Texte intégral
ASSASSINS EN PUISSANCE
1 décembre 2003
Echaudé par l'opprobre qui a sanctionné sa défaillance lors de la canicule de cet été, le gouvernement réagit cette fois-ci rapidement. Pour trouver des solutions susceptibles d'aider le personnel hospitalier débordé par trois épidémies de grippe, bronchiolite et gastro-entérite ? Que non ! Mais pour dégager par avance ses propres responsabilités.
Pour le gouvernement, les principaux coupables sont les malades eux-mêmes qui, au lieu d'aller chez les médecins en cabinet, vont vers les services d'urgence des hôpitaux.
Mais, pendant que les ministres sont occupés à se trouver par avance des excuses et à dégager leur responsabilité du désastre qui menace, les hôpitaux publics sont débordés alors qu'il s'agit de faire face à trois épidémies somme toute banales en cette période de l'année. Comme lors de la canicule, c'est au personnel, aides-soignants, infirmières, médecins, de tenter de compenser l'incapacité du gouvernement de prévoir et surtout de prendre les mesures nécessaires.
Pourtant, tout le monde connaît les raisons de la situation de crise du système hospitalier. Les hôpitaux publics manquent d'argent, manquent de moyens, manquent de personnel. La prise en charge correcte des malades est en passe de devenir impossible même en temps ordinaire. Aux services d'urgence des grandes villes, il faut attendre des heures, entassés souvent dans les couloirs. Et, si la maladie décelée au service d'urgence se révèle grave, comment hospitaliser le patient s'il n'y a pas de lit libre ni de personnel pour s'occuper du malade ?
Depuis des mois, sinon des années, le personnel hospitalier et le personnel médical tirent la sonnette d'alarme pour annoncer des catastrophes à venir. Et, pendant ce temps, comme si de rien n'était, le gouvernement actuel, comme d'ailleurs son prédécesseur, continue à supprimer des lits, à fermer des services, voire des hôpitaux entiers. La raison invoquée est, chaque fois, la non rentabilité. Comme si un hôpital devait être rentable ! Dans une société un tant soit peu humaine, la notion même de rentabilité en matière de santé serait considérée comme une aberration. C'est à la collectivité d'assurer l'équilibre budgétaire du système de santé. Mais l'argent de la collectivité, l'argent des impôts va à l'armée et, plus encore, est drainé vers les entreprises privées sous forme de subventions, d'aides, de facilités fiscales en tout genre.
Le service public de la Santé est aussi maltraité que l'Education nationale ou les transports publics. Mais, dans le cas de la Santé, les conséquences sont dramatiques et visibles.
Non seulement, on n'accorde pas à l'hôpital public les moyens dont il a besoin mais, en plus, on livre à la médecine privée les interventions les plus rentables en chirurgie ou en obstétrique. Il n'est pas étonnant que les services jugés peu rentables, comme les urgences justement ou encore la gériatrie, laissés au secteur public, soient de plus en plus débordés.
Face à l'urgence, le ministre de la Santé accuse les médecins libéraux de ne pas être assez disponibles. Mais, à supposer que ceux-ci -que le gouvernement, par ailleurs, favorise- ne soient pas à la hauteur des circonstances, pourquoi donc le gouvernement ne les réquisitionne-t-il pas ? Pourquoi se contente-t-il de faire la morale aux malades pour leur reprocher de ne pas avoir trouvé des médecins libéraux de permanence le week-end alors qu'ils sont parfois introuvables ?
Gouverner c'est prévoir, dit-on. Mais la seule chose que le gouvernement sait prévoir, ce sont les coups répétés qu'il distribue à la population laborieuse. La rigueur hivernale n'est même pas encore arrivée. Si les hôpitaux ont déjà du mal à faire face, que se passera-t-il quand le froid arrivera ? Après les quinze mille morts supplémentaires de la canicule cet été, combien cet hiver ? Si, de la part du gouvernement, ce n'est pas de l'homicide par imprudence, qu'est-ce que c'est ?
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 4 décembre 2003)
8 décembre 2003
LES RESTAURANTS DU COEUR, DANS UNE SOCIETE SANS COEUR
Avec le retour du froid, les préfectures de soixante-deux départements ont déclenché le niveau 2 du "plan d'urgence hivernale". C'est que le gouvernement Raffarin, qui a vu sa cote de popularité s'effondrer cet été, pour s'être montré totalement inefficace dans la lutte contre les conséquences de la canicule, ne voudrait pas revivre la même situation, à cause cette fois d'une vague de froid. Tant mieux pour les sans abri si quelques places supplémentaires au chaud leur sont ainsi proposées. Mais l'ouverture de ces quelques refuges ne diminue en rien la responsabilité des pouvoirs publics d'une part, du système économique dans lequel nous vivons d'autre part, dans le fait qu'en France, l'un des pays les plus riches de la planète, des centaines de milliers de gens sont condamnés à la misère.
Il y aurait aujourd'hui dans ce pays 200 000 sans abri. Il y a selon l'Insee 3,7 millions de personnes vivant en dessous du seuil officiel de la pauvreté, c'est à dire avec moins de 579 euros par mois (moins de 3 800 F) pour une personne seule. Et c'est 700 000 pauvres de plus en un an.
Qui aurait dit, en 1985, lors de la création des restaurants du coeur, que non seulement ils existeraient encore dix-huit ans plus tard, mais que le nombre de pauvres amené à les fréquenter pour pouvoir survivre croîtrait d'année en année.
Pourtant au cours de ces dix-huit années, la quantité de richesses produites n'a cessé d'augmenter. Même avec le taux de croissance réduit qu'a connu l'économie française, cela représente une progression de près de 60%. Mais ces richesses ne se sont pas traduites par une diminution du nombre de pauvres. Une petite minorité s'est fortement enrichie. La grande majorité, c'est à dire l'ensemble des travailleurs, des retraités, ont vu leur niveau de vie stagner, ou régresser, quand ils n'ont pas été précipités dans la pauvreté.
Car la situation économique n'est pas mauvaise pour tout le monde. Les industries du luxe se portent bien. Les images que l'on a pu voir récemment à la télévision sur le salon nautique montraient des constructeurs heureux, parce qu'il y avait une clientèle pour acheter les palaces flottants qui leur étaient proposés.
Mais à l'autre bout de la société, il y a les victimes des fermetures d'entreprises, des plans de suppression d'emplois, de la précarité du travail, de la réduction des indemnités de chômage : des hommes et des femmes dont certains finissent par sombrer dans la misère.
Et non seulement l'Etat, le gouvernement, ne font rien contre cela, mais ils sont partie prenante, au côté du patronat, dans l'offensive menée pour réduire sans cesse la part des salariés dans la répartition des richesses. La politique de Chirac et Raffarin, c'est d'alléger la fiscalité en ce qui concerne les plus riches et les entreprises, c'est de multiplier les exemptions de charges sociales au bénéfice de ces dernières, c'est de réduire les indemnités de chômage, de s'en prendre au régime des retraites et à la Sécurité sociale, dans la continuation de la politique des gouvernements des vingt dernières années.
La gauche au gouvernement n'a pas mené une politique différente, en son temps, parce qu'elle ne voulait pas s'en prendre à la racine du mal, c'est à dire à la véritable dictature qu'exercent les grandes puissances d'argent sur la vie économique.
Aujourd'hui, le Parti Socialiste dans l'opposition fait mine de critiquer Raffarin. Mais il se contente de dire aux travailleurs que la prochaine fois, ils devraient voter pour lui. Or ce qui est nécessaire, c'est d'obliger les entreprises à rendre leurs comptes publics ; c'est de supprimer le secret bancaire, le secret commercial, qui empêchent les travailleurs de s'informer mutuellement, et de savoir d'où vient l'argent et où il va ; c'est d'interdire les licenciements collectifs, en particulier dans les entreprises qui font des bénéfices.
Et ces mesures indispensables, la classe ouvrière a la possibilité de les imposer, à un gouvernement de droite comme à un gouvernement de gauche, pour peu qu'elle prenne conscience de la force que lui donnent son nombre et sa place dans la production.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 9 décembre 2003)
LA MAIN SUR LE COEUR, C'EST PAREIL QUE SUR LE PORTEFEUILLE !
Le 15/12/2003
Les autorités américaines ont présenté l'arrestation de Saddam Hussein, comme un grand succès, même si Bush a précisé qu'elle ne marquait pas "la fin de la violence en Irak". De fait, l'encre des communiqués de victoire n'était pas encore sèche que de nouveaux attentats secouaient Bagdad !
La découverte du "trou à rat", dépourvu de tout moyen de communication, dans lequel était caché Saddam Hussein, réduit à néant la légende de l'ancien dictateur orchestrant du fond de son réduit les actions dirigées contre les troupes US. Les attentats à la voiture piégée, les embuscades dans lesquelles tombent régulièrement des soldats américains, ne sont pas seulement le fait des nostalgiques du régime déchu ou de groupes islamistes isolés. Les sentiments de toute une partie de la population qui voit que l'Irak est occupé par une armée étrangère qui a la gâchette facile, y compris contre des enfants, des femmes et des hommes désarmés, ne peuvent que renforcer ceux qui s'opposent aux troupes des Etats-Unis. Et si la capture de Saddam Hussein est pour Bush une bonne chose, du point de vue électoral, d'ici les élections américaines de 2004, la situation risque fort de continuer à se dégrader pour l'armée US.
Il n'est pas sûr non plus que Bush puisse mettre sur pied le procès à grand spectacle de Saddam Hussein dont on parle aujourd'hui. Car comment organiser celui-ci sans que remontent à la surface les complicités qui ont uni, pendant des dizaines d'années, le dictateur irakien et les dirigeants des grandes puissances, non seulement les Etats-Unis, mais aussi, entre autres, la France.
Président auto-proclamé de l'Irak depuis 1979, après avoir liquidé bon nombre des cadres de son propre parti, Saddam Hussein était alors bien considéré par les capitales occidentales. Il fut reçu à Matignon, et Chirac, alors premier ministre, l'assura de son "amitié personnelle". Entre les dirigeants français et le dictateur irakien, ce n'étaient d'ailleurs pas que des liens platoniques. La France a vendu de la technologie et de l'uranium à l'Irak pour lui permettre de construire le réacteur nucléaire de Tammouz, détruit par l'aviation d'Israël, qui ne voulait pas que l'Irak puisse se doter d'armes nucléaires. Quand Saddam Hussein lança son armée contre l'Iran, pour une guerre qui allait durer huit ans et faire des centaines de milliers de morts, il bénéficia de l'appui des Etats-Unis comme de la France. En 1982, par exemple, la France fournit 15 milliards de francs d'armement à l'Irak. En 1990, un nouvel accord financier entre la France et l'Irak était sur le point d'être signé... quand l'armée irakienne envahit le Koweit.
C'est à partir de là que tout changea dans les relations entre les grandes puissances et Saddam Hussein. Les Etats-Unis, et derrière eux les impérialistes de seconde zone, dont la France, voulurent démontrer qu'ils n'acceptaient pas que leur chien de garde morde pour son propre compte. La guerre du golfe de 1991 obligea l'Irak à évacuer le Koweit. Mais quand les Kurdes au nord, les chiites au sud, se soulevèrent contre le régime, les dirigeants occidentaux conclurent immédiatement un cessez le feu avec le dictateur irakien, en se lavant les mains de ce qu'il adviendrait aux insurgés. Mieux valait cela aux yeux des occidentaux qu'une révolte populaire incontrôlée.
Douze ans plus tard, les appétits pétroliers des trusts américains aidant, après avoir écrasé sous les bombardements les villes irakiennes, Bush junior a entrepris de régler définitivement le sort de Saddam Hussein, en prétendant qu'il agissait ainsi pour rechercher des armes de destruction massive que l'Irak n'avait pas ou plus. Mais l'hypocrisie des discours de Bush est du même acabit que celle des dirigeants français réclamant, la main sur le coeur, de pouvoir participer à la "reconstruction" de l'Irak, c'est à dire de permettre aux grandes entreprises françaises de tirer leur part de bénéfices de la guerre.
Mais il est vrai que la main sur le coeur... ou sur le portefeuille, le geste est le même.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 17 décembre 2003)