Déclaration de M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail, sur les objectifs de la santé au travail, Paris le 1er septembre 2004.

Prononcé le 1er septembre 2004

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assises de rentrée de la CFTC sur le thème "La santé au travail, tous concernés" à Paris le 1er septembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec le plus grand plaisir que j'ai accepté, Monsieur le Président, votre invitation à intervenir à l'occasion des assises de rentrée de votre confédération.
Et j'ai accepté d'autant plus volontiers de participer à vos travaux que leur thème est au coeur des préoccupations qui sont les miennes, et celles de Jean-Louis Borloo.
La santé au travail constitue en effet un axe prioritaire de notre action ministérielle et je l'ai annoncé dès le 13 avril 2004.
Les enjeux relèvent, en effet, de l'évidence. Nos sociétés ont des exigences croissantes et légitimes en matière de sécurité et de santé publiques : il serait vain et dangereux de croire que ces exigences s'arrêtent aux portes de l'entreprise. Je veux le réaffirmer ici avec force au nom du gouvernement : le premier droit du salarié est bien le droit à la santé.
Il en va bien sûr - cela va sans dire- de l'intérêt des salariés eux-mêmes. Mais il en va aussi de l'intérêt des entreprises, tant le coût de l'insécurité est élevé. Il en va enfin de l'intérêt général puisque les grands équilibres économiques et démographiques supposent la promotion d'emplois de qualité. Ce n'est à mon sens qu'à cette condition que notre pays sera en mesure de répondre efficacement aux défis qui sont les nôtres. Cela suppose alors avant tout une action résolue en matière d'amélioration des conditions de travail.
Certes, nous devons avoir conscience du chemin déjà parcouru. Depuis les années 70, l'action conjuguée des entreprises, des pouvoirs publics et des partenaires sociaux - sous l'impulsion souvent décisive de l'Union européenne - a déjà permis d'améliorer sensiblement la situation des conditions de travail en France. Des progrès substantiels ont déjà été faits notamment par exemple en matière de réduction des accidents du travail. Par ailleurs, les conditions de reconnaissance des maladies professionnelles se sont nettement étendues. Il ne faut donc pas nier ces progrès et les efforts déjà faits mais il faut maintenant voir quelles sont les marges de progrès dont on dispose.
J'ai la conviction que les progrès déjà accomplis, loin de conduire à une pause doivent, au contraire, entraîner chacun vers un nouvel élan.
A cet égard, je formulerai ici un double constat :
1/ D'une part, on constate -vous le savez- la persistance de certaines " poches de résistance " pour certains risques et dans certains secteurs. Nous ne pouvons l'ignorer.
2/ D'autre part, ces dernières années ont été marquées par l'apparition de nouveaux risques, qui n'étaient jusqu'à présent que peu ou pas pris en compte par notre système de prévention. Je pense ici notamment à certains risques à effets différés. A cet égard, nous devons tirer toutes les leçons de la catastrophe de l'amiante pour qu'une telle tragédie ne puisse se reproduire.
Ce constat appelle selon moi non seulement une vigilance accrue, mais des actions ambitieuses.
D'ores et déjà, des initiatives ont été prises ces dernières années. Et je tiens à ce propos à souligner l'esprit de responsabilité des partenaires sociaux - et je crois devoir insister ici sur le rôle de la CFTC- qui ont su se saisir des questions de santé au travail. Ils l'ont fait au niveau des branches ou des entreprises, même si le dialogue social gagnerait encore à trouver une plus grande place. Ils l'ont fait surtout au travers de l'important accord interprofessionnel de septembre 2000 sur la santé au travail -dont la CFTC est signataire- qui fixe bon nombre des principes sur lesquels s'appuient les réformes en cours.
Nous sommes donc entrés dans une ère nouvelle où nos actions nationales, adoptées en étroite concertation avec les partenaires sociaux, sont désormais structurées par des impératifs stratégiques coordonnés au niveau européen.
Ces objectifs, ces principes, auxquels je m'associe pleinement et que je m'attacherai à mettre en oeuvre, sont les suivants :
1/ d'abord la recherche d'un standard élevé de protection prenant en compte bien évidemment les prescriptions communautaires mais aussi les dernières connaissances scientifiques : nous avons encore ainsi amélioré récemment la protection des salariés contre les rayonnements ionisants ou contre les risques chimiques. Nous avons encore à faire.
2/ ensuite la volonté de donner toute leur place aux partenaires sociaux. A côté de l'Etat qui entend assumer ses responsabilités, les partenaires sociaux doivent continuer à s'approprier les problématiques de santé travail : les mesures nouvelles sur les risques technologiques et sur la formation des salariés en matière de risques liés à l'amiante, ou bien encore la réforme en cours de la médecine du travail, qui prévoient de larges renvois à la négociation de branche ou d'entreprise, consacrent cette évolution en faveur d'une place plus grande donnée aux partenaires sociaux non exclusive du rôle et des responsabilités de l'Etat.
3/ troisièmement la place essentielle de l'entreprise : c'est dans l'entreprise, dans le bureau ou l'atelier que se jouent concrètement les questions de santé au travail. C'est la raison pour laquelle l'entreprise a l'obligation d'évaluer les risques encourus par les salariés, en adoptant une démarche véritable de prévention de l'entreprise qui doit désormais intégrer cette question dans ses choix industriels ou de gestion.
4/ enfin le décloisonnement des approches. Il est indispensable que la santé et de la sécurité au travail s'ouvrent plus avant aux problématiques environnementales et de santé publique. Ce sont les principes qui ont inspiré le Plan national santé environnement (PNSE) présenté par le Premier Ministre le 21 juin dernier. Les mesures pour l'amélioration de la santé au travail arrêtés dans ce cadre sont significatives : elles jettent les bases du développement de la connaissance des dangers et des risques liés aux substances dangereuses, dans le cadre du projet européen REACH ; elles mettent l'accent sur la nécessité de garantir une application effective des mesures de protection des salariés exposés à des risques, en confortant les moyens d'action des services du ministère du travail sur le terrain.
* Parmi les réformes en cours, vous me permettrez d'évoquer celle de la médecine du travail. Je sais que le décret du 28 juillet dernier a suscité ici ou là (au-delà de certains procès d'intention), de réelles préoccupations. Je tiens ici en m'en expliquer, à lever les malentendus éventuels et à prendre un engagement.
Cela me paraît d'autant plus important, Monsieur le Président, que j'ai bien noté que la CFTC venait à son tour de formuler quelques réserves.
De quoi s'agit-il en effet ?
Ce décret s'inscrit dans un processus de réforme des services de santé au travail engagé à la suite de l'accord santé au travail de l'automne 2000 dont la CFTC est (je le rappelle) signataire.
L'objectif, qui ne peut être, me semble-t-il qu'un objectif partagé, est de donner à la médecine du travail, compte tenu des besoins démographiques, de l'évolution des risques et des attentes sociales, les moyens de répondre aux exigences de santé et sécurité au travail. Il faut pour cela privilégier une approche plus qualitative que quantitative mettant l'accent sur la présence effective des médecins en entreprise. Cela passe alors nécessairement par une adaptation du mode d'organisation et de fonctionnement de la médecine du travail demeuré largement inchangé depuis 1979.
Les dispositions du décret du 28 juillet s'inscrivent toutes dans cette perspective. Permettez-moi d'en rappeler les principales : biennalisation de l'examen médical périodique avec, en contrepartie, un accent mis sur la surveillance renforcée de certaines catégories de salariés, " sanctuarisation " du tiers-temps, garanties supplémentaires pour l'effectivité de l'action en entreprise, modernisation du contrôle administratif, renforcement du contrôle social sur les services de santé au travail et de l'indépendance du médecin du travail...
Toutes ces mesures, qui constituent l'essentiel du décret, correspondent, me semble-t-il, aux exigences fixées en commun et ne me paraissent pas, du reste, contestées. De fait, les inquiétudes qui se sont exprimées se concentrent en réalité pour l'essentiel sur la question de la charge de travail incombant aux médecins.
Le décret fixe en la matière trois plafonds pour chaque praticien : un nombre maximal d'établissements (450), de salariés (3300) et d'examens médicaux à effectuer dans l'année (3200). A cet égard, je crois utile de vous apporter une double précision. D'une part, il s'agit bien de plafonds annuels et en aucun cas de moyennes ou d'objectifs à atteindre. D'autre part, il suffit qu'un seul de ces trois plafonds soit atteint pour que la charge du médecin ne puisse être alourdie.
Aussi, je considère que les présentations alarmistes de l'évolution de la charge de travail des médecins avancées ici ou là ne sont pas fondées. Nous avons pris nos responsabilités pour mettre en oeuvre l'accord interprofessionnel dont tout le monde se souvient des réticences qu'il avait provoqué chez certains. Il faut avancer dans l'intérêt des salariés.
En tout état de cause, je veillerai personnellement à ce que la circulaire en préparation apporte les précisions nécessaires et dissipe toute ambiguïté. Chaque médecin du travail vient d'ailleurs de recevoir un courrier de nos services en ce sens. Par ailleurs, je m'engage à ce qu'une évaluation de l'application des mesures relatives au calcul du temps médical soit examinée au sein du Conseil supérieur de prévention des risques professionnels. J'y attacherai une grande attention.
Beaucoup de chemin a donc déjà été parcouru dans la modernisation de notre système de prévention des risques professionnels et il n'est bien évidemment pas question d'ignorer les avancées substantielles qui ont été réalisées ces dernières années. Je tiens sur ce point à insister en particulier sur le rôle fondamental qu'ont joué les initiatives européennes, depuis la directive de 1989, pour l'évolution de notre réglementation et de nos pratiques.
* Mais ces réformes en cours, dont il convient de bien mesurer la portée, doivent aujourd'hui être prolongées par des réformes de caractère plus structurel : c'est la raison pour laquelle j'ai annoncé, dès le 13 avril dernier, la préparation - d'ici la fin de l'année- d'un plan santé-travail pour les années 2005 à 2009. Je considère que ce plan doit concrétiser la ferme volonté des pouvoirs publics français d'assumer pleinement leurs responsabilités, aux côtés de celles des entreprises et de celles des partenaires sociaux. Il s'inscrira, bien entendu, étroitement dans le cadre de la démarche européenne.
Il ne s'agit pas, dans mon esprit de refonder un système, mais plutôt de l'adapter à un environnement de plus en plus contraignant et évolutif. En ce sens, ce plan a vocation à s'inscrire pleinement dans la continuité de la démarche engagée ces dernières années, au travers notamment de l'accord de septembre 2000, tout en cherchant à la compléter et l'approfondir.
Les marges de progrès sont encore importantes. Elles ont notamment été soulignées par de récents rapports de l'IGAS. Ces progrès relèvent de la responsabilité de l'ensemble des acteurs. Le plan santé-travail ne peut et ne doit pas être un plan de l'Etat, il n'a de sens que s'il constitue un engagement commun.
C'est pourquoi j'ai souhaité que les partenaires sociaux soient étroitement associés à la préparation et à la mise en oeuvre de ce plan. Un groupe de travail a été constitué à cet effet au sein du Conseil supérieur de prévention des risques professionnels. J'attends pour ma part beaucoup de vos propositions tant il est vrai que, sur un sujet tel que la santé au travail, nous avons un intérêt évident à avancer ensemble dans le cadre d'une concertation constructive. Je ne doute pas, Monsieur le Président, que la CFTC, fidèle en cela ses valeurs, y contribuera activement (et nous l'avons évoqué Lundi dernier).
J'ajoute -et permettez-moi d'insister sur ce point- que j'engage ce travail avec le plus grand esprit d'ouverture. Aucune mesure n'est encore préarbitrée. A ce stade, j'ai en effet seulement souhaité en définir certaines orientations qui me semblent incontournables.
Ce plan doit d'abord permettre de développer les connaissances en matière de risques professionnels. Comme l'ont souligné divers rapports, il faut impérativement bâtir, dans le champ du travail, une organisation et des moyens permettant enfin de développer une veille et une évaluation scientifique digne de ce nom. Cette évaluation doit avant tout viser les risques chimiques, le précédent de l'amiante montrant là encore les priorités. Mais il ne faut pas oublier pour autant les risques liés aux questions d'organisation du travail et à l'aménagement des postes comme les troubles musculo-squelettiques qui restent la première cause de maladie professionnelle ou comme le stress au travail, qui constitue à mes yeux un sujet important même s'il ne doit pas devenir le réceptacle de toutes nos appréhensions et de l'insuffisance de nos connaissances.
Il doit ensuite permettre d'assurer un pilotage enfin efficient d'une véritable politique de prévention des risques professionnels, tant au niveau national qu'au niveau régional. Nous devons avoir le souci constant que les multiples acteurs de la prévention coordonnent leurs actions afin de les rendre plus cohérentes et donc plus efficaces.
Il faut enfin avoir une vision moins formaliste de la santé au travail. Je crois que nous devons surtout avoir l'obsession du concret. C'est à cette condition que nous pourrons définir ensemble les marges de progrès permettant d'assurer une véritable politique de prévention.
Le plan santé-travail ne pourra donc se faire que si l'ensemble des acteurs et notamment les entreprises, les partenaires sociaux et l'Etat réussissent à s'entendre autour de cette exigence nécessairement commune qu'est une meilleure prévention des risques professionnels. Je l'estime nécessaire. Je le crois possible.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, la santé au travail constitue une priorité absolue. Elle touche aux droits fondamentaux des salariés sur lesquels il ne saurait être transigé.
C'est pour cela que nous devons, à l'instar de ce que préconise la stratégie européenne et à l'instar de la plupart de nos voisins européens nous fixer des objectifs concrets et ambitieux en matière d'amélioration des conditions de travail et oeuvrer en faveur d'un emploi de qualité.
Je vous remercie.
(Source http://www.travail.gouv.fr , le 22 octobre 2004)