Texte intégral
Q- Si je vous dis : j'ai l'impression que les salariés, qu'ils en aient bénéficié ou qu'ils en aient souffert, ont fait leur deuil des 35 heures, et que la seule question qu'ils se posent ce n'est pas "si", mais "quand et comment ?". Je vous choque ?
R- "Oui, dans la limite où les salariés n'ont pas fait leur deuil des 35 heures. Qu'il y ait eu des problèmes sur la mise en place des 35 heures dans certaines entreprises, pour certaines professions, oui, parce que cela a conduit à plus de flexibilité, à une dégradation des conditions de travail. Pour autant, les salariés ont payé deux fois la mise en place des 35 heures : à la fois, par une modération salariale, et par cette flexibilité. Et maintenant que les 35 heures existent, on ne va pas les supprimer parce qu'on gardera la flexibilité. Donc, ce n'est pas acceptable, il faut conserver ces 35 heures."
Q- Et pourtant, votre prédécesseur était contre la loi.
R- "On avait été très critique sur les modalités de mise en place des 35 heures : l'idée de faire une loi qui s'applique à tout le monde. On aurait préféré, à l'époque, faire des négociations. Ceci étant, les 35 heures existent, et on ne va pas maintenant dire : "vous allez retravailler 38, 39 ou 40 heures, tout en gardant la flexibilité". Donc, ce serait une remise en cause aujourd'hui. C'est pour cela qu'il faut qu'on conserve ces 35 heures."
Q- Il n'empêche que l'accord Bosch-Vénissieux, sur les 36 heures, a tout de même été validé par 98 % des salariés. Alors, seriez-vous prêt à désavouer les sections qui s'engagent dans ce genre de démarche ?
R- "D'abord, la section FO n'était pas d'accord chez Bosch. Mais ceci étant, quand on dit 98 %, il faudrait regarder les chiffres. Il y a 71 % qui ont répondu, d'autres qui n'ont pas répondu. Et ceux qui n'ont pas répondu, on a considéré qu'ils avaient dit "oui". Ceci étant, quand on est dans l'entreprise et que l'on est confronté à un problème de chantage, quand le patron vous dit : "ou vous acceptez ça ou je licencie, ou je ferme la moitié de l'usine", la pression est très dure à assumer. C'est pour cela qu'il faut des règles, des garanties collectives, des lois pour protéger de ce genre de choses. C'est donc une forme de chantage à l'emploi. Mais on ne peut pas accepter ce principe-là, d'une manière générale. Et quand on entend, aujourd'hui, le Gouvernement expliquer qu'il faudrait que les gens puissent choisir leur temps de travail, c'est se moquer du monde ! Ce n'est pas possible, le salarié ne choisit pas sa durée du travail. Sinon, tous les gens qui sont dans les supermarchés, à temps partiel, qui sont caissières, par exemple, aimeraient bien travailler à temps plein. Or elles ne choisissent pas leur durée de travail. Ce que souhaite surtout le Gouvernement, en remettant en cause les 35 heures, c'est d'abord essayer de régler son problème budgétaire - c'est le sien -, à savoir respecter les 3 % de déficit budgétaire pour l'année prochaine, donc serrer la vis sur les dépenses parce que les recettes sont insuffisantes ; c'est le premier problème. Et deuxième problème, ce qu'il souhaite, c'est payer moins les heures supplémentaires. A partir de là, ce sera obligatoirement des reculs sociaux et on ne peut pas l'accepter."
Q- Mais de toute façon, les aides Aubry vont s'arrêter dans deux ans.
R- "Elles continuent les aides Aubry dans l'immédiat. Pas simplement les aides Aubry d'ailleurs, parce qu'on a tendance à dire "tout est 35 heures", non. L'ensemble des exonérations patronales de cotisations sociales représente 18 milliards d'euros, et 20 milliards d'euros l'année prochaine. Alors, ça continue, il y a des aides qui sont pérennes de plus. Donc, c'est un autre débat. Est-ce que les aides aux entreprises, en matière d'exonérations de cotisations patronales, sont efficaces en termes d'emplois ? Nous, on en doute puisqu'on voit très bien dans l'histoire que cela n'a pas été aussi efficace que ça. Mais pour autant, il nous faut les remettre en cause. Du côté des patrons, ils protestent en disant que c'est un engagement du Gouvernement, et qu'il ne faut pas les remettre en cause. Mais le Gouvernement a pris d'autres engagements : il en a pris un sur le Smic, par exemple, eh bien on lui demande aussi de le respecter."
Q- Pour rester sur la durée du travail, le mouvement qui consiste à l'allonger, sans pour autant forcément, d'ailleurs, payer les heures supplémentaires, n'est pas seulement français. Cela a commencé par l'Allemagne, avec ses répercussions sur les filiales françaises, puis les Pays-Bas, et maintenant, c'est le FMI qui s'en mêle, le FMI qui demande à l'Europe de travailler plus. Alors, conseil ou menace ?
R- "C'est à la fois du conseil et de la menace par le FMI, assez coutumier du fait. Je n'ai pas souvenir d'une déclaration du FMI qui soit favorable au progrès social, c'est plutôt très libéral d'une certaine manière. Donc, là, le FMI explique qu'il faudrait que les Français travaillent plus, notamment pour faire face à la compétitivité des nouveaux pays européens, les dix qui viennent d'entrer dans l'Europe. Cela pose d'ailleurs le problème de la construction européenne. On a construit une Europe qui s'élargit de plus en plus. Rappelez-vous : quand l'Espagne et le Portugal son rentrés, cela faisait deux pays qui rentraient, il y a eu des fonds structurels - les fonds européens importants - qui ont été accordés à ces pays pour progressivement améliorer leur situation économique et sociale. Et la situation sociale en Espagne et au Portugal s'est améliorée. Là, il y a dix pays qui rentrent, l'Europe ne dégage pas d'argent supplémentaire vis-à-vis de ces pays, ce qui fait qu'ils font du dumping social et fiscal. Et donc, par exemple, en Slovénie, il ne faut quasiment pas d'impôts sur les bénéfices. Et le coût du travail est beaucoup moins élevé. Et on nous dit, en France, en Allemagne, ou en Belgique qu'il faut que nous fassions des sacrifices, que nous acceptions de gagner moins et de travailler plus, parce que, sinon, nous ne serons pas compétitifs avec les Slovènes ou les Hongrois. Donc, on ne peut pas rentrer dans cette mécanique. Là aussi, c'est une mécanique de régression sociale. C'est d'ailleurs significatif des modalités actuelles de la construction européenne, où le social... - j'entendais tout à l'heure les informations, où vous expliquiez une étude à Anvers, montrant qu'on est loin sur l'Europe sociale - eh bien, on est effectivement loin. Et la logique qui est à l'oeuvre actuellement, est une logique très libérale de la construction européenne."
Q- Oui, mais alors, comment fait-on ? Parce qu'effectivement, si la problématique du temps de travail s'impose dans le débat c'est, entre autres, à cause des délocalisations vers l'Est pour l'industrie, vers l'Asie pour le textile ; chez nous, en France, vers le Maghreb, maintenant pour les services. Et en même temps, c'est une des clés du développement de ces pays. Alors, comment un gouvernement fait-il pour gérer cela équitablement ?
R- "Déjà, nous on explique que d'abord, il y a des règles à adopter au niveau européen et international. C'est indispensable dans un monde qui s'internationalise, de plus en plus, que des règles, je dis bien des règles, de la réglementation au niveau européen et international. Au niveau national, il faudrait déjà que le Gouvernement, quand il accordes des aides à une entreprise, ou une collectivité publique accorde des aides à une entreprise, quand cette entreprise délocalise ou licencie, on devrait réclamer la restitution des aides. Cela, on ne l'a jamais fait. On donne de l'aide et après on ne regarde pas, on ne l'évalue pas, on ne contrôle pas. Ce serait un premier exemple significatif pour éviter ce que l'on appelle "les chasseurs de primes", ceux qui s'installent pour avoir une aide, et qui repartent ensuite. Cela pourrait être quelque chose d'efficace. Ceci étant, la proposition qui a été émise de relocalisation des entreprises qui auraient été délocalisées, on n'y croit pas tellement. Tout simplement, parce que cela conduit, là encore, à recréer des zones franches avec moins d'impôts, moins de protection sociale et moins de droits sociaux à l'intérieur même de la France. A ce moment-là, en Amérique du Sud, nos amis nous disent : "même en France, vous faites des zones franches, donc nous aussi on doit en faire". Et deuxième élément : cela conduira, là aussi, à du dumping, parce que s'il y a des aides accordées à des entreprises qui relocalisent, demain un patron dira : je vais délocaliser, un an après je vais revenir, mais on ne me donnera des aides. Donc, on retrouverait les chasseurs de primes. Et j'ajoute, de plus, que pour que cela soit efficace, certains disent : il faudrait même que l'on supprime l'impôt de solidarité pour la fortune. Je dirais : encore une régression supplémentaire ! Donc, cela passe par un contrôle strict, mais ce n'est pas à la mode, parce qu'on est à la mode du libéralisme et l'Etat a plutôt tendance à faire le minimum que le maximum, mais un contrôle strict des aides accordées aux entreprises. Et cela passe aussi par une réglementation des textes au niveau européen et au niveau international. Et là, on voit très bien aujourd'hui, notamment au niveau européen, qu'on est très en retard sur ce genre de chose, que l'Europe qu'on nous construit est une Europe libérale."
Q- A part les 35 heures, quel sera le gros dossier revendicatif de la rentrée ?
R- "Il y a les 35 heures, bien entendu, il y a le Smic, et les questions des salaires. La revendication des salaires est une revendication qui est en train de monter, pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'il y a eu de la modération salariale, notamment liée aux 35 heures, que ce soit dans le privé ou dans le public. Dans le public, l'Etat refuse de négocier pour le moment les augmentations de salaires, et en tant qu'Etat-employeur, il ne se comporte pas mieux. Deuxième élément : il y a une augmentation actuellement du prix de l'immobilier, des loyers, dans beaucoup de villes, notamment les villes relativement importantes. Augmentation qui conduit les salariés, aussi, à voir leur pouvoir d'achat qui diminue, et qui les conduisent à revendiquer des augmentations de salaires. Et troisième raison : il suffit de regarder les résultats financiers des grandes entreprises pour voir que c'est banco, qu'elles gagnent beaucoup d'argent. Et à partir de là, il n'y a aucune raison que les salariés n'aient pas aussi leur part, et leur part, cela passe par des augmentations de salaires. D'autant que cela aidera la Sécu de plus, ce qui ne sera pas plus mal."
Q- On nous promet toujours des rentrées chaudes, plus ou moins chaudes. Celle qui s'annonce, d'après vous, est sur quel degré dans l'échelle de l'agitation sociale ?
R- "C'est difficile de faire des pronostics. On ne sait jamais par avance. Cela peut être calme comme ça peut être chaud, et on ne peut pas jouer les prédictions en la matière. Ce qui est certain, et c'est ce qu'on mesure quand, en tant que responsable syndical, je rencontre les salariés, toutes les semaines, de manière régulière, c'est que l'inquiétude existe, le mécontentement existe. Et donc, à partir de là, et à un moment donné, il faut bien que cela s'exprime sous une forme ou sous une autre. Cela peut être de manière sociale. Il faut parfois pas grand-chose pour qu'il y ait un mouvement qui éclate. Mais en tous les cas, les préoccupations à la rentrée tournent autour de l'emploi et du chômage, des salaires, de la protection sociale et des 35 heures. Cela fait quand même pas mal de dossiers sur lesquels on attend le Gouvernement et le patronat."
Q- A FO, vous êtes plutôt considérés comme des modérés. N'avez-vous pas vraiment le sentiment qu'il y a une radicalisation des actions, une exaspération des gens ?
R- "Il y a une exaspération des gens, aujourd'hui, dans les entreprise. Prenez TATI, par exemple : quand il y a 300 emplois supprimés, que les gens soient exaspérés, c'est tout à fait logique, c'est un réflexe naturel. Cela fait pas mal d'années qu'il y a des remises en cause et des remises en cause profondes de droit. On l'a vu avec les retraites l'année dernière ; c'est un peu plus nuancé pour la Sécurité sociale, mais ce n'est pas fini, le dossier n'est pas clos. Donc, il y a une tension forte. On la sent, l'inquiétude est forte. Ceci étant, l'explosion ou la réaction, cela ne se fait pas en appuyant sur un bouton, bien entendu. Et à partir de là, nous on va regarder à la rentrée comment les choses se passent. S'il y a assez d'inquiétude pour qu'il y ait des réactions, maintenant
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 août 2004)
R- "Oui, dans la limite où les salariés n'ont pas fait leur deuil des 35 heures. Qu'il y ait eu des problèmes sur la mise en place des 35 heures dans certaines entreprises, pour certaines professions, oui, parce que cela a conduit à plus de flexibilité, à une dégradation des conditions de travail. Pour autant, les salariés ont payé deux fois la mise en place des 35 heures : à la fois, par une modération salariale, et par cette flexibilité. Et maintenant que les 35 heures existent, on ne va pas les supprimer parce qu'on gardera la flexibilité. Donc, ce n'est pas acceptable, il faut conserver ces 35 heures."
Q- Et pourtant, votre prédécesseur était contre la loi.
R- "On avait été très critique sur les modalités de mise en place des 35 heures : l'idée de faire une loi qui s'applique à tout le monde. On aurait préféré, à l'époque, faire des négociations. Ceci étant, les 35 heures existent, et on ne va pas maintenant dire : "vous allez retravailler 38, 39 ou 40 heures, tout en gardant la flexibilité". Donc, ce serait une remise en cause aujourd'hui. C'est pour cela qu'il faut qu'on conserve ces 35 heures."
Q- Il n'empêche que l'accord Bosch-Vénissieux, sur les 36 heures, a tout de même été validé par 98 % des salariés. Alors, seriez-vous prêt à désavouer les sections qui s'engagent dans ce genre de démarche ?
R- "D'abord, la section FO n'était pas d'accord chez Bosch. Mais ceci étant, quand on dit 98 %, il faudrait regarder les chiffres. Il y a 71 % qui ont répondu, d'autres qui n'ont pas répondu. Et ceux qui n'ont pas répondu, on a considéré qu'ils avaient dit "oui". Ceci étant, quand on est dans l'entreprise et que l'on est confronté à un problème de chantage, quand le patron vous dit : "ou vous acceptez ça ou je licencie, ou je ferme la moitié de l'usine", la pression est très dure à assumer. C'est pour cela qu'il faut des règles, des garanties collectives, des lois pour protéger de ce genre de choses. C'est donc une forme de chantage à l'emploi. Mais on ne peut pas accepter ce principe-là, d'une manière générale. Et quand on entend, aujourd'hui, le Gouvernement expliquer qu'il faudrait que les gens puissent choisir leur temps de travail, c'est se moquer du monde ! Ce n'est pas possible, le salarié ne choisit pas sa durée du travail. Sinon, tous les gens qui sont dans les supermarchés, à temps partiel, qui sont caissières, par exemple, aimeraient bien travailler à temps plein. Or elles ne choisissent pas leur durée de travail. Ce que souhaite surtout le Gouvernement, en remettant en cause les 35 heures, c'est d'abord essayer de régler son problème budgétaire - c'est le sien -, à savoir respecter les 3 % de déficit budgétaire pour l'année prochaine, donc serrer la vis sur les dépenses parce que les recettes sont insuffisantes ; c'est le premier problème. Et deuxième problème, ce qu'il souhaite, c'est payer moins les heures supplémentaires. A partir de là, ce sera obligatoirement des reculs sociaux et on ne peut pas l'accepter."
Q- Mais de toute façon, les aides Aubry vont s'arrêter dans deux ans.
R- "Elles continuent les aides Aubry dans l'immédiat. Pas simplement les aides Aubry d'ailleurs, parce qu'on a tendance à dire "tout est 35 heures", non. L'ensemble des exonérations patronales de cotisations sociales représente 18 milliards d'euros, et 20 milliards d'euros l'année prochaine. Alors, ça continue, il y a des aides qui sont pérennes de plus. Donc, c'est un autre débat. Est-ce que les aides aux entreprises, en matière d'exonérations de cotisations patronales, sont efficaces en termes d'emplois ? Nous, on en doute puisqu'on voit très bien dans l'histoire que cela n'a pas été aussi efficace que ça. Mais pour autant, il nous faut les remettre en cause. Du côté des patrons, ils protestent en disant que c'est un engagement du Gouvernement, et qu'il ne faut pas les remettre en cause. Mais le Gouvernement a pris d'autres engagements : il en a pris un sur le Smic, par exemple, eh bien on lui demande aussi de le respecter."
Q- Pour rester sur la durée du travail, le mouvement qui consiste à l'allonger, sans pour autant forcément, d'ailleurs, payer les heures supplémentaires, n'est pas seulement français. Cela a commencé par l'Allemagne, avec ses répercussions sur les filiales françaises, puis les Pays-Bas, et maintenant, c'est le FMI qui s'en mêle, le FMI qui demande à l'Europe de travailler plus. Alors, conseil ou menace ?
R- "C'est à la fois du conseil et de la menace par le FMI, assez coutumier du fait. Je n'ai pas souvenir d'une déclaration du FMI qui soit favorable au progrès social, c'est plutôt très libéral d'une certaine manière. Donc, là, le FMI explique qu'il faudrait que les Français travaillent plus, notamment pour faire face à la compétitivité des nouveaux pays européens, les dix qui viennent d'entrer dans l'Europe. Cela pose d'ailleurs le problème de la construction européenne. On a construit une Europe qui s'élargit de plus en plus. Rappelez-vous : quand l'Espagne et le Portugal son rentrés, cela faisait deux pays qui rentraient, il y a eu des fonds structurels - les fonds européens importants - qui ont été accordés à ces pays pour progressivement améliorer leur situation économique et sociale. Et la situation sociale en Espagne et au Portugal s'est améliorée. Là, il y a dix pays qui rentrent, l'Europe ne dégage pas d'argent supplémentaire vis-à-vis de ces pays, ce qui fait qu'ils font du dumping social et fiscal. Et donc, par exemple, en Slovénie, il ne faut quasiment pas d'impôts sur les bénéfices. Et le coût du travail est beaucoup moins élevé. Et on nous dit, en France, en Allemagne, ou en Belgique qu'il faut que nous fassions des sacrifices, que nous acceptions de gagner moins et de travailler plus, parce que, sinon, nous ne serons pas compétitifs avec les Slovènes ou les Hongrois. Donc, on ne peut pas rentrer dans cette mécanique. Là aussi, c'est une mécanique de régression sociale. C'est d'ailleurs significatif des modalités actuelles de la construction européenne, où le social... - j'entendais tout à l'heure les informations, où vous expliquiez une étude à Anvers, montrant qu'on est loin sur l'Europe sociale - eh bien, on est effectivement loin. Et la logique qui est à l'oeuvre actuellement, est une logique très libérale de la construction européenne."
Q- Oui, mais alors, comment fait-on ? Parce qu'effectivement, si la problématique du temps de travail s'impose dans le débat c'est, entre autres, à cause des délocalisations vers l'Est pour l'industrie, vers l'Asie pour le textile ; chez nous, en France, vers le Maghreb, maintenant pour les services. Et en même temps, c'est une des clés du développement de ces pays. Alors, comment un gouvernement fait-il pour gérer cela équitablement ?
R- "Déjà, nous on explique que d'abord, il y a des règles à adopter au niveau européen et international. C'est indispensable dans un monde qui s'internationalise, de plus en plus, que des règles, je dis bien des règles, de la réglementation au niveau européen et international. Au niveau national, il faudrait déjà que le Gouvernement, quand il accordes des aides à une entreprise, ou une collectivité publique accorde des aides à une entreprise, quand cette entreprise délocalise ou licencie, on devrait réclamer la restitution des aides. Cela, on ne l'a jamais fait. On donne de l'aide et après on ne regarde pas, on ne l'évalue pas, on ne contrôle pas. Ce serait un premier exemple significatif pour éviter ce que l'on appelle "les chasseurs de primes", ceux qui s'installent pour avoir une aide, et qui repartent ensuite. Cela pourrait être quelque chose d'efficace. Ceci étant, la proposition qui a été émise de relocalisation des entreprises qui auraient été délocalisées, on n'y croit pas tellement. Tout simplement, parce que cela conduit, là encore, à recréer des zones franches avec moins d'impôts, moins de protection sociale et moins de droits sociaux à l'intérieur même de la France. A ce moment-là, en Amérique du Sud, nos amis nous disent : "même en France, vous faites des zones franches, donc nous aussi on doit en faire". Et deuxième élément : cela conduira, là aussi, à du dumping, parce que s'il y a des aides accordées à des entreprises qui relocalisent, demain un patron dira : je vais délocaliser, un an après je vais revenir, mais on ne me donnera des aides. Donc, on retrouverait les chasseurs de primes. Et j'ajoute, de plus, que pour que cela soit efficace, certains disent : il faudrait même que l'on supprime l'impôt de solidarité pour la fortune. Je dirais : encore une régression supplémentaire ! Donc, cela passe par un contrôle strict, mais ce n'est pas à la mode, parce qu'on est à la mode du libéralisme et l'Etat a plutôt tendance à faire le minimum que le maximum, mais un contrôle strict des aides accordées aux entreprises. Et cela passe aussi par une réglementation des textes au niveau européen et au niveau international. Et là, on voit très bien aujourd'hui, notamment au niveau européen, qu'on est très en retard sur ce genre de chose, que l'Europe qu'on nous construit est une Europe libérale."
Q- A part les 35 heures, quel sera le gros dossier revendicatif de la rentrée ?
R- "Il y a les 35 heures, bien entendu, il y a le Smic, et les questions des salaires. La revendication des salaires est une revendication qui est en train de monter, pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'il y a eu de la modération salariale, notamment liée aux 35 heures, que ce soit dans le privé ou dans le public. Dans le public, l'Etat refuse de négocier pour le moment les augmentations de salaires, et en tant qu'Etat-employeur, il ne se comporte pas mieux. Deuxième élément : il y a une augmentation actuellement du prix de l'immobilier, des loyers, dans beaucoup de villes, notamment les villes relativement importantes. Augmentation qui conduit les salariés, aussi, à voir leur pouvoir d'achat qui diminue, et qui les conduisent à revendiquer des augmentations de salaires. Et troisième raison : il suffit de regarder les résultats financiers des grandes entreprises pour voir que c'est banco, qu'elles gagnent beaucoup d'argent. Et à partir de là, il n'y a aucune raison que les salariés n'aient pas aussi leur part, et leur part, cela passe par des augmentations de salaires. D'autant que cela aidera la Sécu de plus, ce qui ne sera pas plus mal."
Q- On nous promet toujours des rentrées chaudes, plus ou moins chaudes. Celle qui s'annonce, d'après vous, est sur quel degré dans l'échelle de l'agitation sociale ?
R- "C'est difficile de faire des pronostics. On ne sait jamais par avance. Cela peut être calme comme ça peut être chaud, et on ne peut pas jouer les prédictions en la matière. Ce qui est certain, et c'est ce qu'on mesure quand, en tant que responsable syndical, je rencontre les salariés, toutes les semaines, de manière régulière, c'est que l'inquiétude existe, le mécontentement existe. Et donc, à partir de là, et à un moment donné, il faut bien que cela s'exprime sous une forme ou sous une autre. Cela peut être de manière sociale. Il faut parfois pas grand-chose pour qu'il y ait un mouvement qui éclate. Mais en tous les cas, les préoccupations à la rentrée tournent autour de l'emploi et du chômage, des salaires, de la protection sociale et des 35 heures. Cela fait quand même pas mal de dossiers sur lesquels on attend le Gouvernement et le patronat."
Q- A FO, vous êtes plutôt considérés comme des modérés. N'avez-vous pas vraiment le sentiment qu'il y a une radicalisation des actions, une exaspération des gens ?
R- "Il y a une exaspération des gens, aujourd'hui, dans les entreprise. Prenez TATI, par exemple : quand il y a 300 emplois supprimés, que les gens soient exaspérés, c'est tout à fait logique, c'est un réflexe naturel. Cela fait pas mal d'années qu'il y a des remises en cause et des remises en cause profondes de droit. On l'a vu avec les retraites l'année dernière ; c'est un peu plus nuancé pour la Sécurité sociale, mais ce n'est pas fini, le dossier n'est pas clos. Donc, il y a une tension forte. On la sent, l'inquiétude est forte. Ceci étant, l'explosion ou la réaction, cela ne se fait pas en appuyant sur un bouton, bien entendu. Et à partir de là, nous on va regarder à la rentrée comment les choses se passent. S'il y a assez d'inquiétude pour qu'il y ait des réactions, maintenant
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 août 2004)