Texte intégral
Mesdames et messieurs,
Sur l'invitation de Pierre Potier, c'est avec plaisir que suis aujourd'hui parmi vous, pour célébrer le 70e anniversaire de la Fondation internationale de la Maison de la chimie. Ce plaisir est d'autant plus grand que l'amitié qui me lie à Pierre Potier est ancienne. Il a été un directeur de la recherche dont j'ai pu mesurer le charisme et l'originalité.
Je tiens à vous remercier pour ce colloque international prestigieux qui est pour moi l'occasion de vous livrer une triple conviction.
La recherche est le nerf du progrès. Dans les fulgurances d'un monde ouvert, compétitif et désordonné, c'est elle qui dessine le futur tel que nous le choisissons et non tel que nous pourrions le subir.
Le système de recherche français - c'est ma seconde conviction - est à un moment crucial de son existence. Si performant par le passé, il est aujourd'hui bousculé par l'évolution du monde.
Ma troisième conviction, c'est que les conditions d'une évolution consensuelle existent. Jamais, me semble-t-il, les défis lancés à la recherche française n'ont été aussi communément partagés. Le temps est donc venu de réfléchir et d'agir ensemble.
Mesdames et messieurs,
Au cours de leur histoire, la France et la science ont entretenu une relation étroite, parsemée de découvertes et de prestige scientifique ; une relation qui se sera, depuis le milieu du XXe siècle, ordonnée autour d'une alliance structurelle avec la puissance publique.
Mais depuis une vingtaine d'années, malgré des réussites exceptionnelles, le doute s'est peu à peu introduit dans notre modèle de recherche. Le système s'est mis à patiner, à s'enrayer. Longtemps revendiquée et tenue pour seule réponse, l'approche étroitement financière des moyens est apparue, au fil du temps, comme incomplète.
En vérité, le problème était et est, plus profond.
C'est dans un ciel scientifique en réalité peu serein depuis longtemps qu'a éclaté au début de l'année le conflit des chercheurs.
Chacun en connaît l'élément déclencheur : celui des postes. Mais chacun sait combien les causes sont plus profondes. Elles sont structurelles avec l'essoufflement du modèle public de recherche; elles sont aussi culturelles avec un relativisme ambiant qui n'épargne pas la science et la perception même du progrès par les Français. C'est une crise existentielle que la révolte des chercheurs a révélé au grand jour. Suis-je utile ? Suis-je respecté ? Suis-je bien organisé ? Voilà les interrogations qui taraudent l'esprit des femmes et des hommes - en particulier les plus jeunes - qui n'ont d'autre passion que celle des idées et de la découverte.
J'ai estimé qu'il fallait immédiatement mettre un terme à ce conflit. Il fallait en sortir et en sortir par le haut, en rétablissant le dialogue et la confiance, et en ouvrant parallèlement le chantier de la rénovation.
Avec François d'Aubert, nous avons noué un contrat avec les chercheurs : nous avons réglé la question immédiate des postes; en contrepartie, les chercheurs se sont engagés à participer à la réflexion sur la réforme du système. C'est tout l'objet des États généraux pilotés par le Comité d'initiative et de propositions animé par les professeurs Beaulieu et Brézin.
Je tiens d'emblée à saluer leur travail qui alimentera la loi d'orientation et de programmation prévue pour le début de l'année prochaine.
Cette nécessaire modernisation de notre système de recherche ne s'engage pas sur des sables mouvants. Dans bien des domaines de la science, nous continuons à être les premiers de cordée. Notre recherche bénéficie d'un potentiel humain extraordinaire. Il doit bénéficier des moyens, des structures et des formes d'organisation qui lui permettront de s'exprimer plus puissamment encore sur la scène mondiale. L'objectif n'est donc pas de réformer de fond en comble un système qui a longtemps fait ses preuves et qui a ses traditions. Selon le vu des chercheurs eux mêmes, il faut trouver un nouvel élan en débloquant certaines des règles, structures et habitudes qui freinent leur ambition : la quête de l'excellence.
Le moment n'est pas encore venu pour moi d'énoncer les propositions du gouvernement. Le débat dans le cadre des États généraux, et plus largement dans toute la société, doit d'abord être mené à son terme. Ce n'est qu'à son issue que j'arrêterai le contenu du projet de loi.
Mais je veux vous dire aujourd'hui comment j'aborde ce défi intellectuel et politique.
Mesdames et messieurs,
Cette réforme n'est pas une affaire réservée du Gouvernement, ni même des chercheurs.
Le malaise de la recherche correspond aussi à une crise de confiance entre la société et le monde de la recherche. Nos concitoyens comprennent que le grand rêve du XVIIe siècle, celui de l'homme " maître et possesseur de la nature ", est en passe de se réaliser. Ils savent que la science nous offre ce pouvoir.
Mais dans le même temps, ils s'interrogent : est-ce seulement un pouvoir positif ? Est-il exercé au profit de l'humanité ou obéit-il à la seule logique de la science ? Quels sont les risques pour l'homme et pour la nature ? La science pouvant transformer l'essence même du vivant, ce questionnement renvoie aux fondements éthiques les plus intimes de notre civilisation.
Dans ce contexte, les chercheurs ne se sentent pas toujours compris dans et par une société qui semble à la fois tout attendre du progrès et tout craindre de la science. C'est pourquoi, et même si la recherche est en partie indépendante de la demande sociale, il convient d'aider les chercheurs à renforcer leur légitimité vis-à-vis de la société.
Cela passe par une meilleure compréhension des aspirations des uns et des autres. Les Français doivent pouvoir mieux comprendre comment la recherche prépare l'avenir. Les chercheurs ont le devoir de s'expliquer, mais aussi le droit au doute et à l'incertitude. C'est la richesse de la dialectique qui s'établira entre la société et le monde de la recherche qui créera les conditions d'une responsabilité partagée à l'égard du progrès.
Cette dialectique est d'autant plus vitale que nous vivons dans un monde fondé sur la connaissance.
Ce qui permet les changements très rapides auxquels nous assistons, c'est l'économie de la connaissance dont la recherche est le moteur. L'expression " économie de la connaissance " est entrée dans les murs : elle caractérise la structure intégrée de nos économies occidentales.
Elle signifie que le facteur " savoir " a vu sa contribution relative à la croissance économique et sociale augmenter considérablement, au détriment des facteurs classiques. Le savoir n'est plus simplement pour une donnée avec laquelle il faudrait composer : il est devenu une variable sur laquelle on peut et on doit agir.
Ce phénomène a été rendu possible par la mondialisation, que l'on peut caractériser par une croissance exponentielle de la vitesse de circulation de l'information parallèlement à une diminution tout aussi rapide de son coût, et par une plus grande mobilité des échanges et de la main d'uvre qualifiée. Ainsi, dans ce monde, le savoir est devenu l'objet politique par excellence.
Oui, la question de la recherche est une question politique !
L'État a vocation à s'en préoccuper et à s'en emparer parce qu'elle est un outil de souveraineté nationale. La maîtrise de cet outil est même plus nécessaire que jamais face à la mondialisation. Pour être efficace, il doit puiser une part de sa puissance dans sa légitimité sociale.
À travers la future loi d'orientation, un nouveau pacte entre la société française et sa recherche doit être noué. Ce pacte doit être l'occasion de poser les pistes de la société que nous voulons construire.
Quel modèle de société voulons-nous ? Celui d'une société fondée seulement sur la consommation de nouveaux produits qui continueront à être issus, comme cela a toujours été le cas, de la recherche fondamentale ? Ou une société respectueuse des individus et des équilibres naturels où la recherche n'est pas conçue exclusivement comme pourvoyeuse de nouveaux biens de consommation, mais comme facteur de progrès humain et social ?
En tout cas, pour moi, dans une société toujours plus accaparée par le matérialisme consumériste, la recherche participe au combat de l'esprit contre la barbarie, à celui de la raison contre les nouvelles sauvageries.
Mesdames et messieurs,
Dans le débat, une question revient de façon lancinante : quels acteurs pour la recherche ?
La loi devra, de façon prioritaire, répondre à la question de la répartition entre le public et le privé. Elle devra mettre en lumière que l'effort national de recherche se répartit sur ces deux piliers, indispensables l'un comme l'autre à son équilibre.
En la matière, il faut une logique nouvelle prenant acte de la réalité.
La société du savoir est une société ouverte avec une économie de marché. Ne pas le reconnaître et ne pas s'y préparer, c'est courir un risque grave : celui d'être les producteurs de talents convoités et " achetés " ailleurs - si j'ose dire - sur le " marché " mondial des compétences.
J'ai fait un calcul simple : il y a aujourd'hui entre 3 000 et 4 000 chercheurs français, formés en France, mais qui exercent leur talent aux États-Unis. Si on considère que le coût moyen de leur formation oscille autour de 150 000 Euros, il suffit de multiplier ces 150 000 Euros par 4 000 et vous obtenez le montant de l'aide publique française au développement des Etats-Unis !
L'expérience de nos chercheurs expatriés est, pour eux comme pour nous un atout, mais à condition que leur retour soit possible dans de bonnes conditions.
Ne nous y trompons pas, cette mobilité internationale des scientifiques ne va faire que s'amplifier. Elle a et elle aura des aspects très positifs à condition que nous soyons capables d'offrir des perspectives à nos propres chercheurs et d'attirer les meilleurs talents de l'étranger.
Pour ce faire, il faut désormais privilégier une logique claire d'investissement et de concentration des moyens.
La France, parce que c'est la France, doit couvrir tous les champs de la science. Il faut, sur tout notre territoire, que des phares continuent de briller et que d'autres s'allument. Il faut qu'ils illuminent loin, qu'ils soient visibles de Californie ou de Shangaï. Oui, la France doit pouvoir tout faire, aucun domaine de la science ou de la pensée ne doit lui être étranger.
J'ai dit tout, mais je n'ai pas dit partout.
Cela implique de réajuster nos stratégies. Notre recherche doit être fondée sur une culture de programmation plus que de saupoudrage, de pôles d'excellence plutôt que de dispersion.
Dans le cadre de cette reconfiguration, aucune théorie, aussi libérale soit-elle, ne nie cette évidence, cet impératif : l'État doit intervenir dans la production de ce bien public qu'est la recherche. Il n'est que de voir la façon dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon, conçoivent l'intervention de la puissance publique dans la recherche fondamentale et appliquée.
L'État ne saurait s'effacer : au contraire, il doit reprendre sa place, toute sa place. Il doit faire sienne une logique d'investissement stratégique sur la base de quelques principes clairs.
Il faut d'abord un financement actif de la recherche publique, attribué sur des critères d'intérêt général et de long terme dans le cadre de l'objectif européen fixé à Lisbonne.
Il faut ensuite des politiques incitatives, en particulier fiscales, qui permettent au secteur privé de s'engager vigoureusement dans l'effort national de recherche.
Il faut enfin que l'État joue son rôle de régulateur du bien commun : les questions éthiques nouvelles que pose la science doivent être éclairées par lui. Par ailleurs, l'évolution vers la brevetabilité, portée par le monde anglo-saxon, est inéluctable. Elle nous renvoie à une interrogation importante : faut-il que la puissance publique puisse détenir un certain nombre de brevets qu'elle considère comme indispensables au bien public, qu'il soit national ou international ?
Bref, à mes yeux, il ne faut pas moins, mais mieux d'État. La recherche française a besoin d'un arbitre, d'un stimulateur, d'un investisseur de long terme ! Cette conception rénovée de l'action publique va de pair avec le respect des forces du marché. Il faut plus d'État, plus de d'acteurs privés, et plus de richesse. Les trois éléments doivent évoluer de concert.
Cette complémentarité exige d'ancrer la contribution privée dans la production du bien public.
Comment dynamiser l'investissement privé dans la recherche privée ou publique ? Comment et à quelles conditions le secteur privé finance-t-il la recherche publique ? Quelles sont les conditions d'indépendance et d'éthique nécessaires au financement de la recherche par les entreprises ? Faut-il envisager des commandes publiques passées à des sociétés privées, de façon à aider ces dernières à mettre sur le marché des innovations jugées d'intérêt général ?
Ces interrogations nous renvoient à la question des priorités de la recherche.
La recherche a besoin de liberté et elle vit de surprise.
Elle a besoin d'une certaine liberté, et, disons les choses, de gratuité apparente : dans les années 1970, le CNRS a permis à des chercheurs d'apprendre le pachtoun et de travailler sur l'Afghanistan. Qui aurait imaginé, à cette époque-là, que la question afghane, dans le contexte international, prendrait une importance si stratégique ? Sans doute un administrateur, soucieux de rentabilité immédiate, aurait-il alors décidé de couper les crédits aux spécialistes du pachtoun. Il aurait eu tort
La recherche vit - ai-je également dit - de surprise : on connaît la chronique, évidemment romancée, de la découverte de la pénicilline par Fleming. Mais c'est vrai, l'histoire de la recherche est faite de ces surprises : c'est par hasard, par exemple, qu'en 1988 une équipe de chercheurs a découvert ce que l'on appelle l'" ADN nu ", qui a ouvert la voie de la vaccination à ADN.
Liberté et surprise, certes, mais la recherche doit aussi être en résonance avec les attentes de notre société et les priorités de la Nation.
On peut en esquisser quelques-unes : la capacité de vivre plus longtemps, mais aussi de vivre mieux plus longtemps (c'est la recherche bio-médicale et pharmaceutique et les sciences de la vie) ; la capacité de mieux maîtriser le développement dans la durée (c'est ici les sciences de l'environnement) ; la capacité de comprendre les mutations du monde (c'est l'histoire et les sciences politiques) ; la capacité d'agir sur le monde (c'est la science économique et les relations internationales) ; la capacité enfin de saisir la beauté du monde, ce que l'on appelait jadis les " humanités ".
Ces priorités doivent être définies et justifiées. La question se pose donc de savoir qui en aura la responsabilité. Faut-il accroître le rôle de l'Office parlementaire des choix scientifiques et techniques ? Faut-il repenser le Conseil interministériel pour la recherche scientifique et technique ? Faut-il encore, comme le proposent certains, créer une Haute autorité de la recherche ?
La loi devra trancher.
Quoi qu'il en soit, pour mettre en uvre ces grandes priorités, il me semble essentiel de repenser l'organisation de notre système de recherche largement hérité des débuts de la Ve République.
Ce système doit être adapté aux exigences de notre temps et surtout aux défis de l'avenir. C'est pour moi l'un des mérites de la crise que nous avons traversée : la communauté française de la recherche a pris pleinement conscience que cette adaptation ne pouvait plus être différée en appelant elle-même au changement. Les débats des États généraux reflètent cette exigence et les premières propositions du CIP esquissent déjà des pistes constructives.
Il est clair à mes yeux que la future loi d'orientation et de programmation devra engager une avancée décisive sur ce sujet central.
Ici encore, la tâche du politique est de définir quelles sont les meilleures pistes à suivre collectivement. Les meilleures, non pas dans l'absolu, mais celles qui ont été explorées avec succès par les acteurs et qui sont acceptables par eux.
Le premier grand sujet que nous devons aborder est celui des rapports entre enseignement supérieur et recherche.
L'une des critiques les plus communément faites au système français, dans les évaluations internationales comme par nos chercheurs et universitaires eux-mêmes, est en effet la dichotomie, plus forte que dans n'importe quel autre pays comparable, entre notre enseignement supérieur et notre recherche. Il ne s'agit nullement de remettre en question nos spécificités, comme par exemple l'existence de statuts différents de chercheurs et d'enseignants-chercheurs ou la présence dans notre paysage des grands organismes de recherche.
Il faut que tous les acteurs se penchent sur l'organisation de ce système, pour évaluer ses performances et inventer les outils permettant de l'améliorer. À cet égard, la seule question qui vaille est de se demander comment créer les conditions d'un continuum harmonieux entre la formation à l'université et dans les grandes écoles et la recherche.
Des pistes ont déjà été abordées par les chercheurs eux-mêmes : nous les expertisons. Deux critères me semblent devoir être privilégiés : ces pistes peuvent-elles faire l'objet d'un consensus et si oui, comment définir des évolutions progressives qui permettent de nous rapprocher d'une organisation comparable aux meilleurs sur le plan international ?
La loi devra permettre de mieux répartir les compétences et les actions entre tous les acteurs de la recherche - universités, organismes, agences, pôles, fondations, entreprises - de façon à optimiser les performances du système dans son ensemble.
La politique des sites d'excellence est une réponse qui mérite toute notre attention. Certains suggèrent de créer des " campus de recherche " où se retrouveraient l'ensemble des acteurs : universités, organismes, entreprises, collectivités. Cette piste doit être creusée. Si nous décidons de nous engager dans cette voie, quel serait le statut de ces pôles ? Faut-il leur donner la personnalité morale ? À l'intérieur de ces pôles, faut-il désigner un établissement chef de file ? Leur création doit-elle se faire d'en haut, ou bien expérimentalement, sur la base du volontariat ?
Tout ceci suppose bien évidemment de repenser en profondeur la question centrale de l'évaluation de la recherche, dont j'ai cru comprendre qu'elle ne donne satisfaction à personne : ni aux responsables de laboratoires et d'organismes, ni à la puissance publique, ni aux chercheurs eux-mêmes.
Comment atteindre un consensus sur cette question difficile ? Comment avancer sur la voie de l'évaluation plus internationale que tout le monde souhaite ? Faut-il transformer l'équilibre entre membres élus et nommés dans les instances d'évaluation, comme le proposent certains chercheurs ? Là aussi nous devons prendre des décisions importantes : la loi ne pourra en aucun cas s'y dérober.
Enfin, et ce n'est un secret pour personne, l'organisation de la recherche française ne brille pas pour sa vision novatrice, juste et équilibrée de la gestion des ressources humaines.
Entre les doctorants sans bourse et les patrons de laboratoire pris par des contraintes budgétaires annuelles et sans visibilité sur l'avenir, entre les ATER et les chargés de recherche au CNRS qui souffrent parfois d'isolement, le monde des chercheurs est un monde où les sujets de mécontentements personnels ne manquent pas. Sans même parler des barrières étanches entre chercheurs, ingénieurs et techniciens qui relèvent, chacun s'y accorde, d'une conception statique inadaptée aux besoins du jour
Sur les compétences, les carrières, les rémunérations et les statuts, je pense qu'une approche pragmatique est la seule qui vaille.
Le sujet est trop important pour le laisser s'enliser dans des débats idéologiques stériles et des positions archaïques entre supposés " ultra-libéraux " et prétendus " étatistes ". Il ne s'agit pas de dresser les mérites comparés du CDD, du CDI et du statut de fonctionnaire. Il s'agit d'améliorer la gestion des ressources humaines, en dégageant les solutions qui marchent le mieux, celles qui sont le plus conformes aux besoins des laboratoires et aux attentes des chercheurs.
Notre but doit être clair : recruter les meilleurs et leur permettre de s'épanouir au service de leur ambition scientifique. Investir résolument dans le capital humain est un impératif pour la recherche française.
Pour y parvenir, il est vital pour un chercheur mais également pour son laboratoire et son équipe, d'avoir une visibilité sur le long terme. Mais d'un autre côté, les statuts publics sont souvent et à juste titre considérés comme trop peu rémunérateurs et trop rigides car n'offrant pas la réactivité nécessaire dans la constitution des équipes.
Nous devrons résoudre ce hiatus.
Certains s'interrogent sur un possible rapprochement des statuts entre chercheurs et enseignants-chercheurs. La loi devra dégager des solutions pour y parvenir concrètement : à ce titre, la proposition du CIP, qui consiste à créer plus de postes d'accueil pour les enseignants-chercheurs dans l'université, est une idée intéressante. Certains, au cours de leur carrière, devraient, tour à tour, être plus attirés par la recherche ou par l'enseignement, voire par des prises de responsabilités dans l'administration de la recherche. Nous devons trouver les moyens de faire entrer cette mobilité choisie dans les faits.
Mesdames et messieurs,
Au-delà du nouveau pacte entre la société et la recherche, au delà d'une organisation nouvelle de la recherche, la loi d'orientation et de programmation doit être également l'occasion de positionner résolument la recherche française dans l'espace européen.
Notre pays a joui d'une influence sans commune mesure avec sa taille réelle sur la mappemonde. Cette influence, nous la devons à la vitalité de notre création dans tous les domaines, et particulièrement dans celui de la recherche. Un statisticien qui, pour imaginer notre poids démographique, aurait seulement à disposition le nombre de nos médailles Fields, estimerait sans doute que nous vivons dans un pays de quatre cents millions d'habitants
Mais d'autres indicateurs, qu'il faut prendre là aussi avec toutes les rigueurs d'usage, sont moins brillants : le nombre de brevets, les publications dans des revues scientifiques internationales, le poids comparatif de nos grands organismes ou le classement international de nos universités
Un fait est certain : pour optimiser la valeur ajoutée des efforts de notre pays dans le domaine de la recherche, le levier européen revêt une importance plus grande que jamais. C'est par l'Europe que nous pourrons démultiplier notre influence au sein du continent et du monde.
Quels sont les partenariats à mettre en uvre, et pour quels projets ? Faut-il travailler sur tous les sujets de la science, dans tous les pays d'Europe, ou des choix stratégiques sont-ils à opérer ? Si oui, selon quels critères ? Faut-il, comme dans d'autres domaines, imaginer des " groupes pionniers ", sur la base du volontariat, dans tel ou tel domaine de recherche, et alors lesquels ? Comment favoriser la mobilité des chercheurs français en Europe ? Comment assurer l'attractivité de notre continent et de notre pays pour les meilleurs chercheurs étrangers ?
Dans les réponses que nous serons amenés à formuler sur toutes ces questions, il est une donnée que nous ne devons jamais perdre de vue : le choix incontournable de l'Europe ne veut pas dire moins d'État dans la recherche et moins de moyens pour la recherche. L'élan scientifique européen ne sera pas l'addition de nos faiblesses mais la somme de nos volontés et de nos exemplarités nationales.
Mesdames et messieurs,
Compte tenu de nos ambitions légitimes, compte tenu de l'enjeu stratégique que représente la recherche pour l'avenir du pays, la préparation de la loi d'orientation et de programmation est un exercice difficile. J'ai souhaité d'emblée qu'il soit conduit en toute transparence avec la participation la plus large possible de la communauté scientifique nationale.
Ce ne sera pas une loi préparée dans le secret des cabinets.
Le CIP a engagé un travail considérable, à Paris comme en région. Le rapport intermédiaire qui m'a été remis constitue déjà une première étape intéressante qui s'inscrit pleinement dans l'état d'esprit qui a présidé à la sortie de la crise de ces derniers mois.
Jusqu'à l'automne, nous allons poursuivre des consultations tous azimuts. Au-delà même des États généraux, c'est à l'ensemble de la société civile intéressée par cette question à qui nous faisons appel. De nombreuses et intéressantes contributions nous ont d'ores et déjà été remises. Les présidents des trois commissions compétentes du Sénat sur la recherche viennent par exemple de remettre leur rapport. Je tiens à les en remercier.
La remise des propositions finales des États généraux - dont je suis convaincu qu'elles seront à la fois audacieuses et réalistes - clôtureront à la fin du mois d'octobre prochain cette phase de débat et de consultation.
Il me reviendra alors, avec François d'Aubert, d'arbitrer et de concevoir les propositions du gouvernement dans un projet de loi avant la fin de l'année. Ce texte fera l'objet d'un dialogue social intense avant d'être soumis au Conseil des ministres au tout début de l'année 2005. Le débat parlementaire qui s'en suivra devrait permettre d'adopter la loi au printemps 2005.
Tel est donc notre calendrier.
Il est exigeant mais je sais que nul ne ménagera ses efforts compte tenu de l'enjeu. Car la recherche est pour nous beaucoup plus qu'une politique publique parmi d'autres. La recherche est, pour la France au sein de l'Europe, un outil d'action privilégié pour affirmer notre modèle économique, social, éthique, dans lequel d'autres pourront se reconnaître.
Notre recherche est bien plus que l'avenir de la science : elle constitue l'un des vecteurs politiques de notre démocratie, de notre idée du monde ; elle est l'un des moyens d'expression d'un modèle européen qui peut se poser en solution alternative.
Mais à la seule condition qu'elle repose sur des choix politiquement clairs, et assumés par l'ensemble de la Nation.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 9 juillet 2004)
Sur l'invitation de Pierre Potier, c'est avec plaisir que suis aujourd'hui parmi vous, pour célébrer le 70e anniversaire de la Fondation internationale de la Maison de la chimie. Ce plaisir est d'autant plus grand que l'amitié qui me lie à Pierre Potier est ancienne. Il a été un directeur de la recherche dont j'ai pu mesurer le charisme et l'originalité.
Je tiens à vous remercier pour ce colloque international prestigieux qui est pour moi l'occasion de vous livrer une triple conviction.
La recherche est le nerf du progrès. Dans les fulgurances d'un monde ouvert, compétitif et désordonné, c'est elle qui dessine le futur tel que nous le choisissons et non tel que nous pourrions le subir.
Le système de recherche français - c'est ma seconde conviction - est à un moment crucial de son existence. Si performant par le passé, il est aujourd'hui bousculé par l'évolution du monde.
Ma troisième conviction, c'est que les conditions d'une évolution consensuelle existent. Jamais, me semble-t-il, les défis lancés à la recherche française n'ont été aussi communément partagés. Le temps est donc venu de réfléchir et d'agir ensemble.
Mesdames et messieurs,
Au cours de leur histoire, la France et la science ont entretenu une relation étroite, parsemée de découvertes et de prestige scientifique ; une relation qui se sera, depuis le milieu du XXe siècle, ordonnée autour d'une alliance structurelle avec la puissance publique.
Mais depuis une vingtaine d'années, malgré des réussites exceptionnelles, le doute s'est peu à peu introduit dans notre modèle de recherche. Le système s'est mis à patiner, à s'enrayer. Longtemps revendiquée et tenue pour seule réponse, l'approche étroitement financière des moyens est apparue, au fil du temps, comme incomplète.
En vérité, le problème était et est, plus profond.
C'est dans un ciel scientifique en réalité peu serein depuis longtemps qu'a éclaté au début de l'année le conflit des chercheurs.
Chacun en connaît l'élément déclencheur : celui des postes. Mais chacun sait combien les causes sont plus profondes. Elles sont structurelles avec l'essoufflement du modèle public de recherche; elles sont aussi culturelles avec un relativisme ambiant qui n'épargne pas la science et la perception même du progrès par les Français. C'est une crise existentielle que la révolte des chercheurs a révélé au grand jour. Suis-je utile ? Suis-je respecté ? Suis-je bien organisé ? Voilà les interrogations qui taraudent l'esprit des femmes et des hommes - en particulier les plus jeunes - qui n'ont d'autre passion que celle des idées et de la découverte.
J'ai estimé qu'il fallait immédiatement mettre un terme à ce conflit. Il fallait en sortir et en sortir par le haut, en rétablissant le dialogue et la confiance, et en ouvrant parallèlement le chantier de la rénovation.
Avec François d'Aubert, nous avons noué un contrat avec les chercheurs : nous avons réglé la question immédiate des postes; en contrepartie, les chercheurs se sont engagés à participer à la réflexion sur la réforme du système. C'est tout l'objet des États généraux pilotés par le Comité d'initiative et de propositions animé par les professeurs Beaulieu et Brézin.
Je tiens d'emblée à saluer leur travail qui alimentera la loi d'orientation et de programmation prévue pour le début de l'année prochaine.
Cette nécessaire modernisation de notre système de recherche ne s'engage pas sur des sables mouvants. Dans bien des domaines de la science, nous continuons à être les premiers de cordée. Notre recherche bénéficie d'un potentiel humain extraordinaire. Il doit bénéficier des moyens, des structures et des formes d'organisation qui lui permettront de s'exprimer plus puissamment encore sur la scène mondiale. L'objectif n'est donc pas de réformer de fond en comble un système qui a longtemps fait ses preuves et qui a ses traditions. Selon le vu des chercheurs eux mêmes, il faut trouver un nouvel élan en débloquant certaines des règles, structures et habitudes qui freinent leur ambition : la quête de l'excellence.
Le moment n'est pas encore venu pour moi d'énoncer les propositions du gouvernement. Le débat dans le cadre des États généraux, et plus largement dans toute la société, doit d'abord être mené à son terme. Ce n'est qu'à son issue que j'arrêterai le contenu du projet de loi.
Mais je veux vous dire aujourd'hui comment j'aborde ce défi intellectuel et politique.
Mesdames et messieurs,
Cette réforme n'est pas une affaire réservée du Gouvernement, ni même des chercheurs.
Le malaise de la recherche correspond aussi à une crise de confiance entre la société et le monde de la recherche. Nos concitoyens comprennent que le grand rêve du XVIIe siècle, celui de l'homme " maître et possesseur de la nature ", est en passe de se réaliser. Ils savent que la science nous offre ce pouvoir.
Mais dans le même temps, ils s'interrogent : est-ce seulement un pouvoir positif ? Est-il exercé au profit de l'humanité ou obéit-il à la seule logique de la science ? Quels sont les risques pour l'homme et pour la nature ? La science pouvant transformer l'essence même du vivant, ce questionnement renvoie aux fondements éthiques les plus intimes de notre civilisation.
Dans ce contexte, les chercheurs ne se sentent pas toujours compris dans et par une société qui semble à la fois tout attendre du progrès et tout craindre de la science. C'est pourquoi, et même si la recherche est en partie indépendante de la demande sociale, il convient d'aider les chercheurs à renforcer leur légitimité vis-à-vis de la société.
Cela passe par une meilleure compréhension des aspirations des uns et des autres. Les Français doivent pouvoir mieux comprendre comment la recherche prépare l'avenir. Les chercheurs ont le devoir de s'expliquer, mais aussi le droit au doute et à l'incertitude. C'est la richesse de la dialectique qui s'établira entre la société et le monde de la recherche qui créera les conditions d'une responsabilité partagée à l'égard du progrès.
Cette dialectique est d'autant plus vitale que nous vivons dans un monde fondé sur la connaissance.
Ce qui permet les changements très rapides auxquels nous assistons, c'est l'économie de la connaissance dont la recherche est le moteur. L'expression " économie de la connaissance " est entrée dans les murs : elle caractérise la structure intégrée de nos économies occidentales.
Elle signifie que le facteur " savoir " a vu sa contribution relative à la croissance économique et sociale augmenter considérablement, au détriment des facteurs classiques. Le savoir n'est plus simplement pour une donnée avec laquelle il faudrait composer : il est devenu une variable sur laquelle on peut et on doit agir.
Ce phénomène a été rendu possible par la mondialisation, que l'on peut caractériser par une croissance exponentielle de la vitesse de circulation de l'information parallèlement à une diminution tout aussi rapide de son coût, et par une plus grande mobilité des échanges et de la main d'uvre qualifiée. Ainsi, dans ce monde, le savoir est devenu l'objet politique par excellence.
Oui, la question de la recherche est une question politique !
L'État a vocation à s'en préoccuper et à s'en emparer parce qu'elle est un outil de souveraineté nationale. La maîtrise de cet outil est même plus nécessaire que jamais face à la mondialisation. Pour être efficace, il doit puiser une part de sa puissance dans sa légitimité sociale.
À travers la future loi d'orientation, un nouveau pacte entre la société française et sa recherche doit être noué. Ce pacte doit être l'occasion de poser les pistes de la société que nous voulons construire.
Quel modèle de société voulons-nous ? Celui d'une société fondée seulement sur la consommation de nouveaux produits qui continueront à être issus, comme cela a toujours été le cas, de la recherche fondamentale ? Ou une société respectueuse des individus et des équilibres naturels où la recherche n'est pas conçue exclusivement comme pourvoyeuse de nouveaux biens de consommation, mais comme facteur de progrès humain et social ?
En tout cas, pour moi, dans une société toujours plus accaparée par le matérialisme consumériste, la recherche participe au combat de l'esprit contre la barbarie, à celui de la raison contre les nouvelles sauvageries.
Mesdames et messieurs,
Dans le débat, une question revient de façon lancinante : quels acteurs pour la recherche ?
La loi devra, de façon prioritaire, répondre à la question de la répartition entre le public et le privé. Elle devra mettre en lumière que l'effort national de recherche se répartit sur ces deux piliers, indispensables l'un comme l'autre à son équilibre.
En la matière, il faut une logique nouvelle prenant acte de la réalité.
La société du savoir est une société ouverte avec une économie de marché. Ne pas le reconnaître et ne pas s'y préparer, c'est courir un risque grave : celui d'être les producteurs de talents convoités et " achetés " ailleurs - si j'ose dire - sur le " marché " mondial des compétences.
J'ai fait un calcul simple : il y a aujourd'hui entre 3 000 et 4 000 chercheurs français, formés en France, mais qui exercent leur talent aux États-Unis. Si on considère que le coût moyen de leur formation oscille autour de 150 000 Euros, il suffit de multiplier ces 150 000 Euros par 4 000 et vous obtenez le montant de l'aide publique française au développement des Etats-Unis !
L'expérience de nos chercheurs expatriés est, pour eux comme pour nous un atout, mais à condition que leur retour soit possible dans de bonnes conditions.
Ne nous y trompons pas, cette mobilité internationale des scientifiques ne va faire que s'amplifier. Elle a et elle aura des aspects très positifs à condition que nous soyons capables d'offrir des perspectives à nos propres chercheurs et d'attirer les meilleurs talents de l'étranger.
Pour ce faire, il faut désormais privilégier une logique claire d'investissement et de concentration des moyens.
La France, parce que c'est la France, doit couvrir tous les champs de la science. Il faut, sur tout notre territoire, que des phares continuent de briller et que d'autres s'allument. Il faut qu'ils illuminent loin, qu'ils soient visibles de Californie ou de Shangaï. Oui, la France doit pouvoir tout faire, aucun domaine de la science ou de la pensée ne doit lui être étranger.
J'ai dit tout, mais je n'ai pas dit partout.
Cela implique de réajuster nos stratégies. Notre recherche doit être fondée sur une culture de programmation plus que de saupoudrage, de pôles d'excellence plutôt que de dispersion.
Dans le cadre de cette reconfiguration, aucune théorie, aussi libérale soit-elle, ne nie cette évidence, cet impératif : l'État doit intervenir dans la production de ce bien public qu'est la recherche. Il n'est que de voir la façon dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon, conçoivent l'intervention de la puissance publique dans la recherche fondamentale et appliquée.
L'État ne saurait s'effacer : au contraire, il doit reprendre sa place, toute sa place. Il doit faire sienne une logique d'investissement stratégique sur la base de quelques principes clairs.
Il faut d'abord un financement actif de la recherche publique, attribué sur des critères d'intérêt général et de long terme dans le cadre de l'objectif européen fixé à Lisbonne.
Il faut ensuite des politiques incitatives, en particulier fiscales, qui permettent au secteur privé de s'engager vigoureusement dans l'effort national de recherche.
Il faut enfin que l'État joue son rôle de régulateur du bien commun : les questions éthiques nouvelles que pose la science doivent être éclairées par lui. Par ailleurs, l'évolution vers la brevetabilité, portée par le monde anglo-saxon, est inéluctable. Elle nous renvoie à une interrogation importante : faut-il que la puissance publique puisse détenir un certain nombre de brevets qu'elle considère comme indispensables au bien public, qu'il soit national ou international ?
Bref, à mes yeux, il ne faut pas moins, mais mieux d'État. La recherche française a besoin d'un arbitre, d'un stimulateur, d'un investisseur de long terme ! Cette conception rénovée de l'action publique va de pair avec le respect des forces du marché. Il faut plus d'État, plus de d'acteurs privés, et plus de richesse. Les trois éléments doivent évoluer de concert.
Cette complémentarité exige d'ancrer la contribution privée dans la production du bien public.
Comment dynamiser l'investissement privé dans la recherche privée ou publique ? Comment et à quelles conditions le secteur privé finance-t-il la recherche publique ? Quelles sont les conditions d'indépendance et d'éthique nécessaires au financement de la recherche par les entreprises ? Faut-il envisager des commandes publiques passées à des sociétés privées, de façon à aider ces dernières à mettre sur le marché des innovations jugées d'intérêt général ?
Ces interrogations nous renvoient à la question des priorités de la recherche.
La recherche a besoin de liberté et elle vit de surprise.
Elle a besoin d'une certaine liberté, et, disons les choses, de gratuité apparente : dans les années 1970, le CNRS a permis à des chercheurs d'apprendre le pachtoun et de travailler sur l'Afghanistan. Qui aurait imaginé, à cette époque-là, que la question afghane, dans le contexte international, prendrait une importance si stratégique ? Sans doute un administrateur, soucieux de rentabilité immédiate, aurait-il alors décidé de couper les crédits aux spécialistes du pachtoun. Il aurait eu tort
La recherche vit - ai-je également dit - de surprise : on connaît la chronique, évidemment romancée, de la découverte de la pénicilline par Fleming. Mais c'est vrai, l'histoire de la recherche est faite de ces surprises : c'est par hasard, par exemple, qu'en 1988 une équipe de chercheurs a découvert ce que l'on appelle l'" ADN nu ", qui a ouvert la voie de la vaccination à ADN.
Liberté et surprise, certes, mais la recherche doit aussi être en résonance avec les attentes de notre société et les priorités de la Nation.
On peut en esquisser quelques-unes : la capacité de vivre plus longtemps, mais aussi de vivre mieux plus longtemps (c'est la recherche bio-médicale et pharmaceutique et les sciences de la vie) ; la capacité de mieux maîtriser le développement dans la durée (c'est ici les sciences de l'environnement) ; la capacité de comprendre les mutations du monde (c'est l'histoire et les sciences politiques) ; la capacité d'agir sur le monde (c'est la science économique et les relations internationales) ; la capacité enfin de saisir la beauté du monde, ce que l'on appelait jadis les " humanités ".
Ces priorités doivent être définies et justifiées. La question se pose donc de savoir qui en aura la responsabilité. Faut-il accroître le rôle de l'Office parlementaire des choix scientifiques et techniques ? Faut-il repenser le Conseil interministériel pour la recherche scientifique et technique ? Faut-il encore, comme le proposent certains, créer une Haute autorité de la recherche ?
La loi devra trancher.
Quoi qu'il en soit, pour mettre en uvre ces grandes priorités, il me semble essentiel de repenser l'organisation de notre système de recherche largement hérité des débuts de la Ve République.
Ce système doit être adapté aux exigences de notre temps et surtout aux défis de l'avenir. C'est pour moi l'un des mérites de la crise que nous avons traversée : la communauté française de la recherche a pris pleinement conscience que cette adaptation ne pouvait plus être différée en appelant elle-même au changement. Les débats des États généraux reflètent cette exigence et les premières propositions du CIP esquissent déjà des pistes constructives.
Il est clair à mes yeux que la future loi d'orientation et de programmation devra engager une avancée décisive sur ce sujet central.
Ici encore, la tâche du politique est de définir quelles sont les meilleures pistes à suivre collectivement. Les meilleures, non pas dans l'absolu, mais celles qui ont été explorées avec succès par les acteurs et qui sont acceptables par eux.
Le premier grand sujet que nous devons aborder est celui des rapports entre enseignement supérieur et recherche.
L'une des critiques les plus communément faites au système français, dans les évaluations internationales comme par nos chercheurs et universitaires eux-mêmes, est en effet la dichotomie, plus forte que dans n'importe quel autre pays comparable, entre notre enseignement supérieur et notre recherche. Il ne s'agit nullement de remettre en question nos spécificités, comme par exemple l'existence de statuts différents de chercheurs et d'enseignants-chercheurs ou la présence dans notre paysage des grands organismes de recherche.
Il faut que tous les acteurs se penchent sur l'organisation de ce système, pour évaluer ses performances et inventer les outils permettant de l'améliorer. À cet égard, la seule question qui vaille est de se demander comment créer les conditions d'un continuum harmonieux entre la formation à l'université et dans les grandes écoles et la recherche.
Des pistes ont déjà été abordées par les chercheurs eux-mêmes : nous les expertisons. Deux critères me semblent devoir être privilégiés : ces pistes peuvent-elles faire l'objet d'un consensus et si oui, comment définir des évolutions progressives qui permettent de nous rapprocher d'une organisation comparable aux meilleurs sur le plan international ?
La loi devra permettre de mieux répartir les compétences et les actions entre tous les acteurs de la recherche - universités, organismes, agences, pôles, fondations, entreprises - de façon à optimiser les performances du système dans son ensemble.
La politique des sites d'excellence est une réponse qui mérite toute notre attention. Certains suggèrent de créer des " campus de recherche " où se retrouveraient l'ensemble des acteurs : universités, organismes, entreprises, collectivités. Cette piste doit être creusée. Si nous décidons de nous engager dans cette voie, quel serait le statut de ces pôles ? Faut-il leur donner la personnalité morale ? À l'intérieur de ces pôles, faut-il désigner un établissement chef de file ? Leur création doit-elle se faire d'en haut, ou bien expérimentalement, sur la base du volontariat ?
Tout ceci suppose bien évidemment de repenser en profondeur la question centrale de l'évaluation de la recherche, dont j'ai cru comprendre qu'elle ne donne satisfaction à personne : ni aux responsables de laboratoires et d'organismes, ni à la puissance publique, ni aux chercheurs eux-mêmes.
Comment atteindre un consensus sur cette question difficile ? Comment avancer sur la voie de l'évaluation plus internationale que tout le monde souhaite ? Faut-il transformer l'équilibre entre membres élus et nommés dans les instances d'évaluation, comme le proposent certains chercheurs ? Là aussi nous devons prendre des décisions importantes : la loi ne pourra en aucun cas s'y dérober.
Enfin, et ce n'est un secret pour personne, l'organisation de la recherche française ne brille pas pour sa vision novatrice, juste et équilibrée de la gestion des ressources humaines.
Entre les doctorants sans bourse et les patrons de laboratoire pris par des contraintes budgétaires annuelles et sans visibilité sur l'avenir, entre les ATER et les chargés de recherche au CNRS qui souffrent parfois d'isolement, le monde des chercheurs est un monde où les sujets de mécontentements personnels ne manquent pas. Sans même parler des barrières étanches entre chercheurs, ingénieurs et techniciens qui relèvent, chacun s'y accorde, d'une conception statique inadaptée aux besoins du jour
Sur les compétences, les carrières, les rémunérations et les statuts, je pense qu'une approche pragmatique est la seule qui vaille.
Le sujet est trop important pour le laisser s'enliser dans des débats idéologiques stériles et des positions archaïques entre supposés " ultra-libéraux " et prétendus " étatistes ". Il ne s'agit pas de dresser les mérites comparés du CDD, du CDI et du statut de fonctionnaire. Il s'agit d'améliorer la gestion des ressources humaines, en dégageant les solutions qui marchent le mieux, celles qui sont le plus conformes aux besoins des laboratoires et aux attentes des chercheurs.
Notre but doit être clair : recruter les meilleurs et leur permettre de s'épanouir au service de leur ambition scientifique. Investir résolument dans le capital humain est un impératif pour la recherche française.
Pour y parvenir, il est vital pour un chercheur mais également pour son laboratoire et son équipe, d'avoir une visibilité sur le long terme. Mais d'un autre côté, les statuts publics sont souvent et à juste titre considérés comme trop peu rémunérateurs et trop rigides car n'offrant pas la réactivité nécessaire dans la constitution des équipes.
Nous devrons résoudre ce hiatus.
Certains s'interrogent sur un possible rapprochement des statuts entre chercheurs et enseignants-chercheurs. La loi devra dégager des solutions pour y parvenir concrètement : à ce titre, la proposition du CIP, qui consiste à créer plus de postes d'accueil pour les enseignants-chercheurs dans l'université, est une idée intéressante. Certains, au cours de leur carrière, devraient, tour à tour, être plus attirés par la recherche ou par l'enseignement, voire par des prises de responsabilités dans l'administration de la recherche. Nous devons trouver les moyens de faire entrer cette mobilité choisie dans les faits.
Mesdames et messieurs,
Au-delà du nouveau pacte entre la société et la recherche, au delà d'une organisation nouvelle de la recherche, la loi d'orientation et de programmation doit être également l'occasion de positionner résolument la recherche française dans l'espace européen.
Notre pays a joui d'une influence sans commune mesure avec sa taille réelle sur la mappemonde. Cette influence, nous la devons à la vitalité de notre création dans tous les domaines, et particulièrement dans celui de la recherche. Un statisticien qui, pour imaginer notre poids démographique, aurait seulement à disposition le nombre de nos médailles Fields, estimerait sans doute que nous vivons dans un pays de quatre cents millions d'habitants
Mais d'autres indicateurs, qu'il faut prendre là aussi avec toutes les rigueurs d'usage, sont moins brillants : le nombre de brevets, les publications dans des revues scientifiques internationales, le poids comparatif de nos grands organismes ou le classement international de nos universités
Un fait est certain : pour optimiser la valeur ajoutée des efforts de notre pays dans le domaine de la recherche, le levier européen revêt une importance plus grande que jamais. C'est par l'Europe que nous pourrons démultiplier notre influence au sein du continent et du monde.
Quels sont les partenariats à mettre en uvre, et pour quels projets ? Faut-il travailler sur tous les sujets de la science, dans tous les pays d'Europe, ou des choix stratégiques sont-ils à opérer ? Si oui, selon quels critères ? Faut-il, comme dans d'autres domaines, imaginer des " groupes pionniers ", sur la base du volontariat, dans tel ou tel domaine de recherche, et alors lesquels ? Comment favoriser la mobilité des chercheurs français en Europe ? Comment assurer l'attractivité de notre continent et de notre pays pour les meilleurs chercheurs étrangers ?
Dans les réponses que nous serons amenés à formuler sur toutes ces questions, il est une donnée que nous ne devons jamais perdre de vue : le choix incontournable de l'Europe ne veut pas dire moins d'État dans la recherche et moins de moyens pour la recherche. L'élan scientifique européen ne sera pas l'addition de nos faiblesses mais la somme de nos volontés et de nos exemplarités nationales.
Mesdames et messieurs,
Compte tenu de nos ambitions légitimes, compte tenu de l'enjeu stratégique que représente la recherche pour l'avenir du pays, la préparation de la loi d'orientation et de programmation est un exercice difficile. J'ai souhaité d'emblée qu'il soit conduit en toute transparence avec la participation la plus large possible de la communauté scientifique nationale.
Ce ne sera pas une loi préparée dans le secret des cabinets.
Le CIP a engagé un travail considérable, à Paris comme en région. Le rapport intermédiaire qui m'a été remis constitue déjà une première étape intéressante qui s'inscrit pleinement dans l'état d'esprit qui a présidé à la sortie de la crise de ces derniers mois.
Jusqu'à l'automne, nous allons poursuivre des consultations tous azimuts. Au-delà même des États généraux, c'est à l'ensemble de la société civile intéressée par cette question à qui nous faisons appel. De nombreuses et intéressantes contributions nous ont d'ores et déjà été remises. Les présidents des trois commissions compétentes du Sénat sur la recherche viennent par exemple de remettre leur rapport. Je tiens à les en remercier.
La remise des propositions finales des États généraux - dont je suis convaincu qu'elles seront à la fois audacieuses et réalistes - clôtureront à la fin du mois d'octobre prochain cette phase de débat et de consultation.
Il me reviendra alors, avec François d'Aubert, d'arbitrer et de concevoir les propositions du gouvernement dans un projet de loi avant la fin de l'année. Ce texte fera l'objet d'un dialogue social intense avant d'être soumis au Conseil des ministres au tout début de l'année 2005. Le débat parlementaire qui s'en suivra devrait permettre d'adopter la loi au printemps 2005.
Tel est donc notre calendrier.
Il est exigeant mais je sais que nul ne ménagera ses efforts compte tenu de l'enjeu. Car la recherche est pour nous beaucoup plus qu'une politique publique parmi d'autres. La recherche est, pour la France au sein de l'Europe, un outil d'action privilégié pour affirmer notre modèle économique, social, éthique, dans lequel d'autres pourront se reconnaître.
Notre recherche est bien plus que l'avenir de la science : elle constitue l'un des vecteurs politiques de notre démocratie, de notre idée du monde ; elle est l'un des moyens d'expression d'un modèle européen qui peut se poser en solution alternative.
Mais à la seule condition qu'elle repose sur des choix politiquement clairs, et assumés par l'ensemble de la Nation.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 9 juillet 2004)