Texte intégral
Anita Hausser -. La préoccupation de la CGT, c'est l'emploi. J.-P. Raffarin a dit qu'il est sûr que le chômage va baisser l'année prochaine. Vous le croyez ?
Bernard Thibault - "Malheureusement, cela reste des pronostics très hasardeux. Je ne vois pas d'éléments qui, d'un point de vue structurel, nous permettraient, aujourd'hui, d'être optimistes. Lorsque je regarde ce que font la plupart des groupes, lorsque je regarde aussi la politique du Gouvernement, au plan fiscal, au plan économique, je ne considère pas qu'il prend des mesures structurelles favorables à l'emploi, bien au contraire."
Vous ne croyez pas aux mesures qui sont prises pour "favoriser l'emploi" justement, comme le dit le Premier ministre et comme le prévoit le Budget...
- "Je ne pense pas du tout que ces mesures soient de nature à favoriser l'emploi. Pour l'essentiel, le premier poste budgétaire du ministère du Travail, ce sont des allégements de cotisations sociales qui sont consentis de nouveau aux entreprises - ce n'est pas nouveau, plusieurs gouvernements ont procédé de cette manière-là -, sans qu'on n'ait fait de réelles expertises, voire de contre-expertises sur le bien fondé de ces aides, de ces subventions, de ces exonérations. Nous avons un recul du niveau d'investissement des entreprises en France, nous avons des politiques de rachat de grands groupes étrangers, d'entreprises très importantes dans le secteur industriel français. Je pense à Péchiney, racheté par Alcan ; je pense à des réformes structurelles, GIAT Industrie, par exemple, dans le secteur de l'armement."
Dont le plan social a été bloqué...
- "Oui, mais nous sommes quand même dans une procédure où le Gouvernement semble maintenir... Alors que nous voudrions examiner des contre-projets, il ne prend pas soin d'examiner ce que disent les salariés dans ce secteur-là. Et nous allons, là aussi, vers ce qu'on appelle des "plans sociaux" qui vont affecter très durement le potentiel industriel, d'une part, mais avoir des conséquences sociales très importantes."
Vous redoutez que la barre fatidique des 10 % soit franchie rapidement ?
- "Je crois que nous y sommes déjà, de fait, dans les faits, indépendamment des statistiques qui, on le sait, sont de plus en plus controversées. Il y a à peu près 5 millions de Français qui sont en situation de sous-emploi, c'est-à-dire privés d'emploi ou avec des emplois précaires - contrats de travail à durée déterminée, petits boulots. C'est donc une situation..."
Mais pas sans emploi...
- "Oui, pas sans emploi, sauf que, vous imaginez bien, un contrat de travail de quelques heures par semaine, ça ne permet pas de vivre décemment, ça ne permet pas d'avoir un projet personnel, familial. Donc nous sommes [...] très préoccupés sur la question numéro 1, car celle conditionne toutes les autres : l'avenir du système de protection sociale, l'avenir des retraites. Il est évident que l'emploi conditionne beaucoup des autres revendications sociales."
A ce propos, les négociations sur les retraites complémentaires commencent aujourd'hui...
- "Elles se poursuivent, mais jusqu'à présent, le Medef n'a pas voulu dévoiler ses réelles intentions en la matière."
Et donc, vous attendez un dévoilement des intentions aujourd'hui même ? C'est pour financer les longues carrières, c'est-à-dire les gens qui ont travaillé ou qui travaillent depuis plus de 40 ans...
- "C'est une des mesures qui aurait pu donner lieu à un accord beaucoup plus rapidement, puisqu'une des dispositions prévue dans la loi sur les retraites, dont on nous a vantés tant les mérites, consistait à expliquer à ceux qui avaient commencé à travailler très jeunes qu'ils allaient pouvoir commencer à partir, à quitter leur entreprise à partir du 1er janvier. Or, ça n'est pas le cas, du fait, d'une part, des lenteurs administratives suscitées par le Gouvernement, et du refus du Medef de vouloir discuter de la situation particulière faite à ceux qui ont commencé à travailler très tôt. Ce qui fait que, d'ores et déjà, une disposition de la loi, dont on disait qu'elle était très avantageuse, ne sera pas respectée, à savoir que ceux qui attendaient cette mesure avec impatience, dès le 1er janvier, ne pourront pas partir."
C'est une affaire de quelques mois...
- "Oui, mais enfin "quelques mois", ce n'est pas l'engagement qui était pris dans le débat concernant la réforme des retraites."
Et pour le reste, l'application de la réforme, quand les choses sérieuses vont-elles être mises sur le tapis ?
- "Je l'espère aujourd'hui. Nous avons demandé au Medef de dévoiler ses intentions, qui reste, sur cette question-là comme pour les autres, très avare, puisqu'il considère ne pas devoir verser d'euros supplémentaires pour financer les retraites complémentaires. Autrement dit, ce serait une nouvelle solidarité à organiser entre salariés, ce serait aux salariés uniquement de financer les mesures permettant de préserver le système de retraite complémentaire. Autrement dit, de faire porter l'effort toujours dans le même camp."
C'est à cela qu'on veut arriver non ?
- "Oui, mais malheureusement, nous savons bien que le Medef est assez coutumier du fait. Lorsque nous discutons de l'emploi et des restructurations, les dernières séances de discussions ont débouché sur un blocage, un constat de désaccord. Nous nous vivons pas sur la même planète. Nous sommes censés discuter de mesures sociales liées aux restructurations et le Medef nous propose de nouvelles mesures pour favoriser les licenciements dans les entreprises. C'est la raison qui me fait beaucoup m'inquiéter quant au projet que le Gouvernement s'apprête à déposer en débat à l'Assemblée nationale..."
La réforme du dialogue social...
- "Avec un risque que prend le Gouvernement, c'est de mettre beaucoup de sujets dans une même loi. Des dispositions concernant la formation professionnelle, les dispositions concernant la validité des accords dans les négociations, et nous sommes demandeurs d'une réforme à ce niveau-là, sur ces dispositions. Et de nouvelles largesses accordées aux entreprises qui pourraient négocier, indépendamment, des droits prévus dans une branche professionnelle ou dans la loi. Et là, je crains fort que le Gouvernement s'apprête à donner satisfaction sur une autre revendication du Medef, qui est en quelque sorte, d'avoir les mains libres dans la négociation sociale au niveau de chaque entreprise."
Et là, la mobilisation est lancée ?
- "S'il s'avère que le Gouvernement confirme qu'il souhaite donner une réponse positive à la demande du Medef, nous devrons regarder très rapidement comment exprimer un désaccord, dans la mesure où ce serait très dangereux pour l'avenir des droits, pour l'ensemble des salariés, notamment du secteur privé."
Une question concrète : le plan social de Comilog est en passe d'être approuvé. C'est un plan qui prévoit de nombreux avantages pour les salariés de cette entreprise qui doit fermer...
- "Je crois que Comilog, comme malheureusement bon nombre d'autres entreprises, le souci des salariés c'est d'être respectés à un moment donné."
Ils l'ont obtenu...
- "Ils ont obtenu, peut-être - mais c'est à eux de l'apprécier -, une indemnité leur permettant d'assurer une certaine dignité dans une situation qui demeure très critique, dans la mesure où, au final, c'est quand même l'emploi qui va en souffrir. Alors, qu'ils soient particulièrement soucieux des conditions matérielles dans lesquelles eux vont devoir quitter leur emploi, je le comprends. Et c'est là, comme dans toute entreprise, aux salariés d'apprécier ce qu'ils estiment être des mesures qui respectent leur dignité."
Le président de la République va entamer des consultations avec les représentants des partis politiques sur la future Constitution européenne. Vous aimeriez en être aussi ?
- "Je comprends que le président de la République commence par consulter les partis. En même temps, dans ce débat, le mouvement syndical a aussi des choses à dire. Nous avons, par le biais d'un représentant, à la Confédération européenne des syndicats, participé, en tant qu'observateurs, aux travaux de la Convention. Et il est évident, nous l'avons fait à Rome le 4 octobre par une manifestation syndicale, que dans les prochains mois, le mouvement syndical, à l'occasion d'un Forum social au mois de novembre notamment, à Paris et Saint-Denis, va s'exprimer sur les enjeux de cette Constitution, et plus largement sur les enjeux que représentent les choix politiques qui vont conduire la poursuite de la construction européenne au moment de l'élargissement à de nouveaux pays. Ce qui est, au plan social, aussi une période cruciale."
L'élargissement prévoit l'ouverture du marché de l'électricité et par conséquent, l'ouverture du capital d'EDF. C'est un blocage total de votre part ?
- "Oui, tout comme je l'ai vu récemment, une décision consistant à poursuivre la libéralisation aussi de l'exploitation ferroviaire. Nous sommes confrontés, globalement s'agissant des entreprises publiques et des services publics, à une volonté de déréglementation, alors que personne, aujourd'hui, n'est capable de nous faire une démonstration et de l'efficacité d'une telle perspective. Pour ce qui nous concerne, nous restons opposés à ce choix politique."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 octobre 2003)
Bernard Thibault - "Malheureusement, cela reste des pronostics très hasardeux. Je ne vois pas d'éléments qui, d'un point de vue structurel, nous permettraient, aujourd'hui, d'être optimistes. Lorsque je regarde ce que font la plupart des groupes, lorsque je regarde aussi la politique du Gouvernement, au plan fiscal, au plan économique, je ne considère pas qu'il prend des mesures structurelles favorables à l'emploi, bien au contraire."
Vous ne croyez pas aux mesures qui sont prises pour "favoriser l'emploi" justement, comme le dit le Premier ministre et comme le prévoit le Budget...
- "Je ne pense pas du tout que ces mesures soient de nature à favoriser l'emploi. Pour l'essentiel, le premier poste budgétaire du ministère du Travail, ce sont des allégements de cotisations sociales qui sont consentis de nouveau aux entreprises - ce n'est pas nouveau, plusieurs gouvernements ont procédé de cette manière-là -, sans qu'on n'ait fait de réelles expertises, voire de contre-expertises sur le bien fondé de ces aides, de ces subventions, de ces exonérations. Nous avons un recul du niveau d'investissement des entreprises en France, nous avons des politiques de rachat de grands groupes étrangers, d'entreprises très importantes dans le secteur industriel français. Je pense à Péchiney, racheté par Alcan ; je pense à des réformes structurelles, GIAT Industrie, par exemple, dans le secteur de l'armement."
Dont le plan social a été bloqué...
- "Oui, mais nous sommes quand même dans une procédure où le Gouvernement semble maintenir... Alors que nous voudrions examiner des contre-projets, il ne prend pas soin d'examiner ce que disent les salariés dans ce secteur-là. Et nous allons, là aussi, vers ce qu'on appelle des "plans sociaux" qui vont affecter très durement le potentiel industriel, d'une part, mais avoir des conséquences sociales très importantes."
Vous redoutez que la barre fatidique des 10 % soit franchie rapidement ?
- "Je crois que nous y sommes déjà, de fait, dans les faits, indépendamment des statistiques qui, on le sait, sont de plus en plus controversées. Il y a à peu près 5 millions de Français qui sont en situation de sous-emploi, c'est-à-dire privés d'emploi ou avec des emplois précaires - contrats de travail à durée déterminée, petits boulots. C'est donc une situation..."
Mais pas sans emploi...
- "Oui, pas sans emploi, sauf que, vous imaginez bien, un contrat de travail de quelques heures par semaine, ça ne permet pas de vivre décemment, ça ne permet pas d'avoir un projet personnel, familial. Donc nous sommes [...] très préoccupés sur la question numéro 1, car celle conditionne toutes les autres : l'avenir du système de protection sociale, l'avenir des retraites. Il est évident que l'emploi conditionne beaucoup des autres revendications sociales."
A ce propos, les négociations sur les retraites complémentaires commencent aujourd'hui...
- "Elles se poursuivent, mais jusqu'à présent, le Medef n'a pas voulu dévoiler ses réelles intentions en la matière."
Et donc, vous attendez un dévoilement des intentions aujourd'hui même ? C'est pour financer les longues carrières, c'est-à-dire les gens qui ont travaillé ou qui travaillent depuis plus de 40 ans...
- "C'est une des mesures qui aurait pu donner lieu à un accord beaucoup plus rapidement, puisqu'une des dispositions prévue dans la loi sur les retraites, dont on nous a vantés tant les mérites, consistait à expliquer à ceux qui avaient commencé à travailler très jeunes qu'ils allaient pouvoir commencer à partir, à quitter leur entreprise à partir du 1er janvier. Or, ça n'est pas le cas, du fait, d'une part, des lenteurs administratives suscitées par le Gouvernement, et du refus du Medef de vouloir discuter de la situation particulière faite à ceux qui ont commencé à travailler très tôt. Ce qui fait que, d'ores et déjà, une disposition de la loi, dont on disait qu'elle était très avantageuse, ne sera pas respectée, à savoir que ceux qui attendaient cette mesure avec impatience, dès le 1er janvier, ne pourront pas partir."
C'est une affaire de quelques mois...
- "Oui, mais enfin "quelques mois", ce n'est pas l'engagement qui était pris dans le débat concernant la réforme des retraites."
Et pour le reste, l'application de la réforme, quand les choses sérieuses vont-elles être mises sur le tapis ?
- "Je l'espère aujourd'hui. Nous avons demandé au Medef de dévoiler ses intentions, qui reste, sur cette question-là comme pour les autres, très avare, puisqu'il considère ne pas devoir verser d'euros supplémentaires pour financer les retraites complémentaires. Autrement dit, ce serait une nouvelle solidarité à organiser entre salariés, ce serait aux salariés uniquement de financer les mesures permettant de préserver le système de retraite complémentaire. Autrement dit, de faire porter l'effort toujours dans le même camp."
C'est à cela qu'on veut arriver non ?
- "Oui, mais malheureusement, nous savons bien que le Medef est assez coutumier du fait. Lorsque nous discutons de l'emploi et des restructurations, les dernières séances de discussions ont débouché sur un blocage, un constat de désaccord. Nous nous vivons pas sur la même planète. Nous sommes censés discuter de mesures sociales liées aux restructurations et le Medef nous propose de nouvelles mesures pour favoriser les licenciements dans les entreprises. C'est la raison qui me fait beaucoup m'inquiéter quant au projet que le Gouvernement s'apprête à déposer en débat à l'Assemblée nationale..."
La réforme du dialogue social...
- "Avec un risque que prend le Gouvernement, c'est de mettre beaucoup de sujets dans une même loi. Des dispositions concernant la formation professionnelle, les dispositions concernant la validité des accords dans les négociations, et nous sommes demandeurs d'une réforme à ce niveau-là, sur ces dispositions. Et de nouvelles largesses accordées aux entreprises qui pourraient négocier, indépendamment, des droits prévus dans une branche professionnelle ou dans la loi. Et là, je crains fort que le Gouvernement s'apprête à donner satisfaction sur une autre revendication du Medef, qui est en quelque sorte, d'avoir les mains libres dans la négociation sociale au niveau de chaque entreprise."
Et là, la mobilisation est lancée ?
- "S'il s'avère que le Gouvernement confirme qu'il souhaite donner une réponse positive à la demande du Medef, nous devrons regarder très rapidement comment exprimer un désaccord, dans la mesure où ce serait très dangereux pour l'avenir des droits, pour l'ensemble des salariés, notamment du secteur privé."
Une question concrète : le plan social de Comilog est en passe d'être approuvé. C'est un plan qui prévoit de nombreux avantages pour les salariés de cette entreprise qui doit fermer...
- "Je crois que Comilog, comme malheureusement bon nombre d'autres entreprises, le souci des salariés c'est d'être respectés à un moment donné."
Ils l'ont obtenu...
- "Ils ont obtenu, peut-être - mais c'est à eux de l'apprécier -, une indemnité leur permettant d'assurer une certaine dignité dans une situation qui demeure très critique, dans la mesure où, au final, c'est quand même l'emploi qui va en souffrir. Alors, qu'ils soient particulièrement soucieux des conditions matérielles dans lesquelles eux vont devoir quitter leur emploi, je le comprends. Et c'est là, comme dans toute entreprise, aux salariés d'apprécier ce qu'ils estiment être des mesures qui respectent leur dignité."
Le président de la République va entamer des consultations avec les représentants des partis politiques sur la future Constitution européenne. Vous aimeriez en être aussi ?
- "Je comprends que le président de la République commence par consulter les partis. En même temps, dans ce débat, le mouvement syndical a aussi des choses à dire. Nous avons, par le biais d'un représentant, à la Confédération européenne des syndicats, participé, en tant qu'observateurs, aux travaux de la Convention. Et il est évident, nous l'avons fait à Rome le 4 octobre par une manifestation syndicale, que dans les prochains mois, le mouvement syndical, à l'occasion d'un Forum social au mois de novembre notamment, à Paris et Saint-Denis, va s'exprimer sur les enjeux de cette Constitution, et plus largement sur les enjeux que représentent les choix politiques qui vont conduire la poursuite de la construction européenne au moment de l'élargissement à de nouveaux pays. Ce qui est, au plan social, aussi une période cruciale."
L'élargissement prévoit l'ouverture du marché de l'électricité et par conséquent, l'ouverture du capital d'EDF. C'est un blocage total de votre part ?
- "Oui, tout comme je l'ai vu récemment, une décision consistant à poursuivre la libéralisation aussi de l'exploitation ferroviaire. Nous sommes confrontés, globalement s'agissant des entreprises publiques et des services publics, à une volonté de déréglementation, alors que personne, aujourd'hui, n'est capable de nous faire une démonstration et de l'efficacité d'une telle perspective. Pour ce qui nous concerne, nous restons opposés à ce choix politique."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 octobre 2003)