Conférences de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur l'amélioration des relations entre la France et le Rwanda et sur la recherche de la paix dans l'Afrique des Grands lacs, Kigali le 15 janvier 2000.

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Circonstance : Voyage de M. Charles Josselin en Tanzanie les 12 et 13, en Ouganda le 14, et dans le Rwanda le 15 janvier 2000

Texte intégral

Conférence de presse :
Dernière étape d'un voyage qui m'a conduit de Dar-es-Salam à Kigali en passant par Arusha et Kampala. L'étape rwandaise revêtait à mes yeux une importance singulière car il est de notoriété que la relation entre la France et le Rwanda est délicate et méritait d'être revisitée. C'est ce que mon voyage avait l'ambition de faire. Bien entendu, à Kigali, comme dans les autres capitales, j'ai souhaité avoir l'analyse des responsables politiques locaux en l'occurrence le vice-président Kagamé, nous avons pu parler de la situation intérieure du Rwanda, des Accords de Lusaka et bien sûr, de la coopération entre la France et le Rwanda, une coopération d'ailleurs qui s'exerce, qui se développe normalement mais qui devrait je l'espère, connaître de nouveaux thèmes tels que la santé, la justice le logement, l'éducation pour ne parler que des principaux chapitres de cette coopération. Vous avez tout à l'heure entendu pour certains d'entre vous le général Kagamé tirer lui-même les conclusions de cette visite. Je crois avoir atteint l'objectif que je m'étais fixé et que m'avait demandé d'atteindre le Premier ministre, M. Jospin, avec bien sûr l'accord du président de la République. Dans quelques jours, le dossier des Grands lacs sera à nouveau évoqué, cette fois à New York, dans le cadre d'une réunion provoquée par les Etats-Unis qui actuellement président le Conseil de sécurité. J'aurai l'occasion d'y participer et je pourrai, bien entendu, profiter et faire profiter des informations reçues au cours de ce voyage qui avait été précédé au mois de novembre par un autre voyage dans la région où j'avais rencontré d'autres responsables, je rappelle que j'avais rencontré le président Museveni, le major Buyoya et Laurent-Désiré Kabila.
Q - Vous venez d'évoquer votre rencontre avec le vice-président de la République, vous reconnaissez vous-même que la relation entre la France et le Rwanda a été délicate pendant les six dernières années ; après avoir discuté avec le général Kagamé, avez-vous l'impression que la situation évolue ?
R - Je crois que le vice-président Kagamé, comme nous-mêmes, sans vouloir oublier le passé, sans renoncer les uns et les autres à ses propres analyses, à ses propres explications entendons privilégier la relation au présent et surtout la coopération pour l'avenir. C'est ce qui explique probablement que nous n'ayons pas eu de difficultés particulières pour nous mettre d'accord sur ces priorités-là.
Q - Pouvez-vous être plus précis ? Y a-t-il vraiment une décrispation ?
R - J'espère qu'il n'y en aura plus, je suis confiant mais c'est l'avenir qui pourra nous rassurer complètement là encore. Je crois que la relation entre dans une nouvelle phase, j'en suis convaincu, pas seulement parce que le temps fait son uvre, mais je le répète, la volonté des autorités rwandaises est bien d'accorder la priorité, à tout ce qui peut aider le Rwanda, à la fois en ce qui concerne sa sécurité, son développement et son intégration dans la région. Je crois que le Rwanda sait que la France peut être, pour tout cela, un partenaire. Elle l'est déjà par sa propre coopération, elle l'est au travers du Fonds européen de développement dont la France assure le quart, ce qui en fait le premier bailleur et de loin, ce qui veut dire qu'à chaque fois qu'une opération est faite au Rwanda grâce à l'Europe, la France en supporte le quart. Mais au sein des instances multilatérales, le FMI, la Banque mondiale, le Rwanda sait aussi que la France est un acteur important et je pense que ceci explique sans doute l'attitude positive qu'a eu mon interlocuteur ce matin vis-à-vis de nous. J'ai même été jusqu'à dire que les réflexions conduites en France sur cette histoire n'ont pas forcément abouti aux conclusions que d'aucun aurait souhaité ici, mais elles ont eu un effet de catharsis sur les Français qui facilite aussi la reprise d'une autre relation avec le Rwanda. Si je ne craignais d'être accuser de mélanger l'important et ce qui l'est moins, je pourrais dire aussi que l'image qu'a la France du Rwanda depuis quelques semaines s'est trouvée embellie par le choix d'une Rwandaise lors d'une compétition récente. La France avait déjà une bonne opinion du Rwanda et des Rwandais en particulier, elle a été confirmée.
Q - Quels sont les points de contentieux qui demeurent encore entre la France et le Rwanda ?
R - Je vais répondre à vos deux questions par une seule réponse, je ne crois pas qu'il faille poser le problème en termes de contentieux qui aurait été dissipé. Lors de mon premier voyage dans la région, il est exact que Kigali n'était pas au programme. Kampala était au programme même si je n'y étais pas car j'ai dû me rendre à Dar-es-Salam pour les obsèques de M. Nyerere où j'ai rencontré le président Museveni. Kigali n'était pas au programme, sans doute parce que je ne pouvais pas multiplier les étapes, peut-être que le temps n'était pas tout à fait venu. Des signes positifs ont été exprimés, je pense par exemple à la résolution d'un vieux dossier, j'allais presque dire un vieux contentieux celui-là qui était la maison du Loiret qui traînait depuis très longtemps. Nous avons également entendu tel ou tel responsable rwandais exprimé, parfois publiquement, parfois dans des conversations, qui nous ont été rapportées car elles étaient faites pour cela aussi, avec tel ou tel responsable africain que le Rwanda souhaite aussi peut-être une autre relation avec la France. J'ai personnellement beaucoup insisté pour que, dans l'organisation de ce voyage, Kigali soit prévu. Je suis satisfait je l'ai dit tout à l'heure d'avoir pu accomplir cette étape qui pour moi aura été aussi un moment d'émotion en sachant toute cette histoire, émotion plus forte encore en passant devant le mémorial qui est proche de l'aéroport en pensant à toutes les victimes du génocide.
Q - (inaudible)
R - Merci d'avoir fait observer que la France n'était pas le seul pays incriminé puisqu'aussi bien, d'autres, la Belgique, les Etats-Unis, les Nations unies dans leur ensemble ont aussi fait l'objet de reproches. Vous faisiez allusion à l'étude conduite par la mission d'enquête parlementaire, je le disais à l'instant, je sais que les autorités rwandaises en attendant d'autres conclusions. Je crois que cette mission a été menée avec beaucoup de sérieux, d'honnêteté ; cette étude a mis en évidence certaines erreurs d'appréciation, c'est incontestable. Certaines incapacités à réagir ou à fléchir certaines décisions aussi rapidement qu'il eût fallu.
Nous sommes convaincus que ces conflits, les réponses ou les solutions à ces conflits doivent pouvoir faire l'objet d'une approche globale qui prenne en compte à la fois les questions de sécurité, les questions de développement, les questions de transitions démocratiques mais qui permettent aussi à la communauté internationale de se mobiliser pour réunir les moyens nécessaires au développement de cette région, y compris pour aider à financer les mutations que la solution des ces conflits implique. Faut-il rappeler le problème des réfugiés, c'est un énorme dossier que le dossier des populations dites déplacées. Voilà bien une question centrale car si on ne règle pas durablement la question des réfugiés, on ne règle pas durablement la question de la paix dans cette région des Grands lacs, en tout cas, c'est notre conviction. Mais, j'y insiste, il ne faut pas non plus que cette conférence des grands lacs apparaisse comme se substituant aux Accords de Lusaka ou au Processus d'Arusha. Il est indispensable que ces deux initiatives pour la paix sur lesquelles des engagements ont été pris puissent être conduites à leur terme. La conférence des Grands lacs aurait pour mérite de conclure de globaliser et surtout, je le répète, de mobiliser la solidarité internationale. Qui doit en prendre l'initiative ? J'ai dit : les Africains et je sais qu'ayant dit cela, je n'ai pas totalement fait avancer la situation. Est-ce l'OUA ? En tout cas, c'est aux Africains d'en décider. J'observe pour conclure que tous les responsables interrogés, tous les chefs d'Etat que j'ai cités, que j'ai rencontrés au cours de ces derniers voyages m'ont dit leur adhésion au principe d'une telle conférence. Je crois pouvoir dire aussi que le vice-président Kagamé adhère lui aussi à cette idée.
Pour les Rwandais, Arusha peut renvoyer au TPI, mais Arusha signifie " c'est aussi autre chose ". C'est un processus de réconciliation et de paix au Burundi qui a été entrepris sous la responsabilité de Julius Nyerere. La mort de celui-ci a stoppé un peu le processus, et a d'ailleurs probablement aussi été le signal de recrudescence des violences et des réactions que nous avons déplorées de la part des autorités burundaises. C'est le président Mandela, qui demain matin, réunit à Arusha précisément les différentes personnes concernées. Nous lui souhaitons évidemment bonne chance de même que nous souhaitons bonne chance au président Museveni pour l'action dont il va devoir se préoccuper pour le dialogue inter-congolais qui est aussi une grande question./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2000)
Entretien avec la presse à la sortie de l'entretien avec M. Paul Kagamé, vice-président du Rwanda :
Q - Vous étiez le premier représentant d'un gouvernement français à se rendre au Rwanda, estimez-vous aujourd'hui que les relations entre Kigali et Paris sont complètement décrispées ?
R - Je crois que nous avons pu quand même nous inscrire désormais dans l'avenir et pas seulement revenir au passé. Il ne s'agit pas d'oublier ce dernier et mon voyage avait pour objectif de parler du présent et de l'avenir et en particulier de voir comment la France pouvait contribuer à faire avancer le processus de paix, ce qui me paraît tout à fait essentiel.
Q - Justement, Paul Kagamé dit que la France peut jouer un rôle dans les conflits à caractère interactif dans la région. Comment voyez-vous ce rôle et la France y est-elle prête ? Comment concevez-vous ce rôle ?
R - La France est prête à jouer ce rôle, en concertation avec les partenaires européens. J'ai dû aller à Londres avant de me rendre dans les Grands lacs. J'aurai des concertations avec mes collègues européens à Lisbonne. Nous sommes aussi en concertation avec les Américains et bien sûr, il y a encore un rôle à jouer dans la mobilisation de la communauté internationale, à la fois pour faire pression et surtout pour mobiliser les moyens, d'abord pour rétablir la paix et ensuite, pour aider au développement de cette région. La France peut jouer un rôle : elle le fait, elle est membre permanent du Conseil de sécurité ; elle a en Afrique une Histoire singulière et les moyens d'aider aussi bien à la paix qu'au développement.
Q - Le Rwanda où vous étiez est présent militairement et économiquement avez-vous dit ce matin en République du Congo. Avez-vous redemandé à vos différents interlocuteurs en Afrique de l'Est le retrait des troupes en République du Congo ?
R - Mes interlocuteurs savaient très bien que, la France, en appuyant les Accords de Lusaka, appuie aussi le retrait des troupes étrangères, toutes les troupes étrangères de la même manière que nous appuyons ce point important qui est le désarmement des troupes négatives là-bas. Les deux éléments sont liés : désarmement des uns, retrait des autres. C'est un point tout à fait important qui sera certainement aussi évoqué à New York la semaine.
Q - Partagez-vous les doutes émis par vos interlocuteurs sur la bonne volonté ou non de M. Kabila de mettre en place le dialogue inter-congolais ?
R - J'espère d'abord que M. Kabila sera à New York, qu'au moins le Congo y sera représenté, car c'est une chance de plus pour faire avancer les Accords de Lusaka et si le Congo devait être absent à cette réunion, ce serait, je crois, un mauvais signe et nous encourageons fortement les Congolais à être présents là-bas.
Pour le reste, s'agissant du dialogue inter-congolais, je rappelle que c'est prévu par les Accords de Lusaka désormais avec le président Museveni pour pouvoir mettre en place les conditions de ce dialogue auquel devrait associé l'ensemble des opposants.
Q - Quant à la force de maintien de la paix en République centrafricaine, comment la France voit-elle cette force ? Combien d'hommes ? Quel mandat ? Quel déploiement ?
R - Sur l'importance, la France pense que 10 000 hommes seront au moins nécessaires si on veut vraiment atteindre l'objectif de maintien de la paix et aussi de surveillance de ces opérations de désarmement et de retrait. Avec les Américains qui ont une approche différente, j'espère que nous arriverons à rapprocher nos points de vues. Concernant le positionnement de cette force, il y a évidemment la ligne de front, bien savoir surveiller, observer, mais il y a aussi je crois, si on veut s'assurer de la sécurité du Rwanda et de l'Ouganda, la surveillance de la frontière est du Congo. On imagine mal que, là encore, il n'y ait pas des éléments de cette force de maintien de la paix, ne serait-ce que pour s'assurer que le retrait des troupes étrangères est effectif./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2000)