Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre, sur l'éventualité de l'adhésion de la Turquie à l'Union économique européenne, au Sénat le 22 décembre 2004.

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Circonstance : Débat organisé au Sénat sur l'éventualité de l'adhésion de la Turquie à l'Union économique européenne, le 22 décembre 2004

Texte intégral

Merci, monsieur le Président, de ces propos chaleureux. Je suis heureux de participer à ce débat. Le Président de la République a fixé la position de la France : oui à l'adhésion à terme de la Turquie si elle remplit les conditions. C'est l'intérêt de la France et de l'Europe.
Nous engageons aujourd'hui un dialogue qui durera tout au long des négociations. M. Barnier et Mme Haigneré vous tiendront régulièrement informés.
L'Union possède une attractivité et la France a fait le choix de l'ambition. Depuis 1963, la question de l'adhésion de la Turquie est posée et le général de Gaulle a encouragé entre l'Europe et la Turquie un dialogue qui s'est toujours poursuivi. La vocation européenne et de celle-ci a été reconnue et le 17 décembre, le Conseil européen a donné son accord à l'ouverture des négociations.
Le débat a été vif. Le Gouvernement a entendu les inquiétudes de ceux qui craignaient l'immigration clandestine. Le choix du 17 décembre n'est pas partisan. Il repose sur une vision de l'Europe. La Turquie fera sa révolution européenne et l'Europe, puissance de paix, amènera ce grand pays à respecter ses exigences en matière de liberté, de droits de l'homme et d'initiative. Quelle autre puissance aurait une telle influence et conduirait la Turquie à se réconcilier avec la Grèce ? L'Union est un véritable aimant démocratique.
Une Turquie réformée mais fidèle à sa tradition de dialogue avec le Proche-Orient et de francophilie serait une chance pour l'Europe dont la voix au Proche-Orient serait plus forte.
L'immigration fait toujours peur mais l'intégration fixe les populations car le développement est plus humain, on le sait d'expérience, à la maison. Nous devons veiller à ne pas humilier ce grand pays qui se veut laïc. Claquer la porte le rendrait sensible aux thèses aventureuses.
On peut discuter de l'histoire et de la géographie non de l'héritage humaniste qui trouve sa source dans l'Antiquité gréco-romaine. Suivant la formule du poète Terence : " Je suis homme, rien de ce qui est humain ne m'est étranger ".
(...)
L'Europe est une communauté de destin. L'Union n'est pas prête, la Turquie non plus mais nous voulons défendre notre projet et que la Turquie rejoigne nos valeurs. Il ne faut pas confondre négociations et adhésion. Il n'y a pas automaticité et le processus prendra dix ans, peut-être vingt ans.
Il faudra du temps pour que l'intérêt de la candidature turque soit partagé, si ce gouvernement se montre coopératif. La négociation sera sévère en matière de démocratie. La Turquie a fait des progrès qu'elle doit encore consolider irréversiblement. En matière de droits de l'homme et de respect des minorités, d'autres efforts sont nécessaires : la reconnaissance du génocide arménien de 1915 fait partie du nécessaire devoir de mémoire.
(...)
Il s'agit aussi de liberté religieuse, d'égalité entre hommes et femmes et de la signature du protocole d'Ankara : la question de Chypre doit être résolue dans un esprit de réconciliation avec la Grèce. Des progrès économiques et sociaux doivent permettre de surmonter la coupure entre l'est et l'ouest du pays. Des régions ne sont pas au niveau européen.
Des années durant, nous veillerons à la cohérence des valeurs européennes. Des clauses de sauvegarde pourront être prévues. Si la Turquie ne peut ou ne veut adhérer à l'ensemble de ces réformes, l'Union devra lui proposer un partenariat privilégié.
Le Parlement européen a toute sa place dans le processus. Dans une négociation d'Etat à Etat, chacun pourra bloquer le processus en formulant son veto à chaque étape : la France conserve la faculté d'arrêter la négociation si elle le juge nécessaire. Je souhaite que nous soyons exemplaires. N'attisons pas les peurs mais développons le débat démocratique, loin des slogans et des invectives portées à la face d'un grand pays ami. La patrie des droits de l'homme ne peut accepter le populisme. La France, qui a voté un texte d'avant-garde, découragerait-elle un pays qui veut s'engager sur la voie de la laïcité ?
" Qui craint de souffrir, souffre déjà de ce qu'il craint " disait Montaigne. Affirmons plutôt une vision d'avenir comme l'a fait le Président de la République en homme d'Etat. Dans le respect de nos institutions, le chef de l'Etat négocie les traités, le Parlement et le peuple autorisent leur ratification.
La prochaine réforme constitutionnelle prévoit la ratification par référendum : chaque Français conserve son droit d'expression personnel. Ainsi ferons-nous vivre nos principes : le peuple souverain aura le dernier mot.

(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 23 décembre 2004)