Entretiens de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, avec des radios et télévisions françaises le 16 janvier, à RFI et Europe 1 le 19 janvier 2004, sur les relations franco-américaines à propos de la défense européenne, la lutte contre le terrorisme, le conflit en Irak et la situation actuelle en Côte d'Ivoire.

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Média : Europe 1 - Radio France Internationale - Télévision

Texte intégral

Entretien du ministre de la défense avec des radios françaises, le 16 janvier 2004.
Q- Vous venez de rencontrer Donald Rumsfeld et Condoleezza Rice, quel est globalement le sentiment après ces deux entretiens ?
R- D'abord mon sentiment, c'est qu'il y a une véritable volonté de tourner la page des tensions entre les Etats-Unis et la France. Cela se manifeste à la fois dans l'ambiance de ces conversations mais également dans, par exemple, les appréciations très positives qui sont portées sur le rôle de la France en Afghanistan. C'est également la façon de discuter, d'aborder des sujets de fond avec une grande qualité d'écoute de la part de mes interlocuteurs et de vraies discussions par exemple, sur l'Europe de la Défense que l'on ne pouvait peut-être pas avoir au cours des derniers mois, on avait parfois l'impression qu'il y avait un certain blocage.
Bref, j'ai vraiment eu l'impression que la situation s'était débloquée et qu'il y avait une envie de reprendre des relations normales.
Q- Quand vous dites "tourner la page", cela veut dire qu'on ne parle plus de ce qui a fâché mais qu'on ne parle plus que de ce qui unit ou en tout cas réunit les positions des deux pays ?
R- Je crois que c'est une bonne analyse effectivement, nous savons que nous avons eu des divergences, des divergences fortes sur un sujet. Eh bien, je crois maintenant qu'il y a une volonté de part et d'autre d'ailleurs de regarder l'avenir et, par conséquent, d'avoir une attitude constructive face aux multiples problèmes qui se posent à nous dans le monde et que nous avons eu l'habitude depuis des années d'essayer de régler ensemble notamment les problèmes de la lutte contre le terrorisme ou les actions pour essayer de faire retrouver à certains pays leur stabilité.
Q- Vous dîtes "de part et d'autre". Est-ce que cela veut dire que dans un cadre onusien ou par l'OTAN la France peut envisager finalement d'envoyer des troupes en Irak ?
R- Non, écoutez, là je crois que c'est tout à fait hors de propos et hors de temps. D'ailleurs, nous n'avons pas du tout parlé de l'Irak avec Donald Rumsfeld et si nous en avons parlé avec Condoleezza Rice, c'est pour évoquer la reconstruction, pour dire qu'il fallait qu'en Irak, les Irakiens retrouvent le plus rapidement possible à la fois la maîtrise de leur destin mais également une situation positive avec un fort besoin de reconstruction dans un pays où on manque encore d'eau, d'électricité, de conditions sanitaires et d'éducation. J'ai fait part, lorsque les Irakiens auront retrouvé leur souveraineté, de la disponibilité de la France à participer à cette reconstruction notamment pour former, pour participer à la formation de l'armée, de la police ou de la gendarmerie, et ceci notamment en liaison avec nos amis allemands.
Q- Mais pas d'envoi de troupes ?
R- Vraiment ce n'est pas le genre de sujet qui puisse être en quoi que ce soit à l'ordre du jour.
Q- A quelles conditions la France pourrait envoyer des soldats en Irak et pour quelle mission ?
R- Il n'est pas question que la France envoie des soldats en Irak. Nous sommes restés toujours sur le même principe. Ce que nous souhaitons, c'est que le plus rapidement possible les Irakiens retrouvent leur souveraineté. Et quand ce sera fait nous sommes disponibles pour participer à la reconstruction de l'Irak, par exemple, notamment à la formation de la future armée, de la future police et de la future gendarmerie irakiennes en liaison avec les Allemands.
Q- Un dernier point. Sur la Côte d'Ivoire, vous avez évoqué le sujet avec Condoleezza Rice. Quelles sont les évolutions ? Est-ce que les Etats-Unis sont favorables à une force des Nations Unies en Côte d'Ivoire?
R- Oui, j'ai évoqué la situation en Côte d'Ivoire pour faire part notamment des avancées récentes de cette situation et pour exprimer le souhait de la France, comme celui des pays africains, qu'une force de l'ONU puisse participer au désarmement.
Q- A propos des deux Saint-Cyriens qui sont morts récemment, est-ce que vous avez des nouvelles de l'enquête ?
R- Ecoutez, j'ai demandé une enquête de commandement, en ce qui concerne le Ministère de la Défense. C'est quelque chose qui prend un certain temps parce qu'il faut voir l'ensemble détaillé. A priori, il ne semble pas y avoir eu de faute. Mais cela, c'est l'enquête du commandement qui le dira. Pour cela, il faut voir les conditions de la préparation, de l'organisation de cette opération. Il faut attendre encore un peu. Nous sommes aujourd'hui, et d'abord, dans l'émotion et dans la tristesse. Je présiderai les cérémonies en l'honneur des deux Saint-Cyriens samedi après-midi aux Invalides.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 20 janvier 2004)
Entretien du ministre de la défense accordé à des télévisions françaises, le 16 janvier 2004.
Q- Vous avez donc rencontré Donald Rumsfeld. Est-ce qu'on va faire quelque chose en Irak, formation, éventuellement envoi de troupes, on en parle, finalement quelle est la conclusion ?
R- Je ne sais pas d'où est partie cette idée d'envoi de troupes en Irak. Nous sommes toujours sur la même position, c'est-à-dire que nous souhaitons que, le plus rapidement possible, les Irakiens se voient transférer le pouvoir correspondant à leur souveraineté. Et à partir de ce moment là, nous sommes disponibles pour participer à la reconstruction de l'Irak.
Cela peut prendre plusieurs formes. Cela peut notamment prendre la forme d'un domaine dans lequel nous avons de l'expérience, celui de la formation de la future armée nationale irakienne, de la police et de la gendarmerie. Dans ce cas là, nous l'envisageons avec nos partenaires et amis allemands qui ont marqué leur disponibilité en la matière.
Q- Mais ambiance décrispée quand même ?
R- Tout à fait. Je dois dire que j'ai vraiment le sentiment qu'une page a été tournée, que l'Administration américaine souhaite que cette page soit tournée et que dorénavant, la France et les Etats-Unis puissent investir sur l'avenir, si je puis dire, et resserrer les liens qui ont fait que nous nous sommes toujours retrouvés en train de combattre ensemble contre le terrorisme, pour essayer de rétablir des situations de stabilité dans un certain nombre de pays.
R- A quoi vous attribuez ce changement de ton de la part des Américains ?
R-Je pense qu'il est dû à plusieurs choses. Mais le Président Bush, le 15 décembre, avait déjà marqué que pour lui, le tournant devait être pris. Il y a eu des périodes de tension avec la France. Je crois que, aujourd'hui, les Etats-Unis souhaitent que nous reprenions des relations cordiales et des relations positives.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 20 janvier 2004)
Entretien du ministre de la défense sur RFI, le 19 janvier 2004.
Q - Vous venez d'accomplir ce qui ressemble bien à une mission de réconciliation entre la France et les Etats-Unis après la crise irakienne. Vous avez rencontré à Washington Donald Rumsfeld et Condoleezza Rice. En juin prochain, le président Bush est attendu en France, il va commémorer avec solennité, le 60ème anniversaire du débarquement allié en Normandie. Est-ce qu'on va réussir à célébrer sans arrière-pensée cet anniversaire ? Est-ce que la réconciliation entre Washington et Paris est totale ?
R- Nous avons vécu une année 2003 très difficile pour les relations entre la France et les Etats-Unis, mais je dirais d'une façon générale entre l'Europe et les Etats-Unis. Avec les Etats-Unis, nous avons un certain nombre d'idéaux qui sont les mêmes, la démocratie bien sûr - et nous voudrions donc qu'elle puisse être installée dans tous les pays -, et de la même façon, les Droits de l'homme. Nous avons aussi, il faut bien le dire, un certain nombre de différences sur l'économie. Nous avons des différences parce que nos structures de sociétés sont elles-mêmes différentes, mais je crois qu'il faut faire de cette différence un " plus ", un enrichissement de notre capacité à écouter les autres et à agir, plus qu'une différence. C'était le message que j'ai apporté à Washington. Et j'ai eu le sentiment que mes interlocuteurs comprenaient ce que l'on pouvait tirer de cette différence, qu'ils avaient une réelle volonté de dire : " nous avons eu des divergences, cette page est tournée, regardons maintenant "
Q- Ils considèrent vraiment que la page est tournée eux aussi ?
R- C'est ce qu'ils m'ont dit. Je n'ai donc pas de raison de ne pas les croire, surtout que lorsque nous avons abordé un certain nombre de problèmes, il est vrai que je les ai trouvés plus à l'écoute, et peut-être plus soucieux de comprendre ce qu'étaient nos analyses par rapport à la dernière fois lorsque j'y étais allée.
Q- On sait que les deux points de divergences essentiels, c'est l'Irak et la construction de cette entité de défense européenne, qui gêne beaucoup Donald Rumsfeld. Est-ce que sur ces deux points, il considère que les choses sont aplanies, les problèmes sont aplanis ?
R- Oui. Je crois que Donald Rumsfeld a peut-être découvert un certain nombre de réalités. J'ai essayé de lui faire comprendre pourquoi l'Europe de la Défense ne devait pas être regardée comme venant " contre " l'Alliance atlantique et encore moins " contre " les Etats-Unis, mais comment au contraire cela pouvait être un élément de complémentarité et même de renforcement de l'Alliance atlantique et de l'OTAN. Et je crois que pour la première fois peut-être, ce langage m'a semblé être reçu. En ce qui concerne l'Irak, je n'en ai pas parlé avec Donald Rumsfeld, mais assez longuement avec Condoleezza Rice. Et je dirais que là aussi, ce que nous avons regardé, c'est plus ce qui allait se passer dans les temps à venir, plutôt que le passé.
Q- Selon le Pentagone, les discussions que vous avez eues avec Donald Rumsfeld étaient des discussions franches et ouvertes sur le plan diplomatique. Ce n'est pas très, très chaleureux. Est-ce qu'il y a eu des reproches à la vieille Europe ? Est-ce qu'il y a eu des demandes particulières faites à la France, de la part de monsieur Rumsfeld ?
R- Il n'y a pas eu du tout de reproches faits à la vieille Europe. Je crois au contraire qu'il y a le souci de faire oublier ses propos.
Q- Ses propos ?
R- Exactement. Et la volonté d'avancer. Ce qu'il y a eu en particulier de la part de Donald Rumsfeld, ce sont des remerciements pour l'action que les militaires français mènent dans la lutte contre le terrorisme.
Q- C'est une coopération exemplaire ça ?
R- C'est une coopération exemplaire, tout particulièrement dans le domaine du renseignement et dans le domaine également de l'intervention de nos forces spéciales. Nous avons longuement parlé de ces problèmes.
Q- De la présence des forces spéciales dans le Sud de l'Afghanistan ?
R- De la présence des forces françaises à Kaboul, de la formation de l'Armée nationale afghane et de la présence des Forces spéciales également en Afghanistan. Nous avons également parlé de l'Afrique, et aussi de la situation dans plusieurs pays africains.
Q- En Côte d'Ivoire ?
R- En Côte d'Ivoire.
Q- La Côte d'Ivoire que vous avez évoquée aussi avec Kofi Annan, puisqu'il y a un projet de résolution qui prévoit qu'une force de maintien de la paix de 6 000 hommes des Nations Unies arrive bientôt en Côte d'Ivoire. Ce projet de résolution devrait être voté au Conseil de sécurité. Apparemment, il y a des réticences américaines justement sur ces forces de maintien de la paix. Pourquoi ?
R- J'ai longuement parlé avec Condi Rice de la Côte d'Ivoire et de ce souhait, qui est celui des Africains comme celui de la France, de voir des soldats de l'ONU s'occuper et être responsables de la partie regroupement et désarmement prévue dans les Accords de Marcoussis. Il nous paraît normal que cela soit ainsi. Du côté des Américains, et en particulier de madame Rice, je n'ai pas du tout trouvé de réticences. Je crois qu'elle a au contraire très bien compris et la nécessité de cette force et la nécessité d'un envoi rapide. Nous n'avons pas évoqué ce qui a paraît-il été avancé par l'ambassadeur des Etats-Unis aux Nations Unies et qui d'ailleurs ne portait pas sur le fond, si j'ai bien compris, mais sur le fait qu'il estimait que le nombre de militaires de la force devait être de
Q- 6 000 hommes ?
R- 6 000 hommes, c'était trop et on aurait pu, selon lui, se contenter de 4 000. Je dois dire que ce sujet est à voir entre le Secrétariat général des Nations Unies et les Américains. Mais Madame Rice elle-même me paraissait très positive sur l'ensemble de ce dossier.
Q- Est-ce que Madame Rice a évoqué avec vous l'éventualité d'une implication de la France en Irak ? Et vous a-t-elle en particulier confirmé ce que le président Bush a annoncé à Monterrey, à savoir l'ouverture aux entreprises françaises de contrats de reconstruction en Irak ?
R- Nous avons effectivement évoqué la situation en Irak, l'analyse qu'elle en faisait elle-même et celle que nous faisions de cette situation. Je lui ai redis que nous avions effectivement des domaines dans lesquels nous avions une expertise reconnue, en particulier dans le domaine de la formation d'une armée irakienne, dans le domaine de la formation d'une police ou d'une gendarmerie, en liaison avec nos amis allemands qui se sont également déclarés disponibles pour cette opération dans les mêmes conditions que nous, et éventuellement avec les Japonais. Je recevais d'ailleurs jeudi matin, avant mon départ pour les Etats-Unis, le ministre japonais de la Défense, qui m'avait fait part de son souhait de pouvoir aussi participer le cas échéant à une action de ce type. Et je dois dire que Madame Rice a très, très bien reçu et d'une façon extrêmement positive, cette attitude de la France.
Q- Donc aucune confirmation sur les contrats éventuels pour les entreprises privées ?
R- Non. C'est le président Bush qui a effectivement fait part de cette ouverture à de nouveaux pays, dont la France, de contrats de reconstruction. La France en a pris acte. Ce n'est pas mon domaine et je n'avais pas à en parler au cours de ce voyage.
Q- Alors aujourd'hui se déroule une grande réunion à New York avec Kofi Annan et les représentants du conseil du gouvernement intérimaire irakien ainsi que Paul Bremer. Les Américains se sont faits un petit peu tirer l'oreille pour participer à cette réunion. Il est question évidemment de l'avenir de l'ONU en Irak. Est-ce que monsieur Kofi Annan vous a donné des précisions sur ce qui pourrait se passer dans les mois qui viennent ?
R- Non. Kofi Annan m'a effectivement parlé de cette réunion d'aujourd'hui. Il en tire une certaine satisfaction, puisque c'est vrai que c'est la reconnaissance du rôle essentiel et de la légitimité de l'ONU dans toute action. C'est donc un progrès considérable par rapport à ce qui s'est passé il y a quelques mois. Il attendait ensuite de savoir quelles seraient les attentes formulées et surtout les modalités. Il est vrai que l'ONU peut intervenir tout à fait légitimement après le 1er juillet. C'est d'ailleurs ce qu'il envisage. Le problème est un peu de savoir ce qui sera demandé pour la période qui va de maintenant au 1er juillet.
Q- Alors apparemment réconciliation avec les Amériques, réconciliation peut-être avec la Côte d'Ivoire, on parle d'une visite de monsieur Gbabgo en France, elle est prévue pour quand ?
R- Cette visite est prévue de longue date. Le président Gbabgo m'en avait parlé dès mon premier voyage en septembre dernier. Il me l'a redit lorsque je me suis rendue en Côte d'Ivoire à l'occasion des fêtes de fin d'année pour être avec nos militaires. Je l'ai rencontré à ce moment-là. Il m'a alors redit qu'il souhaitait venir en France, mais qu'il ne voulait y venir que lorsqu'il aurait des choses très positives à apporter et donc après avoir pu aller à Bouaké déclarer la fin de la guerre.
Q- Deux mots de politique pour terminer, madame, puisque au bout de deux ans, on peut dire que vous avez vraiment réussi votre challenge. Une femme à la tête des armées en France. Vous avez séduit manifestement aussi bien les troupes que les Français, puisque les sondages vous donnent dans le tiercé gagnant avec messieurs Sarkozy et Villepin. Vous devez être fière. Vous êtes prête à d'autres responsabilités éventuelles ?
R- Ecoutez, je ne vais vous dire que cela ne me fait pas plaisir que d'avoir ces résultats. Je crois que c'est aussi une incitation à essayer de faire encore mieux dans ce poste tout à fait passionnant et où il y a encore beaucoup de choses à faire.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 20 janvier 2004)
Entretien du ministre de la défense sur Europe 1, le 19 janvier 2004.
Q- Merci d'être ici, à votre retour de Washington et malgré le décalage horaire. Vous l'avez remarqué, toute la France est choquée. Elle condamne et elle commente l'attentat parfaitement organisé contre Aïssa Dermouche, le nouveau préfet du Jura. Est-ce qu'il y a en ce moment, en France, comme une menace de terrorisme intérieur ?
R- Non. Je ne crois pas qu'il faille exagérer les choses. Je ne crois pas non plus qu'il faille dramatiser, encore que cet attentat soit un symbole révoltant, stupide, parce qu'il n'empêchera pas la volonté du gouvernement de réaliser une totale intégration. C'est, en plus, un acte lâche parce que lorsque l'on n'a pas le courage d'exprimer autrement ses idées, quand on prend le risque d'ailleurs aussi de blesser ou tuer des gens qui pourraient par hasard passer à proximité, eh bien, on est un lâche.
Q- Mais est-ce que cela veut dire qu'il y a des extrémistes lâches selon vous, qui aujourd'hui, quels qu'ils soient, pensent qu'il faut avoir recours à la violence pour empêcher telle ou telle décision politique de la France ?
Q- Vous en avez toujours lorsque des politiques sont en train de réaliser positivement leur but. Aujourd'hui, je crois qu'il y a effectivement des générations entières de jeunes issus de l'immigration qui réussissent. J'en connais et je les vois souvent ; ils sont avocats, médecins, industriels, ingénieurs. Ils sont aussi un modèle pour les jeunes qui ont parfois des difficultés à bien s'intégrer, et c'est quelque chose qui peut beaucoup gêner un certain nombre d'extrémistes. Et plus ils sont marginalisés - parce que cette politique gouvernementale est en train de réussir -, et plus ils peuvent devenir violents. C'est aussi notre rôle, le rôle du ministre de l'Intérieur, et je dirais le rôle de tous les Français aussi, de veiller à ce que cela soit de plus en plus marginalisé, et puis peut-être aussi d'essayer de leur faire comprendre que ce n'est pas une voie non plus.
Q- Il faut dire, ou est-ce qu'il faut que la double réponse est la laïcité et l'intégration, qu'elles seront accélérées ?
R- Elles iront à leur rythme normal, qui est d'abord un rythme législatif. Vous ne pouvez pas bousculer les procédures législatives, mais elles seront menées avec détermination.
Q- Alors, Michèle Alliot-Marie, c'est pour cela que je vous avais invitée, que vous avez accepté d'être là, vous rentrez de Washington. C'est la première fois qu'un ministre Français, si proche de Jacques Chirac, que des ministres et conseillers américains proches de George Bush, se parlent presque les yeux dans les yeux. Le climat a, dit-on, à cette occasion changé, en quoi ?
R- J'ai d'abord eu le sentiment que c'était un climat beaucoup plus détendu, un climat d'écoute. Mes interlocuteurs américains me l'ont dit ; ils ont pris acte des difficultés que nous avions eues dans nos relations durant toute l'année 2003. Ils ont la volonté de tourner la page sur les divergences que nous avons pu avoir à propos de l'Irak. Je leur ai aussi redit que nous n'avions pas changé notre position ni notre analyse, mais qu'il fallait maintenant regarder aussi le futur.
Q- Alors on va voir ce que cela va donner.
R- Il y a tout simplement la volonté d'essayer de lever ce climat de défiance qui avait été entretenu par certains aux Etats-Unis.
Q- D'ailleurs on a noté que Donald Rumsffeld qui est souvent brutal, direct, a mis cette fois les formes et des nuances, il vous connaît comme vous le connaissez, vous avez senti chez lui aussi, comme chez Condi Rice, qui vous a très bien reçue, des inflexions ?
R- Très nettement, à la fois sur l'ambiance et sur la volonté d'écouter. Avec Donald Rumsfeld, nous avons eu un très long entretien, probablement l'un des plus longs que j'ai eus avec lui depuis 18 mois. Nous avons pu aborder tous les sujets, c'est-à-dire notamment les sujets des rapports de l'Europe et des Etats-Unis, de l'Europe de la défense et de l'Alliance Atlantique, de l'OTAN. Nous avons également abordé tout ce qui concerne notre coopération très étroite dans la lutte contre le terrorisme, notamment en Afghanistan.
Q- Et est-ce qu'ils comprennent mieux la politique de la France ? Et est-ce que parce que c'était la ministre de Jacques Chirac ou parce que c'était vous ?
R- Non. Il est évident que je ne fais que refléter les décisions du Président de la République et la politique du gouvernement. Que j'aie des relations personnelles avec les gens me permettent de mieux faire entendre cela, c'est une bonne chose. Et c'est mon rôle d'essayer de faire le plus possible pour détendre l'atmosphère et pour essayer de construire la paix. C'est aussi le rôle du ministre de la Défense que d'essayer d'agir pour la paix.
Q- Alors prenons le cas de l'Irak, est-ce qu'ils vont accélérer le transfert du pouvoir aux Irakiens ou ils respecteront la date du 30 juin ?
R- Ce que j'ai entendu pendant ces deux jours aux Etats-Unis, c'est effectivement d'avoir un gouvernement irakien légitime à partir du 1er juillet prochain. Ceci dit, la venue de M. Bremer aujourd'hui à l'ONU à côté des Irakiens pour rencontrer Kofi Annan, est sans doute aussi une volonté d'aborder cette phase de transition avec un souhait de transfert à l'ONU de davantage de pouvoir et davantage d'action. Cela pose cependant aussi beaucoup de problèmes, y compris d'ailleurs aux Nations Unies elles-mêmes.
Q- Est-ce qu'on peut imaginer le retour des Nations Unies en Irak ?
R- Nous verrons bien sûr le retour des Nations Unies en Irak à partir du 1er juillet, c'est une évidence. Il faut simplement, et Kofi Annan me l'a confirmé, qu'il y ait un mandat qui soit clair, qui soit explicite et qui fixe un certain nombre de buts.
Q- Donc il faut une nouvelle résolution ?
R- Probablement. Le problème qui se pose aujourd'hui est plutôt celui de cette phase transitoire où j'ai le sentiment que les Américains aimeraient que l'ONU joue un plus grand rôle et où l'ONU elle-même hésite, parce qu'elle souhaite qu'il y ait une visibilité très claire de son action, ce qui n'est pas facile dans les phases de transition.
Q- Est-ce que les Américains pourraient annoncer leur retrait militaire progressif d'Irak d'après ce qu'ils vous ont dit.
R-Ecoutez, nous n'avons pas abordé ces problèmes. Nous avons plutôt redit, notamment avec madame Condi Rice, quelle était la vision et quels étaient également les problèmes qui se posaient aujourd'hui aux Américains. Comme ces problèmes peuvent d'ailleurs se poser à l'ensemble de la communauté internationale pour la phase future.
Q- Michèle Alliot-Marie, est-ce que les Français pourront alors, dans la deuxième phase de transition, contribuer davantage et enfin à la reconstruction de l'Irak ? Est-ce que les entreprises françaises sont permises d'y aller...
R- Notre position n'a pas changé en la matière. Le Président de la République a toujours rappelé que, dès lors qu'un certain nombre de conditions seraient remplies, la France serait prête à aider à la reconstruction de l'Irak, dans le domaine par exemple de la formation de la future armée irakienne, de la police irakienne. Ensuite, nous avons pris acte de ce que le président Bush a dit : dans une deuxième phase effectivement de nouveaux pays seraient appelés à participer aux contrats de reconstruction de l'Irak...
Q- Dont la France, et on vous l'a confirmé ?
R- Dont la France, ce qui m'a été effectivement confirmé pendant mon séjour.
Q- Est-ce qu'ils vous ont révélé comment et quand sera jugé Saddam Hussein ?
R- Non. Nous n'avons pas du tout abordé ces questions. Nous avons abordé des questions de la lutte contre le terrorisme. J'ai d'ailleurs reçu les remerciements et les félicitations pour l'action que menaient les militaires français aux côtés des militaires américains, que ce soit en Afghanistan ou dans un certain nombre d'autres pays. Je dois dire que notre savoir-faire est unanimement salué.
Q- Est-ce qu'on vous a confirmé que le président Bush viendra en France en juin pour les 60 ans du débarquement en Normandie ?
R- Je sais que le président Bush sera en Europe à cette époque. Nous verrons ce qu'il en sera. Ce serait, je dirais, un certain symbole, mais avant les symboles, il y a je crois un certain nombre d'actes qui vont intervenir, manifestant effectivement ce rapprochement entre les Etats-Unis et la France.
Q- Dernière remarque, et on va très vite, cette semaine vous-même et votre collègue du gouvernement Tony Blair, vous devez vous mettre d'accord, vous devriez vous mettre d'accord sur le nom du prochain directeur de l'Agence de l'armement. chacun a son candidat, c'est évident, comment trancher ? vous pensez que la décision sera prise là ?
R-La décision pour la désignation du premier président en quelque sorte de l'Agence européenne de l'armement, qui est un élément très important manifestant justement l'existence de l'Europe de la défense, devrait être prise cette semaine. Je vais d'ailleurs appeler cet après-midi Geoff Hoon, mon collègue britannique, pour que nous essayons de nous mettre d'accord.
Q- Cela pourrait être un Français, le premier ?
R- Oui, nous avons en effet un candidat français qui est un excellent candidat. A partir du moment où nous sommes l'un des pays moteurs de la construction de l'Europe de la Défense, cela nous paraîtrait normal, un peu symbolique, que ce soit un Français qui commence cette première présidence.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 20 janvier 2004)