Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Merci, cher Itamar Rabinovitch, cher Eli Barnavi de votre accueil.
Je suis très touché d'être reçu dans cette prestigieuse université et que vous tous, chers amis, ayez bien voulu venir dialoguer avec moi.
Au-delà des contacts officiels, une rencontre comme celle-ci me permet de mieux connaître et de mieux comprendre cette société israélienne si vivante, si créative - parfois si tourmentée, aussi.
Je suis enfin heureux de cette occasion de m'adresser aux générations qui incarnent l'avenir de ce pays et feront l'Israël de demain.
Je termine ici, dans ce lieu dédié à la réflexion, au regard critique, à la recherche, ma première visite officielle en Israël. Et aussi la première visite exclusivement consacrée à Israël qu'un ministre français des Affaires étrangères ait faite dans votre pays depuis longtemps.
Depuis deux jours, je découvre et redécouvre ce pays comparable à aucun autre.
Je rencontre ou retrouve ces hommes et ces femmes qui poursuivent l'oeuvre entamée par les fondateurs, courageux et visionnaires, qui ont permis à l'État d'Israël d'exister, voici 56 ans.
Je me suis entretenu avec les responsables politiques de votre pays, avec des journalistes, des universitaires, des entrepreneurs français et israéliens, des compatriotes tragiquement frappés par le terrorisme.
Dès mon arrivée, je me suis rendu à Yad Vashem et à Roglit pour me recueillir dans ces lieux si forts, où chacun ressent un immense respect, une immense compassion face à la souffrance de millions d'hommes, de femmes et d'enfants sacrifiés parce qu'ils étaient juifs.
J'ai souhaité cette visite spécifique en Israël pour prendre le temps d'établir un véritable contact avec Israël et le peuple israélien.
Il faut prendre ce temps. Je veux prendre ce temps.
La relation entre nos deux pays - "passionnelle", dit-on - la complexité de l'environnement régional, le jugement souvent sévère que l'on porte ici sur l'attitude de la France et de l'Europe, m'ont convaincu que nous devions avant tout nous parler, échanger, discuter.
Vous le savez, vous le vivez : le débat n'implique pas d'être toujours d'accord. Mais s'il y a débat, il y a déjà respect de l'autre.
C'est, je le crois et je le vois, très fortement le cas entre la France et Israël, entre Français et Israéliens. Nous allons de l'irritation à la passion, à la mesure finalement de l'estime que nous nous portons, de l'intérêt que nous avons l'un pour l'autre.
Puis-je dire un mot de l'histoire de cette relation, qui explique bien des choses ?
Une histoire qui remonte aux origines de l'État d'Israël. Ce jeune État, tout juste créé par les Nations unies, déjà menacé, jouait son existence même. Il a pu compter alors sur le soutien de quelques pays, dont le mien.
Nier le droit d'Israël à exister, c'était et c'est toujours nier le droit tout court. La France et Israël ont combattu cette négation ensemble.
La sympathie profonde de la France pour cet État qui naissait était naturelle, alors même que la défaite du nazisme révélait l'abomination de la Shoah.
La France, elle-même martyrisée, n'a pas nié sa part de responsabilité dans la tragédie. Et le président Chirac l'a dit en son nom, au lendemain de son élection, en 1995 : "ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. La France, patrie des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français".
Face à cette trahison de notre héritage, des milliers de Justes ont tout fait, au mépris de leur vie, pour protéger tant de Juifs. Ils étaient dignes de ceux qui, avant eux, avaient obtenu la réhabilitation d'Alfred Dreyfus.
De la France, avec d'autres, ils ont alors sauvé l'honneur. Les générations suivantes, auxquelles j'appartiens, leur en sont à jamais redevables.
Mais notre histoire commune remonte à plus loin. Elle est en réalité plus ancienne et plus riche peut-être que nous l'imaginons.
Déjà, la Révolution française donnait aux citoyens juifs les mêmes droits qu'à tous les autres. Napoléon créait le Consistoire pour assurer au judaïsme une représentation institutionnelle. Les Français juifs ont été et restent nombreux à s'illustrer, dans l'art, la politique, la science. Si je devais n'en citer qu'un, je rendrais hommage à la mémoire et à l'oeuvre de Jacques Derrida, disparu voici deux semaines.
Je ne suis pas seulement venu parler d'histoire, mais aussi d'avenir.
Certains d'entre vous le savent : j'ai toujours consacré une large part de mon engagement public à un grand projet, la construction politique de l'Europe.
Au départ, ce projet porté par quelques hommes politiques visionnaires - Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer - était encore un rêve, une utopie : réconcilier la France et l'Allemagne, après un siècle et demi scandé par les guerres - ces guerres entre Européens que Victor Hugo qualifiait de "guerres civiles" ; et puis entraîner les pays du Sud européen sortant à peine de la dictature et souffrant d'un retard de développement ; et encore élargir cette Union après les îles britanniques, aux pays nordiques, au-delà du berceau continental ; accueillir, ou plutôt retrouver, récemment, les nations de l'Europe centrale, orientale et baltique, hier encore écrasées sous le joug soviétique.
Ce mouvement de civilisation, de paix et de stabilité n'est pas terminé. Le moment approche où nous fixerons les frontières définitives de cette union. C'est le sens du débat engagé avec la candidature de la Turquie.
Oui, ce rêve est devenu réalité, en cinquante années. Oui, derrière les directives sèches et les règlements austères, les négociations sans fin, Bruxelles avance un projet d'avenir, une raison d'espérer, un destin pour l'ensemble du continent européen.
Espérer, vaincre, à force de volonté, la loi du passé, la fatalité de la guerre et des haines.
L'Europe ne se pose pas en exemple pour le monde. Elle n'est d'ailleurs sans doute pas toujours exemplaire.
Mais l'existence même d'une grande Europe, unie, pacifique, prospère, apporte la preuve que la paix est toujours possible là où il y a la volonté, que les ennemis héréditaires peuvent devenir des partenaires, que les haines peuvent s'effacer et qu'il n'y a qu'une seule fatalité, celle de la géographie. Israël et la Palestine resteront éternellement côte à côte. Israéliens et Palestiniens devront vivre côte à côte.
Il ne s'agit pas de vous donner des leçons. L'Europe vous regarde et souffre avec vous de ce qu'elle voit chaque jour sur les écrans de télévision, de votre quotidien hanté par la violence, la souffrance, la peur. Elle comprend la tension dans laquelle vous vivez. Elle sait combien la violence aveugle des attentats atteint et révolte une population qui se sent assiégée, esseulée. Elle a connu l'horreur de la guerre, et le désespoir.
Je suis aussi venu pour vous dire que l'Europe est là, près de vous. Prête à vous écouter, à vous aider, jusque dans les aspects les plus pratiques et les plus concrets de votre avenir.
Par l'économie, d'abord.
L'Union européenne est votre premier partenaire : 40 % de vos importations, 30 % de vos exportations. Elle est un marché essentiel - 450 millions de consommateurs - pour vos "start up" et vos technologies. Elle vous a déjà ouvert ses programmes, notamment le Programme européen de Recherche et de Développement, ou le programme Galileo.
Nos échanges sont d'abord humains : la France est la première destination des touristes israéliens en Europe et la seconde dans le monde. Les Français, pour leur part, sont les plus nombreux à visiter Israël. La France est à l'avant-garde de ces échanges. Votre avenir se nourrit aussi des investissements d'entreprises françaises, de plus en plus nombreuses à faire le choix d'Israël, comme le groupe Véolia, qui construit actuellement à Ashkelon une très grande usine de dessalement d'eau de mer : 120 millions de m3, pour un investissement de 250 millions d'euros, comme le groupe Alstom, qui installe la première ligne de tramway de Jérusalem.
Ces investissements traduisent la confiance que la France et ses entreprises ont dans la vitalité de votre société.
Au-delà, deux démocraties comme les nôtres ont des choses à se dire, des idées à échanger, des projets communs à soutenir.
Mon ambition, à la tête de la diplomatie française, est que se multiplient les occasions pour nos sociétés de se connaître et de se comprendre.
Par la recherche, avec la mise en place de programmes conjoints en génomique ou en mathématiques, pour que les meilleures équipes, les meilleurs laboratoires travaillent ensemble. Mais aussi par les échanges de jeunes, par la coopération entre villes et régions, par les échanges universitaires.
Car aujourd'hui, nous ne nous rencontrons toujours pas suffisamment, nous ne nous parlons pas assez. Nous nous contentons souvent de préjugés, d'une conviction irritée, mais aussi un peu trop confortable, que l'autre ne nous comprend pas, ne cherche pas à le faire. Voilà pourquoi je me réjouis que l'Institut français de recherche de Jérusalem s'installe au coeur de l'Université hébraïque pour y permettre un échange quotidien.
Permettez-moi d'ajouter un mot particulier relatif à la langue française.
Vos universités disposent de filières en français de réputation internationale. Elles ont naturellement vocation à participer aux activités de l'Agence universitaire de la francophonie. Je les invite à aller dans cette voie, en engageant les procédures d'adhésion devant les instances de l'Agence.
La Francophonie, en effet, est un véritable atout pour l'avenir de nos relations, grâce au rôle essentiel des Israéliens francophones. Israël est le second pays francophone du Proche-Orient. Lors de la visite d'État du président Katsav, le président de la République a rappelé notre soutien à l'admission d'Israël au sein de la Francophonie. Je souhaite que cette intégration se réalise rapidement, même si cela doit se faire par étapes.
L'heure est au renouveau de nos relations. Installé à l'été 2002, le Groupe de Haut niveau coprésidé de manière remarquable par le professeur David Khayat et l'ambassadeur Yehouda Lancry en a fixé les grandes orientations.
Nos deux nations ne sont pas face à face ; elles sont côte à côte. Considérez la France d'aujourd'hui pour ce qu'elle est, une amie au sein d'un partenaire politique, l'Union européenne.
Ce partenariat implique, de part et d'autre, une certaine franchise. Et avant de parler de ce que nous pouvons, demain, faire ensemble, il me faut évoquer la situation actuelle.
Car comment le cacher ? Les Européens en général, et pas seulement les Français, ont du mal à admettre que le sort fait aux Palestiniens ne cesse de s'aggraver.
Les Israéliens ont, bien sûr, le droit de se protéger et de se défendre, mais les maisons que l'on détruit, les familles jetées à la rue, les réoccupations, les opérations ciblées qui fauchent aussi des innocents rendent-elles votre vie plus sûre ? Rendent-elles votre vie meilleure ?
Oui, les peuples d'Europe s'interrogent, et attendent des réponses.
J'ai posé ces questions au cours de mes entretiens avec les autorités de votre pays, à propos de deux points essentiels de leur politique : le plan de désengagement de Gaza et l'édification d'une barrière de séparation.
La France et l'Union européenne soutiennent le plan de désengagement de Gaza. Nous savons tous, et nous avons dit, qu'il ne s'agit que d'une étape. Nous savons tous, et nous avons dit, à quelles conditions ce retrait d'un territoire occupé sera un retrait réussi : il doit être négocié avec les Palestiniens dans le cadre de la Feuille de route.
Cette première étape est indispensable. L'occupation est au coeur du conflit : ce n'est pas un hasard si la Feuille de route, dès son préambule, évoque l'objectif de "mettre fin à l'occupation qui a commencé en 1967". Que la ligne d'armistice de 1967 soit juridiquement ou non une frontière n'est pas la question : c'est sur cette ligne que se fera la paix, c'est sur la base de cette ligne que des ajustements, librement négociés avec les Palestiniens, pourront se réaliser.
L'avenir et la sécurité d'Israël passent donc par un premier retrait, à Gaza, en coordination avec l'Autorité palestinienne, pour que ce territoire puisse être demain correctement administré avec l'aide de la communauté internationale. C'est la responsabilité d'Israël et c'est son intérêt. Si les conditions du développement économique de Gaza et de son ouverture vers l'extérieur ne sont pas garanties, ce territoire exigu se transformera en une sorte de prison ; et la prison, en poudrière.
Ce retrait est nécessaire ; il ne sera pas suffisant. Il doit lancer un mouvement, une succession d'étapes qui relanceront l'application de la Feuille de route. Sachez que l'Europe est prête à s'investir pour faciliter ce retrait, dans tous les domaines, y compris celui de la sécurité.
J'en viens, précisément, à l'édification de la barrière de séparation.
Bien sûr, chaque État définit les moyens de sa sécurité, et la France reconnaît ce choix souverain. Mais, en partenaire, elle se demande : est-ce conforme au droit international ? Le tracé du mur, en tout cas, ne l'est pas.
La lutte contre le terrorisme est une nécessité. Mais je veux vous dire ma conviction : pour assurer la sécurité d'Israël, il n'y aura jamais qu'un seul chemin, celui de la paix.
Une paix qui reposera sur des bases claires : la coexistence entre Israël et un État palestinien viable, démocratique, à Gaza et en Cisjordanie, ayant Jérusalem-Est pour capitale et des frontières reconnues. Un État viable, ai-je dit, qui aura la volonté d'apporter les garanties de sécurité dont Israël a besoin.
Comment ? La Feuille de route établie par le Quartet à l'initiative de l'Union européenne, et acceptée par le gouvernement israélien comme par l'Autorité palestinienne, définit les principales étapes. Votre Premier ministre a dissipé certaines inquiétudes en réaffirmant solennellement l'engagement d'Israël et de son gouvernement envers la Feuille de route, "seule voie vers la paix". Nous en prenons acte.
La Feuille de route repose sur des principes simples et légitimes : une paix durable ne pourra être conclue sans les Palestiniens, encore moins contre les Palestiniens. La paix ne se fera pas sans compromis, de part et d'autre.
Certes, j'ai entendu ici beaucoup d'interrogations sur les relations de l'Union européenne et l'Autorité palestinienne, sur les contacts maintenus avec son président, Yasser Arafat.
L'histoire nous apprend qu'on ne choisit pas son adversaire, et que c'est avec lui qu'on fait la paix. Je sais ce qu'on pense ici du président de l'Autorité palestinienne, et ce qu'on dit de ceux qui le rencontrent.
Notre conviction demeure que rien ne se fera sans, ni contre Yasser Arafat, qu'en le privant de sa liberté de mouvement, on réduit aussi les chances de le voir accomplir les gestes que tous attendent, les chances aussi de voir le système politique palestinien s'ouvrir aux générations montantes.
Laissons alors parler les urnes : que les Palestiniens votent, en commençant par les élections municipales prévues pour 2005. L'intérêt d'Israël est-il que la société et l'Autorité palestiniennes continuent de se disloquer, ou au contraire qu'elles se renforcent pour mieux contrôler les mouvements extrémistes et pour agir en interlocuteur crédible ?
Il va de soi que l'Autorité palestinienne doit, elle aussi, mettre en oeuvre toutes les obligations que lui impose la Feuille de route : lutter contre le terrorisme et la corruption, appliquer de profondes réformes. C'est pour adresser ce message de fermeté au président Arafat que je me suis rendu, il y a trois mois, à Ramallah.
Nous devons accélérer la mise en oeuvre de la Feuille de route, dont le calendrier a pris un grand retard. Car l'objectif est la coexistence de deux États. C'est l'élément majeur de la stabilisation. La France y appelle depuis plus de vingt ans. C'est devenu l'ambition de toute la communauté internationale.
Permettez-moi d'en rappeler le passage central, qui contient tant d'espoir en peu de mots. Il faut - je cite le texte - parvenir à un "règlement négocié entre les parties, [qui] aboutira à la création d'un État palestinien indépendant, démocratique et viable vivant aux côtés d'Israël et des autres pays limitrophes en paix et en sécurité. [Ce règlement] réglera le conflit israélo-palestinien et mettra fin à l'occupation qui a commencé en 1967, en tenant compte des fondements de la conférence de Madrid, du principe de l'échange de territoires contre la paix, des résolutions 242, 338 et 1397 du Conseil de sécurité de l'ONU, des accords conclus".
Réaffirmons ensemble cet objectif. Ne devrait-on pas aller rapidement vers l'État palestinien établi dans des frontières provisoires qu'évoque la Feuille de route même si, nous le savons bien, il faudra à long terme un accord sur son statut final, traitant tous les problèmes essentiels - la sécurité, les réfugiés, les frontières, Jérusalem ?
C'est un appel que je lance aujourd'hui. Un appel à la communauté internationale, un appel à la Ligue arabe, un appel aux États-Unis, car le règlement de ce conflit a besoin d'un engagement fort, déterminé, des États-Unis d'Amérique. Travaillons ensemble, dans les mois qui viennent ! Unissons nos efforts pour retrouver le chemin de la négociation sur le statut final ! Ne laissons pas la crise sans réponse, et cette région sans avenir !
Ministre français mais aussi ministre européen, je souhaite parler avec vous de ce que veut faire aujourd'hui l'Union européenne, de ce qu'elle veut accomplir avec Israël.
L'Europe propose d'abord à Israël une véritable politique de voisinage.
L'Union européenne élargie a désormais de nouveaux voisins. Avec ceux de l'Est, avec ceux du Sud, avec vous, nous voulons entretenir une relation spéciale, en partageant nos valeurs et nos principes. Des plans d'action précis sont en préparation, et les coopérations qu'ils lancent dans tous les domaines - politique, économique, technique et social - confirmeront que l'Europe est un espace naturel de développement d'Israël.
L'Europe entend également se mobiliser pour favoriser le progrès dans l'ensemble de cette région. Car, nous aussi, croyons aux vertus de la démocratie et des réformes, au Proche et Moyen-Orient comme dans le reste du monde.
Nous y travaillons depuis près de dix ans, à travers la seule enceinte régionale - oui, la seule - où se retrouvent régulièrement Arabes et Israéliens : celle du processus euro-méditerranéen, lancé à Barcelone en 1995. Un processus qui a permis des avancées importantes, comme celle de l'accord d'association entre Israël et l'Union européenne. Un processus qui, demain, peut, en aidant vos voisins, consolider votre sécurité.
L'Europe, avec d'autres, veut votre sécurité. Elle ne transigera jamais avec le droit à l'existence d'Israël.
La paix est aujourd'hui à portée de main. Chacun dans la région le comprend désormais : en proposant la reconnaissance d'Israël en échange d'un retrait des territoires occupés, la déclaration de la Ligue arabe de Beyrouth de 2002 a constitué une étape majeure, longtemps attendue. Cette normalisation serait la véritable garantie de votre sécurité.
Au-delà, face au fléau du terrorisme, chacun aujourd'hui comprend que la sécurité passe par une mobilisation de tous contre cette menace.
La France sait ce qu'est le terrorisme. Elle en a souffert à des dizaines de reprises ces dernières années. Nul n'est à l'abri du terrorisme, qui ne se justifie pas, ne s'explique pas, qui se combat.
Voilà pourquoi l'Union européenne, solidaire des États-Unis après le 11 septembre, touchée elle-même à Madrid, le 11 mars dernier, a placé la lutte contre le terrorisme au premier rang de ses priorités.
Dans le cadre européen, comme dans celui de l'ONU, les initiatives se sont multipliées, avec notre plein soutien, pour renforcer significativement l'action de la communauté internationale contre le terrorisme.
Je sais, pour avoir rencontré ici dimanche des victimes du terrorisme, l'horreur de ces attentats : le Dolphinarium, Netanya, la pizzeria Sbarro, les deux enfants de Sderot... Autant de noms qui signifient des vies anéanties, des destins brisés, des familles traumatisées.
Dans la lutte contre le terrorisme, avançons unis.
Chers Amis,
Ce que je suis venu vous dire, c'est qu'Israël, la France et l'Europe partagent la même aspiration. Nous voulons voir la paix s'imposer dans cette région du monde. Des divergences peuvent apparaître, mais notre amitié ne souffrira jamais du dialogue.
Il a fallu aux Juifs et aux Européens le même temps pour réaliser leur utopie : un demi-siècle après que Théodore Herzl a publié, en 1896, son livre "L'État juif", son rêve devenait réalité avec la création d'Israël. En 1957, le Traité de Rome créait les bases de l'Europe unie ; cinquante après, vous voyez l'Union européenne vivante, prête à accueillir, sur son continent, de nouveaux membres, déterminée à prendre toute sa place sur la scène internationale.
Qui aurait prédit que ces deux aventures réussiraient aussi bien, aussi vite ? La paix au Moyen-Orient est désormais notre défi. C'est la responsabilité historique de notre génération.
La France et l'Europe seront toujours à vos côtés pour faire le choix courageux de la paix, celui des hommes d'État qui ont foi dans la politique. Il suppose des sacrifices et des compromis, mais il ouvre la voie de la plus belle victoire, celle qu'on remporte sur soi-même, celle qui met fin à la haine et à la guerre.
Le peuple israélien ne craint ni les difficultés ni l'effort. Il démontre depuis les premiers jours que la volonté peut faire basculer l'histoire. Il veut la paix, ardemment. Vos voisins aussi, vos amis français et européens également.
Au fond, si je devais en terminant cette première visite en Israël rassembler en quelques phrases mon appel, ma conviction et le sens de l'action que je veux mener, je vous dirais ceci :
Qu'avons-nous prouvé, nous Européens ?
Simplement que deux nations ennemies étaient capables, au lendemain de trois guerres en moins d'un siècle, de se réconcilier. Et qu'à partir de cette réconciliation franco-allemande qui en est le cur, s'est construit patiemment le plus grand ensemble de nations liées entre elles par une promesse durable de paix et de stabilité.
C'était un rêve improbable. Mais il est devenu possible.
Il n'y a pas de fatalité dans l'Histoire.
Ce qui a été possible au nord de la Méditerranée est possible, j'en suis intimement convaincu, sur l'autre rive de la Méditerranée.
La paix entre Israël et les Palestiniens, la paix entre Israël et ses voisins arabes sera fondatrice d'un nouvel ensemble.
La paix entre Israël et les Palestiniens est la clef indispensable de la stabilité et du développement de cette région du monde.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 octobre 2004)
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Merci, cher Itamar Rabinovitch, cher Eli Barnavi de votre accueil.
Je suis très touché d'être reçu dans cette prestigieuse université et que vous tous, chers amis, ayez bien voulu venir dialoguer avec moi.
Au-delà des contacts officiels, une rencontre comme celle-ci me permet de mieux connaître et de mieux comprendre cette société israélienne si vivante, si créative - parfois si tourmentée, aussi.
Je suis enfin heureux de cette occasion de m'adresser aux générations qui incarnent l'avenir de ce pays et feront l'Israël de demain.
Je termine ici, dans ce lieu dédié à la réflexion, au regard critique, à la recherche, ma première visite officielle en Israël. Et aussi la première visite exclusivement consacrée à Israël qu'un ministre français des Affaires étrangères ait faite dans votre pays depuis longtemps.
Depuis deux jours, je découvre et redécouvre ce pays comparable à aucun autre.
Je rencontre ou retrouve ces hommes et ces femmes qui poursuivent l'oeuvre entamée par les fondateurs, courageux et visionnaires, qui ont permis à l'État d'Israël d'exister, voici 56 ans.
Je me suis entretenu avec les responsables politiques de votre pays, avec des journalistes, des universitaires, des entrepreneurs français et israéliens, des compatriotes tragiquement frappés par le terrorisme.
Dès mon arrivée, je me suis rendu à Yad Vashem et à Roglit pour me recueillir dans ces lieux si forts, où chacun ressent un immense respect, une immense compassion face à la souffrance de millions d'hommes, de femmes et d'enfants sacrifiés parce qu'ils étaient juifs.
J'ai souhaité cette visite spécifique en Israël pour prendre le temps d'établir un véritable contact avec Israël et le peuple israélien.
Il faut prendre ce temps. Je veux prendre ce temps.
La relation entre nos deux pays - "passionnelle", dit-on - la complexité de l'environnement régional, le jugement souvent sévère que l'on porte ici sur l'attitude de la France et de l'Europe, m'ont convaincu que nous devions avant tout nous parler, échanger, discuter.
Vous le savez, vous le vivez : le débat n'implique pas d'être toujours d'accord. Mais s'il y a débat, il y a déjà respect de l'autre.
C'est, je le crois et je le vois, très fortement le cas entre la France et Israël, entre Français et Israéliens. Nous allons de l'irritation à la passion, à la mesure finalement de l'estime que nous nous portons, de l'intérêt que nous avons l'un pour l'autre.
Puis-je dire un mot de l'histoire de cette relation, qui explique bien des choses ?
Une histoire qui remonte aux origines de l'État d'Israël. Ce jeune État, tout juste créé par les Nations unies, déjà menacé, jouait son existence même. Il a pu compter alors sur le soutien de quelques pays, dont le mien.
Nier le droit d'Israël à exister, c'était et c'est toujours nier le droit tout court. La France et Israël ont combattu cette négation ensemble.
La sympathie profonde de la France pour cet État qui naissait était naturelle, alors même que la défaite du nazisme révélait l'abomination de la Shoah.
La France, elle-même martyrisée, n'a pas nié sa part de responsabilité dans la tragédie. Et le président Chirac l'a dit en son nom, au lendemain de son élection, en 1995 : "ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. La France, patrie des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français".
Face à cette trahison de notre héritage, des milliers de Justes ont tout fait, au mépris de leur vie, pour protéger tant de Juifs. Ils étaient dignes de ceux qui, avant eux, avaient obtenu la réhabilitation d'Alfred Dreyfus.
De la France, avec d'autres, ils ont alors sauvé l'honneur. Les générations suivantes, auxquelles j'appartiens, leur en sont à jamais redevables.
Mais notre histoire commune remonte à plus loin. Elle est en réalité plus ancienne et plus riche peut-être que nous l'imaginons.
Déjà, la Révolution française donnait aux citoyens juifs les mêmes droits qu'à tous les autres. Napoléon créait le Consistoire pour assurer au judaïsme une représentation institutionnelle. Les Français juifs ont été et restent nombreux à s'illustrer, dans l'art, la politique, la science. Si je devais n'en citer qu'un, je rendrais hommage à la mémoire et à l'oeuvre de Jacques Derrida, disparu voici deux semaines.
Je ne suis pas seulement venu parler d'histoire, mais aussi d'avenir.
Certains d'entre vous le savent : j'ai toujours consacré une large part de mon engagement public à un grand projet, la construction politique de l'Europe.
Au départ, ce projet porté par quelques hommes politiques visionnaires - Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer - était encore un rêve, une utopie : réconcilier la France et l'Allemagne, après un siècle et demi scandé par les guerres - ces guerres entre Européens que Victor Hugo qualifiait de "guerres civiles" ; et puis entraîner les pays du Sud européen sortant à peine de la dictature et souffrant d'un retard de développement ; et encore élargir cette Union après les îles britanniques, aux pays nordiques, au-delà du berceau continental ; accueillir, ou plutôt retrouver, récemment, les nations de l'Europe centrale, orientale et baltique, hier encore écrasées sous le joug soviétique.
Ce mouvement de civilisation, de paix et de stabilité n'est pas terminé. Le moment approche où nous fixerons les frontières définitives de cette union. C'est le sens du débat engagé avec la candidature de la Turquie.
Oui, ce rêve est devenu réalité, en cinquante années. Oui, derrière les directives sèches et les règlements austères, les négociations sans fin, Bruxelles avance un projet d'avenir, une raison d'espérer, un destin pour l'ensemble du continent européen.
Espérer, vaincre, à force de volonté, la loi du passé, la fatalité de la guerre et des haines.
L'Europe ne se pose pas en exemple pour le monde. Elle n'est d'ailleurs sans doute pas toujours exemplaire.
Mais l'existence même d'une grande Europe, unie, pacifique, prospère, apporte la preuve que la paix est toujours possible là où il y a la volonté, que les ennemis héréditaires peuvent devenir des partenaires, que les haines peuvent s'effacer et qu'il n'y a qu'une seule fatalité, celle de la géographie. Israël et la Palestine resteront éternellement côte à côte. Israéliens et Palestiniens devront vivre côte à côte.
Il ne s'agit pas de vous donner des leçons. L'Europe vous regarde et souffre avec vous de ce qu'elle voit chaque jour sur les écrans de télévision, de votre quotidien hanté par la violence, la souffrance, la peur. Elle comprend la tension dans laquelle vous vivez. Elle sait combien la violence aveugle des attentats atteint et révolte une population qui se sent assiégée, esseulée. Elle a connu l'horreur de la guerre, et le désespoir.
Je suis aussi venu pour vous dire que l'Europe est là, près de vous. Prête à vous écouter, à vous aider, jusque dans les aspects les plus pratiques et les plus concrets de votre avenir.
Par l'économie, d'abord.
L'Union européenne est votre premier partenaire : 40 % de vos importations, 30 % de vos exportations. Elle est un marché essentiel - 450 millions de consommateurs - pour vos "start up" et vos technologies. Elle vous a déjà ouvert ses programmes, notamment le Programme européen de Recherche et de Développement, ou le programme Galileo.
Nos échanges sont d'abord humains : la France est la première destination des touristes israéliens en Europe et la seconde dans le monde. Les Français, pour leur part, sont les plus nombreux à visiter Israël. La France est à l'avant-garde de ces échanges. Votre avenir se nourrit aussi des investissements d'entreprises françaises, de plus en plus nombreuses à faire le choix d'Israël, comme le groupe Véolia, qui construit actuellement à Ashkelon une très grande usine de dessalement d'eau de mer : 120 millions de m3, pour un investissement de 250 millions d'euros, comme le groupe Alstom, qui installe la première ligne de tramway de Jérusalem.
Ces investissements traduisent la confiance que la France et ses entreprises ont dans la vitalité de votre société.
Au-delà, deux démocraties comme les nôtres ont des choses à se dire, des idées à échanger, des projets communs à soutenir.
Mon ambition, à la tête de la diplomatie française, est que se multiplient les occasions pour nos sociétés de se connaître et de se comprendre.
Par la recherche, avec la mise en place de programmes conjoints en génomique ou en mathématiques, pour que les meilleures équipes, les meilleurs laboratoires travaillent ensemble. Mais aussi par les échanges de jeunes, par la coopération entre villes et régions, par les échanges universitaires.
Car aujourd'hui, nous ne nous rencontrons toujours pas suffisamment, nous ne nous parlons pas assez. Nous nous contentons souvent de préjugés, d'une conviction irritée, mais aussi un peu trop confortable, que l'autre ne nous comprend pas, ne cherche pas à le faire. Voilà pourquoi je me réjouis que l'Institut français de recherche de Jérusalem s'installe au coeur de l'Université hébraïque pour y permettre un échange quotidien.
Permettez-moi d'ajouter un mot particulier relatif à la langue française.
Vos universités disposent de filières en français de réputation internationale. Elles ont naturellement vocation à participer aux activités de l'Agence universitaire de la francophonie. Je les invite à aller dans cette voie, en engageant les procédures d'adhésion devant les instances de l'Agence.
La Francophonie, en effet, est un véritable atout pour l'avenir de nos relations, grâce au rôle essentiel des Israéliens francophones. Israël est le second pays francophone du Proche-Orient. Lors de la visite d'État du président Katsav, le président de la République a rappelé notre soutien à l'admission d'Israël au sein de la Francophonie. Je souhaite que cette intégration se réalise rapidement, même si cela doit se faire par étapes.
L'heure est au renouveau de nos relations. Installé à l'été 2002, le Groupe de Haut niveau coprésidé de manière remarquable par le professeur David Khayat et l'ambassadeur Yehouda Lancry en a fixé les grandes orientations.
Nos deux nations ne sont pas face à face ; elles sont côte à côte. Considérez la France d'aujourd'hui pour ce qu'elle est, une amie au sein d'un partenaire politique, l'Union européenne.
Ce partenariat implique, de part et d'autre, une certaine franchise. Et avant de parler de ce que nous pouvons, demain, faire ensemble, il me faut évoquer la situation actuelle.
Car comment le cacher ? Les Européens en général, et pas seulement les Français, ont du mal à admettre que le sort fait aux Palestiniens ne cesse de s'aggraver.
Les Israéliens ont, bien sûr, le droit de se protéger et de se défendre, mais les maisons que l'on détruit, les familles jetées à la rue, les réoccupations, les opérations ciblées qui fauchent aussi des innocents rendent-elles votre vie plus sûre ? Rendent-elles votre vie meilleure ?
Oui, les peuples d'Europe s'interrogent, et attendent des réponses.
J'ai posé ces questions au cours de mes entretiens avec les autorités de votre pays, à propos de deux points essentiels de leur politique : le plan de désengagement de Gaza et l'édification d'une barrière de séparation.
La France et l'Union européenne soutiennent le plan de désengagement de Gaza. Nous savons tous, et nous avons dit, qu'il ne s'agit que d'une étape. Nous savons tous, et nous avons dit, à quelles conditions ce retrait d'un territoire occupé sera un retrait réussi : il doit être négocié avec les Palestiniens dans le cadre de la Feuille de route.
Cette première étape est indispensable. L'occupation est au coeur du conflit : ce n'est pas un hasard si la Feuille de route, dès son préambule, évoque l'objectif de "mettre fin à l'occupation qui a commencé en 1967". Que la ligne d'armistice de 1967 soit juridiquement ou non une frontière n'est pas la question : c'est sur cette ligne que se fera la paix, c'est sur la base de cette ligne que des ajustements, librement négociés avec les Palestiniens, pourront se réaliser.
L'avenir et la sécurité d'Israël passent donc par un premier retrait, à Gaza, en coordination avec l'Autorité palestinienne, pour que ce territoire puisse être demain correctement administré avec l'aide de la communauté internationale. C'est la responsabilité d'Israël et c'est son intérêt. Si les conditions du développement économique de Gaza et de son ouverture vers l'extérieur ne sont pas garanties, ce territoire exigu se transformera en une sorte de prison ; et la prison, en poudrière.
Ce retrait est nécessaire ; il ne sera pas suffisant. Il doit lancer un mouvement, une succession d'étapes qui relanceront l'application de la Feuille de route. Sachez que l'Europe est prête à s'investir pour faciliter ce retrait, dans tous les domaines, y compris celui de la sécurité.
J'en viens, précisément, à l'édification de la barrière de séparation.
Bien sûr, chaque État définit les moyens de sa sécurité, et la France reconnaît ce choix souverain. Mais, en partenaire, elle se demande : est-ce conforme au droit international ? Le tracé du mur, en tout cas, ne l'est pas.
La lutte contre le terrorisme est une nécessité. Mais je veux vous dire ma conviction : pour assurer la sécurité d'Israël, il n'y aura jamais qu'un seul chemin, celui de la paix.
Une paix qui reposera sur des bases claires : la coexistence entre Israël et un État palestinien viable, démocratique, à Gaza et en Cisjordanie, ayant Jérusalem-Est pour capitale et des frontières reconnues. Un État viable, ai-je dit, qui aura la volonté d'apporter les garanties de sécurité dont Israël a besoin.
Comment ? La Feuille de route établie par le Quartet à l'initiative de l'Union européenne, et acceptée par le gouvernement israélien comme par l'Autorité palestinienne, définit les principales étapes. Votre Premier ministre a dissipé certaines inquiétudes en réaffirmant solennellement l'engagement d'Israël et de son gouvernement envers la Feuille de route, "seule voie vers la paix". Nous en prenons acte.
La Feuille de route repose sur des principes simples et légitimes : une paix durable ne pourra être conclue sans les Palestiniens, encore moins contre les Palestiniens. La paix ne se fera pas sans compromis, de part et d'autre.
Certes, j'ai entendu ici beaucoup d'interrogations sur les relations de l'Union européenne et l'Autorité palestinienne, sur les contacts maintenus avec son président, Yasser Arafat.
L'histoire nous apprend qu'on ne choisit pas son adversaire, et que c'est avec lui qu'on fait la paix. Je sais ce qu'on pense ici du président de l'Autorité palestinienne, et ce qu'on dit de ceux qui le rencontrent.
Notre conviction demeure que rien ne se fera sans, ni contre Yasser Arafat, qu'en le privant de sa liberté de mouvement, on réduit aussi les chances de le voir accomplir les gestes que tous attendent, les chances aussi de voir le système politique palestinien s'ouvrir aux générations montantes.
Laissons alors parler les urnes : que les Palestiniens votent, en commençant par les élections municipales prévues pour 2005. L'intérêt d'Israël est-il que la société et l'Autorité palestiniennes continuent de se disloquer, ou au contraire qu'elles se renforcent pour mieux contrôler les mouvements extrémistes et pour agir en interlocuteur crédible ?
Il va de soi que l'Autorité palestinienne doit, elle aussi, mettre en oeuvre toutes les obligations que lui impose la Feuille de route : lutter contre le terrorisme et la corruption, appliquer de profondes réformes. C'est pour adresser ce message de fermeté au président Arafat que je me suis rendu, il y a trois mois, à Ramallah.
Nous devons accélérer la mise en oeuvre de la Feuille de route, dont le calendrier a pris un grand retard. Car l'objectif est la coexistence de deux États. C'est l'élément majeur de la stabilisation. La France y appelle depuis plus de vingt ans. C'est devenu l'ambition de toute la communauté internationale.
Permettez-moi d'en rappeler le passage central, qui contient tant d'espoir en peu de mots. Il faut - je cite le texte - parvenir à un "règlement négocié entre les parties, [qui] aboutira à la création d'un État palestinien indépendant, démocratique et viable vivant aux côtés d'Israël et des autres pays limitrophes en paix et en sécurité. [Ce règlement] réglera le conflit israélo-palestinien et mettra fin à l'occupation qui a commencé en 1967, en tenant compte des fondements de la conférence de Madrid, du principe de l'échange de territoires contre la paix, des résolutions 242, 338 et 1397 du Conseil de sécurité de l'ONU, des accords conclus".
Réaffirmons ensemble cet objectif. Ne devrait-on pas aller rapidement vers l'État palestinien établi dans des frontières provisoires qu'évoque la Feuille de route même si, nous le savons bien, il faudra à long terme un accord sur son statut final, traitant tous les problèmes essentiels - la sécurité, les réfugiés, les frontières, Jérusalem ?
C'est un appel que je lance aujourd'hui. Un appel à la communauté internationale, un appel à la Ligue arabe, un appel aux États-Unis, car le règlement de ce conflit a besoin d'un engagement fort, déterminé, des États-Unis d'Amérique. Travaillons ensemble, dans les mois qui viennent ! Unissons nos efforts pour retrouver le chemin de la négociation sur le statut final ! Ne laissons pas la crise sans réponse, et cette région sans avenir !
Ministre français mais aussi ministre européen, je souhaite parler avec vous de ce que veut faire aujourd'hui l'Union européenne, de ce qu'elle veut accomplir avec Israël.
L'Europe propose d'abord à Israël une véritable politique de voisinage.
L'Union européenne élargie a désormais de nouveaux voisins. Avec ceux de l'Est, avec ceux du Sud, avec vous, nous voulons entretenir une relation spéciale, en partageant nos valeurs et nos principes. Des plans d'action précis sont en préparation, et les coopérations qu'ils lancent dans tous les domaines - politique, économique, technique et social - confirmeront que l'Europe est un espace naturel de développement d'Israël.
L'Europe entend également se mobiliser pour favoriser le progrès dans l'ensemble de cette région. Car, nous aussi, croyons aux vertus de la démocratie et des réformes, au Proche et Moyen-Orient comme dans le reste du monde.
Nous y travaillons depuis près de dix ans, à travers la seule enceinte régionale - oui, la seule - où se retrouvent régulièrement Arabes et Israéliens : celle du processus euro-méditerranéen, lancé à Barcelone en 1995. Un processus qui a permis des avancées importantes, comme celle de l'accord d'association entre Israël et l'Union européenne. Un processus qui, demain, peut, en aidant vos voisins, consolider votre sécurité.
L'Europe, avec d'autres, veut votre sécurité. Elle ne transigera jamais avec le droit à l'existence d'Israël.
La paix est aujourd'hui à portée de main. Chacun dans la région le comprend désormais : en proposant la reconnaissance d'Israël en échange d'un retrait des territoires occupés, la déclaration de la Ligue arabe de Beyrouth de 2002 a constitué une étape majeure, longtemps attendue. Cette normalisation serait la véritable garantie de votre sécurité.
Au-delà, face au fléau du terrorisme, chacun aujourd'hui comprend que la sécurité passe par une mobilisation de tous contre cette menace.
La France sait ce qu'est le terrorisme. Elle en a souffert à des dizaines de reprises ces dernières années. Nul n'est à l'abri du terrorisme, qui ne se justifie pas, ne s'explique pas, qui se combat.
Voilà pourquoi l'Union européenne, solidaire des États-Unis après le 11 septembre, touchée elle-même à Madrid, le 11 mars dernier, a placé la lutte contre le terrorisme au premier rang de ses priorités.
Dans le cadre européen, comme dans celui de l'ONU, les initiatives se sont multipliées, avec notre plein soutien, pour renforcer significativement l'action de la communauté internationale contre le terrorisme.
Je sais, pour avoir rencontré ici dimanche des victimes du terrorisme, l'horreur de ces attentats : le Dolphinarium, Netanya, la pizzeria Sbarro, les deux enfants de Sderot... Autant de noms qui signifient des vies anéanties, des destins brisés, des familles traumatisées.
Dans la lutte contre le terrorisme, avançons unis.
Chers Amis,
Ce que je suis venu vous dire, c'est qu'Israël, la France et l'Europe partagent la même aspiration. Nous voulons voir la paix s'imposer dans cette région du monde. Des divergences peuvent apparaître, mais notre amitié ne souffrira jamais du dialogue.
Il a fallu aux Juifs et aux Européens le même temps pour réaliser leur utopie : un demi-siècle après que Théodore Herzl a publié, en 1896, son livre "L'État juif", son rêve devenait réalité avec la création d'Israël. En 1957, le Traité de Rome créait les bases de l'Europe unie ; cinquante après, vous voyez l'Union européenne vivante, prête à accueillir, sur son continent, de nouveaux membres, déterminée à prendre toute sa place sur la scène internationale.
Qui aurait prédit que ces deux aventures réussiraient aussi bien, aussi vite ? La paix au Moyen-Orient est désormais notre défi. C'est la responsabilité historique de notre génération.
La France et l'Europe seront toujours à vos côtés pour faire le choix courageux de la paix, celui des hommes d'État qui ont foi dans la politique. Il suppose des sacrifices et des compromis, mais il ouvre la voie de la plus belle victoire, celle qu'on remporte sur soi-même, celle qui met fin à la haine et à la guerre.
Le peuple israélien ne craint ni les difficultés ni l'effort. Il démontre depuis les premiers jours que la volonté peut faire basculer l'histoire. Il veut la paix, ardemment. Vos voisins aussi, vos amis français et européens également.
Au fond, si je devais en terminant cette première visite en Israël rassembler en quelques phrases mon appel, ma conviction et le sens de l'action que je veux mener, je vous dirais ceci :
Qu'avons-nous prouvé, nous Européens ?
Simplement que deux nations ennemies étaient capables, au lendemain de trois guerres en moins d'un siècle, de se réconcilier. Et qu'à partir de cette réconciliation franco-allemande qui en est le cur, s'est construit patiemment le plus grand ensemble de nations liées entre elles par une promesse durable de paix et de stabilité.
C'était un rêve improbable. Mais il est devenu possible.
Il n'y a pas de fatalité dans l'Histoire.
Ce qui a été possible au nord de la Méditerranée est possible, j'en suis intimement convaincu, sur l'autre rive de la Méditerranée.
La paix entre Israël et les Palestiniens, la paix entre Israël et ses voisins arabes sera fondatrice d'un nouvel ensemble.
La paix entre Israël et les Palestiniens est la clef indispensable de la stabilité et du développement de cette région du monde.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 octobre 2004)