Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé, sur l'autorisation d'importation de cellules souches issues d'embryons humains et les perspectives de recherche ainsi ouvertes, Brétigny sur Orge le 5 octobre 2004.

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Circonstance : Déplacement de M. Philippe Douste-blazy, ministre de la santé, à la clinique Béclère du Professeur Frydman, à Brétigny sur Orge le 5 octobre 2004

Texte intégral

Si J'ai décidé de signer un décret autorisant les chercheurs français à importer des cellules souches embryonnaires, c'est d'abord parce qu'ils attendaient cette décision depuis cinq ans.
Elle leur permettra d'explorer un nouveau champ scientifique qui va de la biologie du développement au traitement éventuel de certaines maladies graves. Des polémiques nombreuses ont entouré cette décision. En effet, le décret que j'ai signé autorisera pour la première fois les biologistes français à manipuler des cellules d'embryons humains.
C'est souvent l'ignorance des enjeux qui engendre la peur et peut, si l'on n'y prend garde, alimenter les craintes les plus démesurées. C'est pourquoi je souhaite lancer aujourd'hui un débat clair où l'hypocrisie n'a plus sa place. Oser tout dire aux Français sans rien cacher. C'est la seule solution pour laisser les chercheurs s'aventurer dans ce monde inconnu où seul le respect de l'éthique et un strict contrôle démocratique peuvent nous protéger d'inacceptables dérives.
J'ai donc décidé d'autoriser l'importation de lignées de cellules souches, certes, mais pas n'importe lesquelles et surtout, pas n'importe comment : elles proviendront d'embryons humains ne faisant plus l'objet d'un projet parental et non d'embryons spécialement conçus pour la recherche, comme l'a récemment autorisé la législation britannique. En France, aucune importation ne se fera sans l'accord formel des parents. Dès janvier, aucune autorisation ne sera délivrée à une équipe de recherche sans l'accord formel de l'agence de bio-médecine, créée par la loi de bioéthique et rassemblant les meilleurs experts scientifiques et éthiques. Enfin, les résultats des expériences seront soumis chaque année à la conscience et au jugement éthique du parlement. De la rigueur du contrôle dépend l'audace de notre recherche.
Depuis quelques années, la médecine s'est engagée dans une voie nouvelle, dite régénérative : au lieu de guérir par l'acte chirurgical ou le médicament, on cherche à utiliser des cellules saines prélevées chez des adultes consentants pour les greffer dans des organes malades. En 2000, une équipe française de l'hôpital européen Georges Pompidou a pour la première fois implanté des cellules de quadriceps dans un myocarde défaillant. Au même moment, certains utilisaient des cellules pour tenter de régénérer le cerveau de patients atteints de la maladie de Parkinson. D'autres encore, permettaient aux diabétiques de se libérer de leur injection quotidienne d'insuline en leur transplantant des cellules pancréatiques.
Ces nouvelles thérapies n'en sont encore qu'à leurs balbutiements. Mais déjà, on leur reconnaît une limite : les cellules souches d'adultes, de moelles sanguine ou de muscles, gardent le plus souvent l'identité de l'organe dont elles sont issues. Les cellules souches embryonnaires, en revanche, ont cette plasticité qui devrait garantir une parfaite intégration du greffon dans l'organe receveur. La revue Nature Biotechnology publie justement cette semaine un article démontrant qu'un cur dont les circuits électriques ont été interrompus peut continuer à battre si on lui greffe des cellules souches d'embryons humains. Ces expériences, certes menées sur des animaux, sont porteuses d'un immense espoir au service de la vie.
C'est pour cela que nous devons laisser les chercheurs chercher ! Explorer. Découvrir.
Avec le décret qui vient d'être publié, ils se familiariseront avec les embryons déjà existants et indésirés. Demain, la prochaine étape sera peut être la création intentionnelle d'embryons humains pour qu'on puisse greffer aux malades leurs propres cellules.
Sur ce sujet qui touche au mystère même de la vie, je tiens cependant à être bien clair : L'ouverture d'esprit nécessaire au débat futur sur la création d'embryons pour soigner certaines maladies n'a d'égal que la sévérité avec laquelle il faut condamner cette création si elle a pour but de donner naissance à un être humain artificiel. Le clonage reproductif, jamais !
Dans la loi de bioéthique du 6 août dernier, j'ai inscrit le clonage reproductif comme " crime contre l'espèce humaine ". Je demande aujourd'hui à la communauté internationale d'avoir le courage de faire de même, en mandatant l'ONU pour en rédiger la résolution dès la réunion de sa sixième commission, courant octobre. On ne peut plus attendre : la condamnation internationale du clonage reproductif est le seul moyen de garantir l'intégrité de notre espèce et d'engager sereinement le nécessaire débat sur le clonage thérapeutique.
Je remercie les professeurs Frydman et Pucéat pour la présentation de leurs travaux. Grâce au professeur Frydman, j'ai pu observer la technique de fécondation in vitro. Celle-ci permet de créer des embryons dont la majorité ont un projet parental. Pour les embryons qui ne font plus l'objet d'un tel projet, la loi de bioéthique autorisera au printemps prochain les chercheurs à en extraire des lignées de cellules souches. Grâce au professeur Pucéat, nous avons puis voir ce matin qu'elle utilisation thérapeutique on peut espérer de ces lignées, puisqu'il réalise déjà des expérimentations similaires sur des cellules souches animales. Le professeur nous a en effet montré des cellules souches palpiter au microscope, car elles ont été cultivées pour devenir des cellules cardiaques. Elles seront pour la première fois greffées sur des primates au centre de Primatologie de la base militaire de Brétigny sur Orge, dans une dizaine de jours. Cette étape est primordiale car les greffes sur primates permettent d'obtenir des conclusions sur la transposition éventuelle de la technologie à l'homme, ce qui n'est pas le cas des autres animaux.
Les expériences de Brétigny sur Orge sont donc un moment historique dans l'évolution de la thérapie cellulaire.
IL existe quatre à cinq laboratoires en France réalisant des manipulations sur cellules souches embryonnaires d'animaux.
Le dispositif transitoire prévu par le décret sur l'importation de cellules souches étrangères a été mis en place pour que les chercheurs puissent commencer à travailler en attendant que le décret, prévu pour le printemps 2005, organise la recherche sur les embryons surnuméraires existants dans les laboratoires français. En prévision de cet événement, j'ai décidé de commencer dès aujourd'hui la transparence totale sur ce sujet : j'ai demandé une estimation officielle du nombre d'embryons humains actuellement congelés dans les laboratoires, car il y a encore un mois, nous n'en savions rien : et je peux vous dire aujourd'hui, pour la première fois, qu'il y a 118 379 embryons dont 22 113 depuis plus de 5 ans. Mais attention, 55% de ces embryons font encore l'objet d'un projet parental. Il n'est donc pas question d'y toucher. Pour les autres, et après accord formel du couple concerné, le décret fixera les règles, au printemps prochain. En attendant, les chercheurs utiliseront les cellules souches embryonnaires étrangers, importés sous forme de lignée, en respectant les protocoles édictés par les pays exportateurs.
le dispositif transitoire permet de donner des autorisations aux chercheurs dans un délai permettant de répondre à l'appel d'offres européen. Bien que transitoire et mis en place rapidement, il offre des très grandes garanties de sécurité puisqu'il reprend les termes de la loi et fixe les critères sur lesquels devra s'appuyer la décision. Celle-ci sera basée sur l'analyse d'un dossier dont le contenu est précisé et s'appuiera sur l'avis d'un comité de 16 personnes (six représentants des corps constitués, six experts scientifiques, quatre représentants d'associations).
Après le décret créant le dispositif transitoire l'autre étape importante est la constitution de l'agence de bio-médecine qui doit intervenir en janvier 2005.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 7 octobre 2004)