Interviews de M. Jean-Luc Cazettes, président de la CFE-CGC, dans "Les Echos" le 27 décembre 2004 et dans "L'Est Républicain" le 11 janvier 2005, sur la position de la CFE-CGC concernant l'annonce du projet d'assouplissement des 35 heures.

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Circonstance : Présentation par M. J.-P. Raffarin, Premier Ministre, de plusieurs mesures visant à réformer la durée du temps de travail, à Paris le 9 décembre 2004

Média : Energies News - Les Echos - L'Est républicain - Les Echos

Texte intégral

Interview de M. Jean-Luc CAZETTES, le 27/12/2004 :
Lucie Robequain : Les cadres que vous représentez sont-ils satisfaits ?
Jean-Luc Cazettes : Les mesures annoncées par Jean-Pierre Raffarin ne sont pas spécialement favorables aux cadres. Si nous avons limité nos critiques, c'est tout simplement parce qu'elles n'auront pas d'effet dans les entreprises, ou très peu. En outre, l'accroissement des heures supplémentaires n'est pas forcément une mauvaise chose, si elles résultent d'une amélioration du cahier des charges des entreprises. La plupart des cadres ont des problèmes de pouvoir d'achat et possèdent des jours de RTT dont ils ne profitent pas, faute d'argent. Selon notre dernier baromètre, 80 % d'entre eux aimeraient racheter les jours de RTT non pris. Malheureusement, les cadres au forfait jours ne peuvent pas profiter de la majoration de 25 %, prévue pour les heures supplémentaires effectuées dans les entreprises de plus de 20 salariés. Il est donc absolument nécessaire de prévoir un abondement de l'employeur pour accompagner le remboursement de jours de RTT pour les cadres. Je ne demande pas un taux fixé par la loi, mais le principe d'un abondement qui serait ensuite négocié dans les branches, voire dans les entreprises. Les cas ne sont pas identiques dans l'industrie et les services : il faut donc assurer un minimum de souplesse au dispositif.
LR : La CGT, la CFDT et la CFTC réfléchissent à une riposte syndicale pour le mois de janvier, à l'occasion du débat parlementaire. Vous ne souhaitez pas vous joindre à eux. Pourquoi ?
JLC : La méthode employée par mes homologues n'est pas convenable. Au lieu de mener des entretiens bilatéraux, nous aurions dû débattre en intersyndicale, sans que cela mène forcément à une manifestation. Je suis certain que nous aurions pu trouver un consensus minimal sur cette thématique des 35 heures. Ce que je vois, c'est que chaque responsable de confédération parle d'intersyndicale en faisant son numéro personnel devant les médias. En outre, je ne suis pas sûr que ces confédérations réussissent à présenter un front uni au moment du débat parlementaire. A part peut-être la CGT, personne ne veut prendre la responsabilité d'une manifestation ou d'une grève.
LR : Le développement du compte épargne temps (CET) figure au coeur du dispositif. Les cadres sont-ils intéressés par ce nouvel outil?
JLC : Tel qu'il existe, le compte épargne temps n'a aucune chance de se développer. Si les salariés ont la possibilité de racheter leurs jours de RTT de manière immédiate, en quoi auraient-ils intérêt à les stocker ? De plus, sans abondement, le CET ne peut que disparaître. En l'état, le CET ne suscite pas plus d'enthousiasme auprès des employeurs. Il est compliqué et plombe les comptes de l'entreprise en gonflant le montant des provisions. Pour qu'il fonctionne, sa gestion doit être davantage confiée à des entreprises spécialisées. Cela est déjà possible, mais peu utilisé. Encore faudrait-il que les Urssaf acceptent d'encaisser les cotisations sociales immédiatement, comme cela est le cas pour les plans d'épargne retraite. Les entreprises de gestion ne peuvent pas être des gestionnaires de personnel. L'externalisation du CET donnerait, en outre, de meilleures garanties aux salariés en cas de mobilité ou de défaillance d'entreprise. Le ministre délégué aux Relations du travail, Gérard Larcher, m'a promis de faire le nécessaire pour régler cette question. Il réfléchit également à la possibilité de racheter des jours de RTT en dehors d'un CET. J'y suis évidemment favorable, à condition que ces heures soient majorées de 25 % et exonérées de charges.
LR : Les entreprises vont avoir la possibilité de fixer par accord les modalités des heures supplémentaires réalisées au-delà du contingent légal (rémunération, repos compensateur...). Cette liberté vous semble-t-elle dangereuse ?
JLC : Bien sûr, mais elle n'est pas nouvelle ! J'aurais bien aimé que mes confrères se battent à mes côtés contre la loi Fillon sur le dialogue social en 2003. La CFDT et la CGT ont vendu leur droit d'aînesse contre un plat de lentille, échangeant la hiérarchie des normes contre l'accord majoritaire. Actuellement, la CFE-CGC est la seule organisation à refuser systématiquement les accords de branche qui ne sont pas normatifs pour les entreprises. Avec les 35 heures, la CFDT découvre brutalement que le renvoi de la négociation en entreprise peut être dramatique. C'est un peu tard. Il fallait s'opposer à la loi sur le dialogue social, et non aux mesures d'assouplissement des 35 heures.
LR : Les syndicats du secteur public préparent une semaine de mobilisation au mois de janvier. Souhaitez-vous les soutenir ?
JLC : Les mesures annoncées mardi par le ministre de la Fonction publique, Renaud Dutreil, nous satisfont partiellement. Pour la première fois depuis 1990, les cadres moyens ne sont pas pénalisés. Les fonctionnaires ont obtenu une revalorisation de 1 % du point d'indice, auquel s'ajoutent d'autres mesures ciblées. Dans le secteur privé, bien des salariés souhaiteraient progresser au même rythme. Je ne suis pas sûr que cette semaine d'action soit déterminante. Hormis à la SNCF, les syndicats ne sont plus, en ce moment, capables de mobiliser dans la rue. Paradoxalement, aucun mouvement social ne réussira tant que la situation ne sera pas meilleure. Les salariés du privé n'osent pas se plaindre dès lors qu'ils ont un emploi.
LR : Le gouvernement souhaite l'ouverture de négociations sur l'emploi des seniors dès le début 2005. Etes-vous optimiste ?
JLC : Ces négociations ne semblent pas susceptibles de changer les pratiques des employeurs. Les négociations tardent à s'ouvrir. Le Medef ne souhaite pas vraiment discuter de cette question. Les entreprises continuent de privilégier les départs avant l'âge légal de la retraite, par le biais de préretraites ou de négociations de gré à gré. Pour l'instant, il n'y a donc pas de réelle volonté de bouger. Cette question se réglera par des dispositifs gouvernementaux, et non par la négociation. Il faut faire évoluer, par exemple, les règles du multisalariat et du cumul emploi-retraite. Un accord paritaire sur l'évolution des carrières et le développement de la formation ne suffiront pas à changer la donne.
(Source http://www.cfecgc.org, le 3 janvier 2005)
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Interview de M. Jean-Luc CAZETTES, le 11/01/2005 :
Jean-Louis Denes : Partagez-vous l'indignation du monde syndical sur le second assouplissement des 35 heures qui s'annonce ?
Jean-Luc Cazettes : Non, je n'ai pas les mêmes opinions que mes collègues sur le problème du rachat des jours de RTT parleur versement dans un compte-épargne temps. Cela ne me choque pas. Et 80 % des cadres réclament cette possibilité dé reprise de jours de RTT dont ils ne peuvent pas profiter pour l'instant, jours qui sont perdus sauf pour l'entreprise. Par le biais d'un compteépargne temps, ils pourraient au moins se les faire payer. J'y ajoute une exigence d'abondement de la part de l'entreprise. De même qu'elle paie 125 % les heures supplémentaires à ses salariés, elle devra payer les jours qu'elle leur rachètera au delà du tarif normal.
JLD : Vous suivez donc plutôt les députés UMP...
JLC : Non, je ne les suis pas quand ils préconisent d'encaisser immédiatement dans le salaire les jours de RTT. Ce serait cela remettre en cause les 35 heures, les échanger contre du salaire et les intégrer comme tel en payant des cotisations sociales et des impôts. Alors que faire entrer ces jours dans un compte épargne temps, c'est les différer, les épargner sans charge ni impôts, mais avec autant que possible un abondement de l'entreprise. Ces jours de RTT, c'est ce qu'on a gagné en passant aux 35 heures, passage assorti d'une rigueur salariale et d'un blocage des revenus pendant trois ans. Les passer dans le salaire, dire maintenant qu'on paie les jours de RTT de façon à ne pas avoir à monter les salaires, ce serait un marché de dupes. Ce serait se faire avoir pendant six ans et non plus pendant trois ans ! La RTT c'est une chose. La négociation salariale une autre. Cela ne se mélange pas.
JLD : Existe-t-il beaucoup de comptes épargne temps ?
JLC : Aujourd'hui non, c'est très peu développé car c'est trop compliqué. Il n'y a que quelques grosses boîtes qui s'y sont intéressé. Et on est encore, pour les 10 à 15 % des salariés qui en bénéficient, en période de constitution de droits, puisqu'il faut 5 ans. On manque donc de recul pour en faire une plus forte promotion. Mais le Premier ministre a l'intention de simplifier considérablement ce dispositif, et surtout d'en faciliter l'extemalisation comme c'est déjà le cas pour l'intéressement, la participation ou la formation : beaucoup de banques ou d'assurances se sont lancées sur ce créneau et gèrent les provisions à passer etc. pour le compte des entreprises qui en sont déchargées et ne portent pas ces créances à leur bilan. C'est ainsi moins lourd et plus simple pour elles ; plus clair et plus sûr pour le salarié en cas de défaillance de son employeur.

(Source http://www.cfecgc.org, le 24 janvier 2005)