Sachez que les organisations syndicales responsables, sont d'accord avec nous sur ce point. Malheureusement, il y en a qui sont moins responsables que d'autres, mais enfin, les responsables ne sont pas d'accord pour que l'on prenne en otage les élèves. On a le droit d'être en désaccord, on a le droit d'avoir des grèves, des grèves dures, on a même le droit de bloquer le système si l'on veut, mais on n'a pas le droit de prendre les élèves en otage. Cela n'est pas bien, les organisations syndicales le savent et les professeurs le savent. Malheureusement, il y a toujours de petites proportions de gens qui sont irresponsables et qui veulent aller jusqu'au bout, mais c'est absurde.
Personnellement, je réunis mardi les recteurs et les inspecteurs d'académie pour voir avec eux comment on peut faire en sorte que vous ne soyez pas pénalisés par ces grèves. Il faut vraiment que nos recteurs, nos inspecteurs d'académie puissent aller, si c'est absolument indispensable, si l'on ne peut pas faire autrement, jusqu'à ce que l'on appelle les réquisitions pour, hélas, faire intervenir les forces de l'ordre de telle sorte que vous puissiez aller dans les centres d'examens. Mais j'aimerais bien que l'on n'en arrive pas là.
Je compte fermement sur les organisations syndicales ; qu'elles continuent le débat, qu'elles continuent la lutte même, c'est parfaitement acceptable, mais qu'elles donnent des consignes fermes aux enseignants de ne pas vous prendre en otage. Je ne peux pas vous dire mieux.
Concernant les retraites, c'est un sujet du gouvernement, ce n'est pas un sujet spécialement éducation nationale.
Je voudrais ajouter encore une chose : il y a un grand paradoxe : quel est mon intérêt dans l'affaire des retraites ? Je n'y ai aucun intérêt. Qu'ai-je à défendre comme intérêt caché inavouable sur les retraites ? Pour moi, c'est simplement une réforme pénible à faire.
On sait que la durée de vie -ce qui est une bonne nouvelle- de chacun d'entre nous s'allonge -trois mois par an, c'est considérable ! Vous allez être centenaires, en tout cas, sauf accident, vous allez tous passer les 90 ans. N'oubliez pas qu'au début du siècle, on vivait jusqu'à 40, 45, 50 ans. L'essentiel des ouvriers mouraient dans la première ou la deuxième année de leur retraite. Cela n'est plus le cas aujourd'hui et c'est une bonne chose. Sachez que la retraite par répartition, ce n'est pas : "J'ai travaillé 37 ans, j'ai droit à la retraite", mais : ceux qui travaillent payent la retraite de ceux qui ne travaillent pas. Donc à partir du moment où la durée de vie s'allonge de 10, 20 ou 30 ans, vous ne pouvez plus travailler simplement 37,5 ans, ce n'est pas possible !
Vous avez deux possibilités : soit vous augmentez les cotisations, soit vous allongez le temps de cotisation, soit encore vous faites les deux, ce qui est, en vérité, ce que l'on fait, mais il n'y a pas d'autres solutions. Vous pouvez reprendre tous les textes de François HOLLANDE, de Lionel JOSPIN ou du Conseil d'orientation des retraites mis en place par Lionel Jospin, il n'y a pas d'autres solutions.
Après, on peut négocier dans les détails et par exemple, pour les professeurs qui ont enseigné 20 ans en ZEP, on peut faire quelque chose, pour les adjoints d'enseignement, on peut envisager par exemple qu'ils puissent racheter des années d'études ; pour ceux qui ont fait un IUFM, il y aura une année d'études qui comptera... On peut négocier à la marge et essayer d'adoucir les choses. On peut envisager la cessation progressive d'activité, c'est-à-dire qu'à partir de 58 ans, ils pourront prendre des mi-temps et la cotisation restera à taux plein, etc. On peut adoucir les choses, mais ce n'est pas la peine de tourner autour du pot, on ne peut pas ne pas faire cette réforme des retraites.
Le paradoxe, c'est que les gens qui font grève contre François Fillon ou contre moi-même en ce moment, font grève contre des ministres qui sont en train de sauver leur retraite à eux, car la retraite, c'est la patrimoine de ceux qui n'en ont pas. Pour ceux qui n'ont pas de capital, pas de biens familiaux, la seule chose qui leur permette de continuer à vivre une fois qu'ils arrêtent de travailler, c'est la retraite.
Nous ne pouvons pas ne pas sauver les retraites par répartition et pour les sauver, on est obligé d'augmenter les cotisations ou la durée de cotisation ou les deux. Il n'y a pas d'autres solutions ! Un enfant de cinq ans peut le comprendre, c'est une question d'arithmétique, on n'y peut rien !
Ce n'est pas agréable à faire, c'est d'ailleurs pour cela que Jospin ne l'a pas fait. Il a mis son conseil d'orientation en place, mais il savait bien que s'il le faisait, il perdait encore plus les élections. Il est évident que nous, nous sommes obligés de le faire, parce que c'est tout de suite que le problème se pose. Ce n'est même pas votre retraite qui est en cause, elle l'est totalement, mais c'est même la retraite de ceux qui ont aujourd'hui 50 ans qui est déjà en question.
Un dernier mot : le déficit de l'ensemble des régimes de retraite en 2020, si l'on ne change rien à ce que l'on fait aujourd'hui, c'est 50 milliards d'euros ! C'est le budget de l'éducation nationale ! Donc ce n'est pas la peine de tourner autour du pot, on ne peut pas faire autrement ! Sinon je vous garantis que l'on ferait autrement. Il n'y a pas d'idée inavouable derrière. Imaginez, mon intérêt dans cette affaire ! Ce ne sont que des soucis !
M. Alexandre SCAVO (Lyon).- Monsieur le Ministre, vous avez déjà répondu en partie à la question sur la décentralisation, mais je vais quand même vous la poser. Je l'avais d'ailleurs déjà préparée.
Comme vous le voyez, Monsieur le Ministre, l'une des grandes réformes annoncées par M. le Président le République concerne la décentralisation. Il va de soi que cette réforme aura des effets non négligeables sur tout le système scolaire et inspire chez les lycéens et les adultes de nombreuses peurs et craintes, notamment au sujet de l'orientation.
Pouvez-vous nous présenter, Monsieur le Ministre, les grandes lignes de la réforme et nous dire quel intérêt peut présenter un transfert de compétences tel que le transfert des CIO aux collectivités territoriales ?
M. Luc FERRY.- Je vous ai déjà en partie répondu.
Le transfert des CIO aux collectivités territoriales est prévu en maintenant tous les personnels et en les conservant dans les équipes éducatives, c'est dans la loi. Je répète que l'intérêt pour les présidents de région et de département, est de mettre ensemble tous ces gens qui travaillent à votre information, à votre orientation, mais aussi de mettre ensemble avec eux ceux qui travaillent à l'élaboration des schémas prévisionnels de formation et à l'élaboration des cartes de formations professionnelles.
Que sont les cartes de formations professionnelles ?
Par exemple, on a un CAP de navigation fluviale qui marche bien parce que l'on est au bord du Rhin ou de la Moselle. Le but du CAP de navigation fluviale, c'est d'apprendre à des gamins à conduire des bateaux mouches. Or, comme le tourisme se développe bien, peut-être faudrait-il ouvrir un deuxième CAP. Mais ce n'est pas moi qui, du 110 rue de Grenelle, peux le décider, c'est absurde ! C'est évidemment le président de région et le recteur qui peuvent en décider. C'est pour cela qu'il y a les cartes de formations professionnelles. Ensuite on va décider du nombre de professeurs à y attribuer, si l'on met un centre d'apprentis ou non, etc.
Il faut que ces décisions soient prises en région, bien sûr sous la vigilance du ministère. Le recteur reste partie prenante de la chose, il est directement le représentant du ministre, représentant de l'Etat. Il faut donc que cela soit fait d'une part, entre président de région et recteur et d'autre part, il faut que l'information et l'orientation des élèves marchent de pair. C'est en effet dans les régions que l'on sait quels sont les emplois qui vont s'ouvrir : va-t-on créer une entreprise d'optique par exemple comme j'ai vu en Aquitaine ou va-t-on créer une entreprise d'une autre nature ? Ce sont les présidents de régions et les recteurs qui peuvent savoir, deux, trois, quatre ans à l'avance non pas quels seront les besoins des entreprises, ce n'est pas le problème, mais quelles seront les possibilités pour vous de trouver un emploi, de trouver une vocation, de trouver un métier qui vous plaît.
Mais pour ce qui me concerne, que voulez-vous que je décide du 110 de la rue de Grenelle ? Je ne sais absolument pas s'il faut ouvrir un CAP de navigation fluviale de plus ou non à Strasbourg, je n'en ai aucune idée, ce n'est pas à moi de le décider, c'est au recteur de le décider avec le président de région.
Le sens ultime de l'opération est celui-ci : dans les années 80, on a décidé de confier aux régions la construction des lycées et aux départements la construction des collèges. Il n'y a pas un professeur en France qui le regrette aujourd'hui. Les lycées que l'on construit aujourd'hui, les collèges que l'on construit aujourd'hui ne sont pas cent fois mieux faits mais mille fois mieux faits que les lycées ou les collèges que l'on construisait dans notre enfance à nous, à Ghislaine Matringe et à moi-même. Nous avons connu vraiment les lycées préfabriqués "poubelles" qui étaient une horreur !
En l'occurrence, les présidents de régions, les présidents de départements -c'est très important pour eux- sont ravis d'inaugurer leurs lycées, ils y investissent beaucoup d'argent. En clair, ils font beaucoup, beaucoup mieux que l'Etat.
On va leur transférer les recettes, évidemment, puisque ce sera dans la loi constitutionnelle. D'ailleurs, je peux vous dire que si on ne leur transférait pas les recettes, il n'y en aurait pas un qui serait d'accord. Pour le coup, on aurait une manifestation des présidents de régions et de départements et ils bloqueraient le processus. Donc on leur transfère les recettes, mais après on leur dit : "Avec vos recettes, avec vos budgets régionaux, départementaux, c'est vous qui allez vous investir dans la médecine scolaire, dans l'orientation et la formation des élèves, dans l'assistance sociale..." Ma conviction - j'en suis 100 % convaincu - est qu'ils feront beaucoup mieux que nous, l'Etat.
Sachez encore une fois que tout cela reste dans le service public. Tout ce que l'on vous a raconté sur le démantèlement du service public est une absurdité. Tout cela fait partie du service public. Il n'y a aucun démantèlement du service public...
Alexandre SCAVO (Lyon).- ... Pourquoi disent-ils cela, alors ?
M. Luc FERRY.- Parce que la vie politique existe !
Le recrutement des professeurs reste national, la définition des programmes reste nationale; le recrutement des cadres du système éducatif reste national, la définition des voies de formation, par exemple les filières au Bac, restent nationales. Rien, je dis bien rien de ce qui appartient au service public n'est en quoi que ce soit atteint, ni même touché.
Nous allons vous distribuer l'argumentaire qui vous donnera la réalité de la loi.
Si l'on fait cela, c'est parce que dans un contexte où le Président de la République a obtenu l'assentiment de tous sur la question de l'Irak, dans un contexte où Nicolas Sarkozy a recueilli l'assentiment de presque tous sur la question de la sécurité, le seul sujet sur lequel on peut attaquer très fort, c'est l'éducation nationale ! C'est de bonne guerre, cela fait partie de la vie politique.
Mais ne vous laissez pas faire ! Ayez aussi l'esprit critique. Je sais que, statistiquement, la moitié ou plus, d'entre vous, êtes de gauche, ce n'est pas grave, mais au moins regardez la loi !