Déclaration de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur la politique du médicament et des produits de santé et le développement de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé AFSSAPS, Paris le 16 octobre 2003.

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Circonstance : Clôture du colloque "Médicaments et produits de santé, les nouveaux défis" à Paris le 16 octobre 2003

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je voulais tout d'abord vous dire le plaisir que j'ai d'être parmi vous aujourd'hui. Le débat à l'Assemblée nationale sur la loi de santé publique m'a empêché de fêter les dix ans de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé avec ses collaborateurs la semaine dernière. Ce colloque me permet de manifester mon attachement à l'une des premières agences sanitaires créées en France.
Vous avez choisi aujourd'hui d'aborder les nouveaux défis posés en matière de médicaments et produits de santé. Les trois thèmes que vous avez retenus illustrent les trois horizons de ce défi : l'évaluation, les modifications introduites par l'irruption des biotechnologies et la question de l'accès aux soins. J'aimerais pouvoir vous dire quelques mots sur chacun de ces thèmes.
L'évaluation
La question de l'évaluation du médicament et des produits de santé est majeure. Car nous devons tout d'abord garantir à nos concitoyens la sécurité des produits mis à leur disposition. C'est la vocation même de votre agence. Depuis les difficultés sur certains médicaments qui ont conduit au développement de l'évaluation, je crois que les méthodologies pour ce qui concerne les médicaments traditionnels sont désormais bien établies.
Deux questions spécifiques me semblent se poser pour l'avenir de l'évaluation française.
Notre évaluation repose sur une association unique entre expertise interne et expertise externe. Ce choix garantit le lien du formalisme et de la connaissance réglementaire des experts internes avec la connaissance des malades et la technicité liée à la pratique des experts externes. Je souhaite que nous puissions conserver cette combinaison. L'AFSSAPS y a déjà travaillé en développant une méthodologie de suivi des conflits d'intérêt afin de garantir de la neutralité des experts associés à ses travaux. Je pense y avoir également contribué en revalorisant la rémunération des experts qui était bloquée depuis 1988. Il faudra poursuivre cet effort pour continuer d'attirer les meilleurs experts externes.
Le second enjeu concerne la place de l'évaluation française dans le dispositif européen. En effet, l'agence européenne, l'EMEA, assure et assurera l'évaluation d'un nombre croissant de médicaments, du moins pour ce qui concerne les plus innovants. L'expertise française doit s'adapter à cette évolution. Je souhaite qu'elle conserve son excellence et qu'elle joue un rôle moteur au sein du collège européen. Le choix de l'AFSSAPS d'ouvrir un bureau auprès de l'agence, à Londres, montre votre engagement dans cette voie. Je me réjouis à cet égard de voir que le directeur de l'agence, M. Duneton, a été élu par ses collègues, vice président de l'agence européenne.
Les défis induits par l'émergence de nouvelles approches thérapeutiques
Les sciences du vivant ont connu au cours des vingt dernières années une véritable " révolution ". Ces progrès obligent les responsables de la sécurité sanitaire des produits de santé et de leur évaluation à une adaptation continue. Trois exemples à ce sujet :
a) Dans le domaine de la thérapie génique, l'Agence a apporté son expertise et son encadrement dès le début, dans l'évaluation et l'accompagnement des premiers essais cliniques autorisés en France. Ce soutien, coordonné avec la mobilisation de la communauté scientifique a permis de trouver des réponses à certains effets secondaires graves apparus lors de certains essais. Parallèlement l'AFSSAPS a contribué à la réflexion européenne, afin de préparer le circuit d'évaluation et d'autorisation pour les futurs médicaments de thérapie génique. Il faut continuer à réduire les risques de la thérapie génique pour ne pas compromettre le potentiel incontestable de cette nouvelle approche thérapeutique.
b) La thérapie cellulaire vise à utiliser pour le traitement des patients les cellules du patient lui-même ou des cellules issues de donneurs. Le procédé de préparation de suspensions cellulaires, ne s'évalue pas et ne se contrôle pas de la même façon que la production d'un médicament chimique, même si les grands principes efficacité, sécurité, qualité du produit doivent être respectés. L'AFSSAPS a accompagné cette évolution en mettant en place une structure chargée de développer progressivement les outils nécessaires à l'évaluation des demandes d'essais cliniques dans un premier temps, puis d'autorisation pour les procédés et les conditions d'emploi des produits de thérapie cellulaire. Dans les 6 dernières années, l'Agence a évalué plus de 150 d'essais cliniques, et en a déjà autorisé plus de 55. C'est un succès incontestable.
c) Mon dernier exemple porte sur les produits de santé et notamment les médicaments d'origine biologique ou bio-synthétique. Je pense ainsi aux vaccins, aux médicaments dérivés du sang, aux protéines recombinantes ou encore aux produits d'extraction animale comme les héparines. Tous ces produits, dont la nécessité en thérapeutique n'est plus à établir, portent intrinsèquement un risque biologique de transmission d'agents pathogènes. Même si, depuis de nombreuses années, des mesures appropriées ont été proposées pour prévenir et minimiser ces risques, la vigilance doit rester constante. A tout moment, un nouvel agent émergeant peut venir prendre en défaut le meilleur des systèmes de sécurité. Les récents exemples de l'ESB et de ses possibles conséquences sur la chaîne alimentaire humaine ou la sécurité de certains médicaments, l'émergence de l'agent du SRAS, ou encore l'identification de zones épidémiques de virus West Nile le rappellent. Pour l'agence cela signifie une veille et une évaluation continues afin de réajuster les critères de sécurité, de proposer de nouvelles mesures pour toujours tendre vers une minimisation des risques résiduels.
Ces exemples illustrent les défis qu'affronte déjà l'AFSSAPS. Voir émerger les nouvelles approches exige une forte écoute de la communauté scientifique et une coopération étroite avec les promoteurs pour mettre en place les outils d'évaluation et d'autorisation. La veille doit être permanente. Elle n'est efficace qu'avec une réactivité élevée pour apporter les réponses adéquates aux risques ainsi identifiés.
Je suis enfin frappé de voir que les frontières s'estompent : thérapie génique, thérapie cellulaire, thérapie cellulaire à l'aide de cellules génétiquement modifiées, dispositifs médicaux intégrant des cellules ou des protéines, organes reconstitués autour d'ossatures biodégradables Comment séparer alors le médicament du gène médicament ou des cellules thérapeutiques ? Pour continuer d'assurer une évaluation de qualité, il faudra mettre en place des équipes transversales réunissant des compétences jusqu'ici réparties dans des entités administratives distinctes. C'est la raison pour laquelle je réfléchis actuellement à la constitution d'une grande agence de bio-médecine qui serait à même de fédérer toutes ces compétences.
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L'accès au soin
En tant que ministre de la santé, garantir l'accès aux soins, et en particulier aux médicaments, est naturellement une priorité. Le dispositif français est à cet égard performant puisqu'il offre une couverture large à la population. Vous le savez, il suffit d'inscrire un médicament ou un dispositif médical au remboursement pour le rendre quasi instantanément disponible à l'ensemble de nos concitoyens. L'observation du marché permet de se convaincre de cette quasi instantanéité. En moins d'un mois, une molécule récente a atteint le chiffre d'affaires de 15 millions d'euros.
L'ambition du ministre de la santé en France est donc moins de ménager un accès aux soins que de savoir quels médicaments un médicament nécessite de se poser deux questions préalables.
La première mesure la performance du produit et son utilité pour nos concitoyens. En tant que ministre de la santé mais aussi ministre chargé des comptes sociaux, je suis responsable de l'usage qui est fait des cotisations d'assurance maladie. Quel meilleur critère retenir que celui de l'efficacité scientifiquement démontrée ? La commission de la transparence est là m'aider dans cette tâche délicate. J'ai voulu m'assurer qu'elle pourrait demain, le faire mieux encore qu'aujourd'hui. C'est l'objet de la réforme en cours. Une première étape a été franchie avec la modification de son composition. Le nombre d'experts indépendants a été considérablement accru afin de renforcer le caractère scientifique des avis rendus.
La réforme sera complétée par une réflexion sur les critères de l'inscription et sur l'amélioration des procédures. Il ne s'agira pas d'une révolution. Cela fait plus de 20 ans, que la commission de la transparence s'est engagée dans la voie de l'évaluation comparative des médicaments. Il est naturel de tirer parti de son savoir faire. La réforme cherchera donc à capitaliser sur l'acquis, à consolider les avancées réalisées et à corriger enfin les quelques problèmes rencontrés.
Même s'il est encore tôt pour préciser les grandes lignes de l'évolution, je peux déjà vous affirmer qu'une attention toute particulière sera portée à deux éléments : la définition des populations cibles et l'impact sur la santé publique. Il ne suffit plus de se borner à constater qu'un médicament est efficace. Il faut déterminer les patients susceptibles d'en bénéficier. La connaissance de la population cible est un instrument de santé publique aussi bien qu'un moyen de limiter nos dépenses. Je souhaite aussi que l'on approfondisse la réflexion sur l'intérêt de santé publique. Ce critère figure déjà dans les points que doit examiner la commission de la transparence. J'observe qu'il n'a pas encore eu de traduction concrète. La réforme devra garantir, lorsque c'est pertinent, la prise en compte de ce critère dans la décision ministérielle.
La seconde question tend à vérifier que le produit, même performant, correspond bien à ce que doit prendre en charge la collectivité. Nous disposons sur cette question d'une expérience moins fournie que celle accumulée pour l'évaluation du médicament. Jusqu'à présent, la définition de ce qu'il convient de prendre en charge dépend du service médical rendu tel qu'il est apprécié par la commission de la transparence. La règle est simple : sous réserve de trouver un prix acceptable avec l'industriel, tout produit qui aurait un service médical rendu qui n'est pas insuffisant a vocation à être pris en charge. Le dispositif doit être revu. Nous ne pouvons plus nous satisfaire d'un dispositif qui revient à confier à une commission d'experts, la transparence, une décision qui relève du politique. Il est légitime que les experts décrivent les fonctions d'un produit, les populations concernées, l'éventuel intérêt ou risque de santé publique. Ils ne sauraient aller au-delà. A l'occasion de la réforme de la transparence, nous restituerons cette décision au politique. Ce sera aussi l'occasion de mieux définir les critères qui permettent de décider si un produit ressort ou non de la solidarité nationale. Cette question sera au cur de la réforme de notre système d'assurance maladie auquel nous réfléchissons et qui devrait déboucher avant la fin de l'année.
Conclusion
Vous avez titré votre dernière partie "accès aux produits de santé : quels besoins et quels risques ?". Je voudrais conclure en insistant sur les risques que comportent nécessairement un accès aux produits de santé non maîtrisé. Il me semble en effet que si le risque " médicamenteux " est bien connu des praticiens, il est encore ignoré par nos concitoyens. Les produits de santé ne peuvent s'inscrire sans précaution dans la logique de consommation qui marque notre société. Contrairement à une voiture ou à un ordinateur, un nouveau médicament n'est pas nécessairement mieux qu'un médicament plus ancien. Dans bien des cas même, pour une majorité de patients le médicament plus ancien est même meilleur ou plus adapté. Ses effets sont mieux connus, la pharmacovigilance qu'exerce l'AFSSAPS atteste de sa sécurité. En médecine, une des règles principales est " Primum non nocere ". Il faut que nos concitoyens réapprennent l'ambivalence de tout médicament actif, il soigne, mais il est aussi porteur d'effets secondaires. Sans cette prise de conscience, les médecins ne pourront pas résister à la pression de patients de plus en plus consommateurs.
Le problème est pourtant réel. La France se caractérise par une surconsommation médicamenteuse préoccupante. Les Français consomment plus de 3 fois plus de psycholeptiques que leurs voisins européens. Ils absorbent en moyenne près d'une boite par personne et par semaine.
Il y a des solutions. Le succès de la campagne antibiotique organisée, notamment à partir des recommandations de l'AFSSAPS, par le ministère de la santé en partenariat avec la CNAMTS en témoigne. En s'adressant tant aux patients qu'aux médecins, en mettant à leur disposition des tests de diagnostic rapide de l'angine, la consommation d'antibiotiques en France a pu baisser de manière appréciable.
Il faudra poursuivre dans cette voie. Pour cela, des relations de type conventionnel entre les médecins, les caisses d'assurance maladie et le cas échéant les patients devraient se développer. Vous le savez, les contrats de bonne pratique et les ACBUs figurent déjà en bonne place dans les nouveaux modes de relations entre l'assurance maladie et les médecins. Parallèlement, les dispositions permettant le démarrage de la formation continue des médecins entreront bientôt en application. Le décret devrait paraître prochainement et le projet de loi de santé publique votée en première lecture à l'Assemblée nationale la semaine passée nous a permis d'apporter des modifications souhaitables à la loi du 4 mars 2002. Dès lors, l'obligation de formation permanente pourra être satisfaite de plusieurs manières : en particulier, les médecins, autant les hospitaliers que les libéraux, pourront s'engager dans des programmes d'évaluation et d'amélioration des pratiques au terme desquels des améliorations importantes devraient être constatées.
En outre, j'ai décidé de renforcer le rôle de la commission de la transparence en matière d'information des praticiens. Il est en effet indispensable de donner accès à des données simples pratiques et neutres. Nous disposerons donc bientôt d'une palette renforcée d'outils pour intervenir sur le bon usage. Je souhaite aussi pouvoir associer l'industrie pharmaceutique à cette démarche. La surconsommation médicamenteuse n'est pas son intérêt. Alors que je me suis engagé dans une politique de prix juste, il est temps de mettre fin à la fuite par les volumes que connaît la France.
Je vous remercie
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 17 octobre 2003)