Conférence de presse de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, sur le projet de loi sur les restructurations et les licenciements et le calendrier mis en place par le Gouvernement pour le bouclage de la loi, Montreuil le 19 octobre 2004.

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Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Merci d'avoir répondu à notre invitation pour un échange qui va permettre de faire le point sur le projet de loi très controversé du gouvernement concernant les restructurations et les licenciements.
Beaucoup de choses se sont passées depuis huit jours, c'est-à-dire mardi dernier jour de notre entrevue avec le Premier ministre. A cette occasion, j'ai exprimé, au nom de la Cgt, notre exaspération et notre profond désaccord, tant sur la méthode que sur le fond à l'égard d'un projet de loi que nous avons découvert la veille de cet entretien.
L'attitude ferme et résolue de la CGT a contribué à lever le voile sur un texte susceptible d'être adopté très rapidement dans une relative discrétion. Nous avons aussi la faiblesse de penser que nous sommes pour quelque chose dans les annonces qui ont été faites depuis.
Nous allons avoir l'occasion de revenir plus en détail sur le désaccord avec ce texte, dans sa formule connue, aujourd'hui formule même amendée. A ce propos je céderai la parole à Francine Blanche, qui reviendra sur nos appréciations. Vous disposez, de ce point de vue là, de fiches sur nos arguments critiques de ce projet de loi tel qu'il est rédigé au jour d'aujourd'hui. Je me limiterai, pour le moment, à quelques considérations liminaires.
Le gouvernement cherche à boucler en quelques jours un texte de loi essentiel portant sur les licenciements et les restructurations alors que la négociation avec le patronat - qui a duré 18 mois - a mis en évidence les objectifs opposés des uns et des autres.
Il y a eu, à peu près, 2 350 000 licenciements au 1er semestre 2004 (en année glissante), dont près de 300 000 pour motif économique (source ANPE) et, comme à l'accoutumée, des licenciements touchant en majorité les salariés des petites entreprises dépourvus de procédures et de droits sociaux adéquats.
C'est dire que le sujet est important, qu'il est même au cur des préoccupations des salariés tant les mesures législatives qui seront décidées pourront, soit créer du droit supplémentaire - ce qui n'est pas le cas - soit accroître encore un peu plus la précarité et l'instabilité du travail, comme nous vous en ferons la démonstration.
Il n'y a aucune contrainte de calendrier qui impose cette accélération brutale dans le schéma gouvernemental. Le gouvernement, qui a fait le choix politique de suspendre depuis deux ans les dispositions envisagées par ses prédécesseurs, pouvait très bien et peut très bien se donner quelques semaines de plus pour une négociation réelle et sérieuse avec les organisations syndicales.
Sa précipitation le conduit à des déboires ; le premier d'entre eux c'est l'opposition exprimée, comme cela était prévisible, par l'ensemble des confédérations syndicales.
Le second c'est d'avoir finalement mécontenté celui qu'on pourrait appeler la " muse " du projet, quoique je ne puisse croire à la sincérité de l'indignation du président du Medef qui, de jour en jour, confirme ses talents d'acteur dramatique.
Le courroux qu'il a exprimé ce matin révèle, en fait, la déception de ne pas voir entérinées toutes les promesses qui lui avaient été faites, sans doute au plus haut niveau du Gouvernement.
Les employeurs demeurent les mieux servis et je n'ai aucun doute sur l'intensité du lobbying politique que le Medef va s'efforcer de mettre en uvre auprès des élus de la majorité. Nous savons qu'il dispose de très bons avocats pour sa cause au sein de l'UMP.
Ce même gouvernement a pourtant fait adopter, je veux le rappeler, une disposition législative selon laquelle il s'engageait solennellement à consulter les partenaires sociaux dès lors qu'un projet de loi avait des répercussions sociales.
Chacun peut mesurer le fossé qui sépare les principes et les actes.
La sous-commission réunie vendredi, présidée par un haut fonctionnaire Directeur des relations du travail, ne pouvait être considérée, à proprement parler, comme un lieu de négociation.
Nous avons été mis délibérément devant le fait accompli d'un projet de loi pré-rédigé avec 3 jours pour exprimer un simple avis consultatif.
Cette provocation a eu, de notre part, la meilleure réponse que l'on pouvait lui apporter et il ne suffit pas que Matignon change l'intitulé d'un texte de loi pour que cela fasse le compte. D'ailleurs, pour reprendre le titre du document qui sert maintenant de référence au débat, je voudrais dire que s'agissant du droit au reclassement pour tous les salariés qui figurent dans l'intitulé du texte, pour moi cela frôle, pour l'instant, la publicité mensongère.
Pour la Cgt, le sujet est loin d'être clos. D'ailleurs, à sa manière, la publication du rapport de Monsieur Camdessus, dont le ministre de l'Economie semble vouloir faire grand cas, apporte de l'eau à notre moulin.
Nous sommes bel et bien en présence d'un affrontement d'idées et de solutions à mettre en uvre pour faire face au fléau du chômage et de la précarité.
Je ne vous surprendrai guère en réitérant l'imperméabilité totale de la Cgt aux rhétoriques libérales qui cherchent à justifier la remise en cause de dispositions du Code du Travail et des droits sociaux.
Ce ne sont certainement pas ces préconisations qui peuvent servir la croissance et l'emploi.
La nature des réponses qui restent à construire s'agissant des licenciements et des restructurations est au centre de cet affrontement entre plusieurs conceptions.
J'attends d'ailleurs avec impatience la démonstration politique qui va consister d'un côté à promouvoir des dispositions au nom de la cohésion sociale et, dans le même mouvement à justifier des atteintes au droit du travail existant, des facilités dans les procédures et la cadence des licenciements.
Nous allons y revenir dans un instant.
Naturellement, nous n'avons pas dit notre dernier mot.
Je réitère la demande formulée par la Cgt d'une réunion tripartite, Gouvernement, syndicats, patronat avant toute nouvelle phase gouvernementale.
Il est évident que si le gouvernement faisait le choix d'accélérer le rythme, comme il semble à l'heure actuelle tenté de le faire, nous serions alors dans une nouvelle phase.
Notre commission exécutive, qui va se réunir jeudi, sera naturellement saisie des données de la situation et sans doute amenée à prendre des initiatives dans un cadre que nous souhaitons le plus large et le plus unitaire possible.
Vous disposez, également dans votre dossier, des propositions et de l'approche que défend la Cgt sur ces enjeux. Nous y reviendrons, si vous le voulez bien, dans un second temps. Je les résumerai, très rapidement, selon les cinq axes qu'a redéveloppés, en notre nom, Francine Blanche à la sous-commission de vendredi.
Le premier de nos axes revendicatifs consiste à obtenir des droits pour les salariés travaillant dans des entreprises de moins de 50 salariés, de ce point de vue là, les objectifs ne sont pas atteints, loin sans faut.
Le deuxième axe vise à consolider les droits et les moyens d'intervention des salariés dans les entreprises de 50 salariés et plus qui sont donc censés disposer de comités d'entreprise et de prérogatives y afférentes.
Le troisième axe de nos réflexions et revendications consiste à sécuriser les parcours professionnels de tous les salariés, notamment en créant une obligation de reclassement.
Le quatrième axe est une approche territoriale dans la mesure où, nous l'avons dit et répété, il faut aussi construire des droits et des dispositifs sur des bases géographiques et pas simplement et uniquement dans le strict cadre de l'entreprise.
Le cinquième axe de nos réflexions, de nos revendications, c'est la responsabilisation des grands groupes vis à vis des sous-traitants et de ce point de vue là, aussi, nous n'avons pas le plus petit début de réponse avec le projet texte parlementaire qui est soumis au débat.
Voilà ce que je voulais vous dire en quelques mots introductifs à notre rencontre. Je vais laisser la parole à Francine Blanche qui va, dans les grandes lignes, reprendre les principales critiques que nous formulons au projet de texte actuellement sur la table.
Si vous en êtes d'accord, à ce moment là, nous pourrions faire place au jeu de vos questions sur cette phase là et dans un deuxième temps venir sur les propositions et l'approche de la Cgt pour obtenir d'autres dispositions que celles qui sont aujourd'hui d'actualité.

(Source http://www.cgt.fr, le 22 octobre 2004)