Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec "Algérie presse service", sur les relations franco-algériennes, le partenariat entre l'Union européenne et les pays du sud de la Méditerranée, et la situation au Proche-Orient et en Irak, Alger le 11 juillet 2004.

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Circonstance : Voyage en Algérie de Michel Barnier les 12 et 13 juillet 2004

Média : Algérie presse service - Presse étrangère

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, vous vous rendez à Alger pour votre première visite officielle, depuis votre accession à la tête de la diplomatie française. Quelle portée accordez-vous à cette visite ? Peut-on en connaître les objectifs ?
R - Je suis heureux d'effectuer cette première visite en Algérie rapidement après ma prise de fonction, de rencontrer mon homologue et d'être reçu par le président Bouteflika, mais aussi de découvrir votre pays et d'aller à la rencontre de ce peuple ami du peuple français auquel tant de liens nous unissent. Notre relation est singulière et vivante. Nous y tenons et nous tenons à l'enrichir encore.
Mon premier objectif est de mettre en oeuvre les décisions arrêtées lors du déplacement du président de la République à Alger le 15 avril dernier pour développer une nouvelle phase de l'approfondissement de nos relations bilatérales. Après les élections présidentielles algériennes du 8 avril, nous devons définir ensemble les prochaines étapes concrètes qui permettront de nourrir la nouvelle dynamique à l'oeuvre entre nos deux pays. Mon deuxième objectif est de poursuivre notre dialogue politique sur les questions régionales et internationales, qui a pris consistance et ampleur durant ces dernières années.
Q - Monsieur le Ministre, comment envisagez-vous l'approfondissement du dialogue politique entre Alger et Paris et le renforcement du partenariat stratégique établi par les présidents Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika ?
R - La visite d'Etat en France du président Bouteflika en juin 2000 et celle du président de la République ici en mars 2003 ont conduit à un développement considérable de notre relation. Nous construisons ensemble un véritable partenariat d'exception à la hauteur des sentiments et des attentes de nos deux peuples, ensemble tournés vers l'avenir mais sans occulter un nécessaire travail de mémoire. Jamais nos relations n'ont été aussi fortes et diverses. Continuons sur cette voie ! Nous avons tant à faire ensemble : diversifier nos échanges économiques, culturels et humains ; soutenir les réformes politiques et économiques courageusement engagées par les autorités algériennes ; agir ensemble pour la consolidation d'un espace euro-méditerranéen intégré, qui est pour nous un espace de solidarité prioritaire ; miser, enfin, sur les relations humaines exceptionnelles qui existent à travers les communautés algérienne en France et française en Algérie.
Q - Monsieur le Ministre, la coopération entre la France et l'Algérie est qualifiée de part et d'autre d'excellente et d'exceptionnelle. Quels mécanismes sont prévus pour sa consolidation ? Qu'en est-il de la préparation du traité d'amitié entre la France et l'Algérie ? Quel contenu sera donné à ce traité ? Le partenariat économique et commercial entre l'Algérie et la France reste quelque peu en deçà des attentes des deux pays. Quelles sont les actions à mener, selon vous, pour le renforcer et l'ouvrir à d'autres acteurs de la sphère économique ?
R - Nous mettons en place, par un dialogue constant, des mécanismes adaptés pour concrétiser ce partenariat d'exception sur la base de la déclaration d'Alger du 3 mars 2003. Comme convenu entre nos deux chefs d'Etat, un traité d'amitié va être préparé avec pour objectif une conclusion en 2005. Politique, concret mais aussi visionnaire, il devra couvrir l'ensemble du champ de nos relations. Je souhaite qu'il puisse marquer fortement cette volonté d'avancer ensemble, en mettant toute notre énergie à tracer les voies d'un avenir partagé. Il devra aussi prendre en compte, à nos yeux, les perspectives de l'intégration maghrébine et les progrès de l'unification européenne.
D'autres mécanismes sont en place ou vont être créés, comme le Comité des projets et le Haut-Conseil de coopération universitaire et de recherche en ce qui concerne la coopération bilatérale. Je tiens également beaucoup à la réalisation rapide de notre projet d'Ecole franco-algérienne des affaires sur la base d'un partenariat public/privé.
Nos relations économiques et commerciales sont excellentes comme l'a montré la visite de M. Sarkozy, les 4 et 5 juin dernier. La France est le premier partenaire économique et financier bilatéral de l'Algérie et nous utilisons toute la gamme des outils de coopération dans ce domaine, dont la conversion de dettes en investissements pour 110 millions d'euros. Il n'y a pas de frilosité des entreprises françaises mais au contraire un intérêt réel et durable pour l'Algérie. Nos entreprises ont retrouvé le chemin de l'Algérie, et c'est l'un des meilleurs signes de la vitalité de la relation franco-algérienne.
Nous voulons pleinement participer à tous les grands chantiers du développement économique de votre pays. Je constate la montée en puissance de leurs investissements directs dans tous les secteurs. Les sociétés françaises ont ainsi signé pour un milliard d'euros de grands contrats en 2003.
Q - Monsieur le Ministre, pour la France la Méditerranée est une priorité. Pensez-vous qu'il est nécessaire de relancer le processus de Barcelone ? Ne doit-on pas envisager une rénovation et une refondation de ce processus après l'élargissement de l'Union européenne et les perspectives d'adhésion de la Turquie ? Faut-il, selon vous, repenser les accords d'association qui lient l'Union européenne aux pays du Maghreb ?
R - La Méditerranée est notre espace commun, historique et culturel. La France tient effectivement à approfondir le processus de Barcelone et à préserver sa spécificité. L'élargissement de l'Europe à l'Est est une excellente chose ; la France y tenait ; notre continent s'est retrouvé autour de l'idéal européen et démocratique. Avec l'élargissement, ce sont dix pays qui se sont joints au dialogue euro-méditerranéen.
Mais cette évolution ne doit pas diminuer la priorité stratégique que nous accordons à la Méditerranée. Vous pouvez compter sur la France à cet égard. Nous ferons, avec d'autres, des propositions à l'occasion du 10ème anniversaire du Processus de Barcelone, en 2005, pour en améliorer le fonctionnement, l'efficacité, la compréhension par les populations.
Les accords d'association entre l'Union et les pays du Sud de la Méditerranée doivent être pleinement appliqués. Nous avons proposé, lors de la Conférence euro-méditerranéenne de Naples en décembre 2003, de créer un partenariat renforcé entre les pays du Maghreb et l'Union européenne autour de projets économiques communs dans les domaines des infrastructures, de l'énergie et de l'environnement. J'ai proposé également une réflexion pour adapter les méthodes qui ont fait leurs preuves pour les fonds structurels européens à des régions pilotes du Maghreb dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen. Enfin, la France s'est engagée à soutenir le processus de rapprochement continu entre l'Algérie et l'Union européenne, dont nous souhaitons que l'accord d'association soit ratifié le plus rapidement possible par l'Algérie et tous les Etats membres.
Q - Monsieur le Ministre vous venez d'effectuer une visite remarquée au Proche-Orient. Quelle initiative la France pourrait prendre pour la relance du processus de paix au Proche-Orient et de l'application de la Feuille de route du Quartet ?
R - Notre objectif, qui est aussi celui de l'Union européenne, demeure inchangé : une paix négociée, juste et durable fondée sur le droit international. La Feuille de route reste le meilleur moyen d'y parvenir. Tous nos efforts doivent tendre vers l'application de ce plan que l'Union européenne a contribué à concevoir. Nous considérons que le retrait israélien de Gaza peut être une étape utile de la mise en oeuvre de la Feuille de route, mais une étape seulement d'un processus d'ensemble : la Feuille de route appelle clairement à ce qu'il soit mis fin à l'occupation commencée en 1967.
L'Egypte s'est engagée concrètement et aide les Palestiniens sur les questions de sécurité ; c'est très positif, pour les Palestiniens mais aussi pour les Israéliens. Car Israël, comme tout Etat, a droit à la sécurité.
Comme vous le savez, je suis allé tout récemment à Ramallah et j'y ai rencontré le président Arafat. Il a tenu à cette occasion des propos positifs sur la contribution de l'Egypte et les réformes. Il faut que ces engagements soient mis en oeuvre. Parallèlement, bien sûr, il faut des gestes de la part des Israéliens car l'occupation crée des conditions de plus en plus difficiles pour le peuple palestinien. Il faut aussi cesser la construction du mur sur le tracé actuellement suivi : l'avis que vient de rendre la Cour internationale de justice sur ce point est très clair.
Par ailleurs, nous encourageons les initiatives de paix qui éclairent la Feuille de route et maintiennent l'espoir d'une solution négociée, comme l'Initiative de Genève.
Q - Monsieur le Ministre, quelle évaluation faites-vous de la situation actuelle en Irak ? Pensez-vous que le 30 juin a marque un réel retour à la souveraineté des Irakiens ?
R - La fin de l'occupation et la prise de fonctions d'un gouvernement souverain, intervenues le 28 juin 2004, ouvrent une nouvelle page de l'histoire de l'Irak. De longue date, la France a préconisé un tel changement pour permettre aux Irakiens de retrouver la maîtrise de leur destin. La résolution 1546 adoptée par le Conseil de sécurité de l'ONU confère désormais au gouvernement intérimaire irakien tous les attributs de la souveraineté et une autorité complète pour diriger le pays jusqu'aux élections prévues en janvier prochain. C'est désormais à cet exécutif d'assumer ses responsabilités et de relever les défis auxquels il est confronté, qu'il s'agisse du rétablissement de l'ordre public, de l'élargissement du processus politique ou de la préparation du scrutin de janvier 2005.
La France, à titre national ou par le truchement des instances multilatérales et européennes, est prête à travailler avec le gouvernement de M. Allaoui pour contribuer au succès de cette transition et à la reconstruction de l'Irak.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 juillet 2004)