Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur l'histoire du jardin du Luxembourg, au Sénat le 6 juillet 2004.

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Circonstance : Inauguration de l'exposition "Mémoire du Luxembourg : du jardin des Chartreux au jardin du Sénat" au Sénat le 6 juillet 2004

Texte intégral

Monsieur l'Académicien,
Monsieur le Président,
Mes chers Collègues,
Mesdames, Messieurs, chers Amis,
Je suis particulièrement heureux de cette circonstance qui me permet d'associer un nouvel événement culturel organisé par le Sénat et une manifestation de mémoire de notre propre histoire.
Lorsque cette idée d'exposition m'a été proposée par les représentants de La grande Chartreuse, j'ai tout de suite accepté pour une double raison.
La première résidait dans le respect que je porte à ces moines, les Chartreux qui consacrent leur vie à la contemplation. Cette retraite du monde ne saurait être, en effet, assimilée à de l'égoïsme ou à une fuite. C'est une manière très particulière, à la fois de vivre sa foi et d'élever, si je puis me permettre, le niveau spirituel de ses contemporains.
Dans un monde que l'on dénonce à juste titre comme trop matérialiste, la réflexion des Chartreux, quelles que soient nos convictions philosophiques, nous interpelle. Elle nous paraît, plus que jamais, répondre à un besoin de l'humanité tout entière et, en particulier, de celle qui vit dans l'abondance tout en étant à la recherche d'un sens à sa vie.
La seconde raison tient à l'histoire du Luxembourg dont le Sénat est à la fois l'héritier, la mémoire et le gardien.
Pourquoi ne pas le dire, j'ai été étonné que du silence de La grande Chartreuse, monte cet appel à la mémoire de ce jardin alors que la Chartreuse de Paris a quitté ces lieux depuis maintenant plus de deux siècles. Le Président d'une assemblée permanente ne pouvait être insensible à ce magnifique exemple de continuité et à cette volonté de transmission.
J'ai ainsi découvert, avec surprise, qu'à la mémoire historique du Sénat dont son patrimoine est le témoin, s'ajoute une autre mémoire parente, j'allais dire une mémoire soeur.
Elle révèle une partie de nous-mêmes dont nous connaissions l'existence mais dont nous sous-estimions l'importance.
Perpétuer, 400 ans après, la remise par le maréchal d'Estrées de la recette du fameux élixir aux Chartreux aurait été un prétexte bien mince et bien insuffisant pour justifier l'organisation d'une manifestation d'une telle ampleur. En fait, avec cette exposition, le Sénat et la Chartreuse vont permettre au public du Luxembourg de comprendre enfin l'énigme que représente ce jardin.
Aujourd'hui, c'est l'ancien jardin royal qui domine, avec le caractère rectiligne des parterres sur lesquels nos jardiniers veillent avec amour. Jardin de prestige que la République, à travers le Sénat, met aujourd'hui à la disposition de tous.
Comment comprendre alors ces éléments de fantaisie que l'on rencontre à l'écart des grands parterres et au bout des terrasses : cette tradition arboricole et horticole que nous entretenons, les centaines d'espèces de pommes et de poires que nous cultivons, les milliers d'orchidées que nous conservons et créons dans nos serres, ce rucher paisible qui demeure une attraction du jardin.
Eh bien oui, comme il y a un bicamérisme au Parlement, il y a un bicamérisme du jardin.
Cette exposition, dans ce lieu symbolique occupé les trois-quarts du temps par nos orangers et nos arbres les plus fragiles, fait revivre cette dualité.
Nous pouvons enfin nous rendre compte de ce que fut cette rencontre, au XVIIe siècle, entre ce palais équilibré, certes, mais impérieux et donc expression de la " France d'en-haut " dirait quelqu'un, avec ce jardin agricole, émanation de la " France d'en-bas ", dirait le même. L'exposition permet de voir par-dessus le mur qui sépare ces deux jardins.
L'alambic des Chartreux ne distille pas seulement un élixir qui demeure apprécié dans le monde entier et, parfois, dans des milieux inattendus :je me suis laissé dire qu'il s'agissait d'une boisson " branchée " dans les bars de New-York et de Londres.
Cet alambic distille deux mémoires qui se rencontrent enfin après une longue séparation.
Ces retrouvailles sont rendues possible par une exposition exemplaire par son caractère pédagogique et la simplicité audacieuse et talentueuse de son scénographe.
Je ne peux m'empêcher, en ce moment, d'avoir une pensée émue et respectueuse envers tous ces moines de La grande Chartreuse qui, par définition, ne peuvent venir mais qui savent que cet événement a lieu. Cette exposition est un don que nous acceptons avec humilité.
Cette exposition est aussi une aventure, fruit d'un travail commun entre mon Cabinet, les services de la société La Chartreuse Production et ceux du Sénat.
Je tiens à dire que, rarement, une exposition a su à ce point concilier l'enracinement propre au Sénat et sa volonté d'ouverture exprimée et concrétisée par la politique ambitieuse que nous menons depuis quelques années. A travers elle, nous souhaitons partager avec le plus large public non seulement nos richesses patrimoniales, mais aussi diverses formes de créations de l'esprit.
Bref, en un mot, cette exposition est un moment d'équilibre dont on aimerait qu'il puisse se prolonger à l'infini.
Merci de permettre à notre assemblée de montrer qu'en vérité, elle est aussi le gardien d'une tradition d'excellence à travers l'entretien de ce jardin exceptionnel.
Jardin royal jadis, jardin républicain aujourd'hui, jardin public toujours.
Jardin arboricole, lieu de créations et d'expérimentations, oui, ce jardin que le hasard de l'histoire a confié au Sénat est, au fond, parfaitement en harmonie avec la vocation de notre institution : contribuer à la vie de la République et de nos institutions en étant le porte-parole de tous ces territoires qui donnent une chair, une valeur et leurs vertus à une République qui, sans le Sénat, serait peut-être moins humaine, trop hautaine et plus lointaine.
Jardin d'hier et jardin d'aujourd'hui nous permettent de concilier, d'une part, cette distance nécessaire aux institutions pour qu'elles demeurent des repères, et, d'autre part, cette proximité, le maître mot de la politique d'aujourd'hui, qui correspond à une attente de nos concitoyens.

(Source http://www.senat.fr, le 9 juillet 2004)