Texte intégral
FRANCE SOIR le 3 juillet 2004
Madame Loyola de Palacio veut qu'EDF soit géré comme Renault. Elle veut que les emprunts d'EDF ne soient pas garantis par l'Etat. Elle veut " qu'EDF puisse être mis en faillite comme Renault ", comme n'importe quelle autre entreprise.
Supposons un instant que, par malheur, Renault tombe en faillite, ce serait une catastrophe industrielle et sociale. Mais, bien vite, d'autres constructeurs d'automobiles proposeraient en remplacement leurs propres produits sur le marché. Supposons maintenant qu'EDF tombe en faillite, ce serait une apocalypse nationale. Sans électricité, aujourd'hui, quasiment toute activité, non seulement économique, mais aussi domestique s'arrêterait dans le pays.
Les idéologues libéraux diront que la concurrence pourvoira à cette défaillance. Encore faut-il que les entreprises concurrentes disposent des capacités de production suffisantes pour suppléer, tout en continuant à alimenter leurs clients habituels. Encore faut-il que le réseau de transport de l'électricité soit capable d'assurer ce surcroît de transit.
Les cyniques demanderont alors à l'Etat de faire son devoir et de réquisitionner les moyens de production de l'entreprise en faillite, pour qu'ils continuent à fonctionner. Les problèmes financiers dus à la faillite seront réglés par ailleurs.
On voit bien la différence que Madame de Palacio semble ignorer. Devant une faillite de Renault, l'Etat pourrait se limiter à une intervention de nature sociale. Face à une faillite d'EDF, l'Etat devrait prendre le contrôle des moyens de production. Les électrons ne se confondent pas avec les automobiles. Madame de Palacio et autres sont aveuglés par leur idéologie libérale.
En réalité, dans ce débat sur EDF, il faudrait distinguer trois stades : la nature de l'électron, le régime judiciaire de l'électron, et l'utilisation de l'électron. La nature de l'électron dépend de la seule science physique. L'électricité ne se stocke pas. Bien que se déplaçant à la vitesse de la lumière, l'électricité se transporte difficilement. Cette double réalité impose le monopole. C'est si vrai que personne, même à Bruxelles, n'a imaginé de mettre en concurrence les réseaux de transport et de distribution. Or, en France, le coût de cet acheminement, qui reste un monopole, représente 50 % du prix de revient de l'électricité consommée par un particulier. La part de la production est de 45 %. Comme il n'existe plus de sites hydroélectriques disponibles et que le nucléaire fournit l'électron le moins cher possible, on ne peut espérer baisser encore les coûts de production. La concurrence ne peut donc porter que sur les 5 % restant, dits frais de commercialisation. Or, on voit bien que ceux-ci ne peuvent qu'augmenter avec le marketing et la publicité. De plus, avec la privatisation, il faudra bien rémunérer les actionnaires.
Il n'est donc pas étonnant que les industriels commencent à s'inquiéter. D'ailleurs, les exemples étrangers leur montrent qu'ils ont raison.
Avant que l'idéologie néo-libérale s'empare de l'Occident, il y a une vingtaine d'années, l'électricité était partout gérée sous forme de monopole. Dans certains pays, il y avait déjà plusieurs sociétés, mais chacune avait son territoire. L'Etat veillait pour que de telles situations ne conduisent pas à des abus. Car, notamment aux Etats-Unis ou en Allemagne, ces sociétés étaient privées. En France, conformément au préambule de la constitution depuis 1946, les monopoles doivent être gérés par des entreprises publiques.
Ce régime juridique a permis une utilisation judicieuse de l'électron au non du service public. Il a été un facteur important d'aménagement du territoire avec la péréquation tarifaire. Il a été un élément de la cohésion sociale avec l'égalité entre les consommateurs. Il a été un instrument du développement économique en fournissant un produit de qualité au moindre prix. Il a été un levier qui a entraîné et impulsé toute l'industrie française d'abord avec les grands barrages hydroélectriques, ensuite avec le programme nucléaire.
Le courage en politique est de savoir reconnaître ses erreurs. La solution sage serait de revenir à la situation antérieure, avec peut-être quelques aménagements de détail. Une telle solution provoquerait des tensions avec Bruxelles. Mais, au nom du principe de subsidiarité, chaque pays devrait pouvoir organiser comme il l'entend son système électrique. Si certaines pensent que leur idéologie libérale peut surmonter les lois de la science physique, laissons-les dans leur coûteuse illusion. Mais, évitons d'être leur mouton de Panurge. Restera à régler le problème secondaire posé par certains investissements inconsidérés d'EDF à l'étranger.
(source http://mrc-france.org, le 16 juillet 2004)
LA TRIBUNE le 5 Juillet 2004
Les propos de Gerhard Schröder, qui accusait récemment Nicolas Sarkozy de "nationalisme" au sujet d'Alstom, n'auront ému personne. Les gouvernements ont évidemment le devoir de promouvoir les intérêts nationaux. Et la légitime inquiétude des peuples allemand et français face à la fuite en avant libérale, à la destruction de leurs modèles économiques et à la désindustrialisation, forme un contexte particulièrement propice à de vifs échanges.
Bien sûr, le Ministre de l'Economie et des Finances a eu le mérite d'éloigner provisoirement la prise de contrôle d'Alstom par Siemens. De cette opération, nous ne pouvons qu'attendre de douloureuses restructurations, de délicats problèmes d'arbitrage au sein de Siemens entre les programmes ferroviaires TGV et ICE et une dépendance excessive du nucléaire français envers Siemens.
Mais pourquoi en rester là ? Le sauvetage d'Alstom et la relance industrielle supposent un véritable engagement politique de l'Etat, articulé autour de trois axes.
Premièrement, la France et l'Allemagne doivent tirer toutes les conséquences de l'indigence communautaire en la matière. La construction européenne est un biais structurel du libéralisme le plus dogmatique, aujourd'hui figé définitivement par le projet de constitution. A quelques exceptions rares et souvent limitées, l'action communautaire en direction de l'industrie consiste à appliquer les préceptes désuets de la concurrence à tout prix et du libre-échange.
Encouragée par le lobbying prédateur quoique naturel de Siemens, la Commission européenne s'est ainsi opposée à l'adossement d'Alstom à Areva et a tout fait pour minorer les aides de l'Etat. Mais que Siemens ne se méprenne pas : son éventuel rachat d'Alstom se heurterait aux préceptes communautaires en matière de concurrence et faciliterait la pénétration nord-américaine de ses principaux marchés européens.
Deuxièmement, une politique industrielle ambitieuse doit prendre en compte les réalités nationales sur lesquelles vivent les citoyens et les entreprises. Concrètement, la France et l'Allemagne doivent mettre un terme à la fuite en avant libérale que l'on retrouve dans les concepts d'attractivité et de mise en concurrence des territoires. Les obsessions de réduction des coûts du travail et de la fiscalité seront funestes à nos deux sociétés. S'il est envisageable de compenser quelque peu le dumping de certaines régions, c'est surtout le travail sur les facteurs endogènes de la croissance qui doit faire l'objet de tous les efforts. Nous devons être capables de générer notre propre capital physique, humain, technologique et public en valorisant nos organisations de la société, du système d'éducation, des filières industrielles, des infrastructures publiques etc... Le cadre national et ses spécificités sont dès lors incontournables.
Alstom et le marché de l'énergie en offrent une belle illustration. Alors que la France s'apprête à confirmer le choix du nucléaire, nous devons nous attacher à sauver notre modèle énergétique, dont la modicité et la sécurité représentent un exceptionnel facteur endogène de compétitivité. L'approche industrielle que nous souhaitons mais que nous ne pouvons imposer à nos voisins prend au moins quatre directions : le retour sur la libéralisation, le refus la privatisation, la recherche d'une cohérence entre les acteurs industriels de la filière et l'adossement d'Alstom à Areva. Il est en effet souhaitable que cette dernière, dont l'expertise en matière de construction de centrales nucléaires se limite au réacteur, bénéficie du savoir-faire d'Alstom pour la partie conventionnelle. Aujourd'hui, la dépendance excessive d'Areva envers Siemens pour cette partie est un facteur de risque d'autant plus important que l'hostilité de l'opinion publique allemande au nucléaire ne se dément pas.
Troisièmement, bien que mise en uvre à l'échelle nationale, la politique industrielle doit aussi pouvoir, lorsque la volonté politique rencontre l'opportunité économique, s'ouvrir à la coopération internationale autour de grands projets. Nous parlons bien dans un premier temps de coopération sur le modèle d'Airbus : en concevant de grands projets, soutenus au besoin par la commande publique, les Etats peuvent encourager leurs entreprises à coopérer. La mise en commun de savoir-faire dans une perspective de croissance est bien plus enthousiasmante et rassurante que la mise en uvre d'une consolidation dans la seule perspective d'une réduction des coûts !
Là encore, Alstom et Siemens fournissent de considérables opportunités de coopération. Adossé à Areva, Alstom pourrait coopérer avec Siemens, la SNCF et Deutsche Bahn, sur un programme de train à grande vitesse de IVe génération pour 2010. Initié il y a quatre ans, ce programme doit être relancé par les Etats et éventuellement complété par un volet de fret ferroviaire.
Pour en finir avec la désindustrialisation, l'Allemagne et la France n'ont pas besoin de plus de libéralisme mais d'une action publique volontariste ancrée dans les réalités nationales et ouvertes sur la coopération internationale.
(source http://mrc-france.org, le 16 juillet 2004)
LIBÉRATION le 09/07/2004
Structurellement libérale, l'Union est gouvernée par une élite financière. L'urgence est de ressouder les liens entre gouvernants et gouvernés.
Les réserves prudentes exprimées par Laurent Fabius à l'égard du projet de Constitution européenne ont suscité une de ces levées de bouclier qui nous rappelle que l'Europe - c'est-à-dire la préservation d'un projet porté par les seules élites et, pour cette raison, irrémédiablement lié au libéralisme - est bien au cur de la pensée unique. Quoi donc ! Un ancien Premier ministre, un candidat potentiel à l'élection présidentielle, un réformiste de gauche que l'on croyait libéral, qui ose critiquer une avancée de la construction européenne, qui prétend vouloir la juger en regard, et en regard seulement, des ambitions sociales affichées par son parti ? Plus qu'une faute, une trahison pour ses détracteurs.
Passons rapidement sur les menaces : un eurosceptique n'a aucun espoir de devenir président de la République ; si Laurent Fabius veut préserver ses chances d'accéder à la fonction suprême, il devra donner des gages. De telles menaces confèrent à ceux qui les professent l'illusion d'une toute puissance dont je veux bien croire qu'elle puisse aveugler.
Intéressons-nous plutôt au principal argument mobilisé par les prêtres de la pensée unique : l'Europe est la seule chance de la gauche. L'Etat providence est en crise ; l'Etat-nation est dépassé par les évolutions d'un capitalisme de plus en plus financier ; face à la jungle libérale, l'Europe est l'unique solution ; l'Europe, l'ambition européenne sont les seules chances de la gauche ; la gauche doit faire l'Europe. CQFD.
Bien sûr, il y a la Constitution européenne, et l'on ne peut pas dire qu'elle soit sociale. Ici, les prêcheurs de la pensée unique divergent. Pour les uns, cette Constitution n'en est pas une ; elle ne fait que réécrire, en les simplifiant, des traités ratifiés par les socialistes : il n'y a donc aucune raison de les rejeter sous leur nouvelle forme. Pour les autres, cette Constitution en est bien une, et comme l'on n'a jamais vu une Constitution fixer une fois pour toute un projet social, il n'y a pas de raison que la Constitution européenne soit autre chose qu'un cadre institutionnel offrant à la gauche un espace d'action pour peu qu'elle sache l'investir et y devenir majoritaire. Ces deux propositions s'annulent l'une l'autre en dévoilant involontairement ce qu'est l'Europe. Car l'Europe n'est ni un cadre institutionnel neutre ni un projet consensuel concrétisé. Elle est les deux : un cadre au service d'un projet ; un projet au service d'un cadre.
Certains feignent de croire que le cadre européen peut donner naissance à autre chose qu'au libéralisme en se transformant en un authentique système politique ; d'autres parviennent visiblement à se convaincre que le projet européen, effectivement consensuel, comporte dès à présent des avancées sociales qui, par le détour du droit, éloigneront progressivement le spectre libéral. Dans les faits, pourtant, la structure institutionnelle européenne de négociation permanente et le libéralisme technocratique dominant sont liés. L'Europe est structurellement libérale. Elle est voulue, mise en place, organisée, défendue et offerte aux peuples européens par des élites financières qui s'opposent farouchement à toute autre forme de projet et qui redoutent comme la peste que les Etats-nations, les citoyens viennent mettre leur grain de sel dans l'affaire. Pensons, pour s'en convaincre, aux réactions de la Commission de Bruxelles, aux mots méprisants de Mario Monti à l'endroit de la France défendant Alstom ou encore la flexibilisation du pacte de stabilité, et nous aurons une idée de ce qu'est l'Europe des élites.
La rédaction d'une Constitution européenne, qui devait théoriquement nous libérer de ce destin funeste, a bel et bien cristallisé l'Europe libérale en mettant en valeur l'impossibilité structurelle de réaliser l'Europe sociale. La Constitution européenne est le révélateur ultime du lien consubstantiel entre l'Europe et le libéralisme. L'Europe sociale, dans ce cadre, est un mythe destiné à amuser les naïfs ou à dévoyer la mobilisation, certainement pas un projet d'avenir. Je pose la question : les opposants de gauche au projet de Constitution européenne auront-ils le courage de comprendre cela ?
La gauche doit sortir de ce piège. L'urgence est de démanteler ce que Jean-Paul Fitoussi appelle le " gouvernement économique de l'Europe " (pouvoirs de la Commission européenne en matière de concurrence, Pacte de stabilité, statuts de la BCE), d'en finir avec le mythe d'une démocratie européenne pour, au contraire, travailler à ressouder les liens entre gouvernants et gouvernés en articulant refondation des démocraties représentatives nationales et formulation de nouveaux compromis sociaux. L'Europe n'est pas " notre horizon indépassable ". Elle n'est qu'un aspect de la mondialisation libérale. Elle ne constitue pas cette contrainte terrible au non de laquelle on fait accepter n'importe quoi à des citoyens désarmés. Son budget ne représente pas plus, heureusement, que 1,7 % du PIB européen. Ce sont les Etats-nations qui continuent de jouer le rôle économique et social essentiel. Et c'est grâce à cela, soit dit en passant, qu'il y a encore de la résistance face au rouleau compresseur du libéralisme européen. Les citoyens, eux, savent déjà à quoi s'en tenir, si l'on veut bien prendre au sérieux le taux d'abstention aux élections européennes.
La gauche doit dire non aux intimidations de ceux qui cachent une profonde indigence de pensée derrière des anathèmes superficiels (on a maintenant, après le stigmate de souverainisme de " droite ", celui de " gauche " !). Elle doit éviter les impasses du libéralisme social. Oui, nous avons besoin, à gauche, d'un débat sérieux sur l'Europe.
(source http://mrc-france.org, le 16 juillet 2004)
Madame Loyola de Palacio veut qu'EDF soit géré comme Renault. Elle veut que les emprunts d'EDF ne soient pas garantis par l'Etat. Elle veut " qu'EDF puisse être mis en faillite comme Renault ", comme n'importe quelle autre entreprise.
Supposons un instant que, par malheur, Renault tombe en faillite, ce serait une catastrophe industrielle et sociale. Mais, bien vite, d'autres constructeurs d'automobiles proposeraient en remplacement leurs propres produits sur le marché. Supposons maintenant qu'EDF tombe en faillite, ce serait une apocalypse nationale. Sans électricité, aujourd'hui, quasiment toute activité, non seulement économique, mais aussi domestique s'arrêterait dans le pays.
Les idéologues libéraux diront que la concurrence pourvoira à cette défaillance. Encore faut-il que les entreprises concurrentes disposent des capacités de production suffisantes pour suppléer, tout en continuant à alimenter leurs clients habituels. Encore faut-il que le réseau de transport de l'électricité soit capable d'assurer ce surcroît de transit.
Les cyniques demanderont alors à l'Etat de faire son devoir et de réquisitionner les moyens de production de l'entreprise en faillite, pour qu'ils continuent à fonctionner. Les problèmes financiers dus à la faillite seront réglés par ailleurs.
On voit bien la différence que Madame de Palacio semble ignorer. Devant une faillite de Renault, l'Etat pourrait se limiter à une intervention de nature sociale. Face à une faillite d'EDF, l'Etat devrait prendre le contrôle des moyens de production. Les électrons ne se confondent pas avec les automobiles. Madame de Palacio et autres sont aveuglés par leur idéologie libérale.
En réalité, dans ce débat sur EDF, il faudrait distinguer trois stades : la nature de l'électron, le régime judiciaire de l'électron, et l'utilisation de l'électron. La nature de l'électron dépend de la seule science physique. L'électricité ne se stocke pas. Bien que se déplaçant à la vitesse de la lumière, l'électricité se transporte difficilement. Cette double réalité impose le monopole. C'est si vrai que personne, même à Bruxelles, n'a imaginé de mettre en concurrence les réseaux de transport et de distribution. Or, en France, le coût de cet acheminement, qui reste un monopole, représente 50 % du prix de revient de l'électricité consommée par un particulier. La part de la production est de 45 %. Comme il n'existe plus de sites hydroélectriques disponibles et que le nucléaire fournit l'électron le moins cher possible, on ne peut espérer baisser encore les coûts de production. La concurrence ne peut donc porter que sur les 5 % restant, dits frais de commercialisation. Or, on voit bien que ceux-ci ne peuvent qu'augmenter avec le marketing et la publicité. De plus, avec la privatisation, il faudra bien rémunérer les actionnaires.
Il n'est donc pas étonnant que les industriels commencent à s'inquiéter. D'ailleurs, les exemples étrangers leur montrent qu'ils ont raison.
Avant que l'idéologie néo-libérale s'empare de l'Occident, il y a une vingtaine d'années, l'électricité était partout gérée sous forme de monopole. Dans certains pays, il y avait déjà plusieurs sociétés, mais chacune avait son territoire. L'Etat veillait pour que de telles situations ne conduisent pas à des abus. Car, notamment aux Etats-Unis ou en Allemagne, ces sociétés étaient privées. En France, conformément au préambule de la constitution depuis 1946, les monopoles doivent être gérés par des entreprises publiques.
Ce régime juridique a permis une utilisation judicieuse de l'électron au non du service public. Il a été un facteur important d'aménagement du territoire avec la péréquation tarifaire. Il a été un élément de la cohésion sociale avec l'égalité entre les consommateurs. Il a été un instrument du développement économique en fournissant un produit de qualité au moindre prix. Il a été un levier qui a entraîné et impulsé toute l'industrie française d'abord avec les grands barrages hydroélectriques, ensuite avec le programme nucléaire.
Le courage en politique est de savoir reconnaître ses erreurs. La solution sage serait de revenir à la situation antérieure, avec peut-être quelques aménagements de détail. Une telle solution provoquerait des tensions avec Bruxelles. Mais, au nom du principe de subsidiarité, chaque pays devrait pouvoir organiser comme il l'entend son système électrique. Si certaines pensent que leur idéologie libérale peut surmonter les lois de la science physique, laissons-les dans leur coûteuse illusion. Mais, évitons d'être leur mouton de Panurge. Restera à régler le problème secondaire posé par certains investissements inconsidérés d'EDF à l'étranger.
(source http://mrc-france.org, le 16 juillet 2004)
LA TRIBUNE le 5 Juillet 2004
Les propos de Gerhard Schröder, qui accusait récemment Nicolas Sarkozy de "nationalisme" au sujet d'Alstom, n'auront ému personne. Les gouvernements ont évidemment le devoir de promouvoir les intérêts nationaux. Et la légitime inquiétude des peuples allemand et français face à la fuite en avant libérale, à la destruction de leurs modèles économiques et à la désindustrialisation, forme un contexte particulièrement propice à de vifs échanges.
Bien sûr, le Ministre de l'Economie et des Finances a eu le mérite d'éloigner provisoirement la prise de contrôle d'Alstom par Siemens. De cette opération, nous ne pouvons qu'attendre de douloureuses restructurations, de délicats problèmes d'arbitrage au sein de Siemens entre les programmes ferroviaires TGV et ICE et une dépendance excessive du nucléaire français envers Siemens.
Mais pourquoi en rester là ? Le sauvetage d'Alstom et la relance industrielle supposent un véritable engagement politique de l'Etat, articulé autour de trois axes.
Premièrement, la France et l'Allemagne doivent tirer toutes les conséquences de l'indigence communautaire en la matière. La construction européenne est un biais structurel du libéralisme le plus dogmatique, aujourd'hui figé définitivement par le projet de constitution. A quelques exceptions rares et souvent limitées, l'action communautaire en direction de l'industrie consiste à appliquer les préceptes désuets de la concurrence à tout prix et du libre-échange.
Encouragée par le lobbying prédateur quoique naturel de Siemens, la Commission européenne s'est ainsi opposée à l'adossement d'Alstom à Areva et a tout fait pour minorer les aides de l'Etat. Mais que Siemens ne se méprenne pas : son éventuel rachat d'Alstom se heurterait aux préceptes communautaires en matière de concurrence et faciliterait la pénétration nord-américaine de ses principaux marchés européens.
Deuxièmement, une politique industrielle ambitieuse doit prendre en compte les réalités nationales sur lesquelles vivent les citoyens et les entreprises. Concrètement, la France et l'Allemagne doivent mettre un terme à la fuite en avant libérale que l'on retrouve dans les concepts d'attractivité et de mise en concurrence des territoires. Les obsessions de réduction des coûts du travail et de la fiscalité seront funestes à nos deux sociétés. S'il est envisageable de compenser quelque peu le dumping de certaines régions, c'est surtout le travail sur les facteurs endogènes de la croissance qui doit faire l'objet de tous les efforts. Nous devons être capables de générer notre propre capital physique, humain, technologique et public en valorisant nos organisations de la société, du système d'éducation, des filières industrielles, des infrastructures publiques etc... Le cadre national et ses spécificités sont dès lors incontournables.
Alstom et le marché de l'énergie en offrent une belle illustration. Alors que la France s'apprête à confirmer le choix du nucléaire, nous devons nous attacher à sauver notre modèle énergétique, dont la modicité et la sécurité représentent un exceptionnel facteur endogène de compétitivité. L'approche industrielle que nous souhaitons mais que nous ne pouvons imposer à nos voisins prend au moins quatre directions : le retour sur la libéralisation, le refus la privatisation, la recherche d'une cohérence entre les acteurs industriels de la filière et l'adossement d'Alstom à Areva. Il est en effet souhaitable que cette dernière, dont l'expertise en matière de construction de centrales nucléaires se limite au réacteur, bénéficie du savoir-faire d'Alstom pour la partie conventionnelle. Aujourd'hui, la dépendance excessive d'Areva envers Siemens pour cette partie est un facteur de risque d'autant plus important que l'hostilité de l'opinion publique allemande au nucléaire ne se dément pas.
Troisièmement, bien que mise en uvre à l'échelle nationale, la politique industrielle doit aussi pouvoir, lorsque la volonté politique rencontre l'opportunité économique, s'ouvrir à la coopération internationale autour de grands projets. Nous parlons bien dans un premier temps de coopération sur le modèle d'Airbus : en concevant de grands projets, soutenus au besoin par la commande publique, les Etats peuvent encourager leurs entreprises à coopérer. La mise en commun de savoir-faire dans une perspective de croissance est bien plus enthousiasmante et rassurante que la mise en uvre d'une consolidation dans la seule perspective d'une réduction des coûts !
Là encore, Alstom et Siemens fournissent de considérables opportunités de coopération. Adossé à Areva, Alstom pourrait coopérer avec Siemens, la SNCF et Deutsche Bahn, sur un programme de train à grande vitesse de IVe génération pour 2010. Initié il y a quatre ans, ce programme doit être relancé par les Etats et éventuellement complété par un volet de fret ferroviaire.
Pour en finir avec la désindustrialisation, l'Allemagne et la France n'ont pas besoin de plus de libéralisme mais d'une action publique volontariste ancrée dans les réalités nationales et ouvertes sur la coopération internationale.
(source http://mrc-france.org, le 16 juillet 2004)
LIBÉRATION le 09/07/2004
Structurellement libérale, l'Union est gouvernée par une élite financière. L'urgence est de ressouder les liens entre gouvernants et gouvernés.
Les réserves prudentes exprimées par Laurent Fabius à l'égard du projet de Constitution européenne ont suscité une de ces levées de bouclier qui nous rappelle que l'Europe - c'est-à-dire la préservation d'un projet porté par les seules élites et, pour cette raison, irrémédiablement lié au libéralisme - est bien au cur de la pensée unique. Quoi donc ! Un ancien Premier ministre, un candidat potentiel à l'élection présidentielle, un réformiste de gauche que l'on croyait libéral, qui ose critiquer une avancée de la construction européenne, qui prétend vouloir la juger en regard, et en regard seulement, des ambitions sociales affichées par son parti ? Plus qu'une faute, une trahison pour ses détracteurs.
Passons rapidement sur les menaces : un eurosceptique n'a aucun espoir de devenir président de la République ; si Laurent Fabius veut préserver ses chances d'accéder à la fonction suprême, il devra donner des gages. De telles menaces confèrent à ceux qui les professent l'illusion d'une toute puissance dont je veux bien croire qu'elle puisse aveugler.
Intéressons-nous plutôt au principal argument mobilisé par les prêtres de la pensée unique : l'Europe est la seule chance de la gauche. L'Etat providence est en crise ; l'Etat-nation est dépassé par les évolutions d'un capitalisme de plus en plus financier ; face à la jungle libérale, l'Europe est l'unique solution ; l'Europe, l'ambition européenne sont les seules chances de la gauche ; la gauche doit faire l'Europe. CQFD.
Bien sûr, il y a la Constitution européenne, et l'on ne peut pas dire qu'elle soit sociale. Ici, les prêcheurs de la pensée unique divergent. Pour les uns, cette Constitution n'en est pas une ; elle ne fait que réécrire, en les simplifiant, des traités ratifiés par les socialistes : il n'y a donc aucune raison de les rejeter sous leur nouvelle forme. Pour les autres, cette Constitution en est bien une, et comme l'on n'a jamais vu une Constitution fixer une fois pour toute un projet social, il n'y a pas de raison que la Constitution européenne soit autre chose qu'un cadre institutionnel offrant à la gauche un espace d'action pour peu qu'elle sache l'investir et y devenir majoritaire. Ces deux propositions s'annulent l'une l'autre en dévoilant involontairement ce qu'est l'Europe. Car l'Europe n'est ni un cadre institutionnel neutre ni un projet consensuel concrétisé. Elle est les deux : un cadre au service d'un projet ; un projet au service d'un cadre.
Certains feignent de croire que le cadre européen peut donner naissance à autre chose qu'au libéralisme en se transformant en un authentique système politique ; d'autres parviennent visiblement à se convaincre que le projet européen, effectivement consensuel, comporte dès à présent des avancées sociales qui, par le détour du droit, éloigneront progressivement le spectre libéral. Dans les faits, pourtant, la structure institutionnelle européenne de négociation permanente et le libéralisme technocratique dominant sont liés. L'Europe est structurellement libérale. Elle est voulue, mise en place, organisée, défendue et offerte aux peuples européens par des élites financières qui s'opposent farouchement à toute autre forme de projet et qui redoutent comme la peste que les Etats-nations, les citoyens viennent mettre leur grain de sel dans l'affaire. Pensons, pour s'en convaincre, aux réactions de la Commission de Bruxelles, aux mots méprisants de Mario Monti à l'endroit de la France défendant Alstom ou encore la flexibilisation du pacte de stabilité, et nous aurons une idée de ce qu'est l'Europe des élites.
La rédaction d'une Constitution européenne, qui devait théoriquement nous libérer de ce destin funeste, a bel et bien cristallisé l'Europe libérale en mettant en valeur l'impossibilité structurelle de réaliser l'Europe sociale. La Constitution européenne est le révélateur ultime du lien consubstantiel entre l'Europe et le libéralisme. L'Europe sociale, dans ce cadre, est un mythe destiné à amuser les naïfs ou à dévoyer la mobilisation, certainement pas un projet d'avenir. Je pose la question : les opposants de gauche au projet de Constitution européenne auront-ils le courage de comprendre cela ?
La gauche doit sortir de ce piège. L'urgence est de démanteler ce que Jean-Paul Fitoussi appelle le " gouvernement économique de l'Europe " (pouvoirs de la Commission européenne en matière de concurrence, Pacte de stabilité, statuts de la BCE), d'en finir avec le mythe d'une démocratie européenne pour, au contraire, travailler à ressouder les liens entre gouvernants et gouvernés en articulant refondation des démocraties représentatives nationales et formulation de nouveaux compromis sociaux. L'Europe n'est pas " notre horizon indépassable ". Elle n'est qu'un aspect de la mondialisation libérale. Elle ne constitue pas cette contrainte terrible au non de laquelle on fait accepter n'importe quoi à des citoyens désarmés. Son budget ne représente pas plus, heureusement, que 1,7 % du PIB européen. Ce sont les Etats-nations qui continuent de jouer le rôle économique et social essentiel. Et c'est grâce à cela, soit dit en passant, qu'il y a encore de la résistance face au rouleau compresseur du libéralisme européen. Les citoyens, eux, savent déjà à quoi s'en tenir, si l'on veut bien prendre au sérieux le taux d'abstention aux élections européennes.
La gauche doit dire non aux intimidations de ceux qui cachent une profonde indigence de pensée derrière des anathèmes superficiels (on a maintenant, après le stigmate de souverainisme de " droite ", celui de " gauche " !). Elle doit éviter les impasses du libéralisme social. Oui, nous avons besoin, à gauche, d'un débat sérieux sur l'Europe.
(source http://mrc-france.org, le 16 juillet 2004)