Interview de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, à RTL le 2 août 2004, sur les subventions de l'Union européenne à l'exportation des produits agricoles, le prix des fruits et légumes et la sécheresse.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Arzt - Cet accord signé, hier à Genève, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, dit que des négociations vont s'ouvrir pour fixer une date limite à partir de laquelle les pays développés, en particulier les pays de l'Union Européenne, devront arrêter de subventionner leurs exportations agricoles. Qu'est-ce que vous approuvez dans cet accord ?
R - "Ce qu'il est important de dire d'abord, c'est qu'effectivement le cycle de Doha reprend Tout le monde se rappelle de l'échec de Cancun. Donc là, le cycle reprend, sur effectivement les bases de l'accord qui vient d'être validé, hier matin."
R. Arzt - Et c'est une bonne chose ?
- "Je pense que c'est plutôt une bonne chose que les pays du monde se mettent d'accord sur la manière de réguler le commerce à travers le monde, parce qu'il faut ouvrir le commerce, et il faut en même temps protéger."
R. Arzt - Et pour l'agriculture ?
R - "Pour l'agriculture, c'est vrai qu'un des enjeux était celui des subventions à l'exportation, mais l'affaire était quasiment entendue, puisque le commissaire Lamy, commissaire européen chargé des négociations internationales, avait mis sur la table, il y a déjà quelques semaines, nos subventions à l'exportation. Et ce que nous voulions, nous, dans cet accord, c'est un accord équilibré, où notamment les Américains feraient les mêmes efforts que les Européens en direction des pays en développement, puisque que nos subventions, dont on parle tant, sont totalement transparentes et que celles des Américains le sont beaucoup moins. Au résultat, je trouve que ce n'est pas aussi équilibré que veut bien le dire le commissaire Lamy. C'est vrai qu'avec l'action que la FNSEA a menée - j'étais présent personnellement à Genève"
R. Arzt - Vous êtes allé voir comment cela se passait ?
R - "Plus que cela, je suis allé dire très clairement aux deux ministres qui représentaient le Gouvernement français, mais aussi au président en exercice, puisque c'est un président hollandais actuellement, que l'on ne pouvait pas sacrifier notre agriculture, en tout cas faire beaucoup d'efforts. Nous avons réformé la politique agricole, le commissaire Lamy mettait des subventions à l'exportation sur la table Il fallait des efforts identiques de la part des Américains, parce que leur méthode est simple : ils ont un système de prix garantis. Et je ne suis d'ailleurs pas certain que dans cet accord, ils reviennent sur la politique agricole. Ils ont un système de crédit à l'exportation et ils avaient aussi le système d'aide alimentaire, qui est une forme de subvention à l'exportation déguisée."
R. Arzt - S'il n'y a pas équilibre, vous êtes en train de nous expliquer que l'on demande plus à l'Europe ?
R - "L'Europe a fait beaucoup d'efforts et il faudra dans les prochains mois - parce qu'en fait, le cycle continue -, faire en sorte que les engagements pris par les Américains soient tenus. Et c'est là qu'il faudra que je demande la plus grande fermeté aux représentants de l'Union Européenne, dans la négociation qui va continuer concernant notamment les efforts des Américains. Et il y a un deuxième aspect : ce sont les importations dans l'Union Européenne. Et là encore, on ne peut pas abandonner nos subventions et, en même temps, ouvrir nos frontières sans limites."
R. Arzt - Ce serait ouvrir aux pays en voie de développement ?
R - "Nous faisons déjà beaucoup d'efforts envers les pays en développement. Mais je ne suis pas certain qu'on puisse considérer de la même manière des pays en développement comme le Brésil ou l'Argentine, ou le Burkina Faso, le Mali ou le Sénégal. Donc beaucoup d'efforts vers les pays les moins avancés ou les pays comme l'Inde, mais nous demandons à être protégés vis-à-vis du Brésil, de l'Argentine. Nous n'avons pas envie d'importer l'agriculture brésilienne ou argentine en Europe."
R. Arzt - J. Bové, l'ancien porte-parole de la Confédération paysanne, dit que tout cela n'est pas équilibré vis-à-vis des pays en voie de développement. Il dit que tant que l'Union Européenne continuera à exporter du lait, des céréales ou de la viande bovine vers les pays pauvres, ce ne sera pas équilibré
R - "J. Bové devrait reconsidérer un peu les choses, parce que sur l'exportation en matière de lait, c'est aujourd'hui la Nouvelle-Zélande, l'Australie qui font le marché mondial. En viande bovine, c'est plutôt le Brésil ou l'Argentine. Donc ce n'est pas l'Union Européenne et il ne faudrait pas que nous généralisions l'exemple du mouton dans l'Union Européenne, où désormais nous sommes très nettement déficitaires, alors que là encore les producteurs de moutons chez nous ont des aides. Mais ils ont besoin de ces aides, sinon il n'y aurait même plus de production de moutons en France."
R. Arzt - Sur le principe, en tout cas, c'est toute une conception française, puis européenne, de l'aide à l'agriculture qui est en voie de disparition à terme ?
R - "Oui et non. Je pense qu'il nous faut maintenir un schéma, sur le plan international, où on protège les marchés par grandes régions du monde. Il y a une grande différence entre notre secteur et d'autres secteurs industriels ou de service : c'est que la terre, par exemple que je cultive en Bretagne, elle n'est pas délocalisable. Donc si je ne la cultive plus, eh bien, c'est de la jachère. Et la France est belle parce qu'elle est cultivée."
R. Arzt - A propos de culture, parlons des fruits et légumes : les consommateurs se plaignent que les prix soient trop chers et les producteurs se plaignent de ne pas les vendre suffisamment chers !
R - "Oui, je comprends ça. Le marché des fruits et légumes est un marché très difficile à stabiliser et c'est vrai qu'aujourd'hui les producteurs de fruits ne vendent pas au prix de revient. Nous sommes, par exemple, avec des pêches et nectarines à 85 centimes, 90 centimes d'euros. Quant au consommateur, effectivement, il a l'impression de payer trop cher. On a quelquefois l'impression que les prix sont chers, parce que nous menons une action depuis quelques jours pour bloquer les marges de la distribution. Et je souhaite que dans ce dossier des fruits et légumes, l'accord passé chez le ministre de l'Economie et des Finances sera respecté. C'est-à-dire qu'on supprime tout ce qui est ristournes, rabais, remises, et que l'on bloque les marges pour qu'effectivement les consommateurs puissent bénéficier de prix bas chez les producteurs."
R. Arzt - Cela veut dire que l'accord n'est pas respecté ?
R - "Il n'est pas respecté pour l'instant dans le cas des fruits et légumes."
R. Arzt - Cela mérite-t-il des opérations commando de producteurs, comme on l'a vu ?
R - "Je le souhaite pas. Je préfère que nous trouvions un accord avec la distribution, pour que tout le monde s'y retrouve, les producteurs et les consommateurs. Parce qu'il fait chaud en ce moment, c'est agréable de manger des fruits ; il faut que nos consommateurs puissent consommer des fruits."
R. Arzt - Une trentaine de départements, dans le Sud-Ouest et dans l'Est, ont pris des mesures de restriction de la consommation d'eau. Y a-t-il un risque de développement de la sécheresse ?
R - "Oui, c'est vrai qu'avec les températures que nous connaissons ces derniers jours, la situation risque de s'aggraver. Il y a deux problèmes : la gestion de l'eau, la gestion de l'irrigation, indispensable dans la production des légumes ; et puis les problèmes de fourrages, à nouveau. Et c'est vrai que dans plusieurs départements, nous sommes en train de faire du recensement des besoins en fourrage - je pense au Massif Central, au Limousin notamment ou à la région Rhône-Alpes. Et j'espère que nous n'aurons pas à conduire une aussi grande opération que l'an dernier, parce que c'est quand même extrêmement lourd à porter. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il faut que nos éleveurs disposent du fourrage pour l'hiver prochain."
R. Arzt - C'est-à-dire qu'il y a une vraie inquiétude ?
R - "Il y a plus qu'une inquiétude !"
R. Arzt - Vous demandez au Gouvernement d'être plus ferme ?
R - "Non, vous savez, le Gouvernement ne peut rien sur le ciel ! Ce qu'il faut, c'est que la procédure qui existe en matière de gestion des calamités, fonctionne. Actuellement, dans les départements, avec l'administration, la profession recense déjà les problèmes là où il y en a. C'est plus compliqué que l'an dernier, parce que ce n'est pas généralisé. Mais c'est une situation difficile. Et deux années de suite, vous savez, pour certains même trois ans, cela devient lourd à porter !"
R. Arzt - Vous avez parfois dit que votre profession agricole est vraiment mal comprise par les Français. Cela s'arrange-t-il ?
R - "Oui et j'espère que tout ce que nous ferons dans les semaines et les mois qui viennent sera de réconcilier les Français avec leur agriculture, et surtout leurs agriculteurs. Nous avons envie de produire des produits de qualité, sécurisés, pour que tout le monde ait envie de manger français."
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 2 août 2004)