Interview de M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, à RMC le 16 juin 2004, surle sport professionnel, le dopage et le Tour de France cycliste et la préparation des JO d'Athènes.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q- J.-J. Bourdin-. Est-ce que vous êtes un ministre illégitime ?
R- "C'est-à-dire ?"
Q- Je vous dis cela, parce que j'entends la gauche dire que le gouvernement de J.-P. Raffarin est illégitime. Donc, est-ce que vous êtes un ministre illégitime ?
R - "Non seulement, je ne suis pas un ministre illégitime et le gouvernement de J.-P. Raffarin ne l'est pas non plus. Voilà deux ans que nous sommes engagés dans un certain nombre de réformes et nous sommes légitimes, pour le pays, à poursuivre ces réformes. Donc, quel que soit, effectivement, le résultat des régionales et des européennes, on a entendu le message des Français - de moins de 50 % des Français - pour les européennes, mais nous, nous sommes déterminés à poursuivre ces réformes. Et je suis persuadé que les Français comprennent ce message, qu'il faut moderniser, réformer ce pays pour le mettre, j'allais dire, "au standard" au niveau européen, même si effectivement..."
Q- Pour l'instant, ils ne vous soutiennent pas dans les urnes...
R - "Ils ne nous soutiennent pas dans les urnes mais nous sommes persuadés, encore une fois, qu'il faut avancer et qu'il faut réformer ce pays."
Q- Etes-vous un ministre sans électricité ?
R - "Non, pas encore, le ministère fonctionne. Et là aussi, je crois que - et là, je rejoins..."
Q- Comment qualifiez-vous les actions des militants CGT ou FO d'EDF-GDF ?
- "Ce sont des actions inacceptables. Encore une fois, le dialogue est engagé par N. Sarkozy. Il a d'ailleurs bien cadrer l'évolution de la future EDF : 70 % des actions seront détenues par l'Etat. Je crois que c'est une ouverture, c'est rendre compétitive cette entreprise. Je crois que c'est aussi lui donner les moyens d'aller conquérir de nouveaux marchés à l'extérieur du pays. Je trouve que ce n'est pas la meilleure des façons, et je dis que c'est une façon inacceptable de répondre à cette volonté de modernisation d'EDF."
Q- Peut-on être ministre de l'Economie et président de l'UMP en même temps ?
R- "Sur l'UMP, nous aurons des élections en novembre, le 21 novembre. Il nous faut le candidat des candidats de l'UMP. Qu'est-ce qui nous a fait gagner en 2002 ? Rappelez-vous, c'est l'UEM, c'est ensuite l'UMP ; c'est ce qui nous a fait gagner. C'est ce qui rendu lisible notre action à la fois auprès de nos militants et des Français. Il faut que les candidats ou les candidats qui se présenteront en novembre prochain, soient les candidats de l'Union."
Q- Oui, mais vous n'avez pas répondu à ma question !
R - "Ce n'est pas le sujet aujourd'hui. Le sujet, c'est de savoir comment nous envisageons l'UMP dans les trois ans qui viennent. Est-ce que nous en faisons le parti qui rendra lisible notre action, celle du Gouvernement de J.-P. Raffarin et les perspectives pour la France."
Q- Je dis cela parce que de nombreux ministres - P. Douste-Blazy hier encore, à la télévision - disent, répètent qu'il n'est pas possible d'être à la fois ministre et notamment à Bercy, et président de l'UMP.
R - "C'est le Premier ministre et le président de la République qui en débattront et qui décideront, à l'issue de l'élection à l'UMP, si effectivement..."
Q- Et les militants ?
R - "Les militants vont décider, ils vont élire le président de l'UMP. Ils choisiront le candidat qui rassemblera autour de lui l'ensemble des composantes."
Q- Est-ce que N. Sarkozy rassemble ?
R - "Aujourd'hui, N. Sarkozy fait son travail de ministre des Finances et de l'Economie. On le voit d'ailleurs : on a entendu des députés qui sortaient de Bercy, qui étaient sensibles à la façon dont il engageait le dialogue, par exemple avec EDF."
Q- Vous êtes sensible à son action ?
R - "Je suis sensible à son action comme je le suis également encore plus à l'action de J.-P. Raffarin à la tête du Gouvernement, parce que c'est un chef d'équipe et qu'il nous fait avancer dans les réformes."
Q- Est-ce que l'été sera chaud à l'UMP ?
R - "Non. On va avoir un conseil national à la fin du mois de juin. Nous allons débattre, entre autres, des courants, savoir comment ils vont fonctionner : est-ce que par exemple, on doit avoir des déclinaisons des courants au niveau des départements ? Voilà une bonne façon d'engager l'été par le dialogue, parce que - et F. Baroin le disait l'autre fois -, il faut très certainement modifier le comportement et le mode de fonctionnement de l'UMP pour le rendre, encore une fois, plus moderne et plus performant. Je crois que c'est la conclusion des deux élections que nous avons vécues."
Q- J'ai une question à propos de Lance Amstrong ; vous avez lu comme moi dans L'Express les bonnes pages du livre qui sort, "Les secrets de Lance Amstrong". [...] Dans ce livre, on découvre que l'ancienne soigneuse personnelle du cycliste était en fait diplômée en électricité...
R - "Vous ne trouvez pas cela en décalage avec ce que doit être l'encadrement d'un joueur professionnel ? D'ailleurs, j'avais dès le 23 janvier dernier, fait en sorte - en tout cas pour les groupes sportifs français, nos équipes professionnelles - que ce soient des kinésithérapeutes qui fassent leur boulot de kinésithérapeutes..."
Q- Cela parait logique...
R - "Je pense que vous avez très bien résumé la situation. Comment peut-on expliquer qu'un sport qui se dit professionnel, qui est excessivement dur, s'entoure de gens qui ne sont pas professionnels ?"
Q- C'est toujours le cas ?
R - "En France, je peux vous assurer que non. J'avais le président de la Ligue professionnelle de l'AC 2000, qui est le groupement des équipes professionnelles, qui m'a assuré que les choses étaient maintenant en ordre pour le Tour de France. Je le crois ; d'ailleurs, nous ferons des vérifications. Nous enverrons des inspections du travail, comme nous l'avons fait pour les deux épreuves précédentes, nous envoyons des inspecteurs du travail sur les épreuves, pour voir si effectivement, ce sont bien des kinésithérapeutes. Mais comment vous dire ? Cette affaire-là, qui est à la marge des gros problèmes de dopage, est symptomatique de l'organisation du cyclisme en France et dans le monde. S'il devait y avoir une révolution culturelle, c'est que le cyclisme s'ouvre sur le monde extérieur. Or, aujourd'hui, le cyclisme recycle les anciens coureurs en tant que conducteur, d'assistant technique. Je crois que ce sport aurait tout à gagner en s'ouvrant vers d'autres horizons, vers d'autres professionnels, pour se doter de structures vraiment performantes et professionnelles, et éviter, effectivement, que ce vase clos ne soit synonyme, on le voit malheureusement trop souvent, de systèmes parallèles voire mafieux, qui se dirigent évidemment vers le dopage, quand tout cela n'est pas transparent et bien organisé."
[Deuxième partie de l'interview : 8h45]
Q- Question de Pierre (un auditeur des Pyrénées atlantiques, éducateur sportif) : Que pensez-vous du dopage organisé dans tous les sports confondus ?
R - "C'et quoi, le dopage ? C'est trois choses : un, la tricherie : deux, on met en danger sa vie, on peut même en mourir ; et trois, c'est l'exemplarité du champion qui est remise en cause, le champion qui, ensuite, est normalement adulé et aimé par des gamins, qui commencent à pratiquer tel ou tel sport. Donc, vous l'avez compris, il faut être résolument en opposition contre ce fléau et bien s'organiser. Or aujourd'hui, nous sommes dans l'incapacité de bien nous organiser, parce que nous sommes incohérents au niveau international. Tant que nous n'aurons pas les mêmes procédures, les mêmes cadres législatifs, à la fois au niveau de l'Europe mais partout dans le monde, nous n'y arriverons pas."
Q- Même au niveau du CIO, cela n'avance pas ?
R - "J'allais vous le dire : on a une chance - et celle-là, il ne faut pas la louper -, c'est la mise en place du code mondial antidopage. Normalement, toutes les fédérations internationales l'ont adopté ou vont le faire avant les Jeux d'Athènes..."
Q- Presque tous ?
R - "Je dis bien "presque tous", sauf le cyclisme... Et en ce qui concerne les gouvernements, ce sera avant les Jeux de Turin de l'hiver, en 2006. On travaille d'ailleurs à l'application de ce code partout. C'est assez compliqué, parce que cela inclut ce que l'on appelle une "convention internationale", pour que les législations nationales puissent l'adopter. Mais, encore une fois, si nous n'arrivons pas à adopter et appliquer ce code, alors, je crois vraiment que le sport sera en danger, parce que nous n'aurons pas les mêmes règles partout dans le monde."
Q- L'auditeur Pierre : qui s'inquiète du dopage des jeunes, même au niveau régional.
R - "Pour répondre à cette inquiétude, nous avons mis en place, dans ce que l'on appelle les "pôles espoir" et les "pôles France", des endroits où sont détectés et accompagnés les jeunes sportifs, qui peut-être un jour rentreront en équipe de France. Nous avons mis en place un suivi médical, c'est-à-dire que trois fois par an, le jeune passe un examen médical et biologique complet et le médecin fédéral est capable de déterminer si oui ou non le sportif commence effectivement à tricher et à prendre des produits dopants, puisqu'on le voit alors très facilement dans les courbes physiologiques. C'est un suivi médical qui se met en place, lentement, parce que c'est assez compliqué et je pense que ce sera un très bon complément à la lutte contre le dopage."
[...]
Q- Je lisais le livre de l'ancien champion du monde de VTT, J. Chiotti, qui disait qu'à 22 ans, il voyait des coureurs autour de lui qui gagnaient 500.000 ou 600.000 francs par mois, alors qu'il était au Smic. Et il s'est dit "pourquoi pas moi, pourquoi ne pas prendre des produits...
R - "Evidemment, cette tentation, si on est mal entouré, si psychologiquement on est un peu faible, je comprends - enfin, je comprends... J'admets - que l'on puisse être tenté par cette étoile qui est celle de la reconnaissance sociale et des revenus faciles..."
Q- Franchement, est-ce qu'une équipe comme Cofidis devrait prendre le départ du Tour de France ?
R - "Encore une fois, remettre en cause l'inscription d'une équipe dans sa totalité, cela veut dire, si je vous comprends bien, qu'il y a un dopage organisé dans l'équipe - c'est ce que vous voulez dire... Je suis persuadé, moi, qu'il s'agit non pas de dopage organisé, comme celui que l'on a pu voir avec l'affaire Festina où, là, tout était structuré ; mais je reste persuadé - est-ce que c'est de l'optimisme béat ? Je ne le pense pas - que désormais, il s'agit non pas d'artisanat, mais de petites cellules autour de tel ou tel sportif d'une équipe, qui organise le dopage. Les révélations d'un des protagonistes de l'affaire Cofidis, qui vous explique comment il est effectivement capable de contourner les examens médicaux, contourner les contrôles antidopage, que finalement il consacre tous ses efforts non pas à s'entraîner et à faire la compétition, mais à tricher, est assez révélateur des petites structures qui entourent tel ou tel sportif. L'enjeu pour nous, les responsables de la lutte antidopage, aussi bien les fédérations et que les gouvernements, c'est d'isoler ces tricheurs et, surtout, d'isoler les pourvoyeurs en produits dopants de ces tricheurs."
Q- Lorsque l'on parle "dopage", on pense "cyclisme" maintenant, ce qui est dramatique pour ce sport, alors qu'il y a tant d'autres sports qui sont concernés...
R - "Je pense que vous partagez cette passion. Je suis passionné par le cyclisme, et de voir que ce sport est confronté à la fois à des révélations, à des règlements de compte en permanence, et cela depuis des années, c'est vraiment triste. C'est donc aussi aux responsables du cyclisme de se rendre compte que l'image qu'ils donnent aujourd'hui, vis-à-vis des fous de cyclisme, mais également des Français et des Européens qui aiment le sport et le cyclisme, il y a là une réalité qu'il faut vraiment faire évoluer. Quant aux autres sports, on le voit - regardez ce qui se passe aux Etats-Unis avec l'affaire Balco, où là aussi les Américains, pour la première fois, se retroussent les manches pour essayer de trouver des solutions et lutter efficacement contre le dopage, et là aussi, des dopages organisés -, je crois qu'il y a une vraie prise de conscience. Mais nous n'en sortirons pas à moyen terme, parce que, encore une fois, il faut que nous soyons cohérents au niveau international et nous ne le sommes pas encore aujourd'hui, nous n'avons pas adopté les mêmes procédures."
Q- Question de Christian, ouvrier en chaussure dans la Drôme : y aura-t-il des contrôles antidopage faits aux athlètes français qui seront aux JO d'Athènes ?
R - "C'est une très bonne question parce que, effectivement, vous avez deux sortes de contrôle. Il y a les contrôles qui ont lieu pendant la compétition. Vous aurez donc des contrôles pendant les Jeux d'Athènes. En résumé, les trois médaillés seront contrôlés, d'autres par tirage au sort. Mais ce qui compte - d'ailleurs, pour moi, c'est peut-être le plus efficace -, ce sont ce que l'on appelle les "contrôles inopinés", hors compétition. Or j'ai décidé, cette année, que tous les athlètes français - je dis bien "tous" - seront contrôlés de manière inopinée. Et ce que j'appelle des "vrais inopinés", c'est-à-dire pas lors d'un stage de préparation, où le sportif qui veut tricher est pratiquement certain qu'il va être contrôlé, mais par contre des contrôles qui ont lieu lors des entraînements quotidiens, pratiquement au pied de leur domicile ou à la sortie de leur entraînement. Et je me suis donc engagé à ce que tous ces sportifs soient contrôlés de cette façon. Je crois que, ne serait-ce que pour les sportifs eux-mêmes, ils pourront ainsi démontrer que pendant leur phase de préparation - dont on sait que c'est souvent là que les tricheurs opèrent, c'est-à-dire qu'ils prennent de l'EPO, des anabolisants pour être vraiment en forme pendant les Jeux -, les athlètes français pourront dire que eux, ont été contrôlés de la manière la plus stricte avant les Jeux."
Q- Et s'il y a le moindre doute, pas de Jeux ?
R - "Attention, il s'agit bien de contrôles, ce ne sont pas des examens. S'il y a contrôle et qu'il est positif, la sanction disciplinaire est immédiate. Il y a un appel, il y a une contre-expertise. Nous allons d'ailleurs faire en sorte que la contre-expertise ait lieu avant le début des Jeux, pour que si jamais il y a un problème avec un sportif, celui-ci soit rejeté de l'équipe de France olympique."
Q- Pourquoi refusez-vous l'entrée en Bourse des clubs de foot professionnels en France ?
R - "Parce que qu'estime qu'aujourd'hui, ce n'est pas prioritaire. Je me suis engagé avec le président de la Ligue professionnelle et le président des clubs professionnels de football sur un certain nombre d'évolutions. Par exemple - c'est un peu technique, mais c'est important de le rappeler -, ce que l'on appelle le droit à l'image collective. Cela permet à des clubs de salarier des joueurs mais également de les rémunérer, parce qu'ils représentent le club. Ce qui permet donc de baisser les charges des clubs et donc, de leur donner un peu de marges en termes de financement et de trésorerie pour, effectivement pourquoi pas, recruter d'autres joueurs. L'entrée en Bourse, pour tout vous dire, je ne le sens pas, foncièrement. Pourquoi ? Parce que j'estime qu'un club, une structure sportive n'a rien à faire, rien à voir aujourd'hui avec un appel à l'épargne publique. Comment est-ce que je vais expliquer à un passionné de tel ou tel club qu'il a acheté une action 100 euros et qu'elle en vaut, deux ans plus tard, 10 ? Comment est-ce que je vais expliquer, moi, qui pourrait autoriser l'appel à l'épargne publique des clubs, que cette action ne vaut rien, alors que, encore une fois, on a affaire à un passionné, à un supporter de ce club. Je crois qu'il y a d'autres choses à faire, comme par exemple, la suppression de la taxe de 1 % sur les contrats à durée déterminée, d'autres évolutions qui vont apporter des marges aux clubs, plutôt que de s'engager sur l'appel à l'épargne publique. Ce n'est pas, encore une fois, une très bonne image pour les clubs professionnels, même si je le conçois, d'autres pays l'ont fait avant nous. Mais regardez ce qui se passe en Italie, c'est un désastre au niveau du football professionnel."
Q- Dites quand même un mot aux relayeuses du 4 x 100, qu'elles se mettent d'accord ! Elles se querellent à propos de primes. Je trouve franchement cela
stupide !
R- "Je vous avoue que j'ai été un peu interrogatif. Mais ce sont de fortes personnalités, des grandes championnes. Ce que je leur demande surtout, c'est d'être en forme et surtout, d'être aussi conquérantes et déterminées sur les pistes d'Athènes."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 juin 2004)