Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la mobilisation de la France à la suite de la catastrophe en Asie du sud et du sud-est, Paris le 30 décembre 2004.

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Circonstance : Comité interministériel sur la catastrophe en Asie du sud et du sud-est, à Paris le 30 décembre 2004

Texte intégral

Je viens de présider un comité interministériel à propos de la terrible situation en Asie du Sud. Tous ces jours derniers, je me suis entretenu à plusieurs reprises au téléphone avec le président de la République et c'est avec lui encore, ce matin, que j'ai préparé les décisions que je vais vous annoncer dans quelques instants. Nous vivons, avec cet événement particulièrement terrifiant, sans doute la plus grande catastrophe naturelle de notre ère contemporaine. C'est une catastrophe continentale, avec des impacts aujourd'hui mondiaux. La planète entière est touchée par cette catastrophe et nous sommes là, sans doute, face à la première grande catastrophe naturelle à impact mondial. C'est une catastrophe qui impose aujourd'hui des actions d'urgence ; c'est évidemment aussi une catastrophe qui impose, dans la durée, une action déterminée, notamment pour ce qui sera l'étape juste après l'urgence, une étape majeure à laquelle le président de la République est particulièrement attentif : c'est l'étape de la prévention des épidémies qui vont se répandre dans cette région si des efforts massifs ne sont pas engagés. C'est pour cela que la France proposera, sur cette dimension de la prévention, de la santé publique, des initiatives que je vous déclinerai dans quelques instants.
D'abord, M. Barnier nous a rendu compte du voyage terrible qu'il a fait dans plusieurs sites de cette catastrophe, des rencontres particulièrement touchantes qu'il a pu avoir avec des personnes touchées dans des familles détruites et blessées dans leur chair. Dès le dimanche matin, une cellule de crise s'était tenue au Quai d'Orsay et nous avons mobilisé l'ensemble de nos forces sur place, et nous avons mobilisé les services d'urgence et c'est cette mobilisation que M. Barnier est allé constater sur le terrain, apportant de l'aide technique et aussi engageant le dialogue avec les autorités locales, avec lesquelles nous devons parler, et notamment nous devons leur parler du rapatriement des corps, qui est une priorité pour nous et pour les familles concernées. M. Barnier nous a dit combien il avait été marqué par cette douleur sur l'ensemble de ce continent, une douleur qui est particulièrement voyante dans les yeux des enfants, puisque c'est sans doute une crise mondiale qui touche d'abord l'enfance. Le nombre d'orphelins, le nombre aujourd'hui de familles déchiquetées est très très important, et il est évident que nous avons une action toute particulière à engager pour tous ces enfants qui se trouvaient en Asie du Sud dans cette période et qui sont aujourd'hui seuls au monde et qui ont besoin de nous tous.
Nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs : d'abord, pour permettre le rapatriement des corps dans les meilleures conditions, à chaque fois que cela sera possible ; nous avons aussi mis en place une forte mobilisation pour que les 560 personnes dont nous sommes sans nouvelles, puissent être le plus rapidement identifiées. Nous lançons toujours cet appel pour que tous ceux qui n'auraient pas donné de leurs nouvelles à leur famille, à leur entreprise, qu'ils soient venus de France ou qu'ils soient résidents dans cette région du monde, pour leur demander de donner de leurs nouvelles. Ils étaient 3.500 il y a 48 heures ; ils sont aujourd'hui 560 personnes dont nous sommes encore sans nouvelles, 560 Français dont nous attendons un message et dont les familles attendent avec anxiété un message de vie, un message d'espoir. L'ensemble de nos acteurs locaux - l'ambassade, les consulats, la police et la gendarmerie - qui ont été envoyés sur place, sont mobilisés pour lancer ces appels aux personnes qui sont aujourd'hui sans nouvelles pour la France, mais aussi nous menons des actions sur le territoire national pour identifier les personnes qui seraient rentrées et qui n'auraient pas donné signe de leur retour. Je remercie tous les opérateurs de la téléphonie mobile qui sont d'accord pour se mobiliser en lançant un message pour inciter les personnes disparues à se manifester. Nous souhaitons vraiment que ce chiffre puisse diminuer encore de manière massive, car nous voyons bien que la limite de ce chiffre, c'est la catastrophe. Et c'est pour cela que cet appel est aussi insistant.
Nous avons, à ce jour, 244 personnes blessées et nous avons les moyens civils et militaires pour pouvoir rapatrier l'ensemble de ces personnes blessées dans des bonnes conditions de suivi médical et la capacité d'un accueil tout à fait de proximité à leur retour en France. Je pense notamment à l'accueil psychologique qui sera organisé et à Paris et dans leurs départements d'habitation. Nous avons donc mis en place un dispositif d'urgence et aujourd'hui, nous pensons que ce dispositif d'urgence a besoin, non seulement de l'effort de tous, de la mobilisation de tous, mais aussi de la cohérence. Et je voudrais remercier toutes les organisations non gouvernementales, toutes les associations, toutes les collectivités locales qui s'engagent matériellement, généreusement pour soutenir les populations qui sont dans la douleur dans cette partie du monde. Le ministère des Affaires étrangères d'une part, le ministère de l'Intérieur d'autre part, sont à leur disposition pour les aider, pour finaliser leur action, pour définir la nature même des opérations qu'ils souhaitent engager et pour que l'ensemble de l'action, des ONG d'une part, des collectivités territoriales d'autre part, soit le plus cohérent possible et s'inscrive dans l'action internationale qui est engagée.
Nous voyons bien que, derrière cette étape d'urgence pour laquelle nous restons mobilisés, il y a une forte action à mener contre les risques d'épidémies. C'est le souhait du chef de l'État, d'engager une action, d'abord au niveau de l'Europe, aussi en partenariat avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS), et de mobiliser les moyens coordonnés pour une action forte de prévention des épidémies. Nous craignons que derrière cette première catastrophe, il y en ait une deuxième pour les populations sur place qui peuvent être menacées par des graves problèmes de santé publique. C'est pour cela que la France s'engage, à l'initiative du chef de l'État, à mettre autant de moyens sur la prévention de la santé que nous n'en avons mis sur les questions de soutien, d'aide à l'urgence. Nous avons mis plus de 20 millions d'euros pour l'aide à l'urgence, nous sommes prêts à mettre la même somme pour la prévention pour la santé publique. Nous menons ainsi une action qui place la France en tête de tous les contributeurs face à cette catastrophe, mais nous voulons surtout montrer là notre priorité sur la prévention de la santé publique, et notamment la lutte contre les épidémies qui peuvent se développer très très rapidement dans la zone.
Parmi nos premières priorités, il y a l'eau potable, une priorité pour laquelle nous avons une expérience d'intervention déjà en France. Nous pensons qu'il s'agit là d'une priorité de santé publique. D'ores et déjà, des compresseurs, des équipes spécialisées sont prêtes pour mettre en place sur le terrain des dispositifs. Nous souhaitons que tout ceci soit intégré dans un plan international, mais nous souhaitons que la France puisse, au sein du Conseil européen, et c'est le travail du ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy, faire de l'eau potable et de l'accès à l'eau potable, une priorité de santé publique pour les populations. Nous mobiliserons donc des moyens financiers importants sur cet objectif.
Nous souhaitons également participer à une mobilisation européenne, avec la mise en place d'un Fonds d'aide à la reconstruction des pays dévastés. Il va de soi que les dégâts sont innombrables, et il nous faut aider ces populations à reconstruire une espérance de vie. C'est pour cela que nous souhaitons que l'Union européenne s'engage dans ce Fonds. De même, nous souhaitons aider ces pays quant à leur dette. Nous sommes prêts à mener avec eux une action au sein du Club de Paris, pour que le principe d'un moratoire sur la dette de ces pays puisse être adopté par tous.
Enfin, nous souhaitons qu'un système mondial d'alerte et de prévention des risques sismiques et des raz de marée puisse être mis en place ; nous y travaillerons avec notamment l'appui scientifique du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) qui en France possède de multiples atouts scientifiques et humains pour participer à cette dynamique de prévention et de pédagogie. Car face à cette catastrophe, on voit bien que les populations ont été mal prévenues, mais qu'elles étaient aussi mal préparées aux risques. Et donc, nous avons là un travail international très important à mener.
Voilà quelques actions que nous allons développer dans les heures qui viennent. Nous souhaitons poursuivre une action dans la durée. Le gouvernement est au travail, l'ensemble des services de l'État sont mobilisés sur ces sujets pour faire face à toutes les difficultés qui ne manqueront pas de survenir face à une telle circonstance continentale particulièrement douloureuse et particulièrement tragique.
Enfin, je voudrais simplement dire que beaucoup de fonctionnaires ont été mobilisés ; plus de 5.000 fonctionnaires aujourd'hui sont au travail, pour aider nos compatriotes pour mobiliser l'ensemble de nos forces, et faire ainsi face à une situation qui est particulièrement exceptionnelle en ce début de XXIe siècle. Je voudrais saluer leur dévouement en cette période, qui est habituellement une période de fête, je voudrais saluer le courage et le dévouement de ceux qui se consacrent à l'intérêt général et à la survie d'un continent qui a besoin de notre générosité pour retrouver l'espérance.
Je vous remercie.
Q - Avez-vous des chiffres plus précis concernant les personnes décédées ?
R - Il y a actuellement 22 personnes décédées. Mais naturellement tous ces chiffres sont sujets à révision permanente. Et vous avez bien compris que pour nous, ce chiffre de 22 personnes est naturellement un chiffre tragique, mais c'est le nombre de personnes qui resteront sans nous donner de nouvelles parmi les 560 qui est pour nous la plus grande des préoccupations. Mais je vous signale que, hier encore, on parlait de 3.500. Donc, nous sommes passés de 3.500 à 560. Donc beaucoup de personnes sont rentrées. Il y avait aussi beaucoup de personnes qui étaient dans la région et qui résidaient dans la région, et donc qui ne sont pas rentrées en France, qui sont rentrées dans l'un des pays de la région. Nous avons donc tout cet inventaire aujourd'hui à faire. Mais naturellement, ce chiffre de 22 décès est un chiffre beaucoup trop important, mais nous n'en resterons pas là.
Q - Qu'entendez-vous par "Programme de santé" ?
R - Ce que nous souhaitons, c'est un programme européen de prévention de santé publique. Ce que nous souhaitons, c'est que les pays européens, avec l'OMS, se rassemblent, et qu'un budget soit développé par différents pays européens pour prévenir un certain nombre de risques d'épidémies. Et donc, la France fait cette proposition. Philippe Douste-Blazy l'a demandé au président du Conseil des ministres de la Santé, la présidence néerlandaise a également pris contact avec la présidence luxembourgeoise le 1er janvier pour qu'une réunion ait lieu très rapidement, dans les jours prochains. Et afin de montrer notre mobilisation, nous apportons une contribution financière en l'évaluant au même niveau que ce que nous avons fait pour l'urgence, mais aussi en donnant une priorité qui nous paraît essentielle, qui est celle de l'eau potable, et nous sommes prêts à mobiliser non seulement des moyens publics, mais des partenariats privés pour monter des installations techniques qui permettent la distribution d'eau potable de manière massive.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 janvier 2005)