Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à La Chaîne Info LCI le 22 septembre 2004, sur le budget 2005 et son opposition à l'entrée de la Turquie dans l'UE.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

QUESTION : Nous allons évidemment parler du budget. Mais d'abord, approuvez-vous la décision qu'a prise hier soir Matignon d'avaliser l'accord entre la SNCM et le Syndicat des travailleurs corses, estimant qu'il ne contredisait pas le principe de non discrimination à l'embauche ?
François BAYROU (Réponse) : Franchement, j'ai entendu des mots extrêmement choquants et très excessifs sur ce sujet. Qu'une compagnie maritime qui relie la Corse au continent équilibre ses embauches entre la Corse et le continent, entre des marins issus de la Corse et des marins issus du continent, je ne trouve pour moi, pas cela choquant et je ne crois pas qu'il y ait matière à un crime de lèse-République, comme on a voulu le laisser croire.
QUESTION : Quand vous dites "issus de l'île", cela veut dire "corses" ?
François BAYROU (Réponse) : Ca veut dire qu'ils vivent en Corse, résidant en Corse. Enfin, c'est..
QUESTION : Ce n'est pas de la discrimination ?
François BAYROU (Réponse) : Non, pour moi non, franchement. Il me semble qu'il y a eu des propos très excessifs sur ce sujet. C'est, me semble-t-il, normal qu'il y ait un équilibre entre des salariés qui vivent sur le continent et des salariés qui vivent sur l'île. En tout cas pour moi, je ne vois pas de crime à cela.
QUESTION : Cela traduit une certaine cacophonie gouvernementale ?
François BAYROU (Réponse) : Oui, j'ai l'impression.
QUESTION : Parlons du budget. Comment qualifiez-vous ce budget ? Est-ce un budget libéral, est-ce un budget favorable aux classes moyennes, un budget trop favorable aux riches, comme l'on dit à gauche ?
François BAYROU (Réponse) : Dans un budget, il y a des mesures techniques et il y a un message envoyé en direction de l'opinion.
QUESTION : C'est quoi le message ?
François BAYROU (Réponse) : Et le message ici, me semble un peu déséquilibré. Parce que, au fond, ce qu'auront retenu la plupart des citoyens français, sans regarder le fond des choses, une augmentation des prélèvements obligatoires que si l'on avait pu on aurait dû éviter, mais je sais que cela n'est pas facile d'être à la tête du ministère du Budget. Mais il y a un message qui est envoyé à l'opinion, c'est que l'on va faire encore un peu plus pour les plus favorisés, notamment avec cette augmentation massive de l'aide pour les emplois à domicile, et on va demander des efforts ou faire un peu moins pour d'autres qui auraient mérité qu'on les aide. Par exemple : je trouve que la suppression du prêt à taux zéro est une mauvaise idée ; on avait là une mesure sociale pour le logement...
QUESTION : N'est-ce pas un artifice technique, on fait passer des dépenses aux recettes pour éviter de donner le sentiment qu'on augmente les dépenses ?
François BAYROU (Réponse) : Ecoutez, on avait une mesure simple et qui marchait, que tout le monde comprenait. Le nombre de jeunes ménages qui considérait qu'avec le prêt à taux zéro, ils allaient pouvoir remplacer l'apport personnel pour acheter un logement, c'était considérable et très important. Je trouve que, de ce point de vue-là, le message n'est pas bon, et franchement, pour moi, l'urgence n'était pas à augmenter encore les aides déjà très importantes que l'on consacrait à ceux qui emploient du personnel à domicile.
QUESTION : Dans ces conditions, quelle va être votre attitude ? L'année dernière, vous vous étiez, je parle de l'UDF, abstenus. Qu'allez-vous faire cette année ? Poserez-vous des conditions pour voter "oui" ?
François BAYROU (Réponse) : Nous allons discuter de cela avec la liberté de penser qui est la nôtre, en disant : il y a un certain nombre de choses qui nous vont, par exemple, ce que l'on fait sur les successions, ça nous va, et il y a un certain nombre de choses qui ne nous vont pas - l'augmentation massive de l'aide pour les personnels à domicile et la suppression du prêt à taux zéro. Voilà deux sujets de discussion que nous allons avoir. Permettez-moi de dire, qu'il y a une mesure qui n'est pas dans le budget mais qui, ces temps-ci, a fait scandale, et à juste titre : c'est la décision qui a été prise sans que personne ne s'en aperçoive, aux alentours du 25 août, dans le creux de l'été, qui était de porter atteinte à la pension de réversion des veufs et des veuves !
QUESTION : Apparemment, le Gouvernement recule sur ce sujet.
François BAYROU (Réponse) : Oui mais pourquoi l'a-t-il fait ? Il me semble qu'il y a là, encore une fois dans ce genre de message, quelque chose qui dit à l'opinion, que l'attention du Gouvernement est plus portée vers les ménages favorisés que vers les autres, et ceci, pour nous, est très embêtant parce qu'on ne peut pas demander à un pays d'accepter des réformes si le principe de justice sociale, de justice, ne commande pas toutes les décisions.
QUESTION : Autrement dit, vous attendez pour donner éventuellement un "oui" à ce budget, des signes tangents, visibles, de caractère plus social, et notamment sur une réduction moins massive des impôts, des réductions d'impôts pour les emplois à domicile ?
François BAYROU (Réponse) : Je n'emploie le mot "social", j'emploie le mot de "justice". Des citoyens doivent avoir la certitude que les décisions qui sont prises par leur Gouvernement, sont des décisions qui n'avantagent pas les uns par rapport aux autres, surtout quand ceux que l'on avantage sont les plus favorisés. Et donc, pour moi, il est très important que l'on rééquilibre le budget de ce coté-là. Cela doit être tout l'objet de la discussion.
QUESTION : Ce Gouvernement, de votre point de vue, le gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN, aujourd'hui a aujourd'hui aujourd'hui autorité et crédibilité pour mener à bien, à la fois, cette loi de Finances, mais aussi le "contrat France-2005" annoncé par Jean-Pierre RAFFARIN ?
François BAYROU (Réponse) : Je ne sais pas très bien ce que le "contrat France 2005" veut dire. Disons que le Gouvernement a évidemment un problème d'audience dans l'opinion, d'adhésion dans l'opinion. Or on ne peut pas mener de politique forte si l'on n'a pas l'adhésion de l'opinion. Pourquoi ce problème me semble-t-il depuis longtemps ? C'est parce qu'on a trop fait de la communication et pas assez utilisé la vérité la plus simple et la plus banale. Ce dont un peuple de citoyens a besoin, c'est qu'on lui dise la vérité comme elle est, sans l'habiller, sans mettre des faveurs, sans chercher des formules. Dire la vérité comme elle est.
QUESTION : En toute hypothèse, ce Gouvernement sera, pour le moins, remanié, avec les sénatoriales et avec le départ de Nicolas SARKOZY. Se pose la question de la participation, ou non, de membres de l'UDF à ce Gouvernement auprès de G. de Robien. Certains de vos amis seraient partisans de participer davantage. Quel est votre sentiment ?
François BAYROU (Réponse) : Eh bien, moi pas ! Je vais vous dire...
QUESTION : Vous restez dans l'opposition, la semi-opposition ?
François BAYROU (Réponse) : Pour moi, on ne participe à un gouvernement, que si l'on a avec le président de la République discuté du projet de ce gouvernement et de ce qu'on allait faire. La démocratie française, ça crève les yeux, ne marche pas, nos institutions sont en panne ! Un certain nombre de décisions ont été prises sans qu'on en ait parlé. Je pense à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, sans débat, aucun débat. Tout cela, ça n'est pas le projet que nous portons. Nous portons un projet de réforme profonde de la démocratie et de la gestion du pays. Et donc, s'il n'y a pas de changement de politique, eh bien cela serait un alignement, et c'est ce qui me semble l'opinion publique n'attend pas de nous. Nous ne devons pas nous comporter comme si nous cherchions des postes.
QUESTION : Vous avez évoqué la Turquie, vous aviez souhaité qu'il y ait à l'Assemblée nationale un débat avec vote, si je ne me trompe...
François BAYROU (Réponse) : Oui.
QUESTION : .Avez-vous essuyé un refus du président de l'Assemblée nationale ?
François BAYROU (Réponse) : Le président de l'Assemblée nationale d'abord, je vais le voir aujourd'hui, mais ça n'est pas lui qui décide. Vous savez que le maître de l'ordre du jour...
QUESTION : C'est le Gouvernement.
François BAYROU (Réponse) : ...en France, c'est le Gouvernement. Hélas !
QUESTION : Et Jean-Pierre RAFFARIN vous l'a refusé ?
François BAYROU (Réponse) : Mais nous n'avons pas eu le moindre message en réponse ! La démocratie française est tellement bloquée, que même quand on demande la chose la plus - comment dirais-je ? - qui devrait paraître la plus évidente, j'allais presque dire la plus banale au monde en démocratie : avant une grande décision, un débat et un vote pour que l'opinion soit informée et que chacun prenne ses responsabilités. Quand on pose ce genre d'exigence, il n'y a même pas de réponse ; il y en aura, parce que, si la décision de la Commission est d'ouvrir les négociations avec la Turquie, je poserais évidemment la question. Mais ça n'est pas sain que dans une démocratie comme la nôtre il n'y ait aucun dialogue entre les grandes formations politiques démocratiques.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 septembre 2004)