Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur l'élargissement de l'Union européenne, Paris le 30 avril 2004.

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Circonstance : Elargissement de l'Union européenne à dix nouveaux pays (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Malte et Chypre) le 1er mai 2004-réception d'une centaine d'étudiants de ces pays le 30 avril

Texte intégral

Chers amis venus des dix nouveaux pays de l'Union européenne (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Malte et Chypre).
Je suis très heureux de vous accueillir ici aujourd'hui pour vous dire chaleureusement et amicalement : bienvenue !
Bienvenue en Europe, bienvenue en France, bienvenue dans une Union qui vit aujourd'hui un véritable bouleversement créateur.
I - Bienvenue !
Je fais partie des européens qui aujourd'hui ont les larmes aux yeux :
- larmes de l'émotion, larmes de la mémoire, larmes aussi de la joie, celles que provoquent notre hymne du même nom.
L'Union scelle aujourd'hui l'unification du continent divisé par les tragédies de l'Histoire.
J'ai voulu accueillir des jeunes des nouveaux pays européens pour donner à cette célébration de l'élargissement une couleur d'avenir, d'espoir, de renouveau.
Merci donc à vous de vous être rassemblés pour fêter l'événement.
Longtemps, l'Europe n'a été qu'une province du monde libre. L'Europe était un carrefour, le carrefour de deux rivalités, de deux visions du monde.
Depuis 1989, l'Europe choisit ses nouvelles frontières, elle existe par elle-même. La Communauté européenne a permis de casser tous les Murs. L'Europe de l'Est n'existe plus !
Plus que jamais la phrase de Jean Monnet qui disait que " faire l'Europe, c'était faire la paix " n'a eu un tel retentissement. L'Europe est la force qui enlève à la haine son caractère éternel.
Et aujourd'hui, nous élargissons l'Union à dix nouveaux pays.
Nous fêtons et nous vivons aujourd'hui la fin de la tragédie européenne, c'est le début d'un espoir continental.
Pour ma génération qui a connue la blessure de la déchirure européenne, pour ma génération qui a osé rêver l'Europe unie, ce jour est un grand jour, c'est un jour d'émotion personnelle.
Je mesure la part d'espérance que porte l'idée européenne et je suis très attentif à ce que notre accueil soit à la hauteur de leur, de votre espérance.
Espérance de liberté, espérance de prospérité, espérance de changements.
Et je vous le dis fortement : la France et l'ensemble des pays européens se sont engagés et continueront à s'engager pour vous, pour une vraie solidarité : quand je vois ce que nous avons réussi avec l'Espagne ou l'Irlande par exemple, avec un engagement européen massif et un succès exemplaire, je me dis que la solidarité, c'est un investissement sur l'avenir.
Et je dis à tous les marchands de nostalgie, tous les marchands d'égoïsme qui brandissent des chèques à l'Assemblée nationale : la solidarité, c'est bon pour la France et les Français ! C'est toujours celui qui a donné, qui reçoit le plus.
L'élargissement aux dix nouveaux pays, c'est une chance pour la France.
II - L'élargissement, c'est une bonne nouvelle
A. Une bonne nouvelle pour la France
Dix nouveaux pays en effet, c'est plus de responsabilité c'est vrai, mais c'est aussi plus de force, des nouveaux marchés pour nos entreprises, des nouveaux horizons pour les citoyens, des nouveaux partenariats pour les États.
Aujourd'hui, l'Europe nous protège, nous la France et tous les Etats de l'union : l'euro par exemple nous permet de subir sans trop de dommage les fluctuations du dollar.
La France n'a pas peur des initiatives européennes, bien au contraire.
L'Europe pour un gouvernement aujourd'hui est un facteur de sécurité : nous pouvons comparer des politiques, nous pouvons les évaluer, nous pouvons les confronter. C'est une véritable aide à la décision.
Quand nous réformons les retraites, nous regardons chez nos voisins.
Quand nous modernisons notre système de soins, nous faisons le tour de l'Europe pour garder les idées qui ont été les plus efficaces.
La France n'a pas peur de l'exigence européenne : l'exigence aujourd'hui, ce n'est pas un nivellement par le bas, ce n'est pas un niveau de salaire calqué sur les plus bas.
Les Français n'ont pas peur des nouveaux Européens.
L'Europe en effet est notre espace d'ouverture : c'est par elle que nous découvrons le monde, c'est d'abord en Europe que nous voyageons, que nous nous installons, que nous commerçons et échangeons.
Aujourd'hui, avec sa force, l'Europe nous protège des accidents économiques et des maladies diplomatiques. Avec elle nous construisons les pôles industriels qui résisteront aux délocalisations.
Mais, elle est aussi un formidable gisement d'idées pour tous nos pays.
B. Élargissement réussi = approfondissement
L'élargissement doit réussir, ce qui nécessite de modifier les règles de vie ensemble : on ne peut réussir à vingt-cinq avec les règles prévues pour quinze.
C'est pourquoi nous sommes favorables à un traité Constitutionnel et des institutions démocratiques plus efficaces - avec l'extension du vote à la majorité qualifiée -, plus incarnée avec un président pour l'Europe, plus proche avec le contrôle de subsidiarité et la possibilité d'implication directe des Européens avec le droit d'initiative citoyenne.
III - L'Europe pour que les Français réussissent
Nous sommes entrés dans l'ère du changement accéléré.
Hier, les métiers étaient immuables : les agriculteurs, les enseignants, les médecins et les ingénieurs avaient des repères ancrés dans une certaine tradition. Aujourd'hui, ils doivent tout réinventer.
Hier, les changements technologiques prenaient 30 ans. Aujourd'hui, en moins de trois ans, la France s'est convertie au haut débit.
Hier, nous pensions la politique européenne avec des schémas vieux de 50 ans. Aujourd'hui, nous devons inventer une nouvelle Europe.
Dans l'ère du changement, la France ne doit pas être immobile : elle doit au contraire s'adapter, évoluer, anticiper sur le mouvement du monde. C'est ainsi qu'elle progressera encore.
C'est pourquoi je dis à tous les hérauts de l'immobilisme, à droite comme à gauche : vous faites une erreur historique. La nostalgie n'a jamais été un projet politique.
Les pays qui nous rejoignent vivent cette dynamique : vous avez fait des efforts importants, vous avez en moins de quinze ans modifié en profondeur vos économies, passant pour la plupart d'entre vous d'une économie dirigée à une économie ouverte.
Ces changements sont une leçon pour la France.
Dans ce monde, l'Etat et le gouvernement ont des missions bien précises :
o D'abord s'occuper de ce qui dépasse le citoyen avec une politique de sécurité, de défense mais aussi d'attractivité et de développement durable affirmée.
o Ensuite, lui donner les outils pour piloter sa vie en affirmant ses droits et ses devoirs. En lui donnant les moyens de l'autonomie par l'école, la formation tout au long de la vie, la décentralisation et le dialogue social. En refusant aussi de l'enfermer dans des statuts d'assistance qui lui permettent de survivre, à court terme, mais de vivre pleinement sa liberté d'homme sur la longue durée. C'est la priorité de la cohésion sociale.
o Assurer enfin l'avenir pour quatre générations, simultanément, en investissant dans la recherche, en inventant de nouvelles formes de protection sociale adaptée aux réalités démographiques, en conduisant des grands projets d'infrastructures.
C'est par cette triple action que nous pourrons accompagner le changement tout en respectant l'autonomie du citoyen : je me méfie de la tentation du tout Etat. Elle a échoué par le passé. Ne cédons pas à la facilité d'y revenir par peur du changement.
Dans cette action à trois dimensions, l'Europe est une chance : elle permet de renforcer notre puissance, elle donne des modèles pour les Etats, elle amplifie notre effort de préparation de l'avenir.
Ce n'est pas elle qui nous impose les réformes. C'est plutôt un cadre de pensée et d'avenir.
L'Europe aujourd'hui, c'est ce qui nous permet de regarder en avant et de désobéir à notre propre nostalgie.
Conclusion : un peu de l'âme française dans l'âme européenne
Je veux enfin, avant de finir, vous transmettre une ambition que porte notre pays.
L'Europe aujourd'hui doit avoir une âme, au-delà des directives. L'Europe aujourd'hui doit être une idée créatrice, pas des règlements destructeurs.
Je crois que la France doit inspirer l'Europe : elle doit lui donner les grandes idées d'humanité, comme elle a su le faire dans le passé.
Hier, les Lumières et les droits de l'homme. Aujourd'hui, la conscience de la planète, la promotion de la diversité mondiale et l'équilibre des puissances.
La France peut être l'inspiratrice d'une Europe porteuse d'un message universel.
Mais, rassurez-vous, cette inspiration doit être plurielle : la France ne doit pas être seule à féconder l'Europe.
Chers amis, chers Européens,
Je veux formuler un vu, en ce jour heureux : par le mouvement, par la création, par l'échange, nous pouvons continuer à inventer un modèle européen, fondé non pas sur le culte de l'argent ou de l'égoïsme individuel, mais d'abord sur des valeurs, des engagements et des projets.
L'Europe nous y engage, l'Europe nous le permet : je compte sur vous !
Souvenez-vous de l'humanisme de Montaigne :
" on forme sa vie à l'école des autres ".


(Source http://www.dialogue-initiative.com, le 6 juillet 2004)