Texte intégral
Q - Dès lors qu'une hyper puissance ne sait répondre à une guerre de harcèlements quotidiens, pas plus qu'elle ne peut empêcher le terrorisme ni les kamikazes, quels enseignements en tirer s'agissant des choix en matière de défense ? L'Assemblée nationale examinera demain les crédits de la défense pour 2004, deuxième budget de l'Etat derrière l'Education, en hausse de 9,2% pour les crédits d'équipements. Mais une défense européenne ne sera-t-elle pas plus crédible ? Invitée de " Question directe ", Michèle Alliot-Marie ministre de la Défense, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Une guerre est engagée contre le terrorisme mondialisé, et on voit bien que les stratégies, j'allais dire classiques, sont impuissantes, quel type de réflexion ça engage chez vous ? Qu'est-ce qu'on fait maintenant en matière de défense ?
R - Le terrorisme prend des formes multiples et il a de plus des causes diverses. C'est la raison pour laquelle la réponse doit elle-même être diverse. Lutter contre le terrorisme, cela veut dire en premier lieu essayer de prévenir les attentats. Ce n'est pas toujours possible, mais c'est de la responsabilité d'un Etat que de tout faire pour cela ; c'est le rôle du renseignement. Nous avons donc besoin de satellites et de renseignement humain. Il faut également essayer de couper les terroristes de leurs sources financières. C'est la raison pour laquelle depuis 2001, tous les pays, à l'initiative de la France d'ailleurs, se sont unis pour suivre les systèmes de blanchiment d'argent. Il faut également lutter contre tout ce qui peut aider le terrorisme et ce qui lui sert de prétexte, essayer d'apaiser un certain nombre de crises dans le monde, que ce soit au Moyen-Orient ou ailleurs, et lutter contre la pauvreté. Mais il faut aussi prendre des moyens militaires pour s'opposer à ceux qui utilisent des moyens militaires aujourd'hui. Nous avons pu nous en rendre compte avec les grandes actions terroristes. C'est là aussi, en plus du renseignement, où les militaires ont un rôle essentiel à jouer. C'est notamment la raison de notre intervention en Afghanistan, qui est le lieu où se sont entraînés un grand nombre des terroristes d'Al Qaïda et où ont notamment été conçus l'attentat contre les tours à New York, les attentats de Bali, et probablement aussi ceux de Karachi. C'est donc un travail extrêmement difficile, et il faut aussi être capable de projeter des forces militaires pour aller détruire les sources de terrorisme là où elles se trouvent.
Q - Mais puisque à l'évidence, nous sommes entrés dans des temps nouveaux en matière de conflits, y a-t-il une évolution de notre doctrine de dissuasion ? Alors je ne pense pas forcément à l'utilisation différente qui pourrait être faite de l'arme nucléaire, mais peut-être à des alliances. Par exemple, ce qu'Alain Juppé avait commencé de faire avec l'Allemagne, paraît-il des négociations qui sont en cours avec la Grande-Bretagne, existe-t-il ou non un projet européen en matière de défense et de dissuasion nucléaire ?
R - En matière de défense, il y a plus qu'un projet européen. Aujourd'hui, il existe une défense européenne. Nous en avons d'ailleurs vu la première preuve concrète en Macédoine, même si ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. C'est en effet l'Union européenne qui a pris la relève de l'OTAN en Macédoine. De la même façon, c'est ce que nous avons fait en République Démocratique du Congo cet été, où nous avons conduit là-aussi une opération autonome, avec uniquement des Européens et quelques alliés comme les Sud-Africains ou les Canadiens. Nous Européens avons donc pris cette opération directement en charge.
Q - Mais irons-nous plus loin ? Y aura-t-il un QG européen ?
R - Nous n'avons pas besoin d'un " QG européen ", comme existe le SHAPE en ce qui concerne l'OTAN. Ce que cette première opération européenne nous a démontré, c'est que nous avions un certain nombre de besoins très concrets et très pratiques, et qui ne sont d'ailleurs pas très importants. Il s'agit notamment des besoins de planification car il faut anticiper une opération. Si, comme nous avons pu le faire très rapidement cet été, l'on veut aller en l'espace de quelques semaines sur une opération pour éviter une explosion de la crise, il faut planifier. Planifier, cela signifie qu'il faut savoir combien d'hommes envoyer. Il faut avoir un minimum de renseignements sur la situation dans le pays et dans les pays voisins ; savoir par exemple où peuvent se poser les gros avions à partir desquels il sera possible de déployer des troupes. Il faut aussi savoir qui veut financer. Cela peut peut-être paraître très pragmatique mais c'est la réalité. Nous nous disons, et nos alliés le reconnaissent d'ailleurs aussi, comme les Allemands, les Belges, les Britanniques, qu'il faudrait quelques dizaines de personnes à même de faire ce travail. En ce qui concerne l'Europe de la défense, ces opérations ont donc montré que nous pouvions faire quelque chose ; il y a notamment tout le travail de fond que nous faisons en permanence, pour créer par exemple l'Agence européenne de défense, inscrite dans le projet de Constitution européenne.
Q - Le nucléaire. Le nucléaire ?
R - Sur la dissuasion, je voudrais dire deux choses. D'abord, j'entends parfois dire : " à quoi ça sert aujourd'hui la dissuasion ? Cela coûte cher ". C'est vrai que cela coûte cher. Finalement pourquoi est-ce que nous l'avons ? Est-ce vraiment au moment où nous voyons des pays dont des gouvernements sont pour le moins non démocratiques, et pour certains d'entre eux incontrôlables, est-ce que c'est au moment où nous voyons toute une série de pays se doter de l'arme nucléaire, qu'il faut baisser notre garde ?
Q - Sur l'Iran tout de même, enfin à moins que vous ayez de meilleures informations que les nôtres, mais c'est un succès de la diplomatie européenne, les trois ministres des Affaires Etrangères ont obtenu de l'Iran que les Iraniens, officiellement renoncent au nucléaire militaire.
R - Effectivement officiellement. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas ailleurs dans le monde cette possibilité aujourd'hui. J'ajouterais d'ailleurs à cela, puisque pour nous le nucléaire c'est essentiellement la dissuasion, que c'est notre ultime protection. Nous disons à des pays ou à des groupes qui essaieraient de mettre en jeu notre existence même : " attention, nous sommes capables effectivement, vous aussi, de vous atteindre, et de vous atteindre tout à fait directement et très efficacement ". Cela concerne donc des attaques nucléaires, mais cela peut également concerner des attaques biologiques ou chimiques, car n'oubliez pas une chose, c'est qu'aujourd'hui la prolifération des armes, ce sont les armes nucléaires certes, et je viens de citer quelques pays et seulement quelques-uns, mais ce sont également les risques d'armes bactériologiques ou chimiques et là, la dissuasion nucléaire a un grand rôle. Notre dissuasion nucléaire, comme celle des Britanniques, nous protège, nous, bien entendu, mais pas seulement nous, elle protège également une bonne partie de l'Europe.
Q - Comme celle des Britanniques. Une dissuasion européenne bientôt ou pas ? Est-ce que nous sommes en discussion avec les Anglais sur un projet commun s'agissant du nucléaire ?
R - Avec les Anglais, oui et depuis très très longtemps monsieur Paoli. Depuis des dizaines d'années effectivement, nous sommes les deux puissances européennes nucléaires. Cela implique bien entendu un certain nombre de discussions.
Q - Oui, mais les Anglais ne peuvent pas déclencher le feu nucléaire sans le feu vert américain ? Et les Allemands ?
R - Voudriez-vous que nous soyons soumis également au feu vert américain, si notre intérêt, si notre défense était en jeu ? Vous m'avez posé également une question en ce qui concerne les Allemands. Sur le nucléaire, les Allemands ont une position, je dirais de principe, qui ne concerne d'ailleurs pas simplement le nucléaire militaire mais également le nucléaire civil. Aujourd'hui effectivement, cette discussion n'est pas possible. Nous verrons plus tard.
Q - Un mot tout de même de la polémique engagée sur le budget. La gauche vous dit, mais comment, pourquoi tant d'argent pour la défense aujourd'hui ? Quels sont les arguments que vous opposez ? On vient d'entendre en effet les périls, qui semble-t-il nous menacent, est-ce que vraiment ça nécessite que la défense aujourd'hui soit le deuxième budget de l'Etat ?
R - La défense, c'est notre assurance sécurité à tous, face à ces crises régionales, dont certaines sont à nos portes comme dans les Balkans, face à la menace terroriste ou face à la prolifération d'armes de destruction massive. Ce n'est pas un luxe ! Pour la défense, on ne peut pas dire que l'on fait un effort une année et que l'année suivante, on baisse sa garde. Non, ce n'est pas possible. Le vrai problème aujourd'hui, c'est que la gauche, et notamment le dernier gouvernement socialiste, alors même qu'il y avait une croissance fantastique de plus de 4 % pendant des années, il ne faut pas l'oublier, a pris sur le budget de la défense. Au lieu d'accompagner la professionnalisation des armées en suivant ce qui avait été prévu par la loi de programmation, la gauche a amputé de 20 % ce budget de la défense. Le résultat, on l'a vu. A mon arrivée, plusieurs rapports parlementaires le soulignaient, 50 % de nos avions ou de nos hélicoptères militaires étaient cloués au sol, faute de pièces détachées. Ceci mettait en jeu et notre capacité de protéger la France et les Français hors de France, mais également la vie de nos soldats. Leur entraînement avait en effet été réduit en-dessous des normes de l'OTAN. Or cet entraînement, c'est d'abord leur sécurité. Si aujourd'hui, un budget important doit être consacré à la défense alors même que les conditions économiques sont difficiles, c'est aussi parce qu'il nous faut rattraper le retard laissé par les socialistes. Nous avons à la fois besoin de rattraper ce retard et besoin de nous mettre à jour pour pouvoir réellement nous protéger et protéger les Français. Regardez ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire, en République Centrafricaine, au Liberia ; il a fallu qu'en quelques jours, des militaires français aillent protéger des Français et beaucoup d'autres ressortissants étrangers. Parce qu'on l'oublie trop souvent, il y a beaucoup d'Européens et de ressortissants étrangers dans les zones de combats. Et qui risquait sa vie là-bas ? Ce sont les militaires français qui sont allés les sauver, c'est-à-dire les sortir de ces zones de combats grâce aux équipements que nous avions pu commencer à remettre sur pied.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 2 janvier 2004)