Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec le quotidien égyptien "Al-Ahram" le 21 juin 2004 au Caire, sur les relations franco-égyptiennes, le rôle de la France et de l'Union européenne pour la mise en oeuvre de la Feuille de route au Proche-Orient, la résolution de l'ONU sur le transfert de souveraineté en Irak.

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Circonstance : Voyage de Michel Barnier en Egypte et en Jordanie, du 20 au 22 juin 2004

Média : Al Ahram - Presse étrangère

Texte intégral

Q - Pour votre première visite dans la région du Proche-Orient, pourquoi avez-vous choisi l'Égypte comme premier pays ? Est-ce que vous envisagez de visiter d'autres pays dans la Région en même temps ?
R - Le choix de l'Égypte pour entrer pour la première fois au Proche-Orient m'a semblé aller de soi. J'y ajoute une raison plus personnelle aussi, le fait que ma mère a passé ses 18 premières années en Égypte. Nous sommes proches sur les questions internationales essentielles. Nos relations sont anciennes, fortes et constantes. Il était donc naturel que j'entre au Proche-Orient par la porte du Caire. L'amitié et nos intérêts croisés le commandaient. A mon départ, je me rendrai à Amman, un autre pays avec lequel nous avons une relation de confiance.
Je me rendrai ensuite dans les semaines qui viennent dans les Territoires palestiniens puis en Israël. A Ramallah, je devrais rencontrer le Président Arafat, M. Ahmed Qorei', le Premier ministre, et mon homologue, M. Nabil Shaath. Ce déplacement, centré sur les perspectives du processus de paix, comportera aussi une dimension bilatérale forte. Je clôturerai les travaux de la IVème Commission Mixte de coopération culturelle, scientifique et technique franco-palestinienne et me rendrai au centre culturel franco-allemand de Ramallah ouvert très récemment.
Enfin, pour parachever cette tournée en plusieurs étapes au Proche-Orient, j'ai l'intention d'effectuer, à la rentrée, une visite bilatérale en Israël pour évoquer la situation régionale et faire le point sur la relation franco-israélienne, à laquelle la France est très attachée.
Q - La France refuse l'unilatéralisme des États-Unis, et cherche à faire de l'Europe une deuxième puissance dans le monde, comment envisagez-vous le rôle de l'Europe élargie et puissante dans le processus de paix au Proche-Orient entre Israël et les Palestiniens ? Et comment l'Europe peut-elle pousser le gouvernement israélien à appliquer le désengagement de Gaza dans "la logique de la Feuille de route" ?
R - L'ambition de la France est de jouer un rôle dynamique dans les relations internationales. Elle veut y faire entendre sa voix et affirmer ses principes : primauté du droit et de la justice dans le cadre du multilatéralisme ; solidarité avec les pays en développement ; attachement à un monde multipolaire. Nous avons notre propre vision du monde ; nous l'exprimons. Ce n'est pas toujours celle des autres. Pour l'Europe, à la construction et à l'élargissement de laquelle nous avons ardemment participé, notre ambition est identique. L'Europe politique doit participer pleinement à l'équilibre et au développement du monde.
A l'égard du processus de paix, notre engagement, national et européen, n'est pas nouveau. Dès le Sommet européen de Venise en 1980, nous avons reconnu les droits légitimes du peuple palestinien et réclamé un État palestinien, viable et démocratique. Dans le même temps, nous avons toujours soutenu le droit d'Israël à la sécurité en indiquant clairement que nous ne pourrions jamais transiger sur ce point. Nous ne sommes jamais restés indifférents au sort des populations israéliennes et palestiniennes. Nous avons apporté un soutien politique et une assistance financière et budgétaire au processus de paix, aux Parties, aux réfugiés. Nous avons démontré que nous étions un partenaire politique fiable et constant.
L'Europe élargie est une chance. Ses frontières se rapprochent du Proche-Orient. Plus encore qu'hier, vous êtes nos voisins. Plus que jamais, nos destins sont liés. Vis-à-vis du processus de paix israélo-palestinien, nous nous attachons aujourd'hui à faciliter la mise en oeuvre de la Feuille de route. C'est la seule référence qui soit commune à toutes les parties. Il faut qu'elle joue son rôle. Elle accorde, comme nous le demandions depuis longtemps, un rôle spécifique à la communauté internationale. L'intervention de l'Égypte sur le désengagement israélien de Gaza entre bien dans ce cadre. Il ne s'agit pas d'imposer quoi que ce soit aux Parties en conflit. C'est par le dialogue et une aide concrète que nous parviendrons à faire bouger les choses.
Q - Le porte-parole du Quai d'Orsay a annoncé le 7 juin que la France va examiner en concertation avec ses partenaires le plan révisé de retrait israélien. Est-ce que vous discuterez ce sujet avec le ministre égyptien des Affaires étrangères ? Une action concertée, franco-égyptienne, est-elle envisagée ? Et quels sont les autres partenaires avec lesquels vous allez vous concerter ?
R - L'annonce du désengagement israélien de Gaza et, à une moindre mesure de quelques colonies de Cisjordanie, doit être pris en considération. L'Union européenne a pris acte de cet engagement. Elle est prête à y apporter sa collaboration à certaines conditions. Nous avons dit que ce retrait pourrait constituer un pas important sur la voie de la mise en oeuvre de la Feuille de Route pour autant qu'il s'inscrive dans son cadre, qu'il constitue une étape dans un règlement du conflit fondé sur l'existence de deux États, qu'il n'entraîne pas de déplacement des colonies de peuplement vers la Cisjordanie, qu'il comporte un transfert de responsabilités à l'Autorité palestinienne et qu'Israël facilite la réhabilitation et la reconstruction de Gaza. Une application en ce sens du plan révisé de désengagement que vient d'adopter le gouvernement israélien pourrait permettre le démarrage de la mise en oeuvre de la Feuille de route et aiderait les parties à sortir de l'impasse dans laquelle elles se trouvent.
Bien entendu, nous aborderons cette question avec les hauts responsables égyptiens que je vais rencontrer. Le rôle de l'Égypte pour accompagner le processus de retrait de Gaza est un gage de sérieux et de sécurité. La France est prête à apporter sa collaboration à ce processus à la fois à titre national et dans le cadre européen.
Q - Comment la France envisage-t-elle les efforts de l'Égypte pour arriver à un dialogue entre les différents groupes palestiniens, qui doit avoir lieu le 24 juin prochain dans les Territoires palestiniens et la conférence entre Palestiniens qui doit avoir lieu en Égypte au mois de juillet ?
R - Ce n'est pas la première fois que l'Égypte s'engage pour trouver une base commune entre les différents groupes palestiniens. C'est un rôle qui lui revient naturellement compte tenu de son influence dans la région. Je mesure pleinement la difficulté de sa tâche. J'ai confiance en sa détermination.
Q - Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l'unanimité une résolution sur le transfert de souveraineté en Irak. Comment estimez-vous les possibilités de réussite de ce transfert, au vu des troubles continus dans le pays ?
R - La résolution 1546 offre désormais un cadre pour organiser le transfert de responsabilités au bénéfice des Irakiens et répond aux principales exigences que nous avions formulées :
Elle approuve la formation d'un gouvernement intérimaire, qui aura une responsabilité et une autorité complètes pour gouverner le pays.
Elle fixe les modalités de la transition politique, les Irakiens obtiennent en particulier l'assurance que la période de transition s'achèvera fin 2005.
Elle donne un mandat précis et réaliste à l'ONU, dont le rôle va se concentrer sur l'assistance à la poursuite du processus.
Il appartient maintenant au nouvel exécutif irakien de tirer le meilleur parti de la résolution 1546, de démontrer au peuple iraquien son indépendance et sa capacité d'action, en menant à bien ses tâches : rétablissement de l'ordre public, élargissement du processus politique à l'occasion de la conférence nationale, et préparation des élections de janvier 2005.
L'enjeu, désormais, pour qu'il existe une chance de voir l'Irak s'orienter vers la stabilité et la sécurité, c'est que les Irakiens soient réellement convaincus qu'on leur rend la totalité de leur souveraineté et de leur indépendance. Ils doivent désormais retrouver la maîtrise de leur destin.
Les pays de la région, notamment l'Égypte, et la communauté internationale peuvent jouer un rôle significatif en travaillant tous ensemble pour soutenir le peuple irakien et son gouvernement, désormais souverain, dans leurs efforts pour la reconstruction politique et économique du pays. La France et l'Union européenne, comme le Conseil européen des 17 et 18 juin vient de le souligner, sont prêts à prendre leur part dans cet effort.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juin 2004)