Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à "La Revue de l'intelligent - Jeune Afrique" le 28 janvier 2004, sur l'action militaire de la France en Afrique et l'appui aux capacités africaines de maintien de la paix.

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Média : La Revue de l'intelligent - Jeune Afrique

Texte intégral

Q- La Revue :
Estimez-vous que, par delà les changements de gouvernements, la France ait gardé les mêmes orientations en ce qui concerne les interventions de ses troupes en Afrique ?
R- Michèle Alliot-Marie :
L'Afrique est et demeure l'une des priorités de l'action extérieure de la France. Cette fidélité qui unit la France à l'Afrique, et qui répond à la fidélité que l'Afrique et les Africains ont montrée à la France depuis des décennies notamment dans les épreuves de la guerre, repose sur le respect des accords de défense et de coopération ainsi que sur des liens historiques et culturels profonds, ainsi que sur le respect des accords de défense et de coopération. Il revient d'abord aux Africains d'être les acteurs de la solution des crises. Toutefois ces liens nous conduisent à répondre à des demandes.
Lorsqu'il s'agit de soutenir un processus régional de maintien de la paix (appui de la Cedeao en Côte d'Ivoire, de la Cemac en République centrafricaine, en Ituri pour faire respecter les Accords de Lusaka) ou lorsque la sécurité de nos ressortissants ou de nos alliés est en jeu (Côte d'Ivoire, Libéria et RCA), la France s'engage. Nos forces prépositionnées (Sénégal, Gabon, Côte d'Ivoire, Djibouti et Tchad) nous permettent alors d'intervenir dans l'urgence et plus efficacement. Nos armées interviennent également avec des moyens en hommes et en matériel pour porter assistance aux populations touchées par des situations dramatiques (famine, tremblement de terre, intempéries exceptionnelles, accidents aériens ou maritimes, ). Elles l'ont fait tout récemment au Sénégal, à la suite des inondations qui ont frappé ce pays, pour y acheminer de l'aide humanitaire.
Q- Comment appréciez-vous les résultats de la politique militaire en Afrique depuis quarante ans ?
R- La coopération militaire et de défense entre la France et l'Afrique se conçoit aujourd'hui dans un esprit de partenariat d'État à État, en écartant l'assistance et les actions de substitution. Cette notion de responsabilité partagée est essentielle et représente l'une des pierres angulaires de notre politique de défense. Nous avons toujours cherché à relever les nombreux défis que connaissait le continent africain et à l'accompagner en poursuivant le dialogue et en recherchant des solutions concrètes et durables. La récente réorganisation de nos bases ne signifie en rien un désengagement de la France sur le continent. Ces ajustements de format et la révision des concepts étant liés au passage à une armée professionnelle.
Q- La France s'engage militairement pour de nombreuses raisons, comme éviter la guerre civile et le désastre humanitaire, conforter un processus de réconciliation et s'inscrire dans un schéma régional ou multilatéral. Notre coopération, qu'elle soit civile ou militaire, s'attache en priorité à l'appui des processus de sorties de crise.
R- Enfin, nous privilégions un dialogue entre nos partenaires africains et occidentaux, pour que l'approche des problèmes soit collective et régionale. Ainsi, tout en restant disponibles sur le plan bilatéral, nous évoluons de plus en plus vers une coopération plus collective, européenne, africaine, régionale ou onusienne, ce qui permet à chaque partenaire de mettre en commun ce qu'il a de meilleur en matière d'hommes, d'expériences, d'équipements, de moyens matériels et financiers.
Q- Depuis que vous êtes en charge des armées au sein du gouvernement, quelle a été votre plus grande satisfaction en Afrique et, aussi, votre plus grande déception ?
R- Ma plus grande satisfaction est, sans aucun doute, la mise en place de l'opération Artémis en RDC. C'est en effet la première opération autonome de l'Union européenne hors d'Europe. Symboliquement, c'est un signe fort. Et c'est pour moi, au-delà de la formidable réactivité de l'Europe et des militaires, la preuve de l'existence de l'Europe de la défense. Artémis, ce sont aussi les prémices de la force d'intervention rapide européenne qui verra la jour très bientôt.
Q- Je ne parlerai pas de déception mais de ma très grande préoccupation quant à l'avenir du continent africain, et surtout de la résolution des menaces qui pèsent lourdement sur celui-ci, qu'il s'agisse de l'avenir de la paix mais aussi de la démocratie, de la santé, des droits de l'homme ou de l'économie.
R- Les amis de l'Afrique, parmi lesquels nous nous comptons évidemment, constatent avec tristesse que c'est sur ce continent que se sont concentrés dans la période récente certains des grands problèmes de notre temps, même si le reste du monde n'en est pas exempt. Et nous constatons que certains qui se disent " amis " de l'Afrique aujourd'hui ne se mobilisent guère qu'en termes de financement ou de gestes spectaculaires, laissant aux amis traditionnels de ce continent, le soin de poursuivre au quotidien des actions en profondeur et de longue haleine.
Q- Vous avez eu récemment fustigé les coalitions " ad hoc " permettant des regroupements éphémères de certains Etats. Et ce, contrairement à l'esprit et à la lettre du Traité de l'Atlantique Nord, qui exige une volonté commune de tous. Estimez-vous néanmoins que, dans certaines conditions, l'Otan pourrait intervenir en Afrique ?
R- L'Alliance atlantique évolue dans ses structures et ses missions. La France participe activement à cette réforme, notamment afin de promouvoir l'identité européenne en son sein.
Q- En ce qui concerne les zones d'intervention de l'Alliance - vous évoquez l'Afrique -, elles relèvent, pour ce qui est des opérations de maintien de la paix, essentiellement d'une question d'opportunité politique, qui est à apprécier au cas par cas.
Q- Pensez-vous qu'il serait souhaitable de créer une force africano-européenne ?
R- Il y a des années déjà que, au sein de l'OUA ou parmi les leaders politiques africains, des voix se sont élevées pour demander la création d'un Conseil de sécurité africain ainsi que la création d'une véritable armée africaine qui pourrait intervenir pour prévenir ou pour résoudre des crises sur le continent, mais également pour envoyer des contingents dans le cadre d'opérations onusiennes de maintien de la paix dans d'autres régions du monde.
R- Dans le cadre de la nouvelle Union africaine, il semble que des progrès assez nets aient été accomplis en ce sens, comme le montre le projet de la force africaine en attente. Des précédents existent, en Afrique de l'Ouest notamment, qui montrent que des forces régionales peuvent intervenir dans des situations de crise, même si les problèmes politiques ou autres qui les suscitaient n'ont pas forcément été réglés jusqu'ici. Je pense à la Côte d'Ivoire, à la Sierra Leone, au Libéria, à la Guinée Bissau. Bien entendu, notre soutien à ces initiatives nouvelles est acquis.
R- Pour aider les pays africains à mieux se préparer à ces nouvelles tâches, nous avons développé le concept RECAMP (Renforcement des capacités africaines au maintien de la paix). Priorité pour notre pays, RECAMP est aussi l'occasion d'associer d'autres pays européens qui peuvent participer en tant que donateurs à ces exercices. Trois exercices ont déjà eu lieu : Guidimakha en 1998, Gabon 2000, Tanzanite en 2003. Le prochaine exercice est prévu en 2004.
Q- Une armée africaine signifierait que pour certaines opérations spécifiques, qui auraient été discutées ensemble et pour lesquelles un mandat spécifique aurait été défini tant par l'Union africaine que par l'Union Européenne, des contingents européens opéreraient conjointement avec des contingents africains.
R- Aujourd'hui, la permanence d'une armée euro-africaine n'est pas d'actualité, cela n'empêche pas des opérations conjointes et ciblées répondant au cas par cas aux situations de crise.
Propos recueillis par Etienne Copel
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 29 janvier 2004)