Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
C'est pour moi une très grande joie d'être aujourd'hui à Alger pour dialoguer avec vous sur les questions de sécurité. Il s'agit pour nous tous d'une préoccupation prioritaire que nous devons traiter ensemble.
La France et l'Algérie ont une longue histoire commune, faite de réalisations communes, faite aussi d'épreuves partagées. Je pense aux milliers d'Algériens qui ont au cours du XXe siècle sacrifié leur vie pour la France, pour sa liberté et pour son honneur. Cette année, alors que nous commémorons le 60ème anniversaire de la libération de la France, je voudrais solennellement rendre hommage - du fond du cur - à tous ceux qui dans ce pays nous ont aidés à l'heure des épreuves. Nous avons à leur égard et à l'égard de leurs familles un devoir de reconnaissance.
Notre histoire commune a connu également des moments difficiles. Des cicatrices existent encore. Le moment est venu, je crois, non pas d'oublier mais de tourner la page, d'inscrire notre relation résolument dans l'avenir.
La sécurité constitue pour tout État sa première priorité :
Sans sécurité il n'y a pas de développement économique ni de progrès social.
Aujourd'hui les menaces contre la sécurité relèvent du terrorisme, des crises régionales, mais aussi de certains grands défis collectifs.
Le terrorisme :
Pour certains pays c'est une nouveauté douloureuse. Pour l'Algérie - dont tant de fils en ont été les victimes - mais aussi pour la France, c'est hélas une tragédie dont nous avons l'expérience depuis des années.
Le phénomène terroriste change. Autrefois il visait des personnalités. Aujourd'hui, il s'attaque à la population. Certains pays sont peut-être plus visés que d'autres. Mais les attentats à Casablanca, Karachi, La Ghriba, Bali et Madrid en avril dernier montrent qu'aucun État n'est totalement à l'abri. Nous sommes tous concernés.
Le risque représenté par ces actes est d'autant plus grand que l'hypothèse d'emploi d'armes chimiques, biologiques ou radiologiques ne peut être écartée. Nous ne pouvons pas rester inertes face à ce risque.
Les crises régionales constituent une autre menace à notre sécurité :
La fin du conflit Est-Ouest a fait remonter à la surface toute une série de différends de moindre intensité ou latents. Aujourd'hui on a le sentiment d'une multiplication de crises régionales qui menacent la stabilité du monde.
Ces crises déplacent des populations. Elles interdisent tout développement car les investisseurs ne vont pas dans les régions troublées.
On voit aussi se développer le phénomène d'États en faillite qui constituent une véritable menace à notre sécurité collective. En effet, lorsque les États ne sont plus en mesure d'administrer des territoires, ce sont des structures alternatives qui se mettent en place : seigneurs de la guerre, chefs de bande, associations prétendument caritatives Des "zones grises" apparaissent, où la règle de droit disparaît au profit de la loi de la jungle.
Ce phénomène est apparu en Somalie et en Afghanistan. Il s'est propagé notamment en Afrique et menace à vos frontières, en particulier la région sahélo-saharienne.
Sur le continent européen même, certaines zones - je pense aux Balkans - ne sont plus tout à fait contrôlées par les autorités.
Ce délitement des États a pour corollaire le développement de trafics en tous genres, de drogue et d'armes, qui menacent notre sécurité.
Les grands défis collectifs :
Enfin, nous ne pouvons ignorer les grands défis collectifs que constituent notamment les problèmes de l'eau, de l'environnement et de la santé.
La maîtrise de l'eau et d'autres ressources rares est et sera, si rien n'est fait, à la source de conflits qui menacent notre sécurité.
Les épidémies et pandémies - comme le Sida - peuvent hypothéquer l'avenir de régions entières, comme on le voit dans de larges zones du continent africain.
Bref, nous sommes les uns et les autres confrontés aux même menaces. Pour autant, serons-nous capables d'y faire face de concert ?
Nos pays doivent ensemble trouver les moyens d'agir :
Quels peuvent être ces moyens ? La force suffit-elle ? Le rétablissement d'un sentiment de justice est-il possible ? L'action collective n'est-elle pas la solution ?
Pouvons-nous résoudre les problèmes par la force ?
Confronté à une menace, la tentation est forte de vouloir résoudre les problèmes par les armes.
L'utilisation de la force est parfois nécessaire, quand l'objectif politique est clair, la cause juste et reconnue comme telle par le peuple. Mais elle peut être très contre-productive dans le cas contraire.
Algériens et Français, nous qui sommes les héritiers de vieilles civilisations, nous savons que toute action doit respecter les réalités socio-culturelles des pays concernés. Et toute action se mesure par rapport à des valeurs.
En commun nous partageons une même aspiration à la justice. Tous les peuples la partagent.
L'histoire de nos pays le montre : Il ne peut pas y avoir de stabilité sans justice.
Le rétablissement d'un sentiment de justice est-il possible ?
Aujourd'hui, lorsque l'on veut traiter le problème du terrorisme, il faut s'attaquer fermement à ses manifestations. Mais il faut aussi s'attaquer à ses causes.
Or, dans la plupart des cas, il y a à l'origine un sentiment de révolte face à l'injustice. Ceux qui pensent qu'ils ne peuvent pas être entendus, qu'il existe une politique de "deux poids - deux mesures", que seule la violence parvient à changer les choses, peuvent être conduits à des actes insensés.
Nous devons donc veiller à régler les crises régionales qui ont souvent pour origine ces sentiments de frustration : la crise israélo-palestinienne bien sûr, qui enflamme les esprits depuis des dizaines d'années ; mais aussi celle d'Irak et les nombreuses crises en Afrique.
Nous devons faire en sorte que la globalisation - qui doit être un enrichissement pour la collectivité - n'aboutisse pas à de nouvelles exclusions économiques et sociales.
L'Algérie et la France doivent donc agir de concert dans les instances internationales pour faire prévaloir cette préoccupation de justice sans laquelle les conflits l'emporteront.
L'action collective est devenue une nécessité :
Les opérations unilatéralistes ont montré leurs limites, l'actualité le prouve.
Face aux menaces globales, il faut une réponse globale. L'ONU est seule détentrice de la légitimité internationale. C'est donc dans ce cadre que nous devons agir.
Il est impératif de rétablir une norme internationale incontestée pour réguler le monde multipolaire en voie d'émergence.
Mais pour que l'action du Conseil de sécurité des Nations unies ne soit pas contestée, il faut actualiser sa composition et donner à cette instance les moyens d'appliquer les résolutions adoptées. Nous devons donc appuyer les efforts du Secrétaire général de l'ONU en ce sens.
Nous devons aussi prendre en compte les nouvelles réalités du monde multipolaire : la montée en puissance de la Chine et de l'Inde, l'affirmation de l'Union européenne, le rétablissement de la Russie, le développement du Brésil et de l'Afrique du Sud Ces différents pôles sont à la fois partenaires et en compétition. Il faut trouver un nouveau mode de gestion qui respecte les spécificités tout en évitant l'anarchie et les conflits.
Là précisément, l'Algérie et la France ont un message à faire passer : celui de la transcendance des divergences passées par une coopération exemplaire.
Dans la région méditerranéenne, l'Algérie et la France doivent être des modèles de coopération en faveur de la stabilité et du développement.
Nous devons travailler ensemble pour combattre le terrorisme.
Nous devons de concert encourager les initiatives pour mettre un terme aux conflits qui ensanglantent notre région et hypothèquent son avenir.
Nous devons enfin entraîner nos partenaires européens, arabes et africains dans la mise en uvre de projets de coopération indispensables au développement harmonieux de cette partie du monde.
L'an dernier, le président Bouteflika et le président Chirac ont décidé d'écrire une nouvelle page de notre histoire commune en établissant entre nos deux pays une relation d'exception. Mettons-la en uvre au profit de nos peuples et de la stabilité en Méditerranée !
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2004)
C'est pour moi une très grande joie d'être aujourd'hui à Alger pour dialoguer avec vous sur les questions de sécurité. Il s'agit pour nous tous d'une préoccupation prioritaire que nous devons traiter ensemble.
La France et l'Algérie ont une longue histoire commune, faite de réalisations communes, faite aussi d'épreuves partagées. Je pense aux milliers d'Algériens qui ont au cours du XXe siècle sacrifié leur vie pour la France, pour sa liberté et pour son honneur. Cette année, alors que nous commémorons le 60ème anniversaire de la libération de la France, je voudrais solennellement rendre hommage - du fond du cur - à tous ceux qui dans ce pays nous ont aidés à l'heure des épreuves. Nous avons à leur égard et à l'égard de leurs familles un devoir de reconnaissance.
Notre histoire commune a connu également des moments difficiles. Des cicatrices existent encore. Le moment est venu, je crois, non pas d'oublier mais de tourner la page, d'inscrire notre relation résolument dans l'avenir.
La sécurité constitue pour tout État sa première priorité :
Sans sécurité il n'y a pas de développement économique ni de progrès social.
Aujourd'hui les menaces contre la sécurité relèvent du terrorisme, des crises régionales, mais aussi de certains grands défis collectifs.
Le terrorisme :
Pour certains pays c'est une nouveauté douloureuse. Pour l'Algérie - dont tant de fils en ont été les victimes - mais aussi pour la France, c'est hélas une tragédie dont nous avons l'expérience depuis des années.
Le phénomène terroriste change. Autrefois il visait des personnalités. Aujourd'hui, il s'attaque à la population. Certains pays sont peut-être plus visés que d'autres. Mais les attentats à Casablanca, Karachi, La Ghriba, Bali et Madrid en avril dernier montrent qu'aucun État n'est totalement à l'abri. Nous sommes tous concernés.
Le risque représenté par ces actes est d'autant plus grand que l'hypothèse d'emploi d'armes chimiques, biologiques ou radiologiques ne peut être écartée. Nous ne pouvons pas rester inertes face à ce risque.
Les crises régionales constituent une autre menace à notre sécurité :
La fin du conflit Est-Ouest a fait remonter à la surface toute une série de différends de moindre intensité ou latents. Aujourd'hui on a le sentiment d'une multiplication de crises régionales qui menacent la stabilité du monde.
Ces crises déplacent des populations. Elles interdisent tout développement car les investisseurs ne vont pas dans les régions troublées.
On voit aussi se développer le phénomène d'États en faillite qui constituent une véritable menace à notre sécurité collective. En effet, lorsque les États ne sont plus en mesure d'administrer des territoires, ce sont des structures alternatives qui se mettent en place : seigneurs de la guerre, chefs de bande, associations prétendument caritatives Des "zones grises" apparaissent, où la règle de droit disparaît au profit de la loi de la jungle.
Ce phénomène est apparu en Somalie et en Afghanistan. Il s'est propagé notamment en Afrique et menace à vos frontières, en particulier la région sahélo-saharienne.
Sur le continent européen même, certaines zones - je pense aux Balkans - ne sont plus tout à fait contrôlées par les autorités.
Ce délitement des États a pour corollaire le développement de trafics en tous genres, de drogue et d'armes, qui menacent notre sécurité.
Les grands défis collectifs :
Enfin, nous ne pouvons ignorer les grands défis collectifs que constituent notamment les problèmes de l'eau, de l'environnement et de la santé.
La maîtrise de l'eau et d'autres ressources rares est et sera, si rien n'est fait, à la source de conflits qui menacent notre sécurité.
Les épidémies et pandémies - comme le Sida - peuvent hypothéquer l'avenir de régions entières, comme on le voit dans de larges zones du continent africain.
Bref, nous sommes les uns et les autres confrontés aux même menaces. Pour autant, serons-nous capables d'y faire face de concert ?
Nos pays doivent ensemble trouver les moyens d'agir :
Quels peuvent être ces moyens ? La force suffit-elle ? Le rétablissement d'un sentiment de justice est-il possible ? L'action collective n'est-elle pas la solution ?
Pouvons-nous résoudre les problèmes par la force ?
Confronté à une menace, la tentation est forte de vouloir résoudre les problèmes par les armes.
L'utilisation de la force est parfois nécessaire, quand l'objectif politique est clair, la cause juste et reconnue comme telle par le peuple. Mais elle peut être très contre-productive dans le cas contraire.
Algériens et Français, nous qui sommes les héritiers de vieilles civilisations, nous savons que toute action doit respecter les réalités socio-culturelles des pays concernés. Et toute action se mesure par rapport à des valeurs.
En commun nous partageons une même aspiration à la justice. Tous les peuples la partagent.
L'histoire de nos pays le montre : Il ne peut pas y avoir de stabilité sans justice.
Le rétablissement d'un sentiment de justice est-il possible ?
Aujourd'hui, lorsque l'on veut traiter le problème du terrorisme, il faut s'attaquer fermement à ses manifestations. Mais il faut aussi s'attaquer à ses causes.
Or, dans la plupart des cas, il y a à l'origine un sentiment de révolte face à l'injustice. Ceux qui pensent qu'ils ne peuvent pas être entendus, qu'il existe une politique de "deux poids - deux mesures", que seule la violence parvient à changer les choses, peuvent être conduits à des actes insensés.
Nous devons donc veiller à régler les crises régionales qui ont souvent pour origine ces sentiments de frustration : la crise israélo-palestinienne bien sûr, qui enflamme les esprits depuis des dizaines d'années ; mais aussi celle d'Irak et les nombreuses crises en Afrique.
Nous devons faire en sorte que la globalisation - qui doit être un enrichissement pour la collectivité - n'aboutisse pas à de nouvelles exclusions économiques et sociales.
L'Algérie et la France doivent donc agir de concert dans les instances internationales pour faire prévaloir cette préoccupation de justice sans laquelle les conflits l'emporteront.
L'action collective est devenue une nécessité :
Les opérations unilatéralistes ont montré leurs limites, l'actualité le prouve.
Face aux menaces globales, il faut une réponse globale. L'ONU est seule détentrice de la légitimité internationale. C'est donc dans ce cadre que nous devons agir.
Il est impératif de rétablir une norme internationale incontestée pour réguler le monde multipolaire en voie d'émergence.
Mais pour que l'action du Conseil de sécurité des Nations unies ne soit pas contestée, il faut actualiser sa composition et donner à cette instance les moyens d'appliquer les résolutions adoptées. Nous devons donc appuyer les efforts du Secrétaire général de l'ONU en ce sens.
Nous devons aussi prendre en compte les nouvelles réalités du monde multipolaire : la montée en puissance de la Chine et de l'Inde, l'affirmation de l'Union européenne, le rétablissement de la Russie, le développement du Brésil et de l'Afrique du Sud Ces différents pôles sont à la fois partenaires et en compétition. Il faut trouver un nouveau mode de gestion qui respecte les spécificités tout en évitant l'anarchie et les conflits.
Là précisément, l'Algérie et la France ont un message à faire passer : celui de la transcendance des divergences passées par une coopération exemplaire.
Dans la région méditerranéenne, l'Algérie et la France doivent être des modèles de coopération en faveur de la stabilité et du développement.
Nous devons travailler ensemble pour combattre le terrorisme.
Nous devons de concert encourager les initiatives pour mettre un terme aux conflits qui ensanglantent notre région et hypothèquent son avenir.
Nous devons enfin entraîner nos partenaires européens, arabes et africains dans la mise en uvre de projets de coopération indispensables au développement harmonieux de cette partie du monde.
L'an dernier, le président Bouteflika et le président Chirac ont décidé d'écrire une nouvelle page de notre histoire commune en établissant entre nos deux pays une relation d'exception. Mettons-la en uvre au profit de nos peuples et de la stabilité en Méditerranée !
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2004)